Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Nintendo Game Boy (& Advance)
1989 - 2008
Sur le marché parallèle des consoles portables, Nintendo a mis tout le monde d'accord avec cette petite machine non sans défaut mais source inépuisable de fun.
Par Laurent (15 novembre 2000)

Des Game & Watch à la Game Boy

Tout commence au printemps 89, lorsque la Game Boy est lançée au Japon. Cette console portable est le résultat d'années de travail pour son créateur, Gunpei Yokoi, directeur du bureau d'étude R&D1 qui officie chez Nintendo depuis les années 60 et à conçu de nombreux jouets à succès pour la marque, avant d'inventer les Game & Watch, ces jeux électroniques à écran LCD que Nintendo à vendus par millions dans le monde entier, et dont la Game Boy est la continuation logique.

Gunpei Yokoi, et un des premiers Game & Watch : Parachute

Confirmation d'un succès

La NES est alors un succès mondial qui a relancé l'industrie des consoles, en particulier aux Etats-Unis, et conforte Nintendo dans son choix d'investir à fond sur ce marché. Gunpei Yokoi pense donc à créer une console à cartouches qui serait une version portable de la NES, permettant de jouer à des jeux équivalents tout en gardant sa caractéristique principale, à savoir un petit prix. Le premier prototype de Game Boy été présenté à Hiroshi Yamauchi, président de Nintendo, date de 1987. Yokoi prédit alors qu'elle se vendra au moins à 25 millions d'exemplaires en 3 ans, mais il reçoit plus de soutien de Nintendo of America que de la maison mère japonaise. Le président de NOA, Minoru Arakawa croit dur comme fer au succès de la petite machine si elle est fournie avec le jeu Tetris, dont tout le monde parle après qu'il ait été indûment (à savoir sans l'accord de ses auteurs russes) exploité sur micro-ordinateurs par la société Mirrorsoft. Arakawa a découvert le phénomène Tetris lors d'un salon du jeu vidéo en 1988. Plusieurs versions du jeu sont alors en vente, aucune n'étant légitime, à la suite d'un imbroglio sur les droits d'exploitation du jeu. Après une lutte juridique entre Nintendo, Mirrorsoft et Atari, les droits sont finalement attribués à Nintendo qui peut donc vendre le jeu en bundle avec la Game Boy. La version fournie, remarquable, est développée par Bullet Proof Software, entreprise japonaise fondée par un Néerlandais, Henk Rogers, qui a aidé Nintendo à récupérer les droits du jeu.

La console est lancée en 1989 au Japon et aux USA, puis en Europe en septembre 1990, et le succès est immédiat. Il n'existe alors aucune version de Tetris (mis à part la borne d'arcade produite d'Atari) qui n'ait pas été retirée de la vente en dehors de celle offerte par Nintendo avec la NES et la Game Boy, et le jeu comme la console font un tabac.

Tetris sur Game Boy

Hardware

La Game Boy est équipée d'un écran LCD de 160x144 points en 4 nuances de gris, de deux boutons de tir, de deux boutons de fonction (start et select), et d'une croix multi-directionnelle issue des Game & Watch. Sur les côtés de la console on trouve une molette permettant de régler l'intensité de l'affichage, et une autre pour le volume du son, ainsi qu'un port série. La Game Boy fonctionne avec quatre piles R6 qui lui donnent une autonomie incroyable de 35 heures (12 heures avec des piles rechargeables), un adaptateur secteur étant fourni séparément. D'un point de vue hardware, elle utilise un CPU Z80 cadencé à 4,2 Mhz, dispose de 8 Ko de RAM, de 8 Ko de VRAM. Les jeux sont stockés sur des cartouches dont la capacité varie de 256 Ko à 4 Mo.

