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The 7th Guest
Année : 1993
Système : CD-I, Mac, DOS ...
Développeur : Trilobyte
Éditeur : Virgin Interactive
Genre : Aventure / Puzzle
[voir détails]
Par Jean-Christian Verdez (23 octobre 2017)

Ah, le CD-ROM... Avec sa démocratisation au début des années 90, de plus en plus d'éditeurs ont abandonné les disquettes "3,5 pouces" et leur capacité maximale de 1,44mo, pour proposer leurs jeux sur ce nouveau support. En plus de proposer 650mo de place disponible (soit environ 450 disquettes), il a un taux de transfert plus élevé. Le lecteur CD-ROM de base a une vitesse de lecture de 150ko/s, héritée de son ancêtre le lecteur de CD Audio, et que l'on nommera a posteriori vitesse "1x" (fois un). Non seulement c'est mieux que la vitesse moyenne d'une disquette 3.5 (environ 60ko/s), mais surtout, des lecteurs plus rapides, 2x, 4x, etc. vont rapidement émerger. Avec cette capacité et cette vitesse, on peut désormais envisager de stocker et restituer des musiques de haute qualité ou/et des vidéos, et ainsi transformer les jeux vidéo en véritables films interactifs !

Mais la réalité, dans un premier temps, est autre : tout ceci coûte cher, autant pour le développeur que pour l'acheteur potentiel, qui pour l'instant n'est pas particulièrement motivé par l'idée d'acquérir un lecteur de CD pour son ordinateur. Résultat, les premiers jeux sur CD-ROM sont essentiellement des jeux disquette transférés sur CD. Ainsi, au lieu d'avoir un jeu sur 4 disquettes, on l'a sur un CD-ROM pratiquement vide. L'expérience ludique est rigoureusement identique. Plusieurs éditeurs proposent des compilations, comme Interplay et son Interplay's Ten Year Anthology qui compile 10 jeux sur un seul CD (Another World, Star Trek, Battle Chess, etc.), ou Origin et son Wing Commander Deluxe qui regroupe le jeu original et ses deux extensions. On peut remarquer quelques efforts, en particulier chez Sierra qui propose dès 1991 des jeux dont la version CD est agrémentée de dialogues entièrement parlés. LucasArts suit le mouvement avec Day of the Tentacle et son doublage sonore intégral des protagonistes, doublage évidemment absent de la version en 7 disquettes. Mais globalement, les CD-ROM sont surtout utilisés comme de grosses disquettes, et il n'y a pas encore de quoi se relever la nuit pour courir acheter un nouveau lecteur. Le simple fait qu'un jeu existe à la fois en CD et en disquette démontre une certaine timidité vis-a-vis de ce nouveau support. Néanmoins, en 1993, une toute jeune société baptisée Trilobyte nous a offert l'un des touts premiers jeux sur ordinateur à vraiment utiliser les capacités d'un CD-ROM, un certain The 7th Guest.

titre

Naissance et ascension de Trilobyte

Graeme Devine a toujours été attiré par les nouvelles technologies. Cet écossais né en 1966 est programmeur amateur depuis l'âge de 9 ans. Après avoir un peu touché au TRS-80, il sèche les cours à 16 ans et rejoint Atari, pour le compte de qui il travaille sur les différentes versions micro de Pole Position, notamment sur C64, ZX Spectrum, et Apple II. Après un passage chez Lucasfilm et Activision, il saisit l'opportunité de partir pour les États-Unis et devenir programmeur chez Virgin Mastertronic.

Rob Landeros est né en 1949 en Californie. Rien ne le prédispose à une carrière dans le jeu vidéo, car il préfère nettement dessiner des comic books et faire de la gravure. Mais lorsque le hasard lui met un C64 entre les mains, c'est la révélation. Il rejoint Cinemaware et travaille notamment sur Defender of the Crown et Strategic Defense Initiative. Puis, en 1990, se sentant un peu trop mal considéré, il part chez Virgin Mastertronic où il prend la tête du département artistique.

