Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Donut Dodo
Année : 2022
Système : Windows, Switch
Développeur : pixel.games
Éditeur : pixel.games
Genre : Arcade / Plate-forme / Action
Par Simbabbad (14 novembre 2022)

Le triomphe commercial, populaire et critique de Shovel Knight en 2014 n'a pas seulement été celui d'un jeu, ça a aussi été celui de toute la révolution rétro qui l'a précédé, et qui a réussi à relégitimer le jeu vidéo en 2D, le gameplay "arcade", les gros pixels, etc. autour de l'année 2010. Mais plus spécifiquement, ce triomphe a aussi voire surtout été celui d'une certaine philosophie...

En effet, si de nombreuses raisons expliquent le succès de Shovel Knight, l'une d'elle en particulier tient à la vision du jeu rétro propre à Yacht Club Games : "Au lieu d'émuler exactement une NES", a ainsi expliqué David D'Angelo, un des programmeurs du studio, "nous voulions créer l'image idéalisée d'un jeu 8-bit".
Tous les jeux rétro ne partagent pas cette même philosophie, mais celle-ci a parfaitement fonctionné pour Shovel Knight et ses variantes (Plague of Shadows, Specter of Torment et King of Cards, que je trouve tous nettement supérieurs au jeu original). Partant de là, assez naturellement, la réussite de Yacht Club Games a promu son concept "d'image idéalisée", qui aura donc été repris par beaucoup d'autres jeux rétro ultérieurs, parmi lesquels Donut Dodo sorti sur Steam (entre autres) en juin 2022.

Le slogan du jeu : "C'est 1983, mais en mieux !" - comme il est juste...

Au lieu d'évoquer un jeu NES comme Shovel Knight, Donut Dodo veut faire revivre l'expérience des jeux d'arcade à tableaux du début des années 1980 (1983 en particulier) : Donkey Kong et sa suite évidemment, Burger Time, Monster Bash, Mappy, Jump Coaster, etc. avec de surcroît quelques allusions à Pac-Man et à Manic Miner. L'illusion est parfaite : les graphismes, l'univers, le ton, les contrôles, le gameplay, etc. nous renvoient tous à l'époque référencée, le jeu zigzaguant entre les hommages sans jamais perdre sa propre personnalité.

Mais lorsqu'on regarde Donut Dodo de plus près en le comparant aux classiques (et non aux souvenirs que l'on peut en avoir), on réalise qu'il s'agit bel et bien d'une illusion : le jeu est en réalité beaucoup plus moderne qu'il n'en a l'air, reprenant le meilleur de la période concernée mais profitant aussi de 40 ans d'histoire vidéoludique pour affiner, assouplir, condenser, embellir, dynamiser, etc. l'expérience par rapport à ses modèles, transposant merveilleusement ses valeurs rétro au contexte ludique d'aujourd'hui...

En pratique, Donut Dodo met en scène Billy Burns, un sympathique boulanger rappelant irrésistiblement le chef Peter Pepper de Burger Time, dont l'objectif est de récupérer tous ses donuts volés et éparpillés par un gigantesque dodo – et parmi eux un grand donut d'exposition que le dodo s'est accaparé tel Donkey Kong s'était accaparé Pauline. Dans chacun des cinq tableaux du jeu, on devra collecter tous les petits donuts, après quoi on accèdera au grand donut, alors emmené par le dodo jusqu'au tableau suivant.

Le premier tableau, "Fun House Fiasco".