L'écran de la Game Boy, peu lisible, non rétro-éclairé et d'une résolution obsolète en 1989, peut être vu comme le point faible de la console. Erreur, c'est en réalité son atout principal. Le coup de génie de Yokoi est d'avoir privilégié l'autonomie. Les jeux fatiguent un peu les yeux ? Peu importe pour le joueur s'il ne passe pas son temps à changer les piles. De plus, lorsque celles-ci faiblissent, la console continue de fonctionner, l'affichage se faisant de plus en plus difficile à lire, alors que la majorité des systèmes informatiques portables vous clouent le bec brutalement avec un avertissement low battery sans appel dès que celles-ci ne sont plus à 100%. Ce confort d'utilisation est la première raison du succès initial de la Game Boy, auquel Tetris n'est pas non plus étranger. La console fait fureur auprès des voyageurs à qui elle permet de patienter pendant les heures d'avion ou de train, et les enfant l'adorent car ses jeux ne sont pas chers et leurs parents leur en octroient souvent de nouveaux. C'est la plus petite des consoles portables de son époque, et de nombreux accessoires, souvent astucieux, permettent de l'emporter partout avec plusieurs jeux, pour un encombrement minimal. Divers accessoires sont disponibles, la plupart ayant pour but de pallier au manque de lisibilité de l'écran. Et puis il faut bien admettre que la pléthore de grands jeux édités par Nintendo sur NES ne souffre pas trop du passage sur Game Boy, la richesse de leur gameplay se chargeant de faire oublier des graphismes simplifiés. Même les adaptations des jeux 16-bits (notamment ceux sortis sur SNES) surprennent par leur efficacité.

The Final Fantasy Legend et Super Mario Land 2: 6 Golden Coins.

Des chiffres astronomiques

En 1992, après 3 ans d'exploitation, 32 millions de Game Boy sont vendues, dépassant les attentes de Yokoi et Nintendo. De 1993 à 1997, le chiffre grossit encore pour atteindre 50 millions, et se stabilise. Gunpei Yokoi travaille sur un autre projet, la Virtual Boy, mais Yamauchi lui demande de concevoir une version plus petite et performante de la Game Boy. Apparaît alors la Game Boy Pocket qui dispose d'un écran plus lisible que celui de sa grande soeur, pour des dimension et un poids réduits, et toujours une excellente autonomie sur piles.

La Game Boy Pocket

La Game Boy Pocket relance les ventes de jeux Game Boy au delà de tous les espoirs, compensant l'échec cinglant qu'à rencontré la Virtual Boy. De nouveaux jeux sortent, comme les célèbres RPG Pokémon de Game Freak, apparus en 1995 (versions Green, Red, Blue, Yellow), et les ventes cumulées de Game Boy sur ses deux premières incarnations atteignent le chiffre effarant de 60 millions d'exemplaires, auquel on n'ose même pas comparer les résultats des autres consoles portables (Lynx, Game Gear entre autres). Le succès de la Game Boy a fait de Nintendo le leader incontesté sur le marché de la console portable. Cette domination s'est confirmée sur les deux décennies suivantes.

Une ludothèque ma foi fort sympathique

Metroid II: Return of Samus et The Legend of Zelda: Link's Awakening.

Les jeux de la Game Boy sont innombrables. Toutes les licences à succès des consoles de salon Nintendo, Mario, Castlevania, Zelda, Final Fantasy, Donkey Kong ou Gradius ont fait l'objet de plusieurs titres. Les développeurs déploient des trésors d'imagination pour pallier aux carences de la console en matière de puissance et d'affichage et de contrôles, et le résultat est très probant. Les jeux sont simples, très fun, et très variés. Certains jeux Game Boy sont même devenus des classiques en eux-mêmes, sans prendre compte l'aspect portable. C'est le cas par exemple de The Legend of Zelda: Link's Awakening dans lequel beaucoup voient une sorte de quintessence de la série. De même, le Tetris livrée avec la console à l'origine est génial, probablement le meilleur sorti à l'époque.

Gradius: The Interstellar Assault et Castlevania: The Adventure.

