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Atari ST
Quand Atari se donne les moyens de lutter sur le marché des 16-bits, cela donne une machine aujourd'hui devenue quasi-immortelle.
Par Laurent (27 août 2000)

Raconter l'histoire de l'Atari ST, c'est raconter l'histoire du renouveau d'Atari.

Début 1984, Jack Tramiel, patron de Commodore, quitte la compagnie qu'il a fondée 29 ans plus tôt. Pour se changer les idées, il se lance dans un grand voyage autour du monde, mais le travail lui manque vite. Il rentre aux USA et fonde une nouvelle entreprise, TTL (Tramiel Technology Limited). Quelques anciens collègues de Commodore le suivent et tous se lancent dans la création d'un nouvel ordinateur. Parmi eux, on trouve David Harris, Mel Stevens, John Feagans, Greg Pratt, Tony Tokaï, Ira Valinsky ainsi que Shiraz Shivji et ses ingénieurs. Au même moment, Warner s'apprête à revendre Atari qui lui coûte de l'argent. Beaucoup d'argent... (2 milions de dollars par jour, si vous voulez vraiment savoir le montant). Quel meilleur acheteur trouver que celui qui avait entamé la guerre des prix informatique ?

Steve Ross, de Warner, contacte Jack, et le 2 Juillet 84, le contrat est signé. TTL et Warner deviennent actionnaires l'un de l'autre, et Atari appartient désormais à TTL. Sam Tramiel, le fils aîné de Jack, est nommé PDG d'Atari. Pour redresser l'entreprise les Tramiel (dont la devise est business is war) allègent le personnel, ferment des usines, et se livrent à leur exercice favori : casser les prix. On raconte que lors d'une visite de Leonard Tramiel (frère de Sam) et John Feagans dans un laboratoire de développement de la société situé à Milpitas, un haut-parleur annonça dans toutes les salles "attention, le commando est là".

Les Tramiels.

En moins d'un mois, l'entreprise passe de 5000 à 1500 employés, mais ce n'est pas tout : les Tramiel veulent lui donner une nouvelle dynamique et rien de mieux pour cela que d'attaquer le marché naissant des ordinateurs à microprocesseur 16-bits. Initialement il est question d'utiliser le CPU National 32032, mais National n'est pas en mesure de livrer les unités demandées à temps, et Atari se tourne vers Motorola et son 68000 qui équipe déjà l'Amiga, que Jack Tramiel connaît bien. Le but est d'introduire en force Atari dans une génération d'ordinateurs complètement nouvelle.

L'interface graphique utilisateur choisie pour cet ordinateur qui s'appellera Atari ST (ST comme Sixteen-Thirty two car il s'agit en fait d'une architecture 16/32-bits) est le GEM de Digital Research, développé à l'origine pour le PC avant d'être supplanté par le duo DOS/Windows. Le système d'exploitation est baptisé TOS (The Operating System, pour narguer le concurrent Microsoft) et implémenté dans les 192 Ko de ROM (ce qui est beaucoup pour l'époque). L'Atari ST est présenté pour la première fois au Winter Consumer Electronics Show (WCES) en janvier 1985, a Las Vegas.

À sa sortie et durant les années suivantes, l'Atari ST connaît un grand succès, notamment grâce à son interface MIDI équipée en série qui en fait l'ordinateur de home-studio par excellence (des musiciens comme Fat Boy Slim, Mike Oldfield et Jean-Michel Jarre l'ont abondamment utilisé). C'est sur Atari ST qu'est developpé Pro 24, rebaptisé par la suite Cubase, célébrissime logiciel d'enregistrement multi-piste MIDI/Audio. Idem pour la série LogicPro. Même aujourd'hui, alors que le ST est mort et enterré depuis longtemps, nombreux sont les musiciens qui l'utilisent encore, notamment grâce à son prix modique en occasion, sa fiabilité exemplaire (Tramiel avait raison de se moquer de Microsoft) et sa logithèque énorme. L'Atari ST fut aussi une grande machine de jeux, bien qu'en ce domaine devancé par l'Amiga en terme de graphismes et de son, grâce au fait que les programmeurs le préféraient à son concurrent. Plus stable, plus simple, jamais il ne sera oublié des éditeurs et sa ludothèque est au final la même que celle de son concurrent, à quelques titres près.

Maupiti Island et Operation Wolf : deux exemples de jeux remarquablement réalisés sur Atari ST..

