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Energy Breaker
Année : 1996
Système : SNES
Développeur : Neverland
Éditeur : Taito
Genre : Tactical-RPG
Par LVD (03 mai 2018)

La Super Famicom, on l’oublie trop souvent en Occident, a connu pour ainsi dire deux périodes d’existence. La première, commune au monde entier, durant laquelle sont sortis la plupart des hits que tout le monde connaît (Super Mario World, Zelda 3, Street Fighter 2, etc.), en gros de 1991 à 1994. Et puis, les consoles 32 bits sont arrivées, et de manière très rapide ont quasiment balayé les 16 bits du devant de la scène, même si sporadiquement quelques très rares jeux sont sortis du Japon comme Street Fighter Alpha 2 ou Terranigma fin 96. Bref, ce fut une ère courte mais très intense. Au Japon, les choses se sont passées différemment.
Bien entendu, là aussi les 32 bits ont eu droit au succès, mais elles étaient en concurrence avec la Super Famicom qui faisait de la résistance, et qui a accueilli tout de même presque 600 titres entre 1995 et 1999 ! Résultat : la machine de Nintendo a connu une seconde vie, et nous a offert de nombreux softs d’une qualité technique irréprochable, les développeurs ayant fini par maîtriser totalement les possibilités de la console. Certains d’entre eux figurent dans le top des meilleurs jeux de la machine, particulièrement dans le domaine du RPG (au sens large), mais hélas n’ont jamais été officiellement importés. La liste qui suit n’est pas exhaustive mais durant ces quatre années, on a pu ainsi voir passer :

Mais alors que la plupart des titres que j’ai cités sont généralement au moins connus de nom des gamers occidentaux, Energy Breaker, lui, fait plutôt figure d’illustre inconnu. Je vous rassure, au Japon également. Et c’est bien dommage. Même s’il n’atteint pas le niveau des ténors du genre, il n’en reste pas moins un très bon jeu que l’histoire a scandaleusement oublié.

Bahamut Lagoon.
Rockman & Forte.
Kirby 3.
Seiken Densetsu 3 (les 32 bits peuvent aller se rhabiller !)

Il était une fois...

L’histoire se déroule intégralement sur l’île de Zamuria ; le monde a autrefois été détruit lors d’une guerre entre deux divinités. L’héroïne, Maira (ou Myra, je ne sais pas comment retranscrire), se réveille alors qu’elle a tout oublié de son passé... Première surprise : Maira a 21 ans. Pour un RPG japonais, c’est vieux ! Elle est limite bonne pour l’hospice. Si on met de côté une gamine d’une dizaine d’années, il n’y a aura aucun personnage de moins de 20 ans parmi le groupe de héros. Non que cela changera grand chose, mais cela fait plaisir pour une fois de diriger autre chose qu’une troupe d’ados qui part sauver le monde. À propos de sauver le monde d’ailleurs, on ne peut pas dire que cela transparaisse vraiment dans le scénario, car le terrain de jeu est ridiculement réduit. Comme je vous l’ai dit juste avant, toute l’histoire se déroule sur une seule île, qui contient en tout et pour tout DEUX villages, et moins d’une dizaine de donjons : vous allez donc devoir faire de très fréquents aller-retours. Notons par ailleurs que bien que restant une rumeur, il se pourrait que Zamuria se situe dans le monde de la série de jeux Estopolis/Lufia (dont on voit carrément deux persos en caméo !).
Les personnages sont fort peu nombreux, hormis Maira on ne dirigera que quatre autres compagnons (un vieux scientifique, un homme immortel, un guerrier à demi divin, et la gamine dont je parlais plus haut), plus un robot qui ne sert guère qu’à bloquer le passage aux ennemis. L’avantage d’un nombre si réduit est qu’il va permettre un certain développement de chacun d’entre eux. Néanmoins, on est quand même loin d’avoir la force des protagonistes de, par exemple, Final Fantasy VI (bon, j’ai mis la barre très haut, j’admets).

