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Donkey Kong Land - La Série
Année : 1995
Système : Game Boy, GBC
Développeur : Rare
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action
[voir détails]
Par MTF (31 juillet 2018)

On l'aura compris en parcourant les articles consacrés à la saga des Donkey Kong Country : si ces jeux restèrent aussi bien dans les mémoires, ce ne fut pas uniquement pour leurs qualités ludiques, réelles et de mieux en mieux tournées, mais également pour leurs qualités graphiques. La réclame entourant le premier épisode était particulièrement dirigée vers cet aspect, les contemporains s'en rappellent : on arguait, sans trop exagérer le trait, que l'on n'avait jamais vu des graphismes ainsi sur consoles 16-bits. À l'aube de la révolution Playstation, l'argument avait fait son petit effet et quand bien même Donkey Kong Country 2 et Donkey Kong Country 3 auraient-ils moins mis l'accent sur cet aspect de leur économie, les joueurs étaient parfaitement conscients de leur identité graphique, indissociable de leur plaisir de jeu.
Partant, l'idée même d'adapter ces jeux sur une console comme la Game Boy, d'ores et déjà en fin de course en 1994 – il faudra attendre Pokémon, en 1996 au Japon, pour redynamiser sa riche carrière –, peut prêter à sourire. Elle n'était pourtant pas étrangère à ce genre de choses, et depuis l'époque de la NES, les développeurs portaient, plus ou moins sérieusement, plus ou moins rapidement, leurs titres sur la portable de Nintendo. Ils surfaient sur l'idée, intéressante alors, d'exporter leurs têtes d'affiche hors des murs du salon ; et à tout prendre, entre ça et les jeux portables « Tiger Electronics », le choix était vite fait.

Castlevania sur Tiger...
...et sur Game Boy. Toute limitée soit-elle, l'adaptation sur la monochrome de Nintendo est bien meilleure.

Pour être parfaitement honnêtes, et une fois ôtées les lunettes de la nostalgie, ces adaptations pour Game Boy étaient rarement de qualité. Il y avait parfois des choses honorables, relativement proches des originaux à l'instar d'Adventures of Lolo, sur lequel j'ai pu passer de longues heures : mais les sachants diront volontiers que les meilleurs jeux furent ceux immédiatement pensés pour le support, quand bien même reprendraient-ils, plus ou moins précisément, des éléments de leur modèle. On peut citer Link's Awakening ou les Super Mario Land, ou encore Metroid II dont l'influence, sur la série entière, n'est plus à démontrer. Mais à côté de cela, les adaptations proposées étaient généralement lentes, poussives, laides. Lorsque les développeurs reproduisaient au mieux les sprites, le jeu se lambinait comme Street Fighter II ; quand ils cherchaient, au contraire, à privilégier la vitesse de jeu comme dans Mortal Kombat, les graphismes en devenaient si primitifs que l'on ne voyait plus l'intérêt de jouer.
Cela n'empêchait pas les développeurs d'essayer pourtant, et force est à parier que ces jeux trouvaient leur public : j'ai été moi-même, et bien qu'au fait de ces défauts, un acheteur régulier de ces différentes adaptations. Acheteur souvent déçu, cela va de soi ; mais je ne perdais cependant jamais espoir. Donkey Kong Land, puis ses suites, font sans doute partie des meilleurs titres du genre, à mille lieux des prédictions que tout un chacun avait pu faire. Ils ne sont pas sans errances, et ils ne sont sans doute pas pour tout le monde : mais finalement, ce sont de belles adaptations et, plus encore, d'assez bons jeux qui méritent d'être redécouverts.

Donkey Kong Land et ses suites bénéficièrent d'une cartouche jaune-banane du meilleur effet.
Street Fighter II sur Game Boy... Oui, c'est comme vous l'imaginez.

