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Sega
Les origines et le développement d'une compagnie qui fut Américaine à ses origines, avant de devenir une institution du jeu vidéo Japonais.
Par Laurent (06 novembre 2002)

Impossible d'oublier Sega lorsqu'on s'intéresse aux jeux vidéo. Que ce soit dans les salles d'arcade ou dans nos salons, Sega est très présent, et ce dans le monde entier, grâce à des produits innovants et de qualité, et tient la dragée haute à deux des plus grosses compagnies du système solaire, Sony et Nintendo. On ne peut donc que se réjouir du succès récent de la Dreamcast (succès mérité car c'est une machine géniale), qui même s'il n'a pu permettre à Sega de rattraper son retard sur Sony en termes de parts de marché, et contraint la compagnie à abandonner la fabrication de consoles (laissant des millions de fans en pleurs mais certainements pas inactifs), a abouti à la création d'une série de jeux exceptionnels qui vont à présent envahir les ludothèques d'autres machines. 

Les débuts

Même si c'est avec les jeux d'arcade que Sega à atteint une stature internationale, la compagnie est apparue bien avant les année 70 et l'avènement de ceux-ci. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, Sega fut fondé par des Américains. En 1940, Martin Bromley, Irving Bromberg (père de Bromley, qui a changé de nom) et James Humpet créent à Honolulu une entreprise nommée Standard Games, qui fabrique des machines de divertissement pour les bars (flippers, juke-box, jackpots). En 1951, alors que le monde cicatrise lentement de la seconde guerre mondiale et du conflit américano-japonais qui a suivi, Bromley propose de faire migrer la société près de Tokyo où subsistent de nombreuses bases militaires américaines, dans lesquels on trouve des foyers qui n'attendent que d'être équipés de tels engins. Standard Games déménage officiellement en mai 1952, date à laquelle la société est rebaptisée Services Games of Japan. Certaines des machines produites sont exportées vers l'Asie et même l'Europe. Les ouvriers japonais embauchés ont des difficultés à prononcer correctement le nom Service Games, et ont tendance à le raccourcir en "Se-Ga", notamment lorsqu'ils l'écrivent sur les caisses d'emballage. Les dirigeants de la société finiront par adopter ce nom pour simplifier les choses.

David Rosen (dans les années 80)

En 1965, Sega fusionne avec une autre entreprise américaine basée à Tokyo fabricant des machines à sous : Rosen Enterprises, Inc., créée en 1954 par David Rosen, un ancien de l'US Air Force qui est parfois présenté, à tort, comme étant l'homme qui fonda Sega cette même année (note : merci à Koopatroopa pour son aide). Avant la fusion avec Sega, Rosen ne s'est pas encore spécialisé dans le divertissement et fabrique toutes sortes de machines à sous, y compris des photomatons qui permettent de se procurer en deux minutes des photos d'identités pour 200 yens.

Premiers jeux

En 1966, alors que d'autres jeux de cafés commencent à apparaître, Sega produit le jeu Periscope, une simulation de sous-marin qui est le tout premier du genre à exiger une pièce de 25 cents à chaque partie (les précédents se payaient à la durée), et qui obtient un joli succès. David Rosen, avec l'accord des actionnaires, vend les parts de Sega à Gulf & Western Industries, et se négocie au passage le poste de PDG. Gulf & Western continuera avec succès durant les 15 années qui suivent la politique de développement et de commercialisation des jeux d'arcade de Sega, qui atteint en 1982 un chiffre d'affaire de 240 millions de dollars.

La console Sega SG-1000, et un exemple de jeu : Congo Bongo

Entre 1980 et 1983, Sega introduit plusieurs produits qui sont des premières mondiales, comme Astron-Belt (édité par Bally Midway), un shoot'em'up en 3d qui est le premier jeu d'arcade à utiliser le support laserdisc (peu avant Dragon's Lair) pour inclure des séquences filmées dans le jeu (en tant que décor uniquement) et SubRoc-3D, le premier jeu vidéo en relief  de l'histoire (utilisant un périscope équipé d'une lentille rouge et d'une verte), ou encore Monaco GP, sans parler bien sûr de Frogger, hit mondial développé par Sega mais édité par Konami. Pour être reconnu à sa juste valeur, Sega devra attendre le hit Zaxxon.

Astron Belt, Monaco GP et Zaxxon

C'est aussi en 1983 que Sega lance sa première console de jeux, la SG-1000, vendue uniquement au Japon, qui sera convertie en micro-ordinateur avec les modèles SC-3000. Elle sera suivie de la SG-1000 Mark II, puis de la SG-1000 Mark III, qui est la première console 8-bits de Sega.

