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Dung Beetles
Année : 1982
Système : Apple II, Atari 8-bits
Développeur : Datasoft
Éditeur : Datasoft
Genre : Arcade / Labyrinthe
[voir détails]
Par Jean-Christian Verdez (25 octobre 2010)

Je ne saurais dire exactement quel est le jeu vidéo le plus imité de l'histoire, mais ce bon vieux Pac-Man doit figurer en bonne place dans la liste des prétendants au titre. On peut néanmoins faire une distinction entre les plagiats purs et durs, et les softs qui vont jouer la carte de l'inspiration, ajouter des subtilités, des règles, et occasionnellement transcender leur modèle. D'ailleurs, dans le monde du plagiat, on peut considérer que la première fois c'est une copie, la deuxième fois c'est un manque d'inspiration, et la troisième fois c'est la mise en évidence d'un nouveau genre (en l'occurrence vidéo-ludique). De fait, les jeux qualifiés a posteriori "de labyrinthe" sortis dans les années 80 sont nombreux : pour l'arcade on peut citer Mouse Trap, Crush Roller, ou dans une moindre mesure Pepper II (qui associe autant Pac-Man qu'Amidar). Du côté des ordinateurs et, plus précisément, de l'Apple II qui va une fois n'est pas coutume être mis en avant ici-même, souvenons-nous en vrac de Mouskattack, Gobbler, Jawbreaker... et Dung Beetles.

Sorti en 1982 sur Apple II, ce jeu développé par Bob Bishop pour le compte de Datasoft vous permet d'incarner un insecte qui doit manger l'intégralité des items contenus dans un labyrinthe, tout en évitant de croiser le chemin des redoutables Dung Beetles. Mais d'abord, c'est qui au juste les Dung Beetles ? Une alternative trash à un vieux groupe de rock anglais ?

Un peu de sciences naturelles :

Le 'Dung Beetle' est un coléoptère coprophage, variété d'insecte de la sous-famille des Scarabaeinae, et qui en français se traduit par Bousier. Les amateurs de mots faciles ne pourront s'empêcher de déclarer qu'avec un nom pareil, le jeu Dung Beetles doit être une bouse (haha.) totalement incapable de rivaliser avec son modèle. Eh bien sachez qu'un Bousier est, comparativement à sa taille, l'insecte le plus fort du monde, pouvant soulever plus de 1100 fois son poids. Et contrairement à Pac-Man, il ne se rabaisse pas à avaler des petites pilules au contenu douteux pour prendre le dessus sur ses adversaires. Non messieurs-dames, le bousier c'est un costaud 100% naturel, et des petits malins jaune citron avec une tête en forme de pizza entamée, il s'en fait 10 chaque jour au petit déjeuner. Non mais c'est vrai quoi à la fin.

Cette vérité scientifique étant rétablie, intéressons-nous au jeu proprement dit, et plus précisément à ce qui va permettre à Dung Beetles de se démarquer du célèbre jeu d'arcade qui l'a inspiré.

Première différence, la taille du labyrinthe. Comme vous pouvez le constater ci-dessus, l'aire de jeu est plus importante que dans la plupart des autres "Chase Maze Games". Alors certes, techniquement, tout apparaît intégralement à l'écran sans scrolling, mais la vitesse de déplacement réduite des personnages, associée au système de loupe que nous détaillerons plus bas, procurent la sensation de visiter un environnement beaucoup plus vaste. Le labyrinthe est aussi plus complexe, avec de nombreux embranchements et autres voies sans issue. Cerise sur le gâteau, les couloirs sont générés aléatoirement au début de la partie, ce qui réduit à zéro tout espoir de faire un plan du jeu et accentue la sensation de ne pouvoir appliquer aucune tactique particulière (contrairement à Pac-Man, cf. notre dossier sur les trucs et astuces permettant de progresser).

Autre ajout majeur, la loupe grossissante. Une sorte de surface carrée est ajoutée par-dessus le décor, et son contenu consiste en un zoom sur votre personnage. La présence permanente de cette loupe génère un avantage et un inconvénient, qui font toute l'originalité de Dung Beetles : le zoom vous permet de mieux distinguer votre personnage dans ce labyrinthe visuellement complexe, tout en accentuant la sensation de se mouvoir dans un environnement étendu. En fait, on a un peu l'impression de suivre des insectes avec une loupe dans son jardin... En contrepartie, si la loupe affiche efficacement le centre de la zone qu'elle survole, elle va aussi masquer en permanence une zone périphérique. En clair : le zoom montre 5 lignes et 5 colonnes du labyrinthe avec votre personnage au centre, mais cache une zone de 9 lignes et 9 colonnes. De chaque côté de votre avatar, il y a donc un périmètre de deux colonnes/lignes où vous ne voyez pas du tout ce qui se passe ! Bien entendu, lorsque vous bougez, la loupe se déplace avec vous en temps réel. Il vous faudra donc essayer d'anticiper la présence des ennemis dans les différents couloirs que vous serez sur le point de masquer temporairement avec la loupe.

