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Le Passager du Temps
Année : 1987
Système : Amstrad CPC
Développeur : Ere Informatique
Éditeur : Ere Informatique
Genre : Aventure
Par Lyle (28 novembre 2005)

Ere Informatique, c'était l'époque où il y avait encore de la place pour une « qualité française ». C'est chez cet éditeur, fondé en 1981 par Philippe Ulrich (L'Arche du Capitaine Blood) et Emmanuel Viau, que furent finalisés Crafton & Xunk, sa suite l'Ange de cristal, Sram 1 et 2 ou encore Macadam Bumper, pour ne citer que les plus célèbres. En 1987 sort Le Passager du temps, aventure graphique et textuelle très inspiré de Sram (de l'aveu même de son auteur). S'il vient de chez Ere, c'est entre autre parce que Loriciels a (quel manque de goût !) trouvé la pré-version sans intérêt. Avant de parler en détails du jeu, j'anticipe une possible confusion avec Les Passagers du vent, aventure graphique adaptée (en deux volets) de la BD de François Bourgeon, et sortie chez Infogrames à peu près à la même période. Les deux titres n'ont rien à voir.

Le Passager du temps est le digne héritier d'une tradition exclusive au micro des années 80, déjà bien rôdée sur Apple II (Le Casse, Les Conspirateurs de l'ombre, Le Mur de Berlin va sauter, La Java du privé, Même les patates ont des yeux...) Une sous-catégorie de jeu d'aventure qui proposait au joueur de dialoguer, littéralement, avec la machine. Le genre a aujourd'hui disparu, et avec lui toute perspective d'expérimenter dans le concret du jeu tout un pan de l'intelligence artificielle (la vrai celle-là, pas celle qu'on prétend mettre dans les jeux d'aujourd'hui), celle qui pourrait mettre à profit des décennies de recherches linguistiques. Imaginez seulement quelques secondes tout ce qu'on pourrait faire avec la puissance disponible sur les supports actuels. Ou plutôt non, n'imaginez pas, c'est trop frustrant. Pour l'heure, intéressons nous plutôt à ce qu'on était capable de faire avec presque rien.

Vous commencez l'aventure devant la maison de votre oncle, que vous savez être un inventeur un peu farfelu. Problème, il est absent de chez lui. Vous allez en profiter pour savoir ce qu'il mijote. Trouver un moyen d'entrer, puis de fouiller la maison, pour découvrir qu'il a conçu en secret rien de moins qu'une machine à voyager dans le temps. Quand vous parviendrez à la faire fonctionner, c'est une toute autre aventure, digne d'un roman de Stevenson, qui commencera. Première bonne idée, contrairement aux autres jeux du genre, vous n'êtes pas seul face à votre écran. Le chat de Gaston Lagaffe (les concepteurs étaient des fans de Franquin) vous assiste, vous encourage, se paie votre tête, fais des commentaires sur vos actions ou des jeux mots débiles sur les situations. Un véritable régal, plein de références culturelles (cinéma, chanson...). Selon le même principe que les Sram ou Orphée, il réagit très mal s'il vous vient l'idée, compréhensible quand on bute sur un problème depuis des heures, de l'insulter.

Les premiers problèmes et leur résolution sont souvent tordus : comment obtenir la clé bloquée dans la serrure de la porte d'entrée (encore que celle-là, c'est plutôt un classique) ? Comment désamorcer le système d'alarme qui empêche de franchir les portes du vestibule ? Comment démarrer un groupe électrogène ? Que faire d'une feuille en apparence vierge ? Pour réussir, il faut de la débrouillardise mais aussi avoir des idées autant tirées par les cheveux que les programmeurs eux-mêmes. Penser à tout ce qu'on peut faire avec une pièce de monnaie, une liane, un quart de citron ou un écrou. C'est là que le manque d'inventaire se fait sentir. Tous les objets trouvés ne servent pas immédiatement. Mieux vaut donc noter toutes ses acquisitions sur papier. Comme toujours à cette époque, le programme attend de vous un vocabulaire précis et ne vous aidera que rarement si vous lui proposez quelque chose qui tient du bon sens mais qui n'est pas la solution attendue.

Il y a aussi des passages à la fois bien vus et carrément sadiques [spoilers] : pour emprunter l'ascenseur menant à la machine temporelle, une interface vous dit « taper code ». Vous allez logiquement retourner la maison en quête du moindre indice. En vain, il faut prendre la phrase au mot et taper les quatre lettres « C-O-D-E ». Il faut également penser qu'un groupe électrogène ne délivre qu'un certain nombre de Watts, au delà duquel les plombs sautent. Si par malheur vous oubliez d'éteindre un simple interrupteur avant de prendre l'ascenseur, vous restez bloqué définitivement. Les erreurs fatales sont occasionnelles, même si heureusement vous pouvez sauver à tout moment votre progression sur disquette. L'aventure est longue (grosso modo un tiers dans la maison, deux tiers dans le voyage temporel) et bien sûr difficile. Les écrans sont nombreux (près d'une centaine), bien dessinés (tout à la main, sans logiciel spécialisé !) et proposent en prime quelques animations assez marrantes.

L'aventure dans le temps se déroule à l'époque du tout maritime : abordages, pirates, îles au trésor et exotisme romancé. Mais avant de prendre la mer, il vous faut d'abord trouver un vaisseau, des vivres et recruter un équipage. Une fois en mer, vous mènerez plusieurs combats, pillerez des navires et accosterez pour explorer diverses terres peuplées de tribus. L'aventure avec un grand A, toujours dans un esprit bon enfant ponctué par les âneries du chat qui n'en rate pas une. Le Passagers de temps, avant même Kojima, sait qu'il est un jeu. Le chat se moque des limitations de la palette du CPC, se plaint de la petitesse de sa fenêtre graphique après s'être fait une bosse en se cognant et, dans un ultime clin d'oeil, cède le temps d'une page sa place au crocodile Amstrad. L'épilogue que vous réserve le terme de l'aventure est à la fois surprenant et facile (un épisode de Mario, je ne vous dis pas lequel, l'a fait aussi).

Le Passager du temps reste l'un des meilleurs jeux d'aventure du CPC. C'est un genre qui, sur ce support, a continué à exister jusqu'au début des années 90 (voir notamment les titres de Lankhor, encore très productif à cette époque). Mais celui-là reste probablement le plus drôle et le plus attachant. Ce n'est donc pas un hasard s'il demeure aujourd'hui, aux côtés de Sram, celui qui déclenche le plus d'éloges nostalgiques chez les ex-possesseurs d'Amstrad.

Lyle
(28 novembre 2005)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- La soluce complète :
http://www.phenixinformatique.com/sections.php?op=viewarticle&artid=192
- Une interview enthousiaste, très instructive et pleine d'anecdotes d'Alain Brégeon :
http://www.phenixinformatique.com/sections.php?op=viewarticle&artid=200
- Une page perso fournissant pas mal d'infos sur Ere Informatique :
http://perso.wanadoo.fr/rogue/ere_informatique.htm
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