La Game Boy a un mérite non négligeable : celui d'avoir converti de nombreux sceptiques aux jeux vidéo. Certaines personnes, qui pensaient avoir passé l'âge de se câler devant un écran pour jouer n'hésitèrent pas à se pencher sur la petite console, l'air de ne pas y toucher mais bel et bien accros. La Game Boy est ainsi la seule console 8-bits de Nintendo à avoir débordé de sa cible initiale. Elle est devenue un accessoire branché que l'on trouve dans nombre d'attaché-case, à une époque où les téléphones portables étaient encore rares.

La Game Boy Color

Après la Game Boy Light en 1997 (pour le marché japonais uniquement), qui propose un écran rétro-éclairé, c'est en 1998 que la console à succès de Nintendo se voit enfin gratifiée d'un écran couleur, des années après ses concurrents qui n'ont pas connu le succès. Celui-ci affiche 56 couleurs simultanément, sur 32.000 disponibles, et la Game Boy Color est compatible avec tous les jeux Game Boy. Les jeux en couleurs mettront un peu de temps à arriver, mais le succès ne tardera pas grâce à des titres développés par Activision, Infogrames, Rare ou Midway, parmi lesquels on trouve Link's Awakening DX (version colorisée et légèrement augmentée du Legend of Zelda sorti sur Game Boy), Wario Land 2, et bien sur les inévitables Pokémon (épisodes Crystal, Silver et Gold).

The Legend of Zelda: Link's Awakening DX et Pokémon Crystal Version sur Game Boy Color

La Game Boy Pocket Camera

La Pocket Camera est une petite camera grande comme un œil humain qui vient se fixer sur la Game Boy, et permet de prendre des photos qui s'affichent sur l'écran de la console, avec les limitations de qualité d'image que cela implique. Ensuite, il est possible de retoucher les images grâce au logiciel fourni, le but étant de déformer à volonté la tête de vos amis (grandes oreilles, gros nez, etc..) dans la joie et la bonne humeur. Il existe aussi une imprimante, qui imprime sur des petits autocollants. La Game Boy Pocket Camera à surtout eu du succès au Japon.

La Game Boy Advance

A la fin des années 90, "Game Boy" ne désigne plus une série de consoles, c'est devenu une marque. De plus le 4 octobre 1997 le concepteur de la première Game Boy, Gunpei Yokoi, est décédé accidentellement à l'âge de 56 ans. Pour toutes ces raisons, on ne doit pas considérer la Game Boy Advance, sortie en 2001, comme une descendante directe de la Game Boy, mais plutôt comme la seconde génération de portables Nintendo.

Mother 3 et Advance Wars sur Game Boy Advance

Dotée d'un processeur 32-bits ARM7TDMI cadencé à 16Mhz accompagné d'un Z80 pour être compatible avec les jeux Game Boy existants, et de 256Ko de RAM, la puissance de la GBA est sans commune mesure avec celle de la Game Boy. Le nombre de boutons est passé à quatre, mais la croix directionnelle est préférée au mini-stick analogique qui s'est généralisé grâce à la Nintendo 64, car les jeux visés sont essentiellement en 2d. L'écran propose une résolution de 240x160 en 256 couleurs sur 32768. Malheureusement il n'y a toujours pas de rétro-éclairage car l'alimentation se fait par piles au lieu d'une batterie rechargeable intégrée, pour réduire le prix de vente. Il en résulte que la Game Boy Advance fatigue beaucoup les yeux. Côté son, elle intègre un processeur de samples qui lui permet d'intégrer des voix digitalisées en nombre dans les jeux. Son autonomie est d'une douzaine d'heures.

Fire Emblem et Super Mario Advance 2 (qui est une réédition de Super Mario World), sur GBA.