Pole Position et Defender of the Crown

Alors que rien ne les destinait à travailler ensemble, Devine et Landeros se rencontrent donc chez Virgin et le courant passe tout de suite. Ensemble, ils forment leur propre département de "recherche et nouvelles technologies", ce qui pour Devine signifie clairement "travailler sur un CD-ROM". On est encore au début des années 90, et bien que tout le monde pressente la future importance du format CD-ROM, personne ne paraît percevoir son réel potentiel, n'y voyant surtout qu'une possibilité de stocker de larges bibliothèques de données. Mais Devine et Landeros envisagent tout de suite de développer un jeu vidéo... Dans un premier temps, ils partent sur l'idée de créer une version du célèbre jeu de plateau Cluedo, transposé dans l'univers de Twin Peaks (le but serait de découvrir qui a tué Laura Palmer). Mais l'idée n'intéresse pas vraiment les dirigeants de Virgin. Nos deux compères entreprennent alors de créer un univers original, abandonnant le Cluedo au profit d'une histoire de maison hantée. Le jeu proposerait des décors fixes, avec des puzzles à résoudre. Devine s'occuperait des puzzles, tandis que Landeros gèrerait l'aspect graphique. Le projet Guest vient de naître.

Les deux fondateurs de Trilobyte, Graeme Devine & Rob Landeros, en 1993.

Fin 1990, leur projet est écrit. Ils le proposent à Martin Alper (co-fondateur de Mastertronic, et alors président de Virgin), qui, après lecture du script, les invite à déjeuner moins d'une heure plus tard pour en discuter. Là, il leur annonce que le projet l'intéresse, et il décide de les "virer" : l'idée d'Alper est d'inciter ses deux employés à travailler de leur côté, à plein temps, via une structure dédiée. Il craint qu'un projet aussi novateur ne vampirise tout l'intérêt des différents programmeurs et artistes au sein de la compagnie, au détriment d'autres productions moins excitantes. Bref, Alper valide le projet en tant qu'éditeur, et accepte un financement à hauteur de $600.000, soit le triple de la somme généralement allouée pour un jeu de cette époque. Il impose toutefois deux règles : il faudra aussi développer une version disquette (avec un tel budget et les lecteurs CD-ROM encore peu répandus, on peut comprendre le risque que représente un jeu exclusif au support CD), et les locaux devront se situer à proximité de ceux de Virgin, c'est-à-dire près d'Irvine, en Californie... Aucune de ces règles ne sera respectée. En décembre 1990, notre duo s'installe à 1000 kilomètres au nord, dans l'Oregon, à Jacksonville. Ils y fondent Trilobyte, et développent Guest pour le compte de Virgin.

La Jeremiah Nunan House de Jacksonville, bâtie en 1892, a servi de modèle pour le jeu.

Dans un premier temps, le jeu est prévu pour montrer des images fixes de l'intérieur d'une maison, créées via une caméra à 360° dans une demeure locale. Mais l'idée évolue après que Devine et Landeros voient les possibilités d'un tout nouveau logiciel nommé "3D Studio" : Guest proposera donc une maison entièrement en 3D pré-rendue. Côté scénario, le travail est confié à un auteur new-yorkais spécialisé dans l'horreur, Matthew Costello. Ce dernier propose l'idée d'un fabriquant de jouets, dont la maison est remplie de casse-têtes et puzzles divers. En outre, les producteurs tiennent à ce que le jeu reste accessible au plus grand nombre, que le gameplay soit suffisamment épuré pour que les puzzles puissent être résolus à la souris. Plusieurs idées sont ainsi rejetées car jugées trop complexes. Dernier point majeur du développement, les animations se feront en FMV (Full Motion Video), avec des acteurs incrustés numériquement dans les décors. Par la suite, Graeme Devine développe une technologie nommée GROOVIE, utilisée pour associer efficacement tous les éléments graphiques (vidéo, 3D, etc.). GROOVIE permet en outre d'accéder en streaming aux données contenues sur le CD-ROM, rendant la copie sur disque dur inutile. C'est un point très important, à l'heure où les disques durs ont une capacité nettement inférieure à ce que l'on connaîtra quelques années plus tard.

