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Under a Killing Moon
Année : 1994
Système : Mac OS X, Windows
Développeur : Access
Éditeur : Acess
Genre : Aventure / Film Interactif / Point'n click
Par Laurent (17 septembre 2000)

Fin 1994 représente pour le PC à la fois le passage du 486 au Pentium, avec la fameuse affaire du "bug du Pentium" (rappelez vous, 2+2=3.99999999...) et la généralisation de l'usage du CD-ROM comme support pour les logiciels commerciaux. C'est à ce moment là que l'on a vu apparaître des jeux énormes, bourrés de séquences vidéo, comme Under a Killing Moon d'Access Software. Il s'agit du troisième volet des aventures de Tex Murphy, héros de Martian Memorandum et Mean Streets, deux excellents jeux d'aventure graphique précédemment édités par Access Software, développeur et éditeur très célèbre dans les années 80 (Beach Head, 10th Frame, Raid over Moscow, Leaderboard...).

L'action se passe dans le vieux San Francisco, en 2042. Vous voilà dans les baskets de Tex Murphy, un détective privé, qui est plus privé de clients et de vie sexuelle qu'autre chose. Vous vivez dans la partie désaffectée de la ville, car bien que non-mutant vous préférez vivre auprès de ceux-ci. Vous avez un seul avantage, celui d'être génétiquement protégé contre les radiations qui ont transformé en créatures repoussantes des millions de gens. Le prêteur sur gage au coin de la rue a été dévalisé et vous a confié l'enquête. Du travail, enfin ! Mais ce n'est que le début d'une histoire longue et complexe, dans laquelle Tex traquera un gibier en théorie bien trop gros pour lui...

Under a Killing Moon est le genre de jeu que l'on pourrait jouer un paquet de pop-corn à la main tant l'expérience dévie du simple jeu d'aventure vers le cinéma interactif (l'appellation "interactive movie" est d'ailleurs clairement revendiquée sur la boîte originale du jeu). La production dans son ensemble occupe 2.4 Go de données sur 4 CD-ROM, du jamais vu à l'époque de sa sortie. Les scènes cinématiques alternent avec les passages interactifs et enrichissent le scénario sans jamais donner l'impression d'être devant une démo géante. L'interface est très évoluée : lors de l'installation du jeu (qui tourne sous DOS) par exemple, il est possible si vous disposez de plusieurs unités CD-ROM d'assigner les CD à plusieurs d'entre elles pour éviter de faire du "grille-pain". D'autre part les options de détail graphiques sont paramétrables pour s'adapter aux différentes configuration (le jeu est plutôt gourmand pour l'époque), et la musique d'ambiance peut être jouée par un périphérique MIDI.

La progression dans l'aventure se fait en utilisant deux interfaces : le mode "mouvement", et le mode "interactif". Le mode mouvement lance un moteur 3d très évolué (et en 640x480, chose rarissime à l'époque) qui permet de se déplacer, de grimper ou s'accroupir, et d'observer le décor dans toutes les directions, toutes ces actions étant indispensables à un moment ou un autre du jeu. Avec une grosse (pour l'époque) config, genre Pentium 75 et 16Mo de RAM, il est possible d'utiliser le mode mouvement en affichage plein écran. Le mode interactif sert à dialoguer avec les personnages, examiner les objets de l'inventaire, lire des documents trouvés (comme des quotidiens bourrés d'informations qui n'ont aucun rapport avec l'histoire mais contribuent à rendre tangible l'univers virtuel du jeu), ou consulter l'aide en cas de difficulté, celle-ci distillant les informations au compte-goutte pour que jamais le joueur ne soit bloqué, sans pour autant rendre les choses trop faciles. L'écran est alors partagé en plusieurs sections, la principale étant celle ou apparaissent les décors et personnages.

