Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Conforté par l'idée que qui peut le plus peut le moins, Jarvis développe sans grande surprise, un an plus tard, une suite de son illustre Defender. Stargate, toujours fabriqué par Williams, pousse donc le bouchon de la complexité encore un peu plus loin en ajoutant un sixième bouton (au secours) à son tableau de contrôle. Coïncidence ou pas, 1981 marque le début d'un déclin rapide de l'école du shoot à l'occidentale : Stargate, en raison de sa difficulté démesurée, est boudé ; Atari, par manque d'inspiration sans doute, abandonne le genre pour s'essayer à d'autres styles ; Bally Midway, dont le niveau de créativité n'atteint à l'évidence pas celui de ses deux concurrents, s'inspire de la confortable méthode japonaise pour produire deux dérivés de shoots plus anciens, Gorf et Satan's Hollow. En fait, seul Williams à cette époque parvient encore vaguement à sortir la tête de l'eau : Sinistar, en 1982, marque les esprits en mélangeant shoot, stratégie et survival ; Blaster, inspiré une fois n'est pas coutume du très japonais Buck Rogers de Sega, s'essaie au shoot à la première personne avec succès ; Robotron 2084, surtout, prouve que Jarvis n'a rien perdu de son inspiration. Une manette dans chaque main, le joueur peut désormais orienter son tir indépendamment de ses déplacements. Robotron, dont le rythme échevelé a rarement été égalé, reste à ce jour l'un des shoots occidentaux les plus marquants, les plus adulés, et donc, les plus joués par les fans du genre. Seul un pays fit l'impasse sur ce petit bijou de gameplay : le Japon. Imperméable à une trop grande innovation, chauvin à l'excès, replié derrière des mesures protectionnistes rendant l'importation des bornes américaines difficile, ou tout simplement faisant preuve de goûts vidéoludiques différents, ce pays ne connut pas non plus l'engouement que provoquèrent partout ailleurs Defender, Tempest ou Centipede. Préférant se passionner pour la production nationale du moment, les Japonais sélectionnent avec minutie les jeux occidentaux dont la distribution sera assurée au travers de l'archipel. C'est ainsi que Phoenix, sans aucun doute le titre américain le plus proche de Space Invaders, mais aussi Defender, virent leurs droits achetés par Taito. On pourra reprocher au Japon de n'avoir pas fait preuve de beaucoup d'ouverture d'esprit à une époque où les idées réellement novatrices abondaient au-delà du Pacifique. Mais comment reprocher à un pays de prendre son temps là où d'autres s'éparpillent et brûlent les étapes ? Comment ne pas approuver une attitude cherchant à approfondir des concepts existants afin d'en tirer toute la quintessence ? Trip Hawkins, fondateur d'Electronic Arts, affirmait tout récemment : « La créativité, c'est l'art de faire du neuf avec du vieux. » Voilà, en somme, résumé en une seule phrase la politique créative de tout un pays. Cette philosophie s'avérera, au final, payante. Car c'est en travaillant et retravaillant des concepts déjà bien établis, plutôt qu'en en inventant de nouveaux tous les mois, que des sociétés comme Konami et Namco parvinrent, avec une efficacité digne d'éloges, à élaborer de véritables chefs-d'œuvre de gameplay, à la fois aussi passionnants que leurs homologues américains, et autrement plus simples d'accès. 1981 est, de ce point de vue, une année décisive. Enfin déterminés à quitter le monde des shoot'em up à écran fixe, Konami, Namco - mais aussi SNK - partent du principe échafaudé par Defender pour élaborer des shoots à scrolling simples mais accrocheurs. Passons sur le contre-exemple (génial, il est vrai) de Galaga chez Namco pour nous concentrer sur trois titres particulièrement novateurs dans leurs mécanismes : Bosconian, tout d'abord, explore le monde du shoot à scrolling multi-directionnel et reprend le principe du radar que Jarvis avait inauguré un an plus tôt dans Defender ; Vanguard, ensuite, se présente comme le premier jeu de tir alternant phases de shoot à scrolling horizontal et phases de shoot à scrolling vertical ; Scramble, enfin (et surtout), pose les bases de ce que seront les shoots horizontaux à partir de cette date en trouvant le juste compromis entre la complexité escessive d'un Defender (une manette, cinq boutons) et le simplisme d'un Vanguard ou d'un Bosconian (une manette, un bouton) : avec sa manette multi-directionnelle et ses deux boutons, Scramble impose au joueur de gérer, en plus du déplacement de son vaisseau dans un décor contre lequel, grande nouveauté, il est possible de s'écraser, une arme principale et une arme secondaire : un canon air-air et des bombes air-sol. Le timing qu'impose la gestion de ces deux armes indépendantes complexifie la tâche du joueur sans devenir rebutante pour autant. Une jauge de fuel, qui indique l'état du réservoir du vaisseau, rappelle en permanence la nécessité de détruire à intervalles réguliers les réservoirs de pétrole au sol tandis que, dans les airs, virevoltent de nombreux ennemis avides d'en finir. Malgré son apparente accessibilité, ma première partie de Scramble fut catastrophique, incapable que je fus de gérer à la fois le déplacement de mon vaisseau et l'utilisation de mes armes. Toutefois, à l'opposé de Defender, cette première partie ne me degoûta