Le premier tableau a lieu dans un décor de maison fantôme de fête foraine, évoquant quelque peu Monster Bash. L'architecture y est très simple : six niveaux reliés par des échelles, quelques trous, et un couloir reliant cylindriquement les bords gauche et droite de l'aire de jeu, à la Pac-Man, le tout dans une symétrie presque parfaite. Tout en haut du tableau, le dodo va et vient en courant puis clignote avant de "pondre" aléatoirement une boule de feu mortelle qui traverse tout l'écran. Au premier et quatrième niveaux, des souris vertes (surnommées "Sniffy") vont et viennent également, elles aussi mortelles au toucher. Enfin, une cuvette de toilette surnommée "Stinky", hommage évident à Manic Miner et Jet Set Willy, nous pourchasse en suivant un algorithme assez voisin de celui des œufs sur le plat de Burger Time, ce qui veut dire qu'on peut la gruger plutôt facilement en l'attirant dans une direction avant de faire demi-tour pour en prendre une autre.
Du côté des bonnes nouvelles, un bonus en forme de fruit apparaît au bout d'un moment dans le tableau, mais disparaît si l'on est trop lent à le collecter, là encore à la Pac-Man. Si on le rate, on retrouvera ce même fruit au tableau suivant, sinon, il s'agira d'un autre fruit qui vaudra plus de points, jusqu'à un hamburger valant énormément de points (au-delà du gain d'une vie supplémentaire, accordée tous les 15.000 points).

Pour esquiver tous ces dangers, notre boulanger peut seulement se déplacer (gauche, droite, monter et descendre les échelles) ou sauter par-dessus les trous et les Sniffy façon Donkey Kong, mais il ne peut pas sauter par-dessus Stinky, qui est trop haute.

Premier tableau battu !

Rien de tout cela n'est individuellement compliqué en soi, et c'est bien là le génie de Donut Dodo, qui a parfaitement compris les principes ayant permis à Shigeru Miyamoto de rendre Donkey Kong addictif. Je cite souvent cet extrait de l'interview du célèbre game designer par Satoru Iwata à l'occasion d'un "Iwata demande" consacré à New Super Mario Bros. Wii :

Iwata : Vous vouliez comprendre ce qui poussait les joueurs à insérer une autre pièce dans la machine pour retenter leur chance une fois la partie terminée ?

Miyamoto : Absolument. Et en fait, j'en ai conclu que tout cela venait du fait que les joueurs s'en voulaient. [...] Un jeu divertissant devrait toujours être simple à comprendre, vous devez comprendre ce qu'il faut faire directement au premier coup d'œil. [...] Ainsi, si vous n'y arrivez pas, vous vous en voulez à vous-même plutôt qu'au jeu. [...] Disons par exemple qu'une des actions du jeu est facile à faire pour le joueur. On y ajoute ensuite une autre action facile. Ces actions sont peut-être faciles en soi, mais lorsque le joueur doit effectuer les deux en même temps, ça devient bien plus compliqué.

Tout est là, les fondamentaux du gameplay "arcade" (et de certains jeux de puzzles) sont là : il s'agit de l'illusion de la simplicité ; on comprend tout de suite ce qu'il faut faire et ça a l'air facile, mais la conjonction des simplicités produit de la complexité qui nous fait échouer – on se dit alors "Ah mais quel idiot !" et on recommence aussitôt, pris au jeu...
Ainsi, sauter par-dessus un Sniffy est facile, sauf lorsqu'il faut le faire à travers le couloir "magique" qui relie les bords, puisqu'il faut alors surveiller et coordonner à la fois ce qui se trouve à gauche et à droite de l'écran ; gruger Stinky est facile, sauf lorsqu'on doit simultanément prendre garde aux allées et venues des Sniffy et à la boule de feu pondue par le dodo, etc.

Le deuxième tableau, "Construction Site Chaos".

