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Indiana Jones and the Fate of Atlantis
Année : 1991
Système : Amiga, Mac, Windows
Développeur : LucasArts
Éditeur : LucasArts
Genre : Aventure / Point'n click
Par Laurent (14 juin 2003)

Les aventuriers de l'arche perdue (1981) et ses deux suites Indiana Jones et le temple maudit (1984) et Indiana Jones et la dernière croisade (1989) résultent d'une collaboration étroite entre Steven Spielberg et Georges Lucas, ce qui fait de cette trilogie un cas unique. Ces deux icônes du cinéma populaire américain, qui ont vieilli et dont l'image s'est depuis vue quelque peu égratigner, étaient à leur zénith créatif dans les années 80. Les aventures d'Indiana Jones représentent une sorte d'aboutissement du film d'aventure à l'américaine bourré d'effets spéciaux, d'humour, d'émotion et de paysages exotiques. Des films qu'on a vus et revus sans lassitude, mais dont on a un peu oublié l'impact extraordinaire (surtout le premier, qui prit tout le monde par surprise). Des films si denses et rythmés qu'ils passèrent peut-être trop vite sur certains éléments de l'univers cohérent et attractif qu'ils décrivaient.

Spielberg et Lucas sur le tournage du Temple Maudit, et Indiana Jones and the Last Crusade, le jeu d'aventure (version PC).

C'est avec une intelligence et une maîtrise absolues que LucasArts a poursuivi le travail abattu sur les trois films dans le cadre de jeux d'aventure graphiques qui font, malgré les années qui passent, toujours figure de référence. Ces jeux, qui se situent dans la tradition de titres comme Zak McKraken & The Alien Mindbenders ou la série des Monkey Island, tout en visant un plus large public, ne sont pas pour rien dans la fascination qu'exerce le personnage d'Indiana Jones. Pour beaucoup de joueurs, ils comptent tout autant que les films eux mêmes, les transcendent en démontrant que leurs personnages et enjeux peuvent être la base d'une narration très élaborée.
Quelques années près une borne d'arcade d'Atari inspirée du second volet des aventures d'Indiana Jones (The Temple of Doom), sortie en 1985 et traitée dans cet article, la sortie en salles et le succès de Indiana Jones and the last crusade ont donné lieu en 1990 à la création de deux jeux sortis parallèlement. Le premier était un plate-forme/action sans intérêt particulier, correctement réalisé mais pas très maniable et inutilement difficile. L'autre était un jeu d'aventure ardu, complexe, passionnant, qui étirait magnifiquement le scénario du film. Sorti sur ST et Amiga, il impressionna beaucoup de monde, mais ne constituait qu'un hors d'œuvre.

L'Atlantide

L'intro du jeu fait l'objet d'une vraie mise en scène.

Fate of Atlantis est sorti deux ans après The Last Crusade, et s'en démarque d'emblée dans la mesure où il a été développé sur PC en vue d'une installation sur disque dur, l'adaptation sur Amiga n'étant sortie qu'après. Ses graphismes sont en VGA 256 couleurs, affichage peu adapté aux jeux d'action mais d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'agit de créer des décors de fond. Le rendu visuel et les couleurs chaudes de ce mode le rendent particulièrement agréable dans le cadre d'un jeu d'aventure.
L'interface utilise le traditionnel moteur SCUMM (Script Creation Utility for Maniac Mansion), développé par Ron Gilbert (voir article sur Maniac Mansion). On clique sur les commandes affichées en bas de l'écran, puis sur les objets dans l'inventaire ou directement dans le décor, et les réactions d'Indiana Jones indiquent s'il se passe quelque chose d'important ou non. C'est à la fois simple et riche de possibilités, bien qu'un peu démodé en 1991 où les jeux d'aventures privilégient plutôt décors plein écran et interfaces dépouillées. La quantité d'actions possibles est gigantesque et garantit de longues heures de recherche. Rappelons pour ce type de jeu qu'on n'en est pas encore, à l'époque, à la quasi obligation d'une interface point'n'click peu encombrante dont les commandes se limitent à des changement de forme du pointeur souris. La progression est constituée à 90% de phases de résolution d'énigmes, d'exploration et de dialogues, le reste étant consacré à des scènes d'action et de combat censées rompre la monotonie.

New York : Indy retrouve son ancienne assistant.
Hal Barwood.