pas - au contraire : elle me poussa à persévérer. Au Japon comme ailleurs, Scramble remporte un succès considérable. Car passé les premières minutes de prise en main, forcément délicates, le joueur comprend très vite qu'une fois dans le feu de l'action, il ne sera jamais submergé par la quantité astronomique de commandes d'un Defender. Mieux : il se passionne pour un univers qui, pour une fois, lui permet de découvrir des décors changeant régulièrement d'aspect, le contraignant à établir des stratégies d'attaque multiples : vol à altitude variable au-dessus des montagnes, position centrale dans les grottes envahies d'aliens, vol en rase-mottes pendant la séquence des météorites... Scramble met un terme au concept du niveau unique se répètant à l'infini, et ouvre une nouvelle ère : celle du shoot'em up varié, moderne. Dès lors, rien ne semble plus pouvoir arrêter la machine nippone : les hits s'enchaînent à une cadence infernale, chaque titre y allant toujours de sa petite mais indiscutable nouveauté. En 1982, Pooyan reprend le principe de Space Invaders mais joue à fond la carte de la perte des repères en transposant la bataille dans un univers bucolique – désormais, le joueur ne tire plus du bas vers le haut, mais de la droite vers la gauche ; Time Pilot, un dérivé de Bosconian à la maniabilité beaucoup plus souple, systématise l'innovation majeure qu'avait apportée Phoenix en ponctuant chacun de ses niveaux d'un combat acharné contre un boss ; Zaxxon reproduit à peu de choses près Scramble dans un univers représenté en 3D isométrique mais étonne par sa réalisation tout droit venue du futur (Sega, déjà dans ses oeuvres) ; Moon Patrol, surtout, en mettant entre les mains du joueur un véhicule lunaire filant sur un terrain accidenté survolé par des hordes d'extra-terrestes, inaugure le genre du run'n gun ; Xevious, enfin, s'impose comme le premier vrai shoot'em up à scrolling vertical, reproduisant là encore le modèle de l'illustre Scramble en équipant le vaisseau du joueur d'un canon air-air et d'un réticule de visée servant au largage de bombes air-sol. La comparaison s'arrête toutefois là, car le shoot vertical se démarque déjà de son équivalent horizontal en choisissant de rendre toute collision avec le décor impossible. Genre à la mécanique désormais bien huilée, le shoot'em up aborde les années qui suivent avec une nonchalance routinière qui, bien qu'efficace, laisse craindre un essoufflement majeur du genre. Certes, on trouve encore, entre 1983 et 1984, quelques perles qui poussent les foules à anéantir une énième escadrille ennemie, mais globalement, l'intérêt que suscite le jeu vidéo se déplace massivement vers d'autres genres dont la diversité ne fait que croître. C'est ainsi que les quelques réussites que sont, par exemple, le très rythmé Gyruss et ses vaisseaux adeptes de la circonvolution, le passionnant Exerion dont l'inertie rend le contrôle du vaisseau particulièrement délicat, l'étonnant Juno First et sa réalisation très inspirée des productions américaines made by Williams, le cultissime 1942 - premier shoot d'une longue lignée de jeux de tir mettant en scène nos pitoyables guerres mondiales -, ou encore Star Force, shoot vertical arborant un léger scrolling horizontal élargissant agréablement le champ de jeu, tous ces hits donc, doivent s'incliner face à la concurrence féroce qu'incarnent les innombrables jeux de course, jeux de plates-formes, jeux de sport et autres jeux de combat qui envahissent ce qui était encore, quelques années plus tôt, le lieu de chasse réservée des aliens de Space Invaders. Congo Bongo, Crystal Castles, Discs of Tron, Dragon's Lair, Elevator Action, I Robot, Mario Bros, Mappy, PolePosition II, Spy Hunter, Star Wars, Tapper, Track'n Field, Traverse USA, Up'n Down, Bomb Jack, Circus Charlie, Karate Champ, Kung-Fu Master, Marble Madness, Mikie, Pac-Land, Paperboy, Roadfighter... sont autant de poids lourds qui étouffent littéralement les jeux de tir, d'autant que ces derniers se contentent plus que jamais de recycler des idées maintes fois utilisées auparavant : Vanguard II, Gaplus, ou encore Time Pilot 84, sont tous des suites peu inspirées de titres anciens ; Vulgus, Exed Exes ou Espial, sont ternes, répétitifs et sans grand intérêt. À côté de ces modestes shoots, les titres américains continuent de faire preuve d'une imagination débordante ou d'une avance technologique étonnante (I Robot, Discs of Tron, Star Wars, Marble Madness...), tandis que les meilleurs productions japonaises alternent, comme à leur habitude, innovation toute relative (Congo Bongo, Mario Bros, Pac-Land) et éclairs de génie (Karate Champ, Kung-Fu Master). Le shoot'em up ne semble plus avoir longtemps à vivre. Autant dire que lorsque débarque début 1985, dans l'indifférence la plus totale, la suite improbable de Space Invaders, Return of the Invaders, personne n'est préparé à voir débouler le mastodonte qu'est Gradius. Non que la création de Konami soit une révolution conceptuelle à tous les étages ; au contraire, elle se contente, conformément à l'approche japonaise, de reprendre, tout en les peaufinant, nombre de principes déjà établis. Comment donc expliquer la fascination phénoménale dont elle fait l'objet ?
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