La même logique s'applique dans le deuxième tableau, qui se passe (tiens, tiens) dans un chantier en construction. Ici, il y a deux couloirs "cylindriques", chacun fréquenté par un Sniffy et reliant une aire de jeu coupée en deux, avec le dodo (et le donut) au bout d'une chaîne qui monte et qui descend au milieu. Le tableau a là aussi l'air symétrique, mais ce n'est pas le cas : des échelles sont situées en haut à droite et en bas à gauche qui ne sont pas présentes du côté opposé – on ne peut ainsi remonter depuis le niveau inférieur que du côté gauche, et seul le côté droit nous donne accès à la poutrelle du niveau supérieur, qui surplombe le dodo et où l'on trouvera le bonus fruité, récupérable en se suspendant à la poutrelle par les bras à la façon d'un gibbon. Le dodo, quant à lui, clignote régulièrement puis crache une boule de feu droit devant lui, après quoi il fait demi-tour. Enfin, tout en haut du tableau, deux barils d'essence enflammés génèrent simultanément et à intervalles réguliers des flammes dotées d'yeux, à la Donkey Kong, qui se mettent alors à descendre chaque moitié de tableau en se dirigeant vers l'échelle la plus proche pour enfin terminer leur course dans le trou au centre, rappelant le schéma de déplacement des tonneaux du célèbre jeu d'arcade.

Là encore, chaque menace est individuellement très simple, mais leur conjonction l'est beaucoup moins, surtout à l'avant-dernier étage supérieur où les flammes tombent juste après être sorties de leur baril pendant que le Sniffy va et vient inlassablement au travers du couloir "cylindrique", sans parler des boules de feu du dodo (un conseil : souvenez-vous bien que l'on n'a rien à craindre des flammes si Billy se trouve du bon côté d'une échelle, il y a de nombreux "safe spots" relatifs).

Le troisième tableau, "Ferris Wheel Frenzy".

Le troisième tableau se déroule toujours dans la même fête foraine en construction, où le dodo semble décidément avoir établi son repaire ; et met cette fois en scène une grande roue qui trône au milieu de l'écran, avec de multiples plateformes sur les côtés. Là encore, le tableau a l'air symétrique mais ne l'est pas : la roue tourne en effet toujours dans le même sens, celui des aiguilles d'une montre, on passe donc théoriquement de gauche à droite par le haut, et de droite à gauche par le bas ; cependant, on peut aussi emprunter le passage "cylindrique" situé tout en haut en sautant sur des poutrelles depuis la roue, ou prendre le risque d'utiliser la poutrelle au centre pour court-circuiter la rotation du manège. Le bonus fruité apparaîtra au milieu de cette poutrelle, le récupérer à temps peut donc être plutôt périlleux : on y reviendra, mais Billy ne peut pas stationner au milieu d'une poutrelle, il va jusqu'au bout de façon automatique, et le bouton d'action ne permet alors pas de sauter, il nous fait lâcher prise pour tomber tout droit, on devra donc bien se coordonner avec la roue pour se réceptionner sur une nacelle et non sur les pointes jonchant le bas de l'écran – et de préférence, en évitant le dodo !
En effet, le dodo occupe une des nacelles, d'où il crache régulièrement des boules de feu projetées à l'horizontale comme lors du tableau précédent, sauf qu'ici il se tourne toujours vers nous (avec un léger temps de retard). Autre menace : deux bombonnes en bas de l'écran gonflent de temps en temps des ballons mortels qui s'élèvent selon une trajectoire courbe effleurant les plateformes. Comme les barils ou le dodo, les bombonnes clignotent avant de générer leurs projectiles.

Le quatrième tableau, "Candy Store Crush".

Le quatrième et avant-dernier tableau n'est pas une attraction mais un magasin de sucreries, là encore en chantier : en bas, une nacelle suspendue se déplace à gauche et à droite au-dessus de pointes, et des cordes pendent un peu partout, que Billy pourra grimper à la façon de Donkey Kong Jr. mais ici sans que le nombre de cordes que l'on tient altère notre vitesse de montée ou de descente. Le dodo va et vient en courant au dernier étage, puis stoppe à côté d'un distributeur de bonbons situé dans la moitié de l'écran où l'on se trouve, qu'il active alors trois fois d'affilée afin de faire chuter de gros bonbons enflammés sur nous, qui peuvent tomber au milieu ou sur les côtés de la corde pendue sous le distributeur. Le bonus fruité apparaîtra quant à lui au beau milieu du trajet de la nacelle, Billy devra donc monter sur celle-ci pour le récupérer. Enfin, deux Sniffy effectuent des allées et venues assez brèves (et donc dangereuses) sur les plateformes centrales en haut.

