Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Laurent (13 mars 2001) La Jaguar est une console maudite, le vilain petit canard de la guerre des 32/64 bits. Un échec à la hauteur des espoirs que le projet avait suscités. Son histoire marque un virage dans l’industrie des consoles, la fin d’une époque et de certaines méthodes commerciales. On peut même dire qu’Atari est (semi) mort de n’avoir pas senti cette évolution. Le lancement de cette console, mal préparé, essentiellement basé sur l’esbroufe et l’effet d’annonce plutôt que sur le concret, en est la meilleure preuve. Tout commence en 1989. Des rumeurs prétendent qu’une console 16/32-bits nommée Panther est à l’étude chez Atari, sous la direction de Richard Miller, un ancien de Sinclair. Elle doit être équipée d’un processeur Motorola MC68000 cadencé à 16 Mhz, que l’on trouve déjà sur les micros Atari Mega ST (et sur la Sega Megadrive, dans moult bornes d'arcade, les premiers Mac et les premiers Amiga, à des fréquences diverses), d’un co-processeur spécialement développé pour l’occasion nommé Panther, ainsi que d’un processeur sonore Ensoniq de type Otis, utilisant 32 canaux stéréo. La Panther est supposée afficher 8192 couleurs simultanément sur une palette de 262144 couleurs, et peut animer 65535 sprites de toutes tailles en même temps. A l’époque c’est sur ses bases que se définit la puissance d’une console de jeux, la 3d n’étant pas encore d’actualité. Jeff Minter, légendaire game designer, se montre très intéressé par le projet et annonce qu’il y participera. A partir de 1991, comme c’est parfois le cas durant les prémices de l’apparition d’une nouvelle console, des rumeurs prétendent qu’un projet concurrent est également à l’étude chez Atari, la Jaguar, supposée donner à Atari une longueur d’avance technologique sur ses concurrents. En réalité, la Jaguar est née sur les cendres du projet de console Konix Multisystem (voir cet article) : les Anglais Martin Brennan et John Mathieson de la société Flare Technologies, qui avaient conçu cette dernière, ont été contactés pour épauler l'équipe de Richard Miller sur le projet Panther. Convaincus que les jeux 3d allaient rapidement s'imposer ils l'ont persuadé, ainsi qu'Atari, de passer à architecture 32/64-bits. En 1993, la nouvelle est officielle : Atari abandonne le projet Panther et se concentre sur la Jaguar. Au mois d’août, au CES de Chicago, le félin est dévoilé et fait forte impression, au grand dam de Trip Hawkins dont le système 3DO est, sur le papier, moins alléchant. De nombreux développeurs se montrent intéressés par cette nouvelle console, et chez Atari on renoue avec l’optimisme. Une fois son hardware finalisé, la Jaguar est fabriquée en série chez IBM, qui s’est associé pour l’occasion à Atari moyennant un contrat de 500 millions de $, et s’occupe aussi bien de la fabrication des consoles que du packaging et de la distribution. C’est pour le géant américain la première tentative d’introduction du marché des consoles de jeux via un produit d’une autre entreprise. Les unités sont produites dans l’usine new-yorkaise d’IBM, et à partir de l’été 94 à Colorado Springs par la société Comptronix. La sortie de la Jaguar est annoncée pour octobre 93, et les pré-commandes affluent. Toutefois, Atari envisage de ne sortir la console que sur San Francisco et New York, dans un premier temps, avec une fabrication limitée à 50.000 exemplaires. Durant les mois qui suivent, les commandes s’avèrent si massives qu’Atari va finalement repousser la sortie d’un mois, le temps de fabriquer les stocks nécessaires. Le 15 novembre, la console sort officiellement aux USA, mais, selon certaines rumeurs, seulement 20.000 exemplaires ont été manufacturés et certains acheteurs vont devoir attendre de longs mois leur machine. La Jaguar est vendue 250$, livrée avec un joypad et le jeu Cybermorph. Il est évident qu’Atari, après des années de vaches maigres ponctuées par les échecs successifs de la 5200, de la 7800, de l’Atari XGES et, dans une moindre mesure, de la Lynx, n’est pas préparé à faire face à une demande massive pour un de ces produits. Les errements qui vont ponctuer la sortie de la Jaguar, aussi bien dans la production du hardware que dans le développements des premiers jeux, vont sceller son destin. Un coup d’œil sur les spécifications techniques de la Jaguar révèle que ce n’est pas vraiment une 64-bits, contrairementà ce que prétendait son constructeur. Elle est basée sur 5 processeurs et 3 chips, les deux premiers étant baptisés Tom et Jerry (fabriqués par Toshiba), et le troisième révélant un classique MC68000 cadencé à 13,295 Mhz. Si les chips Tom et Jerry sont effectivement des 32/64-bits, le 16-bitsMC68000 fait pour le moins tâche en 1994. Mais selon certains sa présence ne se justifie que par le portage des jeux développés à l'origine pour le projet Panther. Les résolutions vidéo affichables dépendent du système vidéo du téléviseur sur lequel est branché la console (PAL, SECAM ou NTSC), mais peuvent avoisiner les 640x480, en couleurs 24-bits. La RAM est de 2 Mo et