Le scénario, signé Hal Barwood (qui a travaillé sur The Dig, les Monkey Islands, Yoda Stories, Outlaws, Rebel Assault 2, et au cinéma sur l'excellent Le dragon du lac de feu) est d'une qualité exceptionnelle. On n'ose rêver d'un film de la série qui proposerait une intrigue aussi complexe, aboutie, pleine de rebondissements et d'humour. Bien entendu, Indiana Jones s'y lance dans une course contre les nazis pour retrouver un trésor archéologique légendaire, comme dans toutes ses aventures. Celle-ci commence en 1938, alors qu'Indy se rend au Barnett College, à la demande d'un certain Mr Smith, pour chercher une statuette. Lorsqu'il revient présenter l'objet à son commanditaire, celui-ci démonte le socle de la statuette et en extrait une bille d'apparence métallique. Il menace d'un revolver Indy et son assistant Marcus et s'enfuit, après une brève altercation au cours de laquelle il perd sa veste. A l'intérieur, Indy trouve son passeport, qui lui indique que Mr Smith est en réalité Klaus Kerner, un agent à la solde du IIIe Reich. Dans la veste se trouve aussi une coupure de presse sur laquelle est imprimée une photo vieille de dix ans montrant Indy, assisté d'une demoiselle nommée Sophia Hapgood, dirigeant des fouilles en Islande, fouilles au cours desquelles fut trouvée la statuette.
Indy pressent que Sophia est en danger et se rend à New York, où elle donne une conférence sur la parapsychologie, sa spécialité depuis qu'elle s'est découvert des pouvoirs de médium. Ennuyé par le pompeux discours, Indy interrompt Sophia, et la ramène à son appartement, que tous deux découvrent complètement mis à sac. Elle lui explique que la matière trouvée par Kerner dans la statuette est de l'orichalque, un métal utilisé par les Atlantes, et les gens qui ont fouillé son appartement cherchaient probablement son pendentif, dont elle ne se sépare jamais et auquel elle doit ses pouvoirs.

Les Açores : de magnifiques décors.

La suite de l'histoire raconte comment Indy et Sophia tentent de découvrir l'emplacement de l'Atlantide avant les nazis. Cette cité perdue, dont l'emplacement est mentionné dans le « Dialogue perdu » de Platon, recèle une technologie supérieure et des quantités énormes d'orichalque qui leur permettraient, s'il mettaient la main dessus, de concevoir des armes surpuissantes et dominer le monde...
Après un premier chapitre le scénario propose, à un moment précis de l'aventure, de partir dans 3 directions qui donnent lieu à des suites d'événements différents. Il est alors demandé au jouer de choisir une option : Fists (scénario orienté sur l'action), Wits (sur la résolution d'énigmes) ou Team (sur la collaboration avec Sophia et l'alternance d'un personnage à l'autre). À chaque fois, les lieux visités, énigmes résolues et péripéties vécues sont différents, avant que les trois branches ne se rejoignent sur un final unique, au cours duquel on apprendra pourquoi l'Atlantide à disparu. Tout a été mis en oeuvre pour qu'il vaille vraiment la peine de refaire le jeu trois fois, ce qui est tout à l'honneur des développeurs.

Pas facile, la vie d'archéologue

En Islande, Indy et Sophia rendent visite à un éminent professeur.

La quantité d'objets collectés est impressionnante, et les possibilités d'interaction semblent sans limite. Il en résulte que les énigmes sont pour le moins retorses. Néanmoins, on est loin des combinaisons non-sensiques d'un Monkey Island. Aussi inattendues soient-elles, les solutions sont toujours logiques, sinon réalistes. Elles sont là pour que le joueur passe vraiment du temps dessus, mais pas pour qu'il soit plongé dans une sorte de délire déconcertant (ou délicieux, selon qu'on soit fan des aventures de Guybrush Threepwood ou non) que les dialogues prolongeraient. Par ailleurs le héros ne peut à aucun moment mourir (une tradition ches LucasArts) et on n'est jamais totalement bloqué. Malgré tout, il faut bien se dire qu'à l'instar de tous les jeux d'aventures du studio (sauf peut-être Loom, et encore...), Fate of Atlantis s'adresse à des aventuriers expérimentés et tenaces. La progression se fait de blocage en blocage, à un rythme que les habitués du genre connaissent bien.
Bien qu'il s'agisse d'un titre grand public (enfin, le grand public de 1991...), donc, on se situe bien au dessus du challenge proposé par des jeux comme Lost Files of Sherlock Holmes ou Under a Killing Moon. Après un certain nombre d'heures de jeu, on se surprendra à hurler de joie alors qu'on n'est parvenu qu'à ouvrir une porte qui mène vers une autre porte vérouillée. Heureusement, des événements importants viennent régulièrement nourrir la motivation, accompagnés en général d'une mini cinématique. Il est toutefois indispensable, pour apprécier ce style de jeu, de prendre plaisir à chercher tranquillement des indices en tentant toutes sortes de combinaison d'actions et d'objets, sans se presser, et en se délectant des traits d'humour dans les réactions d'Indy en cas de mauvais choix. Les aventuriers patients connaîtront un plaisir vidéo-ludique subtil, à la fois cérébral et divertissant, simple et sophistiqué, mêlant l'interactivité à la pure narration.