Le groupe de héros

À l’origine, le titre devait proposer huit personnages, chacun d’eux pouvant jouer le rôle principal, le soft devenant donc multi-ending. Ce projet sera finalement annulé pour quelque chose de plus conventionnel. Pourquoi ? Alors attention, il s’agit d’une simple hypothèse, mais il est possible que la date de sortie du jeu y soit pour quelque chose. Energy Breaker est arrivé dans les échoppes fin Juillet 96. Alors oui, comme j’en parlais dans l’introduction, la Super Famicom se portait encore très bien, mais tout de même. Faire un jeu plus long aurait encore repoussé sa sortie, peut-être à 97. Développé par Neverland (surtout connu pour les Estepolis ; la série se poursuivra jusque sur DS puis la société fait faillite en 2014) mais édité par Taito, ce dernier a peut-être préféré se concentrer sur la Playstation et la Saturn, et a donc peut-être un peu mis la pression pour sortir le jeu rapidement. Mes quelques recherches sur le Net japonais semblent aller dans ce sens bien que, encore une fois, rien ne soit confirmé.
Le jeu propose un système, euh..., on va dire d’« Alignement » (le terme est franchement exagéré !) lors des dialogues. On peut ainsi se mettre en mode amical, normal, ou agressif. Dans la pratique, cela ne change strictement rien au scénario, cette idée est juste totalement sous-exploitée. Dans la rubrique curiosité, le character design a été confié à Yasushiro Naito, le mangaka auteur de Trigun ! J’avoue que je déteste son style, mais à part l’illustration de la jaquette, on ne le remarquera pas vraiment in-game, sauf dans les menus, quand s’affichent les visages des personnages.

L'aventure commence...
On peut voir le portrait de chaque personnage en haut à droite.

Une réalisation de rêve, un gameplay... particulier

S’il y a un point sur lequel Energy Breaker est inattaquable, c’est bien sa qualité de réalisation. Tout en 3D isométrique, avec des sprites souvent assez gros et bien animés et des graphismes très fins, c’est un régal visuel. Sorti de ceux de Squaresoft, peu de titres sur la console peuvent se vanter d’atteindre un tel niveau. On appréciera également tout un tas de petits détails comme des effets de lumière ou aquatiques. Concernant la bande-son, c’est plutôt réussi également. Si on n’a pas la grâce d’un Nobuo Uematsu (au hasard), les musiques sont très agréables et collent bien à l’ambiance, particulièrement durant les moments calmes ou mélancoliques. Le soft est un Simulation-RPG/Tactical-RPG (prenez l’appellation que vous voulez), mais pas que. Les combats sont du Tactical pur et dur, mais le reste s’en éloigne. Alors que dans la plupart des titres du genre, on se contente d’enchaîner les batailles entre deux séquences de scénario à base d’écrans fixes, ici, à l’instar d’un RPG standard, on est totalement libre de ses mouvements, on peut visiter les villages, retourner dans des lieux déjà visités, etc., exactement comme dans l’excellentissime Shining Force 2 de la Megadrive. Il est également possible de TOUT fouiller, à un point où cela en devient parfois presque ridicule.
On peut sauvegarder absolument n’importe quand (trois emplacements sont disponibles), ce qui dans l’absolu est une bonne chose, mais peut également être à double tranchant. Il existe au moins un endroit (presque au début du jeu heureusement), le passage du train pour être exact, dont on ne peut sortir avant d’en avoir défait le boss. Or, cet endroit ne propose pas de combats aléatoires pour faire du levelling, et si vous avez eu le malheur de ne pas bien comprendre le système de jeu et de ne pas avoir appris un minimum de magies à ce stade de l’aventure, vous ne serez pas assez fort pour le vaincre. Il faudra donc recommencer depuis le tout début... et là, nous allons bien évidemment aborder en détail les particularités du gameplay.

Des effets de lumière splendides.
Franchement, c'est joli, non ?