Détail important : Billy débute le tableau au-dessus de l'échelle située en bas à gauche ; on pourrait croire qu'à partir de là, il faille emprunter la nacelle pour rejoindre la moitié droite du tableau et les plateformes supérieures, mais en réalité, on peut atteindre de justesse la corde complètement à gauche en sautant à partir de celle en bas à gauche, où se trouve d'ailleurs un donut qu'il faudra donc collecter pour passer par là. Par ailleurs, il faut savoir que l'on n'a pas besoin de sauter pour lâcher une corde : si on se place juste au-dessus d'une plateforme, il suffit de prendre la direction qui nous éloigne de la corde pour poser les pieds sur terre.

Le cinquième et dernier tableau, "Dodo's Lair".

Enfin, le cinquième et dernier tableau du jeu prend place dans le repaire du dodo, une attraction horrifique cherchant à nous glacer le sang avec des piles de crânes humains factices en arrière-plan, et à amuser les visiteurs avec trois paires de portes "magiques" qui nous téléportent instantanément de l'une à l'autre. En plus de ces téléporteurs, le tableau présente deux couloirs "cylindriques" superposés, et Stinky est de retour, celle-ci pouvant emprunter les téléporteurs (le jeu fait fort heureusement clignoter à l'avance la porte d'où elle va sortir) !
Le dodo, dans son dernier effort de conserver le gros donut de Billy, s'agite en haut à gauche puis s'arrête régulièrement pour crier, ce qui fait tomber une énorme boule enflammée à côté de lui, qui débaroule alors vers la droite pour basculer sur la plateforme en bois couverte de pointes, puis qui passe ensuite par le couloir cylindrique supérieur pour réapparaître (attention, c'est déconcertant) un niveau plus bas sur la gauche, cette boule continuant alors sa route jusqu'à terminer dans le trou au centre. Comme on peut le voir sur la capture d'écran ci-dessus, il faut aussi ajouter à ça deux Sniffy, chacun patrouillant devant une porte – Billy est invincible lorsqu'il sort de téléportation, mais ça ne dure pas, donc prenez garde ! Le bonus fruité se matérialisera quant à lui au-dessus des pointes en bas au centre – le saut pour le récupérer est assez risqué.

Ce tableau est, de façon appropriée, beaucoup plus difficile que les autres : les téléporteurs, les couloirs "magiques" superposés, Stinky, la boule enflammée, chaque élément est intuitif en soi mais s'entrecroise avec les autres pour nous faire perdre "bêtement".

L'intermède bonus, "Bonus Pumpkin Bounce".

Une fois le cinquième tableau battu, le dodo ramène le gros donut au premier tableau, mais avant d'y retourner, on a droit à un défi bonus : dans le même esprit "Halloween" que le reste du jeu, il s'agit de faire rebondir Billy sur une citrouille caoutchouteuse pour collecter tous les donuts à l'écran. On dirige la citrouille comme la raquette d'un casse-brique, qui fait rebondir Billy à la verticale s'il est réceptionné bien au centre, et qui le projette sinon d'autant plus en biais que Billy rebondit près des bords.

Après cette pause, on boucle dans un nouveau parcours de cinq tableaux, mais la difficulté change légèrement : un nouvel ennemi fait son apparition, Winky, un fantôme orange qui est le portrait craché de Clyde dans Pac-Man. Winky survient aléatoirement tout au bord de l'aire de jeu dans un bruit qui évoque irrésistiblement Pac-Man gobant quelques pastilles (je ne l'ai pas mentionné, mais chaque événement notable du jeu est annoncé par un bruitage très clairement reconnaissable), puis il traverse l'écran en ondulant sinusoïdalement de façon à couvrir deux étages. Là encore, c'est un schéma de déplacement simple et intuitif, mais combiné avec les boules de feu, les Sniffy, Stinky, les plateformes mouvantes, etc. esquiver ce fantôme devient bien plus compliqué. Pour encore épicer les choses, la vitesse du jeu augmente assez nettement !