Dernière grosse modification, le comportement des ennemis et la façon de les gérer. Au nombre de huit, les scarabées sont éparpillés sur toute la surface de jeu, et se déplacent de façon totalement aléatoire. Ils n'en sont pas moins extrêmement dangereux. D'une part, ils sont invincibles (il n'y a aucune pac-gomme ou autre transformation temporaire permettant de les éliminer). D'autre part, leur déplacement n'est aléatoire que jusqu'à ce qu'ils vous repèrent : lorsque vous vous déplacez, vous laissez des, euh, disons des traces derrière vous. Sitôt qu'un des bousiers croise votre piste, il n'a plus qu'à suivre ce parcours que vous avez balisé pour lui, jusqu'à ce qu'inexorablement il vous rejoigne. Les ennemis ne sont pas plus rapides que vous, mais le labyrinthe étant truffé d'impasses, vous pouvez facilement vous faire coincer. D'autant qu'avec la loupe qui masque une partie du jeu, vous aurez souvent tendance à ne réaliser que vous êtes poursuivi qu'une fois les scarabées très proches de vous.

Puisqu'une fois repéré, vos adversaires ne vous lâchent plus, la stratégie pour leur échapper est de créer de fausses pistes : arrivé à un embranchement, prenez une direction, puis revenez sur vos pas et partez de l'autre côté. Si jamais un ennemi vous suit, une fois arrivé à cet embranchement il se retrouve avec deux pistes possibles et en choisit une au hasard, ce qui vous laisse une chance sur deux de le semer. De son côté, votre adversaire réadoptera un déplacement aléatoire si la piste qu'il suivait s'arrête brutalement. Accessoirement, les dung beetles effacent vos propres traces en vous poursuivant, n'espérez donc pas trouver une astuce pour les faire tourner en rond ou encore tenter de tous les regrouper derrière vous. Non, il faut partir du principe que vous êtes poursuivi en permanence, et que d'autres ennemis qui ne vous ont pas repéré peuvent vous couper la route par hasard. Dung Beetle, en fait, est un jeu sacrément difficile... Surtout que vous n'avez qu'une seule vie !

Point de vue scoring, les règles sont simplissimes : chaque item mangé vous rapporte 10 points. Chaque seconde passée vous coûte 1 point. Il vous faudra donc terminer chaque tableau le plus rapidement possible pour conserver un score élevé. Parallèlement, vous ne pourrez pas vous retrouver avec un score négatif, et ne serez aucunement pénalisé si vous atteignez zéro. De toute façon Dung Beetles n'est pas propice à la chasse au score; entre les ennemis aux déplacements peu évidents à anticiper, et surtout avec le fait que le labyrinthe est généré aléatoirement à chaque partie, il est difficile d'élaborer une stratégie plus complexe que celle consistant à simplement manger tous les items comme on peut en évitant les ennemis...

Un détail pour finir. Lorsque vous êtes touché par l'ennemi, une voix digitalisée se fait entendre, ce qui en 1982 faisait toujours sensation, surtout sur ordinateur. L'Apple II n'étant par ailleurs pas équipé pour ça, la voix était simulée grâce à une exploitation/déformation assez subtile des clics que la machine était normalement capable de produire. Le joueur était censé entendre "We gotcha!" (qu'on pourrait traduire par "on t'a eu"). Personnellement à l'époque, j'entendais plutôt "ouiiiine tocha!" (qu'on ne peut sans doute pas traduire par grand-chose). Malgré tout, c'était quand même la grande classe, ce genre d'effet...

A gauche, la version TSR-80 Color Computer, avec un labyrinthe plus carré.
A droite, la version Atari 400/800, très fidèle à la version Apple II.

Quelques mots sur les versions alternatives existantes. Sur TRS-80 Color Computer, on trouve Mega-Bug, un portage effectué par Steve Bjork pour le compte de Datasoft (le jeu est cependant publié par Tandy). Pour info, Steve Bjork a développé et converti pas mal d'autres softs sur le Color Computer de Tandy (Zaxxon, Canyon Climber, Super Pitfall, DesertRider, etc.), mais Mega-Bug est probablement son travail le plus populaire sur CoCo. Autre version notable, celle d'Atari rebaptisée cette fois Tumble Bugs. Cette excellente conversion est signée Mark Riley, toujours pour Datasoft. [note: Tumble Bugs ne doit pas être confondu avec le beaucoup plus récent Tumblebugs, inspiré cette fois-ci de Puzz Loop au même titre que Zuma et consors].