Le micro Sega SC-3000, très proche des futurs MSX, mais hélas pas compatible, ce qui a condamné sa carrière.

Cap à l'Est

Les années suivantes (84-85) connaissent le crash du marché du jeu vidéo que l'on connaît bien, et Gulf & Western, qui possède 20% des actions de Sega, les revend à Bally Manufacturing Corp., qui ne poursuit pas la gamme de produits Sega. Néanmoins, au Japon, Sega survit plutôt bien. En 1979, Rosen avait racheté une société de distribution fondée par un entrepreneur japonais du nom de Hayao Nakayama. Après le crash des jeux vidéo, ceux-ci étant totalement en disgrâce commerciale aux USA, Rosen se joint à Nakayama et d'autres investisseurs japonais pour relancer Sega au Japon, avec à la clé un budget de 38 millions de dollars. Nakayama en devient le président exécutif, et Rosen prend la tête de la branche américaine, qui n'est maintenant plus qu'une filiale nommée Sega of America. Sega est devenue une entreprise japonaise.

Hayao Nakayama

A partir de cette restructuration, Sega change de politique, et décide de ne plus s'attacher trop longtemps à un même produit, comme l'ont fait jusqu'ici les géants du jeu vidéo comme Atari, chaque technologie ayant, il faut l'admettre, des débuts, un âge de maturité et une fin. En 1984, Sega devient Sega Enterprise Ltd., et sa direction est entièrement basée au Japon. A partir de 1986, Sega Enterprise entre à la bourse de Tokyo, et Sega of America voit son rôle réduit à la promotion et la distribution aux USA des produits de la compagnie, et accessoirement au développement de jeux destinés au marché américain.

Sega contre Nintendo

La console Sega Master System

A partir de 1987, Sega se lance dans la production d'une série de consoles qui vont obtenir beaucoup de succès, et devenir une priorité pour Sega, qui cependant n'arrête pas de produire des jeux d'arcade toujours plus innovants et porteurs de haute technologie. Pendant cette période, les consoles retrouvent les faveurs du public, notamment grâce à Nintendo, qui va devenir le concurrent de toujours pour Sega.

Devant le succès mondial et inattendu de la NES, Sega rebaptise la SG-1000 Mark III du nom de Sega Master System (en référence au produit concurrent de Nintendo), et propose donc au public une autre console 8-bits au hardware plus puissant que la NES. La SMS marche très bien au Japon, mais ne connaît pas un lancement aux USA et en Europe aussi réussi que sa concurrente. Plus tard, vers 1988-89, alors que l'heure est aux technologie 16-bits et que Nintendo tarde à sortir le successeur de la NES qui marche encore très bien, Sega s'impose avec la Mega Drive, une console 16-bits très performante, nantie d'un catalogue de jeux exceptionnel, qui fait fureur auprès des adolescents et jeunes adultes grâce au marketing percutant de Sega.

La Genesis, version américaine de la Mega Drive (en dehors du nom, les deux consoles sont identiques)

Pour faire face à la suprématie de Nintendo, qui base son marketing sur des produits ciblés sur la famille, Sega travaille son image et y réussit fort bien, mais s'enferme quelque peu dans un rôle d'outsider. Cela n'empêche pas la compagnie de prospérer, et en 1990, l'action de Sega, qui s'échange aussi bien sur les marchés japonais qu'américains, fait partie des favorites. Sega devient, avec Nike et Levi's, une des marques préférées des jeunes américains au début des années 90.

Sonic, représentant de Sega.

Mauvaise passe

En décembre 1994, Sega of America, dans une "joint-venture" avec Time Warner lance aux US le Sega Channel, une chaîne cablée qui permet aux utilisateurs de jouer à des jeux Genesis via un boîtier branché sur leur prise de télévision. Dans l'industrie de la télévision par câble, ce n'est pas la première fois qu'un tel produit est lancé, mais c'est la première fois qu'il connaît un réel succès.

En 1995, Sega, après quelques errances dans le domaine des consoles (les sorties infructueuses des SegaCD et 32X, des extensions 32-bits pour Mega Drive créées par Sega of America qui n'ont pas marché), lance la Saturn, console supposée égaler par la qualité de ses jeux les standards des jeux d'arcade. La Saturn reçoit d'excellentes critiques de la presse spécialisée, surtout en ce qui concerne son hardware impressionnant, mais elle ne parviendra jamais à s'imposer en dehors de Japon à cause de son nombre insuffisant de jeux. Les développeurs s'avèrent beaucoup plus intéressés par le produit que personne n'attendait, et surtout pas Sega, la Sony Playstation, jugée (à tort ou à raison) légèrement plus puissante que la Saturn et nantie d'une image fraîche qui ravale Sega au rang de produit du passé.

