Comment un petit studio débauché de chez Konami fait l'unanimité auprès des éditeurs et des joueurs depuis plus de vingt ans, en parvenant à concilier succès honorable et indépendance créative.
Introduction
La société de développement Treasure est créée le 19 juin 1992 suite à la défection de plusieurs jeunes employés de Konami. On compte parmi les courageux séparatistes : Masato Maegawa, qui vient de diriger le jeu NESBucky O'Hare et qui occupe depuis la position de PDG tout en continuant de pair ses activités de programmeur, ainsi que Hiroshi Iuchi (illustrateur) et Tetsuhiko Kikuchi (idem), Kaname Shindoh (graphiste), Hideyuki Suganami (programmeur), Kôichi Kimura (graphiste) ou encore le musicien Norio Hanzawa. Au total, cela fait sept employés ayant travaillé ensemble sur une des deux versions de Bucky O'Hare - celle sortie en arcade ou bien le portage sur NES - et rejoint ensuite par un personnel plutôt jeune, peu expérimenté et qui constitue en tout une vingtaine d'employés. Ce chiffre n'a que peu augmenté depuis, atteignant une trentaine de personnes (même si Treasure travaille aussi avec des free-lances).
Treasure est né, entre autres, de l'insatisfaction de ses fondateurs vis-à-vis de leur ancienne maison nourricière, notamment après que celle-ci ait refusé le projet de Maegawa et ses acolytes (un shoot vitaminé et prometteur sur le papier dénommé Lunatic Gunstar). En vérité, si Konami est alors en pleine réorientation de son catalogue vers des productions sur consoles adressées à un public plus jeune qu'auparavant (jeux de plates-formes, adaptations de séries animées à succès, jeux avec une mascotte,...), il est peut-être excessif de parler d'une baisse notable de qualité. Néanmoins au début des années 90, la société se distingue par une prise de risque minimale et un certain opportunisme. Les fondateurs de Treasure, en décidant de quitter une grande maison d'édition pour prendre le risque de monter une structure plus réduite, à seule fin, dans un premier temps, de pouvoir développer leur produit, n'ont pas fait qu'affirmer une volonté d'indépendance, ils se sont aussi donné la possibilité de revenir à une approche plus créative.
Treasure développe son jeu pour la Megadrive et démarche auprès de Sega pour l'éditer. Mais la firme de Haneda n'aime pas davantage le concept que Konami et il n'est accepté qu'à la condition que Treasure réalise un autre projet pour l'éditeur, sous la licence Mc Donald's, qui deviendra Mc Donald's Treasure Land Adventure afin que le frais studio se fasse lui aussi un peu de publicité. Treasure s'exécute brillamment et délivre un jeu de plate-forme original, drôle et un peu barré, même s'il ne retiendra pas autant l'attention que le Global Gladiators de Dave Perry, Nick Bruty et Tommy Tallarico. Quand à leur projet initial, rebaptisé Gunstar Heroes, c'est un shoot and jump (ou shoot 'em up pédestre) qui mélange tir à outrance et plate-forme, à deux joueurs pour un plus grand festival de boulettes. L'enthousiasme des critiques participe alors d'en faire une killer-app, créant finalement dans l'esprit des joueurs une sorte d'association entre les deux sociétés. Mais Treasure sera aussi courtisé par les concurrents...
Il faut dire qu'à ses débuts, les jeux du studio obéissent à certains critères sélectifs qui ne manquent pas de les rendre remarquables : jamais de suite, aucun portage, pour commencer. Treasure propose, en outre, d'innover par-dessus tout dans la jouabilité (celle-ci mise le plus souvent sur la vitesse et la nervosité d'un gameplay stylisé et pyrotechnique), mais aussi en matière de level design, pour des jeux qui ne se résument pas à la simple appartenance à un genre défini. Ce qui ressort, en les observant, est la sensation d'un mouvement incandescent, haut-en-couleurs (souvent à plusieurs) et marqué par des affrontements directs avec les boss (voir à ce sujet les nombreux mid-boss qui occupent la moitié de l'écran). Tout ceci peut paraître banal aujourd'hui, mais à l'époque l'entreprise se situait un peu à l'avant-garde de ce qui se faisait, et devait se faire par la suite, en 2D comme en 3D.
Sur Megadrive toujours, Treasure a ensuite développé Dynamite Headdy, jeu de plate-forme fun et coloré, inventif et ingénieux, bref une pépite tellement acidulée qu'elle se révèle au départ assez déconcertante. Puis ce sera Yû Yû Hakusho : Makyôtô Itsusen. Ce jeu de combat adapté du manga éponyme et resté inédit en dehors du Japon, peut se pratiquer à quatre simultanément et se déroule sur plusieurs plans, donnant un effet de profondeur. L'année suivante paraît enfin Alien Soldier, un run'n'gun orienté arcade avec des petits stages qui laissent la place pour la tension conséquente de joutes avec les nombreux boss. La ludothèque fournie à la Megadrive par le développeur demeure finalement variée dans le domaine "action".