Travaux préparatoires montrant l'entrée du manoir

Le jeu est présenté en 1992 pendant le CES de Chicago. Mais la démo n'était initialement pas prévue pour être dévoilée publiquement. Ainsi, il n'y a pas encore de son, et le jeu doit pour le moment être installé sur disque dur. Les développeurs improvisent alors quelque chose qui va créer un malentendu : afin d'ajouter un peu d'ambiance musicale à leur démo, ils mettent dans le lecteur de la machine un CD de Danny Elfman. Or la petite lumière d'accès disque qui clignote sur le lecteur laisse croire, à tort, que le jeu est diffusé en streaming (ce que est prévu dans la version finale, mais pas encore vrai pour l'instant). En s'apercevant ensuite que ce n'est effectivement pas le cas, plusieurs journalistes déjà un peu méfiants en concluent que la démo est bidon, et que les développeurs ne tiendront absolument pas leurs promesses avec ce jeu. Néanmoins, la foule est belle et bien présente et enthousiaste devant les graphismes impressionnants. Les développeurs comprennent alors que s'ils parviennent à proposer le jeu tel qu'ils l'ont promis, le succès sera assuré. Le CES et les critiques des sceptiques ne fait que sur-motiver l'équipe. Au CES de l'année suivante, Trilobyte propose une vraie démo, et les réactions sont cette fois unanimes : Oui, The 7th Guest tient ses promesses, et de façon impressionnante ! Le jeu sort finalement le 27 avril 1993, tout d'abord sur Macintosh, puis plus tard sur PC.

American Horror Story

L'histoire commence durant l'entre-deux guerres, dans la petite ville de Harley-on-Hudson, au nord-est d'une Amérique frappée par la crise économique. Henry Stauf est un vagabond, voleur à ses heures, errant de ville en ville. Ce n'est pas un homme bon. Un jour, dans les bois, il vole et assassine une femme qui rentrait innocemment chez elle, et s'enfuit. Après un tel acte, son âme devient plus sombre que jamais. La nuit suivante, il fait un rêve étrange : en songe, il imagine une poupée, jouet magnifique qu'il entreprend de sculpter dès son réveil. Il parvient ensuite à troquer son oeuvre dans un bar local contre le gîte et le couvert... Il fait alors un autre rêve; cette fois il s'agit d'un casse-tête, qu'il va là aussi construire et vendre. Saisissant l'opportunité de gagner un peu d'argent, il se met à fabriquer d'autres poupées et jouets divers, tous élaborés à partir de ses visions. Se forgeant une petite réputation, il ouvre un magasin de jouets, la demande grandit et de plus en plus d'enfants veulent un jouet Stauf. Son slogan ? "Un jouet Stauf est un jouet pour la vie". Finalement, notre ex-vagabond devient riche... Mais, en parallèle de son succès grandissant, une étrange maladie fait son apparition, touchant beaucoup d'enfants qui, tandis que la maladie les emporte les uns après les autres, serrent un peu plus fort leur précieuse poupée Stauf. Au sommet de sa gloire, Henry Stauf fait un ultime rêve : un manoir. Une fois ce dernier bâti, Stauf y emménage et se retire de la vie publique...

Quelque temps plus tard, six personnes reçoivent une invitation de la part d'Henry Stauf pour passer une soirée au manoir, et surtout pour participer à un jeu : celui des invités qui parviendra à résoudre tous les puzzles disséminés dans sa demeure verra tous ses souhaits exaucés. Une alléchante proposition de la part d'un riche excentrique, à six personnes dont la cupidité et la soif de pouvoir ne tarderont pas à se révéler face à de tels enjeux. Les invités arrivent les uns après les autres à ce diner fatal :

  • Brian Dutton, propriétaire d'un magasin de Harley-on-Hudson, a eu l'occasion de faire affaire avec Stauf par le passé. A vrai dire, il l'admire, et rêve de connaître à son tour le succès, et lui-aussi devenir riche.
  • Julia Heine est nostalgique de sa jeunesse. Abusant facilement de la boisson pour oublier son âge, cette ex-employée de banque n'aspire qu'à une chose, revivre 'ses meilleures années'.
  • Martine Burden est une jeune chanteuse ambitieuse. Élue Miss Harley-on-Hudson, elle quitte rapidement cette ville qu'elle déteste, mais finit par revenir après que son riche petit-ami l'a laissé tomber. Elle a soif de pouvoir.
  • Entre Edward & Elinor Knox, la flamme vacille, et les soucis financiers du mari n'arrangent rien. la proposition de Stauf est l'occasion d'une seconde chance. Mais tandis qu'Elinor espère sauver son couple, Edward envisage clairement de refaire sa vie avec quelqu'un d'autre...
  • Hamilton Temple est un magicien en fin de carrière. Il n'a qu'une obsession, savoir si la vraie magie existe réellement, et s'il peut en percer les secrets.