Quand les cochons voleront

L'histoire des Donkey Kong Country, par l'intermédiaire de Cranky Kong qui se dit être le Donkey Kong original, a toujours entretenu une dimension méta-vidéoludique des plus appréciables. Si cet aspect sera notamment développé dans Donkey Kong Country 2, puisqu'outre le rapt de Donkey Kong, il s'agira pour Diddy et Dixie de prouver qu'ils peuvent être de « vrais » héros de jeux vidéo, Donkey Kong Land possède également ce discours réflexif. Cranky, fulminant du succès du premier jeu, lui qui trouve ces nouvelles consoles bien trop tape-à-l'œil, met au défi son petit-fils et son élève de faire tout aussi bien, mais sur un support moins puissant, la Game Boy... et avec ça, King K. Rool vole la réserve stratégique de bananes, histoire de dire.
Cette histoire de support sera également l'occasion, pour Nintendo, de promouvoir d'autant mieux le Super Game Boy, sorti l'année précédente. Donkey Kong Land sera effectivement l'un des rares jeux à bénéficier de l'accessoire pour améliorer sensiblement les graphismes et l'animation, et pour proposer un cadre spécifique au jeu. Les publicités du temps mettaient cet argument en avant, tant et si bien que l'on pouvait oublier que le jeu s'offrait d'ores et déjà sous les meilleurs augures dans le creux de la main.

Un chic écran-titre, avec une musique originale sympathique !
Le rendu est intéressant, bien que peu lisible parfois.
Le Super Game Boy est un accessoire qui permet de lire les jeux Game Boy via une Super NES. On pouvait alors choisir quelques options de coloration, et habiller l'écran de jeu d'un cadre rigolo.
Avec Donkey Kong Land, on avait accès à un cadre spécifique (des palmiers), et une coloration plus fine qui améliore de façon déterminante le rendu.

Donkey Kong Land est effectivement un jeu qui, graphiquement, dépote. Les développeurs gardèrent le rendu « pré-calculé » de l'original, bien entendu en simplifiant outrageusement les étapes d'animation. Ne laissez cependant pas les vidéos ou un émulateur vous tromper : la faible taille de l'écran Game Boy faisait assez bien illusion, et le Super Game Boy améliorait sensiblement le frame-rate, du moins suffisamment encore une fois, pour s'y méprendre avec, il est vrai, un peu de mauvaise foi. Il y eut, bien sûr, d'autres concessions : les arrière-plans ont pour la plupart disparu, ou ont été simplifiés pour ne pas gâcher la lisibilité globale ; un seul singe est présent à l'écran, le second n'apparaissant qu'une fois un bouton pressé ; enfin et surtout, la caméra est des plus resserrées, afin de limiter le nombre de sprites à l'écran.
Ce dernier endroit est vraisemblablement le plus critiquable. Cela rend effectivement certaines phases de plates-formes fastidieuses voire injustes, notamment lorsque des obstacles volants apparaissent au dernier moment. Ce défaut n'apparaît, à dire vrai, qu'à partir de la seconde moitié du jeu, dont les mondes mettent davantage l'accent sur l'agilité. C'est surtout pour cette raison que la difficulté, assez surmontable, progresse cahin-caha, et finit par rendre le jeu inutilement frustrant à la fin de son parcours.

Les niveaux alternent les environnements sans se soucier de leur cohérence : on a donc droit à un stage de neige au milieu de la jungle, dès le premier monde.
Les boss ont été refaits pour l'occasion, et leur difficulté sensiblement revue à la baisse.

Le chemin tranquille

Le gameplay, bien que globalement identique à celui du jeu console, a également subi quelques aménagements pour le rendre plus agréable. Aussi, mais cela n'est pas sans ce rétrécissement de l'aire de jeu, les personnages se lambinent un peu plus, ils semblent plus lourds qu'auparavant. Le jeu est aussi considérablement plus court : nous n'avons plus que quatre mondes pour une trentaine de niveaux, plutôt ramassés sur eux-mêmes et ce bien qu'ils présentent plusieurs passages secrets et autres zones bonus.
On appréciera en revanche l'effort des développeurs de ne pas faire uniquement une adaptation ou une redite, mais de proposer une nouvelle aventure. Certes, cela n'est pas sans heurt, et cela n'est pas sans reprendre quelques décors et ennemis de Donkey Kong Country : mais plus l'on progressera dans le jeu et plus les surprises seront nombreuses.

Il est quelques nouveautés, comme ces tornades qui propulsent les singes dans les hauteurs.
La carte du monde est tout en rondeur. On notera que la famille Kong (Cranky, Funky et Candy) a parfaitement disparu de l'économie du jeu.