Treasure s'est plus tard tourné vers la Saturn pour développer Guardian Heroes, un beat'em all non-linéaire jouable jusqu'à six en mode arène et doté d'un système de progression inspiré des RPG. S'étalant en 2D sur trois plans différentiels, le jeu use de nombreux effets de zoom et détails graphiques. La période des 32-bits affirme en fait la réputation du studio avec la sortie de Radiant Silvergun sur la même machine, en 1998, un shoot'em up jouable à deux acclamé pour son level design autant que son aboutissement esthétique et sonore. En définitive le studio a apporté à la Saturn un soutien sans faille, semblable en cela à Rare envers la Nintendo 64, et a aussi développé des softs pour la Playstation (Silhouette Mirage est le portage d'un titre Saturn) et la Nintendo 64 (Mischief Makers et Sin and Punishment).
Plus tard, les jeux Treasure sur 128-bits se montreront révélateurs d'une position inflexible face au marché et son évolution : Bangaï-O et Ikaruga sur Dreamcast sont toujours des shmups stylisés et "différents", à contre-courant des jeux d'action les plus représentatifs de leur époque. La réputation du studio, du moins pour ce qui concerne les shooting games, est telle que Treasure est conduit à réaliser un nouvel épisode de séries qu'il n'a pas créées, comme Silpheed : the Lost Planet pour Game Arts et Gradius V pour Konami, tous deux sortis sur Playstation 2.
Ces quinze dernières années Treasure s'est encore illustré sur les consoles de Nintendo, se livrant enfin librement à des suites et portages, et a réédité certains de ses titres notables sur Xbox 360 (dans le cadre du programme Xbox Live Arcade, aujourd'hui abandonné) et PC.
NB : Pendant ses premières années d'activité, Treasure repoussait les capacités techniques des machines sur lesquelles ses jeux étaient développés pour en faire de véritables vitrines technologiques, à une époque où, dans l'industrie du jeu vidéo, le talent et l’exigence comptaient plus que les moyens financiers et humains. En revanche, les productions plus récentes du studio sont marquées par une continuité graphique (essentiellement de la 2D) et des mécaniques de gameplay inspirées de la vieille école au point de se doter progressivement d'un parfum rétro, partiellement nostalgique, nouvelle marque de fabrique d'une entreprise libre et indépendante devenue emblématique pour les joueurs.
Deuxième partie : les jeux
Gunstar Heroes (1993)
Megadrive - Game Gear
L'Empire cherche à rassembler quatre pierres sacrées dans le but de réveiller la puissante entité qui régnait autrefois sur le monde. Des justiciers d'élite, avec l'aide d'un savant original, partent en quête de récupérer les pierres afin d'empêcher l'apocalypse. Pour faire simple, le gameplay de Gunstar Heroes s'inscrit dans la lignée de Megaman, en extrapolant au passage la vitesse de croisière et l'intensité, tout en administrant un véritable mode 2-Players qui l'accrédite de fun en supplément comparativement à son aîné, dont il ringardise ainsi, avec facilité, l'antique formule. Il faut ajouter à ce tour de réussite un level design changeant, source de dépaysement, en plus d'une replay value honnête. Ce qui frappe au premier regard, c'est la relative petitesse des sprites (en SD de style manga) et en même temps c'est la finesse du graphisme. La progression est rythmée par un scrolling d'enfer et notre puissance de feu permet d'avancer presque tranquillement face à nombres d'ennemis simultanés. Cependant les choses se compliquent rapidement et les bonus pour reprendre de la vie ou modifier le tir de son arme (à combiner selon 10 associations), ne sont pas de trop pour finir chaque monde, boss compris.
Au départ, on a accès à quatre niveaux qu'on peut faire dans l'ordre souhaité, afin de s'entraîner pour la montée buffet spirale que revêt les derniers niveaux dans le chaos sidéral. Reprenons en résumé : ce jeu est d'une grande fluidité, graphiquement c'est pas mal et il demeure qu'il n'ait pas vraiment subi le poids des années, à la manière d'un Streets of Rage 2 sur le même support, pour un jeu de 1993 tout de même. La technique au programme autant que la clé du concept n'ayant pas vraiment vieilli. Masato Maegawa s'explique : "L'objectif sous-jacent de Gunstar Heroes était de créer un jeu où "tout irait". Nous sommes donc arrivés avec de nombreuses idées et nous les avons menées à terme tant que la technologie le permettait. À titre personnel, je souhaitais réaliser un jeu avec un bon tempo et une grande liberté. Avec le recul, je pense que Gunstar Heroes a atteint ces deux objectifs." On ne peut que l'en remercier d'avoir programmé un concept aussi fédérateur et qui, en plus, dure dans le temps.