De passage à Monte Carlo et au Guatemala.

Quand aux scènes d'action, elles ne sont sauraient en aucun cas constituer un obstacle insurmontable. Elles permettent de changer d'air sans forcément s'attarder. Seule certaines phases de combat peuvent causer quelques problèmes, et encore, les développeurs ont prévu une touche appelée « Sucker punch » (la touche Insert), qui permet d'envoyer son adversaire directement au tapis. Il ne s'agit pas d'un cheat code, puisque le manuel du jeu le mentionne clairement.
L'humour est très présent, plus fin et décalé que celui des films, notamment dans les phases de dialogues à choix multiples, célèbre trademark LucasArts. Contrairement à ce qui est devenu une regrettable habitude dans les jeux récents, ces discussions ne convergent pas vers une ou plusieurs phrases incontournables, mais peuvent partir dans plusieurs directions, et aboutir à ce que certains passages soient ou non facilités.

Style

Indy aux prises avec les nazis : des passages riches en énigmes tordues.

Une bonne aventure d'Indiana Jones se doit de faire voyager notre héros, son fouet et son indéboulonnable couvre-chef aux quatre coins de la Terre. Fate of Atlantis transportera donc le joueur, avant la légendaire destination finale, à Alger, New York, en Islande, à Monte Carlo, en Crète, aux Açores, au Guatemala..... Cette grande variété dans les lieux (on en compte plus de 200) permet aux graphistes de faire des merveilles. Les décors, qui parfois dépassent la largeur de l'écran, sont magnifiques. Les personnages, quant à eux, conservent en l'améliorant le style particulier, légèrement caricatural, qui avait été introduit dans la précédente aventure graphique d'Indiana Jones. Leur design et leur animation sont en parfaite osmose avec l'humour très second degré des dialogues.
Indiana Jones apparaît dans ce jeu plus faillible et humain que dans les films, et sa complicité avec le joueur est totale, Surtout lorsqu'il s'adresse directement à lui, tournant soudain le dos à ce qui se passe dans le jeu. Il faut noter que les personnages, Indy en tête, semblent en permanence garder un certain recul vis à vis de ce qui leur arrive, comme s'ils étaient au courant de leur virtualité et du folklore dans lequel s'inscrivent leurs aventures. Ils se situent quelque part entre le coeur du récit et la position d'observateur occupée par le joueur. Cette distanciation est typique des jeux d'aventure LucasArts. On ne trouve rien de tel, par exemple, dans la série des Gabriel Knight (qui n'est pourtant pas dénuée d'humour). Même si elle ici est un peu moins marquée que dans Maniac Mansion ou Monkey Island, qui comptent parmi les titres les plus délirants qu'on ait vus, elle contribue à conférer à Fate of Atlantis une saveur particulière dont on ne saurait se lasser, d'autant qu'il se situe, faut-il le rappeler, dans un genre quasiment disparu.

Alger : l'ambiance change radicalement d'un lieu à l'autre.

Les clins d'œil, nombreux, viennent renforcer l'ambiance quelque peu parodique du jeu. Lorsque Indy arrive à Monte Carlo, par exemple, il traverse un « Boulevard des Guerres des Etoiles » (en français dans le texte, bien sûr). On peut aussi le voir expliquer que lorsqu'il était écolier, le directeur écrivait régulièrement des lettres à ses parents commençant par « Regarding Henry... » (Regarding Henry est le titre d'un film avec Harrison Ford où celui-ci retombe en enfance à la suite d'un accident cérébral, et Indiana Jones s'appelle en réalité Henry Jones Jr., Indiana étant le nom de son chien, comme chacun le sait depuis le générique final de The Last Crusade).