Si malgré tout on parvient à battre cette seconde boucle, surprise ! Le jeu s'arrête, c'est le Game Over !

J'ai battu mon record ! On remarquera l'anglais approximatif.

En effet, comme cela a été dit plus haut, si Donut Dodo ressemble à s'y méprendre à un jeu d'arcade de 1983, il n'en reprend pas servilement la recette ; et pour commencer, il ne "boucle" pas à l'infini : dans les salles d'arcade d'alors, les jeux qui "bouclaient" de cette manière augmentaient en réalité toujours plus leur difficulté jusqu'à ce que le jeu devienne presque impossible, poussant ainsi gentiment le joueur à laisser sa place à un nouveau "client". Ce système, si l'on cherchait à maximiser son score, impliquait que les parties soient très longues et éprouvantes, les meilleurs scores étant réservés à des gens capables de gérer sur la durée un niveau de difficulté conçu pour écourter les parties au maximum – des gens, disons, hors normes.

Dans le contexte d'un jeu possédé par le joueur pour son plaisir et non par quelqu'un qui le "louerait" à d'autres, et où le temps du joueur est devenu très précieux, ledit système n'est plus pertinent – Donut Dodo, très intelligemment, adopte donc plutôt celui de Pac-Man Championship Edition par exemple, qui lui-même s'était probablement inspiré des "caravan shooters" : au lieu d'une partie longue ou qui boucle, la partie est programmée pour s'arrêter d'elle-même après quelques minutes, soit parce qu'elle serait chronométrée, soit parce que le jeu aurait un contenu volontairement limité.

Pour compenser leur brièveté, ces jeux offrent une grande rejouabilité grâce à leur scoring : les sessions sont certes courtes mais elles sont denses, avec des subtilités qu'il faut apprendre à maîtriser petit à petit, essai après essai.

Here comes a new challenger ! Winky joins the fun !

Cette philosophie vidéoludique qui délaisse les logiques d'endurance pour leur préférer la performance a connu son essor au cours de la révolution rétro de 2010 et s'est depuis largement répandue. Dans le cas de Donut Dodo, le scoring est primordial et repose essentiellement sur un système de combo...

Vous avez peut-être remarqué que sur les captures d'écran de cet article, un donut apparaît toujours en surbrillance : au début d'un tableau, tous les donuts sont normaux, mais après en avoir collecté un, un donut se met à clignoter au hasard.
Alors qu'un donut ordinaire rapporte 25 points, collecter un donut clignotant rapporte 150 points additionnés au score de la chaîne : pour le premier ça représente donc (25 + 150) = 175 points, puis (175 + 150) = 325 points, puis (325 + 150) = 475 points, etc. Tous les tableaux contiennent chacun exactement 15 donuts ; si après le premier on ne ramasse que des donuts clignotants, le dernier vaudra donc (25 + ((15-1) x 150)) = 2125 points ! À titre de comparaison, ne jamais ramasser de donut clignotant du tout à part le dernier (forcément) rapporte (((15-1) x 25) + 175) = 525 points ! Et à l'inverse, si on ne collecte que des donuts clignotants à part le premier, le score cumulé vaudra ((15 x 25) + (((15 x (15-1)) / 2) x 150)) = 16.125 points (je vous épargne la démonstration) !

Entre 525 points et 16.125 points, l'écart est gigantesque, mais c'est proportionnel aux efforts du joueur : collecter tous les donuts sans se préoccuper du combo est ridiculement facile, très accessible pour les enfants ou les joueurs occasionnels.

Miam ! Un hamburger durement gagné !