Les graphismes et la bande-sonore sont d'une qualité remarquable. Les personnages sont tous des acteurs filmés, puis incrustés dans des décors 3d, ce procédé étant aussi utilisé dans les cinématiques en FMV (Full Motion Video), longues et bourrées d'humour, afin que le jeu conserve son unité visuelle. Bien entendu, ce genre de jeu repose beaucoup sur la prestation des comédiens (les dialogues sont en VO sous-titrée). Dans Killing Moon, ceux-ci sont excellents. Tex Murphy est interprété par Chris Jones, co-directeur de Access Software, qui est aussi metteur en scène des séquences filmées et co-auteur du scénario. Il parvient sans problème à incarner avec talent le détective privé de film noir, loser au grand-cœur qui prend des beignes tout au long de l'histoire mais ne perd jamais sa dignité ni son sens de l'humour. Les autres comédiens, parfaits, sont des acteurs venus du cinéma ou plus souvent de la télévision. On reconnaîtra au passage Margot Kidder, qui fut Lois Lane au cinéma dans la série des Superman avec Christopher Reeves. A signaler aussi, dans le rôle du dieu des détective qui intervient parfois pour conseiller Tex Murphy, la voix de James Earl Jones (voix de Darth Vader en VO).

Bien sûr, tout ce petit monde ne se prend pas au sérieux et l'ensemble des scènes baigne dans une forme d'auto-dérision qui fait souvent mouche, sans empêcher le jeu de développer une atmosphère intéressante, mi-science fiction mi-polar. Le scénario ne se limite pas à la seule enquête sur le cambriolage du prêteur sur gage. Celle-ci amènera Tex Murphy vers d'autres sombres histoires, puis plus tard à sauver la Terre, l'intrigue s'épaississant à mesure que l'on progresse dans le jeu. Quant aux mutants, ils sont affublés de maquillages volontairement ridicules, genre trompe d'éléphant ou masque à la Star Trek New Generation (quand je vous dis qu'ils sont ridicules...).

Egalement édité sous forme de roman en 1996 (par Aaron Conners), Under a killing Moon a été suivi quatre ans après sa sortie d'une suite, The Pandora Directive, basée sur le même moteur de jeu et tout aussi passionnante, ainsi que d'un remake de Mean Streets utilisant des graphismes et des séquences filmées comparables (sur DVD-ROM), Tex Murphy Overseer. Les trois jeux, qui ont obtenu un joli succès, restent un des rares exemples de réussite commerciale incontestable dans le domaine du film interactif, à tel point que Chris Jones a tenté de faire migrer le personnage de Tex Murphy vers d'autres médias : c'est ainsi qu'en 2001 est apparu le show radiophonique Tex Murphy Radio Theater, écrit en collaboration avec Aaron Conners. Mais l'entreprise étant trop coûteuse, seuls 6 épisodes ont été enregistrés, que vous devriez pouvoir trouver sur le net.

En 1999, le studio Access Software a été racheté par Microsoft pour développer les jeux Amped et Amped 2 sur Xbox, puis revendu en 2004 à Take-Two Interactive, qui lui a confié (sous le nom de Indie Built Games) le développement de Amped 3 sur Xbox 360, avant de le dissoudre sans explication, comme cela a été le cas pour de nombreux acteurs majeurs du jeu vidéo micro des années 80-90 (Interplay, Westwood...). C'est aujourd'hui Take-Two, donc, qui possède les droits de la série Tex Murphy, un des détectives les plus attachants de l'histoire du jeu d'aventure, auquel plusieurs sites web sont dédiés, en particuler Alcatraz: a Tex Murphy Site et The unofficial Tex Murphy site. Chris Jones, de son côté, n'a jamais exploité ses talents de comédien, a dirigé Access jusqu'au bout, puis est devenu exécutif chez TruGolf, une entreprise qui fabrique des simulateurs de golf sur écran géant.

(merci à Capt. Blood pour ses précisions)

Laurent
(17 septembre 2000)
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