la console est équipée d’origine d’un port cartouche pour les jeux, bien qu’un lecteur de CD-ROM soit prévu pour plus tard. Deux contrôleurs peuvent être branchés (1 seul fourni en série) : il s’agit de joypads à 3 boutons de tirs, munis d’un pavé de 12 boutons de fonctions. Quant aux jeux, ils utilisent le support cartouche, ce qui en 1993 n'est pas encore considéré comme une erreur stratégique. A sa sortie, la Jaguar ne dispose que de 3 jeux : Cybermorph, Raiden et Humans (ou Dino Dudes). Il s’agit en fait de titres Panther qui ont été portés sur Jaguar. Il faudra attendre juin 94 pour voir enfin apparaître un hit potentiel : Tempest 2000, nouvelle version développée par Jeff Minter d'un hit d'Atari sorti en salles d’arcade en 1981. Même si ses graphismes d'inspiration rétro ne mettent pas en évidence les capacités de la console, le jeu fait l’objet d’excellentes critiques et redonne de l’espoir aux possesseurs de Jaguar, ainsi qu’à Atari. Dans la foulée sortiront Alien vs. Predator, un FPS génial dont la version Jaguar est considérée comme la meilleure, et une bonne conversion de Doom. Fin 94, Atari signe un contrat avec Sega dans le but de s’échanger des licences de jeux. Le contrat représente une injection de 90 millions de $ dans les caisses d’Atari, mais sur le long terme on sait aujourd’hui que les profits de l’opération n’ont pas été ceux espérés. En 1995, l’extension CD-ROM Jaguar CD sort, après une longue attente de la part des fans. En entrant dans l’ère du CD-ROM, la Jaguar assoit son avance technologique et trouve une seconde jeunesse. Atari passe des contrats de distribution avec de prestigieux revendeurs, comme Toys'R'Us ou Walmart. Noël 95 s’annonce bien, d’autant qu’un des jeux les plus vendus du moment, Myst, arrive sur Jaguar. En octobre Sam Tramiel est victime d’un infarctus et va se retirer des affaires d’Atari jusqu’en août 96. Son père Jack reprend les commandes et se livre à son exercice favori : le redressement. Le budget publicitaire est ainsi presque totalement supprimé, ainsi qu’une portion non négligeable du personnel de l'entreprise. C’est dans ce changement d'orientation qu’il faut voir l’obsolescence de la politique commerciale d’Atari. Alors que la Jaguar, machine au potentiel technologique et commercial indéniable, mérite que son constructeur rassemble toutes ses forces et joue son va-tout, voilà que Tramiel revient aux méthodes des années 70 qui privilégiaient la prudence et l’attentisme... Décembre 95, alors qu’un des tout derniers jeux Jaguar, Battlemorph (suite de Cybermorph), vient de sortir, des rumeurs annoncent qu’Atari est sur le point de faire faillite. La société va alors annoncer plusieurs jeux, pour faire taire les racontars. Le 19 avril le jeu Fight for Life, au titre de circonstance, sort. Ce sera le dernier titre produit par Atari pour Jaguar. On pourrait penser que l’histoire de la console va s’arrêter là, mais en octobre de la même année, Telegames annonce quatre nouveaux titres encouragés par la demande constatée sur Internet. La Jaguar a de nombreux défenseurs de par le monde qui jugent qu’elle n’a pas été soutenue par ses géniteurs comme elle le méritait, et qu’elle à sa place sur le devant de la scène. Ainsi, Worms, Towers 2, Breakout 2000 et Zero 5 vont venir s’ajouter à la courte liste de jeux disponibles, et le développement d’un autre titre, Battlesphere, est en cours à l'heure où ces lignes sont écrites (mars 2001). En décembre, on évoque la prochaine sortie d’Iron Soldier 2 et de World Tour Racing, toujours chez Telegames. Towers 2 et Breakout 2000 font hélas l’objet de critiques très dures dans la presse spécialisée. Alors qu’Atari n’est déjà plus qu’une filiale de JTS, la Jaguar semble lui avoir survécu. Sur le net, en mars 97, est fondée l’Atari Preservation Society, un groupe de fans dévolu à soutenir la mémoire des produits Atari. L’APS reçoit un nombre gigantesque d’e-mails d’encouragement qui semble indiquer que l'entreprise jadis fondée par Nolan Bushnell bénéficie toujours d’une certaine aura. Jusqu’en 1998, année du rachat d’Atari par Hasbro interactive, d’autres titres vont sortir, en CD comme en cartouche, parmi lesquels Air Cars, Automaniacs, Defcon I ou Gorf Classic, qui vont à chaque fois montrer par leurs ventes que même si le nombre de Jaguars vendues dans le monde plafonne à 250.000, ses utilisateurs lui sont fidèles et achètent systématiquement les nouveaux titres qui sortent. Ceci dit, on peut peut-être attribuer cette fidélité à une certaine nostalgie envers Atari. Aujourd’hui, on compte encore de nombreux sites consacrés à la Jaguar, et certains fans se sont confectionné des kits de développement, permettant l’apparition de nouveaux jeux. Le débat sur l’appartenance ou non de la Jaguar à la catégorie des consoles 64-bits fait l’objet de nombreux articles et débats sur les forums, même si la comparaison avec une Nintendo 64 fait apparaître un écart en faveur de cette dernière qui rend la question secondaire de toute façon. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (120 réactions) |