Si l'on cherche en revanche à maximiser son score et à ne rater aucun donut clignotant, le jeu devient vraiment difficile – toucher le moindre donut ordinaire remet illico notre combo à zéro, ces donuts ne sont alors plus des bonus mais des obstacles : souvent, on aurait besoin de passer par un donut ordinaire pour par exemple éviter un Sniffy, ou esquiver Winky, ou tout simplement circuler en toute liberté dans le tableau, or, ça représenterait une perte plus grave pour le score qu'une vie en moins !

En effet, après avoir gagné le jeu, chaque vie restante nous rapporte 6000 points, soit en gros la valeur de trois donuts en bout de chaîne si on réussit un combo parfait dans un tableau : il vaut donc mieux perdre une vie que ramasser un donut ordinaire en plein combo. Cela ajoute encore une couche de complexité au jeu sans en avoir l'air : non seulement courir après les donuts clignotants nous fait effectuer de nombreux allers-retours périlleux, mais il faut en plus éviter les donuts ordinaires comme la peste !
Cette difficulté est d'autant plus stimulante qu'elle est facultative : lorsqu'on découvre le jeu, le scoring paraît secondaire comparé à la survie ; puis après être arrivé au bout de l'histoire une première fois, on s'enhardit à maximiser son combo dans les tableaux que l'on maîtrise déjà ; puis on cherche à maximiser tous les tableaux sauf le dernier (qui joué pour le score devient vraiment très dur) ; et enfin, on se grise à viser le haut des classements en ligne avec la quête du parcours parfait !

En plus de toute cette richesse ludique, après avoir domestiqué le mode principal, il y a deux autres modes auxquels s'atteler...

Les quatre modes du jeu, de longues heures d'amusement en perspective.

En effet, après avoir gagné le jeu une première fois en "EASY-MEDIUM (2RNDS)", on débloque "MEDIUM-HARD (2RNDS)", avec un premier tour qui reprend le second du mode initial, et un second tour "HARD" plus dur où Winky est toujours là mais où le jeu augmente encore sa vitesse et où un Sniffy supplémentaire est ajouté sur une plateforme dans chaque tableau. Enfin, après avoir gagné ce mode, on débloque "SUGAR RUSH SPEEDRUN (1 RND)", qui comme son nom l'indique nous défie de le gagner le plus vite possible : cela peut se faire en moins de deux minutes, alors qu'un mode complet où l'on vise un score élevé nous prendra en gros un quart d'heure. En plus de cela, il y a un défi hebdomadaire, qui consiste en un seul tour du niveau de difficulté "HARD".

Chacun de ces modes et chaque façon de jouer permet de découvrir certaines subtilités, comme la meilleure façon d'optimiser ses parcours (il faut être rapide afin de maximiser un bonus de temps qui départagera les meilleurs scores), comment éviter au mieux les attaques du dodo, ou quel donut prendre stratégiquement en premier : pour le quatrième tableau, par exemple, le donut situé tout en haut de la corde en bas à gauche est à privilégier car il permet de débloquer d'emblée la circulation dans la totalité de l'aire de jeu. La courbe de progression est extraordinairement plaisante.

Donut Dodo est par ailleurs d'autant plus agréable que chaque aspect de sa réalisation est exemplaire. Les graphismes joyeux et colorés qui restent toujours parfaitement lisibles évoquent bien 1983, mais le niveau de détails et surtout la qualité d'animation vont ici bien plus loin, au-dessus des intermèdes des bornes Donkey Kong ou Mario Bros. par exemple.

Le mode "HARD", remarquez le Sniffy en embuscade en haut à gauche.

Même chose pour les musiques : si on les écoute distraitement, elles ne dénotent pas d'avec le souvenir que l'on peut garder des bornes d'arcade, mais chaque tableau a ici sa propre mélodie, et elles sont bien plus sophistiquées qu'à l'époque.