Il en va ainsi de ces cochons-volants, au look plutôt étrange, mais qui s'intègrent assez bien dans cet univers ; les décors aux formes géométriques, en cœur ou en pique ; l'exploration d'un chantier de construction et d'une ville, référence évidente, plutôt qu'élégante, au jeu d'arcade original.
Quelque part, au fur et à mesure de sa progression, le jeu devient de plus en plus abstrait, fait de plus en plus « jeu vidéo », si l'on peut dire. Ce sera, des épisodes Game Boy, le seul à se départir autant de sa matière originale et bien que cela m'eût beaucoup déplu à l'époque, puisque je jouais à Donkey Kong Country également pour son decorum tropical, j'ai apprécié cette originalité qui, comme je le soulignais en introduction, manquait beaucoup aux adaptations Game Boy.

L'un des nouveaux environnements, le pays des nuages.
Ces plates-formes changent de sens en rencontrant un bord du grillage, ou en sautant. Ce mécanisme s'accommode assez mal avec la jouabilité...

Il est, sinon, rien de plus à dire de Donkey Kong Land. Si son rendu demeure bluffant pour la Game Boy et s'il est toujours agréable de parcourir l'univers de la licence, nous avons cependant ici affaire à un platformer assez convenu, avec son lot de passages secrets et de niveaux tranquilles, mais sans véritable génie. En comparaison, c'est inévitable, avec Super Mario Land 2 ou avec les Wario Land, Donkey Kong Land fait assez pâle figure dans la ludothèque de la Game Boy.
Il a cependant sa petite importance historique, qui en lien avec le Super Game Boy, qui pour l'exploit graphique qu'il représente, mais les amateurs lui préfèreront, évidemment, soit l'original sur Super NES, soit les têtes d'affiche de la Game Boy dont il reste cependant une alternative honnête, en cas de disette.

La ville est un environnement, en revanche, qui sied bien à Donkey Kong : on regretterait presque de ne pas l'avoir dans Donkey Kong Country.
King K. Rool sera évidemment le dernier boss, et son combat ressemble beaucoup à celui de la version Super NES.

On prend les mêmes...

Le jeu eut cependant un petit succès d'estime, et populaire, et critique : il ne fut donc point surprenant d'avoir Donkey Kong Land 2 l'année suivante (1996), et Donkey Kong Land III enfin (1997). L'effet de surprise initial était cependant passé, l'on savait bien à présent que la Game Boy savait, difficilement certes, gérer les sprites pré-calculés qui ont fait la renommée de la série. On aurait cependant tort de balayer d'un revers de la main ces deux jeux : ils représentent chacun une philosophie de la suite et de l'adaptation en jeu vidéo, et on pourrait presque les prendre comme modèles.
Donkey Kong Land 2 répond ainsi précisément aux critiques des fans, qui arguaient que Donkey Kong Land s'éloignait trop de son matériau originel. RareWare choisit alors, malgré quelques compromis nécessaires, de rester au plus proche de son modèle. L'on n'aura ici ni nouvel environnement, ni nouvel ennemi ; les musiques seront toutes des adaptations de la merveilleuse bande son du jeu premier ; les niveaux portent les mêmes noms, même si leur design est parfaitement original. En revanche, l'on n'aura toujours droit qu'à un seul singe à l'écran, les jets de copine ou de copain étant donc proscrits.

Un écran-titre toujours aussi réussi !
La carte des mondes s'inspire ici directement de DKC2, pour le meilleur et pour le pire.

Des trois épisodes, Donkey Kong Land 2 est pourtant le moins bon, au contraire de Donkey Kong Country 2 qui est sans doute le plus réussi de la trilogie originale. La faute, précisément, à cette adaptation trop brute, sans subtilité particulière : ce qui marchait assez bien sur Super Nes ne fonctionne plus vraiment sur Game Boy. Les sprites, trop fidèles, rendent mal autant sur la console originale que sur Super Game Boy ; le gameplay est trop mollasson à cause de la caméra rapprochée ; les arrière-plans sont soit trop surchargés soit, au contraire, vides et blancs ; la difficulté alterne entre le risible et l'impossible, sans ordre ni raison ; enfin, la musique magique de David Wise rend plutôt mal, y compris pour les standards, pourtant assez bas, de la console portable.
Partant, si Donkey Kong Land premier du nom était un jeu plutôt agréable bien que limité au regard de son genre, Donkey Kong Land 2 ne tient, quant à lui, qu'à la force de ses personnages et de son univers, peu pour ses qualités ludiques et esthétiques. C'est cette fois un pis-aller, qui contentera l'amateur ou l'amatrice éloigné·e de sa Super NES, mais qui ne plaira guère au joueur chevronné qui s'attendra à bien mieux. Le jeu demeure efficace, « propre » si l'on peut dire, mais d'une médiocrité dérangeante.