En 1996, encouragé par le succès du Sega Channel, Sega lance le Saturn Net Link, un modem qui se branche dans la Saturn en vue de jouer en réseau et de se connecter sur Internet. Au total, la Saturn verra son catalogue s'étendre à 300 titres pour les sorties mondiales, mais son manque de succès aux USA et en Europe obligeront Sega à ne sortir une majorité de jeux qu'au Japon, où la console marche très bien. La Saturn devient peu à peu une console japonaise.

La Saturn.

La tête dans les paquets de dollars

Dans la deuxième moitié des années 90, Sega, dans sa globalité, est une entreprise prospère qui ne cesse de grandir, principalement grâce à ses jeux d'arcade, domaine où elle est en situation dominante, seul Namco prétendant encore à lui faire une vraie concurrence. La série des Virtua Fighter, jeux de combat en 3D, et les nombreuses simulations (courses de voiture, combat aérien, hélicoptère, moto) de Sega étonnent et attirent le public des salles d'arcade grâce à leurs graphismes en 3D impressionnants et leurs systèmes de contrôles à retour de force qui placent le joueur dans des conditions d'un réalisme extrême, et changent totalement la conception du jeu d'arcade, qui devient une expérience ludique vécue physiquement. Sega crée de nombreuses filiales, qui développent des jeux sur de multiples plates-formes, comme le PC, dont les conversions de jeux tels que Sega Rallye Championship ou Virtua Fighter connaissent un certain succès.

Cool Rider (1994), simulation de chopper qui restitue parfaitement le comportement de ces machines, à commencer par leur lenteur !

En 1996, Sega s'associe avec MCA et les directeurs de création de Dreamworks (le studio de Steven Spielberg, David Geffen et Jeffrey Katzenberg) pour créer des parcs d'attractions nommés Segaworld, répandus un peu partout dans le monde, ainsi que des salles d'arcades géantes censées attirer un public familial, sortes de mini parcs d'attractions où les manèges sont remplacés par des jeux d'arcade du genre de ceux produits par Sega. Le but de ces centres est bien sûr de promouvoir les jeux Sega, mais on y trouve des bornes fabriquées par Namco ou Capcom, Sega ayant l'ambition de contrôler le marché du jeu d'arcade par le biais du contenant plutôt que du contenu. Quelque soit le jeu auquel vous jouez, une partie de l'argent ira à Sega.

Ces complexes, qui apparaissent en France sous le nom de La tête dans les nuages, diffèrent radicalement des salles d'arcades telles que les joueurs les connaissaient. Elles se trouvent dans des centres commerciaux cotés, à proximité de complexes cinéma multi-salles, voire même dans des quartiers touristiques et branchés (place d'Italie à Paris, par exemple). Elles sont grandes, propres, décorées aux couleurs et à l'effigie des personnages des jeux Sega (Sonic en tête), et il y est interdit de fumer. Il y a des vigils, des échangeurs de monnaies qui acceptent les cartes de crédits (on ne met pas de pièces dans les machines, mais des jetons, c'est une autre démarche psychologique), du personnel d'accueil qui vous explique comment jouer, et on y dépense son argent à une vitesse effrayante. Quant aux jeux, ce ne sont que les versions les plus évoluées, avec fauteuil sur vérins, commandes à retour de force et écran géant, le tout parfaitement nettoyé et maintenu.

Sega Rally Championship (1995) et House of the Dead (1997), deux jeux d'arcade à succès de Sega.

La Dreamcast : retour en force et fin d'une époque

Sonic Adventure sur Dreamcast. Tous les atouts de Sega résumés en un seul jeu.

Après les échecs successifs des SegaCD, 32X et Saturn, Sega bien à failli abandonner le marché des consoles. Toutefois, la compagnie s'est lancée en 1997 dans l'étude d'une console 128-bits, voulant profiter du demi-succès de la Nintendo N64 qui laissait des parts de marché vacantes, et du report de sortie de la Playstation 2. Durant les 2 ans qui ont suivi, cette console à subi de nombreux changements de look, de nom, et de hardware. Elle s'est appelé Black Belt, puis Katana, pour se stabiliser sur le nom de Dreamcast. Beaucoup plus puissante que les Playstation et N64, capable de se connecter sur Internet et munie de joypads excellents, la Dreamcast à réussi son pari, en se vendant à 1 million d'exemplaires la première année. Sony, qui a choisi d'équiper la Playstation 2 d'un lecteur de DVD, à préféré attendre que ce support s'impose sur le marché, retardant considérablement le lancement de cette console, et Nintendo à comme d'habitude préféré soutenir son produit vedette (la N64) plutôt que d'en sortir un nouveau trop vite, ce qui a permis à la Dreamcast (vendue, contrairement aux précédentes consoles Sega à un prix très compétitif) de s'installer sur le marché sans réelle concurrence.