Au début des années 90, Sega acquiert les droits de plusieurs grandes marques (à manger et à boire) pour en faire des dérivés vidéo-ludiques, ce qui n'est pas vraiment une démarche rock'n'roll. Treasure, à qui incombe la tâche de réaliser un jeu avec Ronnie Mc Donald, s'en tire avec les honneurs. En plus de ne pas être un modèle de charisme, Ronnie est un peu l'antithèse de Sonic pour le maniement. Il est plutôt lent, ne peut sauter bien haut et se révèle pataud en guise de contrôles. Par chance, il peut s'accrocher à des sortes de poutrelles pour atteindre les plates-formes en hauteur (bouton A) et lance des espèces d'aimants pour détruire les ennemis, à la manière de Cool Spot (bouton B). Des anneaux à récolter permettent de faire monter sa barre de vie, qui est représentée par des gemmes (7 en tout) mais les bonus les plus fréquents sont de l'or à dépenser dans les boutiques disséminées tout à l'entour des niveaux, où l'on peut acheter de l'énergie (pas cher), des vies et des continues (hors de prix).
Un clone de Tetris est ensuite disponible en guise de bonus stage, qui se révèle plus pragmatique pour obtenir des extra-lives. Le trait du graphisme est ciselé, en plus d'être coloré, et parvient à faire oublier la palette limitée de la machine, comme chaque jeu du studio sur ce support. S'il n'y a encore une fois que quatre niveaux au départ (les collines, le train, l'aventure intérieure et l'espace), ces derniers sont constitués de sous-niveaux assez nombreux pour une durée de vie acceptable et un challenge relativement difficile, en dépit de certains passages énervants niveau maniabilité. Au final, je préfère Global Gladiators mais j'écris peut-être sous l'effet de la madeleine aussi, le titre de Treasure étant, il faut l'admettre, nettement plus original en matière de level design et la musique y est également correcte (la meilleure est celle du premier stage en tout cas). À voir et à essayer, par curiosité ou devoir de mémoire, les années 90 étant ce foutoir temporel où l'on pouvait à peu près tout se permettre, compris des jeux de plate-forme de prestige d'après une marque de bouffe.
Dynamite Headdy (1994)
Megadrive - Game Gear - Master System
Si l'univers des poupées ou des mannequins colle bien au genre fantastique (et horreur), il en va de même avec le jeu vidéo où le monde des marionnettes, tel que présenté dans Dynamite Headdy, va de pair avec le fait qu'on manipule avatar et PNJ dans des décors crées pour l'occasion. En l'occurrence, un monde de carton-pâte où le maître des marionnettes a crée une machine pour transformer les humains en poupées de chiffons. On y dirige donc une poupée rompue à toutes les situations pour rétablir l'ordre naturel, dans ce jeu de plate-forme où tout se déroule à la manière d'une représentation de théâtre : l'éclairage, l'ouverture, le découpage en actes, les fils suspendus au-dessus des décors,... Cela démarre illico par un boss dans une séquence qui va à 100 à l'heure et où il y a une foule de détails à dénombrer en étant attentif. Ce jeu est en effet pétri d'effets techniques bluffants (les séquences animées des boss, de la 3d dans certains niveaux) et de recoins et de clins d’œil (dans des décors remplis jusqu'au ras-bord).
Comme dans Kid Chameleon, on retrouve un système de masques qui propose une attaque différente en fonction de celui qu'on porte, tous assez délirants, certains plus utiles que d'autres, opérant d'une manière simple et jubilatoire cependant qu'il subsiste une part de hasard dans l'obtention de ces fameux masques. Il faut donc parfois s'y reprendre à deux fois avec les bonus pour trouver son bonheur. Le game design reprend les bases posées par le précédent, lui adjoignant d'autres idées conniventes qui complètent un tableau référencé : le fait d'attaquer en lançant sa tête dans huit angles différents, la possibilité de s'accrocher et de faire l'élastique, le choix entre des chemins différents pour finir un niveau, des succès à déverrouiller en pagaille, un mini-game addictif,... Vu qu'il n'y a que trois vies et pas de continues, c'est parfois regrettable de mourir en boucle contre un boss, avant de choper le bon masque ou de piger la bonne technique, mais on aimera suffisamment un challenge fait pour ceux qui aiment les jeux de plate-forme exigeants, à forte personnalité et qui, de fait, sentent bon l'originalité.
Les copies de Street Fighter 2, alors très en vogue, témoignent de ficelles généralisées et éprouvées jusqu'à la corde, en tentant de réitérer la formule gagnante. Pour un premier essai dans le jeu de combat, Treasure tente de dépoussiérer ce genre en incorporant la possibilité de jouer à quatre (avec un quadrupler) et celle de se déplacer au second plan (bouton Y). Une adaptation du manga de Yoshihori Togashi où seul un mode scénario - ou aventure-RPG - qui aurait repris à la mode 16-bits des séquences de la BD. et de l'anime, manque à l'appel. Des personnages à foison (tous différents), des combos s'effectuant avec seulement deux boutons d'attaque (un autre pour la garde), plusieurs moyens de fuite ou d'esquive (la manette 6 boutons est employée intelligemment), la possibilité de combattre à 2 contre 2 complètent un tableau idyllique pour tous les amateurs et spécialistes du style. À la manière de ceux qui préfèrent Mario Kart sur Super Nintendo, entre autres, pour l'originalité de son battle mode, ce serait faire preuve d'une marque de bon goût que de préférer ce jeu à Smash Bros, les autres ayant déjà fui devant le gap technologique qui les sépare.