Sans la notice, ou au pire une FAQ, il n’est pas vraiment évident à comprendre. Chaque personnage dispose de points à repartir dans les quatre éléments (terre, feu, eau, vent), chacun d’eux étant lui-même séparé en deux sous-catégories (lumières ou ténèbres). Leur nombre est très réduit au début, il faudra atteindre 56 points pour le maximum. Dans la pratique, les persos les plus forts comme Maira ou Leon y parviendront dès les deux-tiers du jeu, les autres vers la fin. Ce sont de ces points (nommés « Balance Points ») que dépendront directement vos possibilités d’action. Qu’il s’agisse de se déplacer, d'attaquer, d'utiliser un objet ou une magie, chaque action vaut tant de points par tour. En début de partie, ce sera plutôt du genre 1 déplacement + 1 attaque de base ; à la fin vous pourrez espérer 1 déplacement + 3 attaques de base (voire 4 attaques si vous n’avez pas besoin de bouger). À propos du déplacement, la 3D isométrique fait que lorsque vous devez grimper une côte, cela vous coûtera davantage de points. Et si un ennemi vous fait face en hauteur, inutile de dire qu’il sera avantagé. Le déplacement/positionnement est donc un élément clé du gameplay, sachant qu’il existe un sort de téléportation souvent bien pratique.
Pas de fioritures complexes ici ; à part les Balance Points, on dispose de points de vie et c’est tout. Ces points de vie ne changeront pas même en augmentant de niveau (un peu comme dans Final Fantasy 2), c’est la puissance des coups et la résistance qui se verront modifiés. Pas de mana, tous les persos peuvent faire de la magie ou utiliser des techniques spéciales, qui s’apprennent au fur et à mesure. De quelle manière ? Eh bien pour cela, il faut en premier lieu avoir équilibré les différents éléments. Exemple : pour acquérir le sort X, vous devez au préalable avoir 3 en eau/lumière, 2 en feu/lumière, et 2 en terre/ténèbres. Il faut ensuite faire des combats, et la magie/technique correspondante s’apprendra automatiquement, pas forcément dès la première bataille, mais cela arrive en général très rapidement. Souci : le seul moyen de connaître la liste et les éléments requis, c'est de lire des parchemins qu’on peut trouver (voire acheter) ici et là. Partant, suivre une FAQ rend la chose nettement moins fastidieuse.

La gestion des éléments.
La sélection des magies/techniques.

Cependant, Energy Breaker propose une idée que j’ai trouvée très appréciable pour son réalisme : les Balance Points dépendent de vos points de vie. Si, par exemple, il ne vous reste plus que 5 HP sur 50, votre perso sera juste inutilisable ! Trop épuisé/blessé, il sera incapable de bouger ou d’attaquer, au mieux pourra-t-il utiliser un objet de soin, mais le résultat ne sera effectif qu’au tour suivant. Une fois un combat terminé, on récupère tous ses points de vie, les éventuels morts sont ressuscités, et les altérations d’état sont annulées. À propos des attaques, si vous prenez un ennemi de côté ou mieux, par derrière, les dommages augmenteront. Par ailleurs, il y a contre-attaque automatique si on attaque de face sur une case adjacente. Lorsque votre tour se termine, tâchez donc de faire face aux adversaires les plus proches.
La plupart des magies sont communes à tous les personnages, ce qui est un peu dommage vu qu’il n’en existe guère qu’une vingtaine en tout. Cela dit, leur représentation à l’écran varie selon le perso utilisé, on sent que Neverland s’est investi et a voulu nous en mettre plein les mirettes ; on est très loin d’un vulgaire sort lambda « à la Final Fantasy ». Parmi ces sortilèges, celui qui permet de booster sa puissance/résistance risque de vite devenir indispensable au bout d’un moment. En effet, certains ennemis placés à l’extrémité de l’écran ont la fâcheuse manie d’utiliser ce même sort sur eux-mêmes à chaque tour, et il est cumulable... Si vous attendez trop longtemps et que vous n’en avez pas fait autant de votre côté, vos adversaires seront trop « blindés » et vous ne parviendrez qu’à leur faire perdre 1 HP par attaque... et vous n’en aurez pas le temps ! En effet, TOUS les combats du jeu doivent être expédiés en moins de 9 ou 10 tours. Il existe certes un objet qui permet de gagner 3 tours, mais il est rare et mieux vaut ne pas le dépenser bêtement contre des ennemis de base. Notons enfin que hormis lors du premier affrontement, il est possible de fuir tous les combats.

Beaucoup de PNJ, mais peu d'interactions profondes...
Une usine qui rappelle fortement Final Fantasy VI.

Venons-en au système d’équipement qui est à mon sens le défaut majeur du titre. Pas de mise en commun ici, chaque protagoniste possède son propre sac, qui dans un premier temps peut contenir jusqu'à... 8 malheureux objets, armes et armures incluses ! Un autre item permet de passer à 15, mais même là, cela reste faible... Sachant que l’équipement occupe déjà 4 cases, vous rajoutez 3 objets de soin, un ou deux parchemins, les objets trouvés dans des coffres, et c’est tout de suite rempli. Il est ensuite possible de transférer les objets d’un personnage à l’autre (sauf en combat, là où évidemment on en a le plus besoin), mais c’est assez pénible. Franchement, à part pour l’équipement, on aurait aimé un écran unique pour tous les persos.
Bon point cependant pour les deux magasins du jeu : lorsque vous revendez certains objets il est ensuite possible de les racheter n’importe quand (même si j'imagine mal un joueur qui, à la fin du jeu, racheterait les armes/armures du tout début).

Le premier donjon du jeu.
Là, on est beaucoup plus loin.