La GBA est très bien accueillie par le public et devient la console par excellence pour les jeux en 2d. Beaucoup y voient un excellent support pour des rééditions de jeux Super NES, et ne seront pas déçus car non seulement il y en aura beaucoup, mais la plupart sont très réussies et intégrent quelques ajouts bienvenus comme une bande sonore enrichie, des graphismes plus colorés et surtout un système de sauvegarde plus évolué. C'est notamment le cas pour les quatre épisodes en 2d de Super Mario Bros, qui ont chacun fait l'objet d'une version GBA séparée alors que sur SNES Nintendo les avait compilés en une seule cartouche. On note aussi trois très bons Castlevania (Circle of the Moon, Harmony of Dissonance et Aria of Sorrow), de nombreux RPG venus de la SNES (Final Fantasy IV, V et VI...) ou originaux (Mother 3, Fire Emblem, Golden Sun...), de remarquables itérations des séries Mario Kart (Super Circuit), Zelda (Minnish Cap) et Metroid (Fusion, Zero Mission), ainsi que le jeu de stragie Advance Wars dont le succès marque les débuts d'une nouvelle franchise. La ludothèque de la console n'est peut-être pas aussi pléthorique que celle des Game Boy précédentes mais se révèle très fiable sur la qualité.

Au printemps 2003 apparaît la Game Boy Advance SP : la console devient pliable, son écran est enfin rétro-éclairé, et elle est alimentée par une batterie qu'on peut recharger tout en jouant. En revanche elle ne dispose pas, contrairement à toutes les précédentes Game Boy, d'une prise casque en série (il faut utiliser un adaptateur branché dans la prise d'alimentation), mais ce n'est pas son principal défaut de conception : le plastique dont elle est fait se raye énormément. C'est regrettable car le fait de pouvoir la plier, et donc que l'écran soit protégé, pousse à la transporter sans grande précaution. Peut-être est-ce parce que Gunpei Yokoi n'est plus, mais à partir de la GBA les consoles portables de Nintendo se sont toutes caractérisées par des faiblesses de ce genre (sans que leurs ventes n'en souffrent).

Fin de parcours

En 2002, Hiroshi Yamauchi, qui a dirigé Nintendo pendant 53 ans, se retire. On pense que Minoru Arakawa va prendre sa place, mais le poste est confié à Satoru Iwata, ancien boss de Hal Laboratories. Nintendo est alors en difficulté sur le marché des consoles de salon avec la Game Cube qui n'atteindra pas le parc installé de la Nintendo 64 (déjà inférieur à celui de la SNES), et une main-mise prononcée de Sony sur le marché. Satoru Iwata initie alors un changement de stratégie important pour sa compagnie, avec une nette volonté d'élargir le public visé en piochant vers les populations qui ne pratiquent pas le jeu vidéo. Dans ce nouveau contexte, l'héritage Game Boy passe à la trappe et la prochaine console de Nintendo, nommée DS, reposera sur un concept assez différent : deux écrans, dont l'un tactile, des formes de gameplay qui tranchent avec les habitudes, et une ludothèque où jeux et applications grand public cohabitent.

La Game Boy Advance tire donc sa révérence, avec une dernière réédition : la Game Boy Micro, sortie fin 2005. Toute petite, non compatible avec les anciens jeux Game Boy, très solide et fabriquée dans des matériaux d'excellente qualité, elle s'adresse à un public de fétichistes de la GBA.

Conclusion

Il s'est vendu au total 120 millions de Game Boy si on cumule l'originale, la Pocket, la Light et la Color, auxquels il convient d'ajouter 80 millions de Game Boy Advance (sur les trois modèles). C'est un record, qui n'est pas près d'être battu. Avec la Game Boy, Nintendo s'est installé à la tête du marché des consoles portables et ne l'a plus quitté. Au délà du savoir-faire de leur fabricant, qui a toujours su proposer les bons jeux au bon moment, ces consoles ont prouvé que le jeu vidéo peut s'épanouir et toucher un large public même lorsqu'il repose sur un hardware limité. Cette vérité, qui s'est vérifiée sur trois décennies, a conforté Nintendo dans la conception de ses consoles de salon : fonctionnelles mais jamais vraiment dans la course à la puissance, et donc jamais assez coûteuses à produire pour qu'il soit nécessaire de les vendre trop cher ou à pertes. Une politique qui garantit une certaine stabilité financière et permet de travailler sur la durée. Tout le contraire de ce vers quoi l'industrie du jeu vidéo tend depuis une quinzaine d'années.

Laurent
(15 novembre 2000)
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(215 réactions)