Stauf n'est pas présent en personne pour accueillir ses invités. Ces derniers doivent donc se contenter de brèves instructions laissées par écrit à leur attention...

Aucun d'entre eux ne survivra à cette nuit...

La cinématique d'introduction prend la forme d'un livre, avec une voix-off qui vous raconte l'histoire, comme s'il s'agissait d'une vieille fable destinée à effrayer les enfants...

Après une durée indéterminée, vous, Ego, vous retrouvez dans ce manoir. Amnésique, incapable de vous rappeler qui vous êtes ni comment vous êtes arrivé ici, vous découvrez vite que les six invités apparaissent devant vous sous forme de fantômes, vous permettant ainsi d'être le témoin de certains événements ayant eu lieu dans les différentes pièces du manoir. Quant à Stauf, son esprit persiste dans ces lieux sous la forme d'une voix spectrale s'adressant directement à vous. Il ne vous permet de découvrir ces saynètes du passé qu'à condition que vous résolviez quelques-uns de ses puzzles. Stauf n'hésitera d'ailleurs pas à se moquer de vous si vous échouez ou semblez en difficulté, et vous félicitera de manière ironique, voire ragera, lorsque vous résoudrez un casse-tête. Au fil de votre progression, vous découvrez ce qui s'est passé durant cette nuit tragique.

Cliquez ici pour faire apparaître le reste de l'histoire [NB: cet encart contient des spoilers]

Les six convives comprennent vite que Stauf attend d'eux qu'ils trouvent et lui livrent quelqu'un, un septième invité. Il s'agit d'un jeune garçon nommé Tad, entré secrètement dans le manoir, probablement suite à un défi lancé par ses amis, et qui ne peut plus ressortir. En fait, si Stauf s'est mis à faire ces rêves de jouets qui l'ont rendus riches, c'est parce qu'il a signé un pacte avec le mal : ses jouets capturent l'âme des enfants de la région. Pour honorer sa part du contrat, Sauf doit s'emparer d'un certain nombre d'âmes, et il ne lui manque plus que celle de Tad. Tandis que la nuit avance, deux tendances se dessinent. Brian, Julia, Martine, et Edward sont prêts à capturer et livrer le garçon, tandis qu'Hamilton et Elinor veulent le sauver.

Edward Knox se laisse séduire par la jeune ex-chanteuse Martine, sans réaliser qu'il se fait manipuler, tandis que sa femme Elinor Knox s'allie avec le magicien pour tenter de contrecarrer les plans de Stauf. De son côté, Stauf se plaît à torturer psychologiquement et indirectement ses invités, par le biais d'hallucinations diverses. Par exemple, Julia Heine s'imagine rajeunir au point de devenir un bébé... Puis, finalement, les choses deviennent sanglantes. Edward Knox poignarde Brian Dutton à mort, avant d'être à son tour éliminé par Temple. Martine Burden est tuée dans la foulée, et la pauvre Elinor Knox se retrouve capturée à l'intérieur d'un mannequin. Temple est finalement étranglé par Julia Heine, désormais seule survivante avec le jeune Tad. Elle le conduit de force jusqu'au grenier du manoir, où l'attend un Henry Stauf affaibli, en chaise roulante. Gagnante de ce jeu maléfique, Julia attend sa récompense, prête à formuler son voeu. Mais pour toute réponse, Stauf, qui n'est clairement plus humain, la trahit en la dissolvant vivante dans une immonde gerbe d'acide. Tout semble perdu, Tad tente de s'enfuir, en vain. C'est là que vous intervenez :