Je vais prendre un peu de ceci, un peu de cela

Quand on connaît un tant soit peu la ludothèque RPG de la console, on est frappé par un aspect d’Energy Breaker : ce dernier mange un peu à tous les râteliers et repique des trucs à droite à gauche, que ce soit au niveau du système de jeu ou de l’histoire. Par exemple :

  • Comme dans Chrono Trigger, à partir environ du milieu du jeu, il sera possible de voyager dans le temps, entre trois époques différentes.
  • Comme dans Tactics Ogre, la vue est en 3D isométrique.
  • Comme dans Maso Kishin, les dégâts diffèrent selon la position face à l’adversaire.
  • Comme dans Final Fantasy VI, on retrouve certains effets visuels et sonores, ainsi que des graphismes dans les zones de type usine. Le passage du train aussi, évidemment, renvoie à ce jeu, de même que deux séquences lors de la fin du jeu, et un autre évènement en milieu de partie (passez votre souris sur le passage suivant si vous voulez lire le spoil) :

    La destruction du monde !

... et je suis sûr qu’on pourrait en trouver d’autres, comme le système d’alignement qui rappellera certains Langrisser). En reprenant ainsi divers éléments, le jeu donne un peu l’impression de créer sa propre tambouille, de qualité certes, mais qui manque un peu d’originalité.

Chrono Trigger.
Tactics Ogre.
Maso Kishin.
Final Fantasy VI.

Hélas, si Energy Breaker est un bon jeu, il souffre aussi de certains points noirs qui l’empêchent de figurer sur le podium des meilleurs titres du genre de la SFC. Concernant l’histoire, d’abord : comme je suis grand amateur de paradoxes temporels et autres uchronies, l’idée de voyages temporels à la Chrono Trigger m’alléchait au plus haut point. Or, cet aspect sera très peu, trop peu exploité, tant dans la trame principale qu’au plan des mini-quêtes... vu qu’il n’y en a quasiment pas ! Ensuite, comme je le disais plus haut, les persos sont sympas mais pas transcendants non plus. La fin, qui est assez triste (le jeu dans son ensemble n’est pas très gai d’ailleurs), relève un peu le niveau mais cela ne suffit pas. Je pense là encore que les programmeurs ont été pris par le temps et n’ont pas pu développer autant qu’ils l’auraient voulu.
La durée de vie justement : comptez une trentaine d’heures. C’est très correct, mais le jeu n’étant pas multi-scénario, on n’a pas trop envie de le refaire, bien qu’il propose un mode « Once Again » (banal aujourd’hui, encore bien rare à l’époque), où l'on démarre avec beaucoup d’argent et où l'on peut acheter tous les objets en quantité illimitée. La difficulté est cependant parfois mal dosée. Certains combats connaissent un brusque pic de difficulté, alors que les suivants seront tranquilles-pépères. Pour ce qui est des boss, seul celui de l’élément Feu pourra vraiment poser problème ; je n’ai eu absolument aucun souci avec le boss final. J’oserais même dire que le titre devient trop simple sur la fin, notre groupe étant d’un niveau un peu trop élevé à mon sens (je n’ose imaginer si on fait du levelling à outrance !). Ensuite, le système d’alignement est totalement non-exploité, comme je le disais... Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir une Maira méchante et un scénario alternatif totalement différent ! Enfin, et pour le dire une fois encore, la gestion de l’équipement est vraiment pénible par moments. Aucun de ces défauts n’est vraiment rédhibitoire en lui-même, mais leur accumulation empêche Energy Breaker d’accéder au statut de jeu culte. On se met à rêver alors de six mois supplémentaires de développement, qui auraient sans doute permis, sinon de gommer, tout du moins d'atténuer ces divers problèmes.

Le passage du train (qui renvoie à Final Fantasy VI, encore...).
Lui, il vous a à l'œil.
Un boss impressionnant, mais pas spécialement dur à vaincre.
Un court moment, on pourra même jouer avec le chien à droite !

Le titre n’en reste pas moins de très bonne facture, avec une réalisation somptueuse, et vous y passerez un bon moment. Une traduction amateure est disponible depuis quelques temps, donc pas d’excuse. Bien entendu, on lui préférera des softs comme Bahamut Lagoon, mais si vous avez torché tous les classiques de la console et que vous êtes en manque, alors Energy Breaker saura répondre à vos attentes.

Ne le cherchez pas sous cette forme ! Cela n’a rien d’officiel...
LVD
(03 mai 2018)
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