Autres domaines où l'Atari ST brilla : la bureautique et la programmation, avec des suites logicielles très performantes comme Calamus et Page Stream pour la mise en page, WordPerfect, le Rédacteur et WordWriter pour le traitement de texte, Neochrome, Degas Elite, Deluxe Paint et NeoPaint pour la création graphique, et toute une gamme de langages de programmation (Modula 2, Pascal, Prolog, LISP, Logo...), autant d'applications qui furent largement utilisées par les professionnels. Au milieu des années 90 furent même développés par une communauté d'amateurs des navigateurs Web et serveurs FTP.

Vue du GEM sur un écran couleur, et Calamus sur un écran monochrome en 640x480..

Ayant été avec mon frère utilisateurs assidus de l'Atari ST, je peux vous dire que c'est une machine formidable, polyvalente, très fiable et solide (plus encore que l'Amiga 500 qui était déjà très costaud), et simple à utiliser. Par exemple l'utilisateur de ST ne changeait jamais de clavier ni de souris durant toute la vie de sa machine. Un plantage lui était une chose quasiment inconnue. Impensable de nos jours.

Atari Mega ST (source : http://www.mapetitecollection.com)
Atari TT (source : http://www.atarimuseum.de)..

Après le succès de la première mouture du ST, l'Atari ST 520, muni de 512 Ko de RAM et d'un lecteur de disquette de 360 ko, des améliorations apparurent avec le ST 1024, puis les séries STF et STE :
- Changement du lecteur de disquette pour un 720 Ko sur la série STF.
- Passage à 1024 Ko de RAM pour le 1040 ST.
- Sortie de l'Atari STE (E pour Enhanced), avec de meilleure possibilité sonores dues au processeur sonore BLiTTER (rarement exploitées hélas) et une palette de couleurs portée à 4096.
- Sortie des Atari Mega ST 2, 3, et 4 avec une RAM pouvant aller jusqu'a 4 Mo, présenté avec une unité centrale séparée du clavier et un disque dur.
- Sortie des Atari Mega STE, correspondant aux Mega ST mais avec un processeur tournant à 16MHz au lieu de 8.
- Sortie en 89 de l'Atari TT, une station de travail sous Unix dédiée à la P.A.O, destinée à concurrencer le Macintosh (ce sera un échec, mais la machine est très estimée de ses utilisateurs).
- Sortie fin 89 de l'Atari Stacy, une version portable de l'Atari ST, doté de 4Mo de RAM et d'un disque dur. Son autonomie sur batterie ne dépasse pas 15mn (!). C'est encore un échec.

Atari Stacy et Atari ST Book
(source : http://www.maedicke.de).

- Sortie fin 91 de l'Atari ST Book (Europe uniquement). Cette deuxième tentative de ST portable ne dispose pas de disque dur ni de lecteur de disquette : les données sont stockées sur une mémoire flash de 1Mo dans le cas d'une utilisation nomade transitoire, et le reste du temps l'utilisateur est supposé se brancher sur des périphériques parallèles disposant de leur propre alimentation. L'écran LCD à une seule couleur n'est pas rétro-éclairé. Mais l'autonomie est bonne (5h environ) est c'est le micro portable le plus léger et élégant de son temps, ce qui lui vaudra un certain succès, principalement auprès de musiciens. Aujourd'hui c'est une pièce de collection très rare du fait de sa diffusion limitée.
- Sortie fin 91 du Falcon, dernière mouture destinée avant tout à la musique, beaucoup plus puissant qu'un PC de l'époque, capable de faire de l'enregistrement direct-to-disk à 50 Khz et doté de modes graphiques exceptionnels (768x480 en 32.000 couleurs).

Atari Falcon (source : http://www.mapetitecollection.com).

L'histoire du ST et de sa descendance s'est terminée avec l'arrêt de la production du Falcon en 1994. Les difficultés financières alors rencontrées alors par Atari, qui aligne les échecs (Lynx, Jaguar) ont déjà provoqué plusieurs reports de sortie pour cette machine révolutionnaire, et lorsqu'elle est enfin arrivée il était trop tard, le PC et le Mac ayant définitivement pris les commandes du le marché de la micro-informatique. Atari finira par faire faillite et devenir un simple nom que diverses sociétés se disputent pour s'en approprier l'image, mais aujourd'hui personne n'oublie son rôle déterminant dans l'évolution de la micro-informatique grand public.

Laurent
(27 août 2000)