Varappe dans la mâture.
L'un des pires niveaux du jeu : non seulement le décor rend souvent l'action illisible, mais de plus, son principe même (il s'agit de flotter en se servant du courant d'air) le rend très difficile.

Il est certain, me semble-t-il alors, que cette adaptation manquée détacha définitivement les joueurs et joueuses de la série des Donkey Kong Land. À tort, hélas : car Donkey Kong Land III pourrait quant à lui bien être la perle rare que l'on attendait. Il passa un peu sous le radar en Europe et aux États-Unis, la Game Boy étant considérée comme une chose du passé. C'est dommage : car le jeu ne trahit aucune promesse.
Commençons déjà par les points esthétiques : musique et son n'ont jamais été aussi bien rendus. Plutôt que de rechercher l'exactitude, les développeurs choisirent l'efficacité. Cela passa par une simplification supplémentaire et de la musique, qui rend cependant bien mieux à présent, et des graphismes qui gagnent en peps et en dynamisme. Partant, la caméra s'éloigne un tout petit peu de l'action, trois fois rien : mais c'est suffisant pour redynamiser sincèrement le gameplay, et lui rendre juste ce qu'il lui fallait de nervosité.

Malgré la couleur, l'écran-titre est plutôt raté cette fois-ci...
Dixie et sa queue de cheval magique vous seront d'une grande aide.

Avec cette adaptation, des pans entiers du jeu ont été retravaillés, les combats de boss notamment, pour mieux s'adapter à l'écran étroit de la Game Boy ; l'on a même droit à des musiques originales et à quelques nouveaux sprites, qui ne dépareillent absolument pas avec le reste. Le jeu est cette fois-ci un régal à parcourir et quand bien même n'aurait-il pas la variété d'un Mario – mais, soyons honnêtes, Donkey Kong Country faisait déjà pâle figure au regard du plombier –, il devient cette fois-ci un excellent jeu de plates-formes, peut-être même l'un des derniers grands représentants du genre sur la monochrome.
Les connaisseurs savent également que le jeu ressortit en 2000, au Japon exclusivement néanmoins, sur Game Boy Color, pour un rendu supérieur à ce que proposait jadis le Super Game Boy. Il s'agit vraisemblablement de la meilleure version du jeu, la plus agréable et à l'œil, et aux mains : il se départ juste ce qu'il faut de sa matière première pour s'adapter aux contraintes de son nouveau support, mais reste suffisamment proche de l'original pour en proposer une alternative appréciable.

Les niveaux bonus sont encore de la partie.
Wrinkly Kong sera l'une des seules aides du joueur : elle sauvegardera, comme jadis, votre progression.

Concluons : vous l'aurez compris, des trois épisodes, c'est le dernier que je recommanderais, du moins, c'est celui qui aujourd'hui semble le moins anachronique. Nintendo lui-même doit bien le savoir, puisque seul cet épisode est, à ce jour, présent sur la console virtuelle de la 3DS. Même s'il commence à faire son âge, et de bien des façons, j'ai été néanmoins surpris de son efficacité et de ses réelles qualités en le reparcourant.
Quid des autres épisodes, alors ? Donkey Kong Land est une curiosité, à n'en point douter, pour son ingéniosité graphique et pour son originalité étrange, jamais reproduite à l'avenir ; Donkey Kong Land 2 est une notule encyclopédique, mais que l'on finira sans doute par oublier. Il sera alors la deuxième étape de cette trilogie dont l'existence même pourra surprendre les plus jeunes des joueurs : c'est qu'à l'époque, jouer dans la voiture des parents ne venait pas sans inconfort...

La vitesse du jeu, lors des phases de tonneaux-canons, est des plus honorables.
Le monde perdu, s'ouvrant une fois obtenu toutes les pièces bonus, est une épreuve difficile mais très gratifiante.
MTF
(31 juillet 2018)