Vous, Ego, réalisez ce que vous soupçonniez déjà grâce à de précédents indices. Vous êtes l'esprit de Tad. Capturé par Stauf, vous revivez encore et encore cette nuit d'horreur, essayant sans succès de vous sauver vous-même, et oubliant tout à chaque échec, comme prisonnier d'un enfer éternel. Mais cette fois, votre présence, vos succès face à tous les puzzles du vieux fou, donnent à Tad la détermination nécessaire pour s'extirper des griffes de Stauf. Ce dernier, ne pouvant plus honorer son contrat en capturant l'âme de Tad, se retrouve aussitôt cerné par des tentacules surgis du sol, qui le désagrègent et emportent son squelette dans l'au-delà. Désormais libre, Tad vous remercie, et tandis que vous vous êtes finalement sauvé vous-même, vous extirpant enfin de cette boucle cauchemardesque, vous êtes submergé par une lumière aveuglante... Les esprits de Stauf, Julia, Edward, Brian et Martine sont condamnés à hanter cette maison à jamais, tandis que ceux d'Elinor, Hamilton et Tad, sont libres...

Les différents événements survenus ici et là dans la maison de Stauf, apparaissent sous forme de courtes scènes lorsque vous cliquez sur un objet précis, ou que vous résolvez un puzzle. La narration pourra sembler un peu décousue, car même si certaines pièces ne seront accessibles qu'en faisant progresser l'histoire, vous avez toujours accès à plusieurs puzzles, et l'ordre dans lequel les résoudre ne dépend que de vous. Vous risquez alors de découvrir les scènes dans le désordre. Mais cette confusion, assumée, ne devrait pas vraiment poser de soucis. Plusieurs événements sont d'ailleurs intemporels, par exemple lorsqu'un personnage se retrouve seul, à relire sa lettre d'invitation, ou à être victime d'une des hallucinations morbides que Stauf aime faire subir à ses invités...

« How did I get here ? I remember... Nothing. »

Premier choc pour l'innocent joueur de 1993 : tous les dialogues (ainsi que les monologues lorsque votre personnage réfléchit à haute voix) sont doublés oralement, et non affichés par écrit. De plus, les personnages sont interprétés par de vrais acteurs filmés. Il ne s'agit pas de sprites dessinés, mais bel et bien de vidéos live incrustées dans des décors pré-calculés. On peut en sourire aujourd'hui, mais The 7th Guest a bouleversé les attentes de bien des PCistes à sa sortie. Mais le plus remarquable, c'est que le jeu est entièrement en 3D. Oh, les déplacements ne sont pas "libres", on se déplace selon un chemin pré-calculé d'un point précis à un autre, mais la transition se fait via une animation vidéo, sans coupure ni baisse de qualité. Cette prouesse graphique permettra au jeu de rester longtemps au-dessus des autres productions sur CD, notamment Myst (sorti un peu plus tard la même année) qui propose lui aussi des décors en 3D pré-calculée, mais avec un bref fondu enchaîné en guise de transition entre deux écrans fixes.

En revanche, il faut reconnaître que la performance des acteurs n'est pas fabuleuse. Personnellement, je ne pense pas qu'ils soient mauvais, mais plutôt qu'ils ont été mal dirigés, qui plus est dans des conditions de tournage déroutantes. Tout a été filmé sur fond bleu, avec de vagues points de repère sur la position des meubles et objets, qui seront rajoutés en 3D en post-production. Côté mise-en-scène, les vidéos ne proposent que des plans larges et fixes, du point de vue du joueur. On est dans une logique théâtrale plutôt que cinématographique. Si cela renforce l'approche ouvertement gothique du scénario, ça ne laisse aucune place à des notions de montage telles que les champs/contre-champs... En outre, la définition des vidéos était loin d'égaler les résolutions HD que l'on verra apparaître par la suite. La technique du fond bleu génère des artefacts peu élégants sur les contours des acteurs, et lorsque ceux-ci se déplacent, on voit parfois une sorte d'effet "scanline" assez moche (défaut dont la version CD-i semble dépourvue). Pour finir, un mauvais étalonnage de la couleur bleue a rendu les acteurs partiellement transparents. Ce côté un peu crade de la vidéo ne pouvant être maîtrisé, il a été présenté comme une feature mettant en avant le caractère fantomatique des personnages. Il faut avouer que ça fonctionne assez bien. Soulignons enfin que les techniques de compression étaient loin d'égaler ce que l'on connaît aujourd'hui. Les dialogues, par exemple, sont dans un format WAV très vilain (176kb/s, 22Khz) qui dégrade énormément la qualité sonore...