Finalement, après la sortie hyper-médiatisée de la Sony Playstation 2 (qui a montré que Sony pouvait à peu près tout se permettre) et l'annonce de la Nintendo Game Cube, prévue d'être vendue à un prix très serré malgré sa technologie excitante, Sega a annoncé en mars 2001 son renoncement à produire des consoles de jeux, n'ayant pu dépasser les 30% de parts de marché (il lui en aurait fallu au moins 60, n'ayant que peu d'autres activités), et accusant des pertes considérables dûes aux échecs passés. La compagnie se consacrera désormais uniquement au domaine dans lequel elle n'a pratiquement jamais commis d'erreur : la création de jeux vidéo. La technologie de la Dreamcast sera peut-être (un jour) utilisée pour fabriquer des cartes d'extension pour PC permettant de jouer aux jeux Dreamcast, et continuera pendant un certains temps à fournir le coeur des bornes d'arcade Sega. Les titres les plus forts créés ou licenciés durant la commercialisation de cette console (dont la ludothèque atteint les 400 titres) seront adaptés sur PC, PS2, Game Cube puis sur la nouvelle venue XBox, en attendant de réelles nouveautés. L'objectif avoué de Sega est de devenir l'éditeur numéro 1, de devancer Konami ou Square, mettant ainsi à sa botte un marché qui lui aura toujours résisté. Le pari est osé, mais des jeux aussi extraordinaires que Sonic Adventure 2, F355, Crazy Taxi ou Jet Set Radio ont de quoi conquérir les plus blasés des joueurs qui sont passés à côté de la Dreamcast.

Jet Set Radio et Crazy Taxi : des pionniers qui n'ont pas eu le succès des suiveurs

Ce retranchement dans le camp des purs éditeurs/développeurs pour Sega, que les joueurs ont pour beaucoup vécu comme une injustice, n'est en fait qu'un dur retour à la réalité : Sega n'est pas mieux armé, économiquement et sur le plan marketing, pour produire des consoles et faire jeu égal avec les géants Sony et Nintendo que ne le seraient, par exemple, Konami ou Capcom, ou que ne l'était SNK. Pour ne pas rester à la traîne sur le plan technique, ce sont des investissements énormes que l'entreprise à du faire à chaque fois, d'autant qu'elle fut toujours le chef de file du développement sur ses propres machines, devant répondre présent à chaque fois que de petites révolutions survenaient par ailleurs, les anticipant même parfois : Sony proposait une synthèse du jeu de course automobile avec Gran Turismo 1 et 2 ? Sega lançait F355 Challenge, qui mettait de superbe façon la formule à la sauce 128-bits et devançait GT3. Nintendo posait de nouvelles bases pour les jeux de plates-formes à venir avec Mario 64 ? Sega offrait à ses fans un magnifique Sonic Adventure tout en 3d mais fidèle à l'identité de la série. Final Fantasy VII et Zelda 64 bouleversaient les habitudes narratives, visuelles et interactives du jeu vidéo ? Sega restait en course avec Shenmue, qui savait en plus rester à hauteur d'homme pour mieux immerger le joueur. Metal Gear Solid 2 se faisait attendre ? Headhunter (un des premiers gros titres de Sega sous-traité auprès d'un studio occidental) arrivait en temps et en heure. Le cel-shading proposait une nouvelle donne visuelle ? Sega développait Jet Set Radio, un jeu si révolutionnaire que même plusieurs années après sa sortie et une deuxième chance sur XBox, le grand public en a toujours aussi peur. Les 32 et 64-bits proposaient des simulations sportives réalistes et prenantes ? Sega mettait tout le monde d'accord avec Virtua Tennis 1 et 2, inégalés. Au vu de tous ces titres indispensables, il n'est pas étonnant que Microsoft joue désormais la carte Sega pour imposer la XBox comme la console du futur.

Malgré cet effort de développement sans précédent qu'à globalement représenté la Dreamcast pour Sega, les effets bénéfiques n'en sont toujours pas reconnus à leur juste valeur. Il faudra peut-être attendre que les choses se tassent un peu plus, que certains préjugés s'évanouissent. Espérons que Sega aura su conserver ses meilleurs éléments pour rebondir et que sa légende devienne une réalité durable.

Laurent
(06 novembre 2002)
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