Mais le plus spectaculaire, c'est la maniabilité : elle est incomparablement plus souple, réactive, nerveuse et intuitive qu'à l'âge d'or. Billy, qui se déplace assez rapidement, peut ainsi altérer ses trajectoires en plein saut, au point de pouvoir sauter d'une plateforme, collecter un objet au-dessus du vide, faire demi-tour dans les airs, et se réceptionner de retour sur la plateforme. Autre détail qui a son importance : la façon dont on monte les échelles et parcourt les poutrelles – on n'a pas besoin de se caler sur une échelle et la monter nous-même, Billy la traverse en un éclair à peine est-on allé en haut ou en bas, comme une sorte de téléporteur vertical, ce qui fluidifie les déplacements et dynamise énormément l'action ; même chose pour les poutrelles parcourues automatiquement.

Autre bonne idée : lorsqu'on perd une vie, l'écran se fige quelques instants, effet typiquement "arcade" qui nous laisse le temps de bien comprendre l'erreur que l'on a commise et comment on aurait pu l'éviter – c'est extrêmement motivant, comme le fait que nos morts soient toujours méritées : les obstacles suivent des schémas clairs et prédictibles, le jeu nous avertit de chaque événement avec des clignotements et des effets sonores explicites, on ne peut donc s'en prendre qu'à soi-même malgré la difficulté.

Les captures d'écran de cet article ont été réalisées avec un filtre CRT réglé sur "moyen" et des décorations latérales inspirées des bezels des bornes d'arcade, mais cela est paramétrable dans les options, comme les effets de clignotement ou de secouement de l'écran, les vibrations de la manette, etc.

Depuis le ZX Spectrum jusqu'au jeu indépendant en passant par Ubisoft...

Tous ces éléments se combinent pour faire de Donut Dodo, je n'hésite pas à le dire, un monument du gameplay "arcade", à mon sens le meilleur jeu de plateformes à tableaux typé "arcade", devant même les classiques du genre ! Le jeu cumule le meilleur des incontournables des années 1980 avec l'ergonomie, la qualité de réalisation et la densité vidéoludique du meilleur de la révolution rétro de 2010, procurant un plaisir renouvelé à chaque partie.

Pour cela, on doit remercier pixel.games, une petite compagnie luxembourgeoise reposant sur un seul auteur, Sebastian Kostka, qui collabore occasionnellement avec d'autres programmeurs, musiciens ou artistes. Son parcours est très intéressant, similaire à celui des membres du studio Choice Provisions par exemple : premier jeu codé en 1982 sur ZX Spectrum 48k sur la télévision de sa grand-mère, puis travail pour Ubisoft (Rayman 2, Tonic Trouble) avec la nostalgie de l'époque 8-bit, puis retour à l'arcade et aux gros pixels à l'occasion de l'essor du jeu sur smartphone et des studios indépendants autour de 2010 – la boucle était bouclée !

Alors que pixel.games est une jeune compagnie fondée en 2020, Donut Dodo est déjà son troisième jeu : Sigi, une espèce de variante (très) simplifiée de Ghosts'n Goblins pensée à la façon d'un jeu smartphone est sortie en 2017, et Sir Lovelot, hybride entre un hardcore platformer à la Super Meat Boy et un jeu de plateformes à tableaux à la Manic Miner, est sorti en 2021. Un quatrième jeu, Bobby Bombastic, inspiré de H.E.R.O. et Thrust sur Commodore 64, devrait suivre.

Donut Dodo joué sur borne iiRcade.

Donut Dodo est sorti sur iiRcade puis la récente Atari VCS (2020) puis Steam en juin 2022, suivi d'une sortie sur Nintendo Switch en décembre 2022, puis une nouvelle sortie au format "arcade" sous système exA-Arcadia début 2023. Il est intéressant d'observer que le milieu du jeu indépendant offre un nouveau débouché au format "arcade", beaucoup de développeurs rêvant de faire tourner leur jeu sur borne : on peut notamment citer le talentueux Locomalito qui a sorti Darkula ou Verminest en salles.

Et si un jeu mérite de trôner en majesté sur une borne d'arcade, c'est bien Donut Dodo !

Simbabbad
(14 novembre 2022)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Cet article a été publié initialement sur le blog de Simbabbad, à cette adresse.