Avec une définition visuelle et sonore aussi imparfaite, et des impératifs de tournage aussi particuliers, un jeu d'acteur subtil n'aurait tout simplement pas fonctionné. Simuler l'étonnement en soulevant un sourcil à la Sean Connery ou réfléchir en marmonnant dans sa barbe passerait totalement inaperçu à l'écran. La direction d'acteur s'est donc effectuée dans une logique oposée, bien plus visuelle et bruyante. Sans doute trop. Le sur-jeu est une approche extrêmement casse-gueule, car il faut être sacrément bon pour ne pas se laisser aller à une hystérie forcément ridicule. Et ici, les acteurs, peu aidés par les décors bleus, embarqués dans une technique de tournage qu'ils ne maîtrisent pas, et aiguillés par un metteur en scène qui lui aussi a sans doute du mal à imaginer ce que donnera le résultat une fois les décors et autres effets visuels intégrés à la scène, n'y arrivent simplement pas. Hormis certaines séquences de groupes, où le fait d'être 5 ou 6 est bénéfique à l'ensemble du casting, beaucoup de scènes sont tellement sur-jouées que le résultat est parfois un peu embarrassant...

Mais honnêtement, ce n'est pas non plus un désastre. Déjà, la constance du résultat finit par donner à l'ensemble un côté kitsch attendrissant. Ensuite, les saynètes incluant les différents personnages sont là pour faire avancer l'intrigue, et servent la plupart du temps d'introduction/récompense pour le puzzle situé dans la pièce où la cinématique se déclenche. Ce n'est pas du tout une logique de film, et ces scènes nous incitent surtout à imaginer tout ce qui a été ellipsé. C'est plutôt là qu'il faut chercher un défaut au résultat : puisque, comme expliqué plus haut dans l'article, les scènes ne sont pas toujours chronologiques, cela désacralise certains événements, en particulier les différents meurtres. Même en sachant dès le début que tous les invités vont y passer un par un (ce sont des fantômes, après tout), on se surprend vite à parier avec soi-même sur le nom de celui qui survivra assez longtemps pour rencontrer Stauf en personne. Du coup, une scène où un personnage se fait tuer par un autre va a posteriori perdre son impact lorsque l'on retrouvera ce même personnage dans des scènes censées avoir eu lieu avant. Et ne parlons pas du sort d'au moins deux invités, qui reste flou jusqu'au bout. (On sait qu'ils sont morts, mais on ne saura jamais vraiment comment). Cette méthode narrative non linéaire pourrait avoir beaucoup d'intérêt si ce parti-pris donnait une nouvelle perspective à l'histoire (e.g. des films comme Pulp Fiction ou Memento). Ici, ce sont seulement des scènes jouées dans le désordre... Heureusement, ça ne perturbe pas trop la compréhension, du moment que l'on reste attentif.

Les décors sont vraiment somptueux, dommage qu'on ne puisse pas les visiter en détail

En outre, ce que le jeu sacrifie en n'adoptant pas une construction de survival-horror, il le gagne en laissant le joueur libre d'explorer la maison. Car ces scènes d'acting sont à mettre en parallèle avec l'aspect exploration du jeu, où l'on se déplace seul dans une maison hantée. L'ambiance est alors générée par les graphismes 3D, la musique, et les petits événements paranormaux qui peuvent surgir ici ou là. Si vous avez joué à The 7th Guest, vous vous souvenez forcément des mains sortant d'un tableau, des assiettes volant dans la salle à manger, ou de cette angoissante Dame Blanche qui vous incite, silencieusement, à la suivre dans l'un des couloirs sombres du manoir. En laissant le joueur libre de fouiller les pièces de la maison sans ordre strict, le jeu pose une ambiance bien plus prenante que si l'on devait suivre un parcours précis et enchaîner les puzzles dans un ordre prédéfini. Et puis, le jeu est beau : les décors, bien qu'on ne puisse s'y déplacer librement, sont détaillés et vraiment crédibles, ce qui est crucial pour que l'on puisse croire aux lieux que l'on visite et à l'histoire qui s'y déroule. Les responsables des graphismes, Rob Landeros et Rob Stein III, ont fait de l'excellent travail.

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