Puisqu'on parle de ses différentes versions, sachez que Dung Beetles a aussi connu plusieurs justifications scénaristiques : A l'époque, il n'était pas rare que le dos des boites de jeux nous promettent des histoires aux enjeux incroyables, dans le but de séduire les clients/joueurs potentiels, et quitte à aller bien au-delà de ce que le joueur serait concrètement amené à faire une fois le clavier/joystick en mains. Dung Beetles échappe d'autant moins au phénomène que la nature un peu scatologique des bousiers (dont le terme anglais 'dung beetle' est sans doute encore plus explicite qu'en français) n'est sur le papier pas propice à une histoire politiquement correcte... Les éditeurs ne vont donc pas se contenter d'altérer le titre du jeu, mais aussi lui adjoindre des intrigues parfaitement inattendues. Ci-dessous, deux exemples de scénarios différents pour ce qui demeure un seul et même jeu (les scans des jaquettes proviennent du site atarimania.com) :

La description en anglais sur le quatrième de couverture de Tumble Bugs donne plus ou moins ceci :

« Les sables chauds du désert égyptien sont parsemés de grandes pyramides de pierres. Ces monuments rendent hommage à de grands pharaons, comme Tut, Ramses, ou Amenhotep. Leurs trésors et corps momifiés sont protégés par d'insolubles labyrinthes, passages secrets, et mystérieuses malédictions... Une pyramide moins connue se dresse à l'écart des autres. C'est la rombe du roi Tutanskoop. Tutanskoop était pharaon depuis trois semaines lorsqu'il fut découvert en train d'effacer 18 minutes de hiéroglyphes des dossiers judiciaires. En châtiment, il fut condamné à passer l'éternité à errer dans son tombeau, ramassant des feuilles de Tanna tandis que de vicieux scarabées dorés le pourchasseraient. Sa seule récompence pour son labeur ne sera qu'un autre labyrinthe, plus de feuilles, et plus de scarabées. »
En ce qui concerne Magneto Bugs, distribué par Gentry Soft (la filiale budget de Datasoft), il opte pour une jaquette très drôle, et un quatrième de couverture avec une approche plus futuriste qu'on peut à peu près traduire comme ceci :

« En tant que 'Power Bug' chargé positivement, c'est à vous de progresser au sein de la base neutre des pilules d'énergie blanches. Ces pilules d'énergie deviennent rouges lorsque vous les chargez d'énergie positive. Mais faites attention ! Les 'Magneto Bugs' sont sur votre piste. Ces petits insectes chargés négativement sont attirés par vous et vos nouvelles pilules chargées positivement (souvenez-vous, les contraires s'attirent). S'ils vous attrapent avant que vous n'ayez énergisé chaque pilule neutre, Zzzzap! Vous aussi serez neutralisé. Mais si vous parvenez à survivre à travers le labyrinthe, alors vous ne rencontrerez les Magneto bugs que dans le labyrinthe suivant, plus difficile... »

Sachez en outre que cela ne concerne QUE les jaquettes; le jeu en lui même n'est pas modifié d'un iota côté sonore ou graphique, hormis le nom sur l'écran-titre. Ces scénarios laissent d'ailleurs encore plus perplexe lorsqu'on réalise que la musique qui accompagne le joueur dans son périple est, dans chaque version, une reprise 8-bits de "La Cucaracha", ce qui est en décalage total avec les ambiances décrites par ces scénarios si inutilement complexes...

En ce concerne l'auteur original, Bob Bishop, il a principalement officié sur Apple II. Développeur notamment de quelques productions parmis les toutes premières à proposer des graphismes hi-rez, dès 1977 (Rocket Pilot, Star Wars, Saucer Invasion, Space Maze), là où la majorité des jeux étaient encore textuels. Il est aussi à l'origine l'année suivante de deux programmes en avance sur leur temps, l'un reproduisant une voix humaine (Apple Talker) et l'autre dédié à la reconnaissance vocale (Apple Listener), tous deux utilisant le port cassette de l'Apple. Plus que des jeux vidéo proprement dits, Bishop a d'ailleurs globalement écrit des programmes divers. Outre ceux liés à la voix, on peut se souvenir de Maze, un générateur de labyrinthes (tiens tiens), ou de Space Lace, un kaléïdoscope interactif. Il a aussi écrit quelques livres d'initiation à la programmation ("Applevision - a Unique Introduction to Assembly Language Programming"), et plus tard créé SIMPLE, un language informatique se voulant accessible à tous. Bref, Bob Bishop est un chercheur plus qu'un game designer, ce qui à l'époque de ce laboratoire virtuel qu'était l'Apple II, n'est pas si rare... Après Dung Beetles, on trouve néanmoins quelques jeux supplémentaires portant sa signature. Money Munchers en 1982, et trois ans plus tard Gobblers, un Pac-Man like multi-joueurs permettant de relier quatre Apple en réseau via le port cassette (quand je vous disais que l'Apple II était un vrai laboratoire) !

Jean-Christian Verdez
(25 octobre 2010)
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