L'intro du jeu, quant à elle, donne le ton d'entrée : On y voit Indy chercher la statuette dans les sous-sols du Barnett College. L'interface n'est pas encore affichée, mais le joueur intervient quelque peu, cliquant lui même sur les endroits que Indy peut fouiller, ce qui provoque dans chaque salle une mini catastrophe qui le propuse vers la suivante (il ouvre sous ses pieds une trappe qui mène à l'étage inférieur, une armoire lui tombe dessus et lui fait traverser le plancher...). Cette intro, entrecoupée du générique du jeu, constitue une série de gags réellement surprenants, qu'une animation et un timing absolument parfaits rend hilarants, dignes dans la forme de leur ascendance cinématographique.
Signalons enfin que l'ambiance sonore est assez élaborée. Les dialogues sont muets, mais la musique, utilisant le système iMUSE (qui permet aux jeux LucasArts de bénéficier d'un accompagnement musical qui varie en fonction de l'action, comme dans les films), est très agréable pour peu que l'on dispose d'un périphérique MIDI. Elle reprend le célèbre thème du film, mais aussi des compositions originales soulignant les diverses ambiances (française, arabe, grecque...).

Réédition

Le Barnett College : certains indices se trouvent dans les endroits les plus inattendus.

Fate of Atlantis a été accueilli par des critiques dithyrambiques, à une époque ou les jeux d'aventures côtoyaient les jeux d'action sans s'adresser à une clientèle (soi disant) restreinte. Sa qualité et la popularité de son héros en ont logiquement fait un succès commercial considérable, mais les aventures d'Indy sur PC se sont arrêtées là, en raison de l'arrêt (provisoire mais durable) de la série au cinéma. Un nouveau jeu de conception similaire, intitulé Indiana Jones and the Spear of Destiny, a été mis en chantier mais n'a jamais vu le jour officiellement. Depuis, l'archéologue risque-tout est revenu rendre visite aux gamers, mais dans le cadre de jeux en 3D orientés action/exploration (Indiana Jones and The Infernal Machine, Indiana Jones and the Emperor's Tomb, tous deux assassinés par la critique), dans l'ombre d'un Tomb Raider qui pourtant lui doit tout.

La version originale de Fate of Atlantis tient sur 10 disquettes. En 1993, une version CD-ROM est apparue, enrichie d'effets sonores digitaux et de quelques 8000 lignes de dialogue parlé. La voix d'Harrison Ford n'est pas au programme de ce lifting sonore, mais le comédien qui incarne Indy fait parfaitement illusion. Il faut aussi signaler (rapidement) l'existence d'un Fate of Atlantis: The Action Game, tout à fait dispensable. Aujourd'hui, Fate of Atlantis, qui se satisfait amplement d'un 386 SX à 25 Mhz, est difficile à trouver en téléchargement, du fait que LucasArts continue de le vendre (sur le net), et refuse tout idée d'abandonware, ce qui n'a rien d'étonnant venant d'une société qui vend les mêmes produits dérivés depuis 1977. Néanmoins, le moteur SCUMM a fait l'objet d'émulateurs sur de nombreux supports, comme la GP32 ou le Pocket PC, permettant d'y rejouer sur une machine portable avec un excellent rendu.
Pour finir sur la descendance de Fate of Atlantis, il faut évoquer le Fate of Atlantis 2 créé par des fans, en vente sur ce site. Toute opinion sur ce jeu est la bienvenue.

Conclusion

Une phase d'action (le pilotage d'un sous-marin), et un gros plan sur le pendentif de Sophia.

En résumé, le seul aspect qui pourrait rebuter certains dans ce jeu est sa difficulté, plus abordable que ce à quoi LucasArts a pu nous habituer, mais tout de même assez élevée. Ceci dit, même si cela doit se faire avec l'aide d'une solution, il serait vraiment dommage de se priver de ce petit bijou qui n'a pas pris une ride, malgré son absence d'effets spectaculaires. On est tout à fait libre de préférer les Gabriel Knight ou les Monkey Island, mais Fate of Atlantis régale par la beauté de sa réalisation, son scénario passionnant et son humour aussi rafraîchissant qu'intelligent. Il s'agit d'une des meilleurs utilisations d'une licence cinématographique à succès qu'on ait vues. Une réussite exemplaire, qui mérite un coup de chapeau (même si celui-ci est poussiéreux et sent la transpiration).

Montage réalisé par des fans : l'affiche fantasmée du futur Indiana Jones IV

À l'heure où ces lignes sont écrites, on sait que le sexagénaire Harrison Ford va endosser une quatrième fois le costume d'Indiana Jones, pour un film qui ne sortira pas avant 2004, voire 2005 (MAJ : ce sera même plutôt 2007 ! MAJ2 : Finalement ce sera avril 2008, avec un Indiana Jones vieillissant incarné par un Harrison Ford assumant son âge). Le scénario ne s'inspirera pas, contrairement à ce que certains fans ont prétendu (ou disons plutôt espéré) durant des années, de Fate of Atlantis.

Laurent
(14 juin 2003)
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