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Zelda: The Wand of Gamelon & Link: The Faces of Evil
Année : 1993
Système : CD-I
Développeur : Animation Magic
Éditeur : Phillips Interactive Media
Genre : Action / Aventure
Par MTF (04 mars 2023)

Il était plus que temps d'en parler, et d'en parler sérieusement. Sur la dernière page du dossier consacrée à la série des Zelda, on évoquait les fameux épisodes sur le CD-i de Phillips. Si le troisième épisode attendra, c'est le dyptique composé de Zelda: The Wand of Gamelon et de Link: The Faces of Evil qui fera l'objet de l'article de ce jour. Ce sont des épisodes fameux, notamment depuis leur redécouverte à compter des années 2000, mais que l'on ne connaît généralement peu, ou pas, au-delà de quelques séquences animées et de quelques phrases rigolotes. Ce sont pourtant de petits bouts d'histoire du jeu vidéo, qui méritent davantage qu'être les dindons de la farce.
Ces deux épisodes sont notamment les témoins d'une étrange période, celle qui marqua la fin des consoles 16-bits et vit la naissance des 32-bits, et surtout du support CD-ROM. La technologie, développée conjointement jadis par Sony et Phillips, commençait à se répandre en micro-informatique, et des jeux comme The 7th Guest montraient tout le potentiel de ce nouveau support. Dans le domaine des consoles de salon, la PC-Engine de NEC faisait fureur au Japon, mais son succès en occident ne concrétisa pas tout à fait ses promesses. Alors, avant l'arrivée prochaine de la Saturn mais surtout de la Playstation, il y avait des places à prendre.

La PC-Engine et le CD-Rom² de NEC, en haut, et le CD-i de Phillips, en bas.

Nintendo et Sega, fort de leur succès international avec la Super Nintendo et la Megadrive, se lancèrent alors dans la course, de prime abord en envisageant des périphériques pour leurs consoles. Sega sortit ainsi le Sega-CD, tandis que Nintendo collabora dans un premier temps avec Sony pour un périphérique dans le même esprit, à l'instar de ce qui avait été fait jadis avec le Famicom Disk System pour la Famicom. Pour des raisons diverses, la collaboration avec Sony capota, et ce sera finalement Phillips qui remporta la timbale. Cet add-on ne vit cependant jamais le jour : le succès mitigé du Sega-CD invita Nintendo à revoir ses plans et à priviligier pour la génération suivante le support cartouche, ce qui donnera finalement naissance à la N64.
Ce qui est aussi à savoir, c'est que l'annulation du projet par Nintendo ne fut pas totale, et les clauses du contrat liant le géant japonais à la compagnie néerlandaise autorisèrent cette dernière à exploiter l'image de plusieurs séries phares de Nintendo, et notamment Super Mario Bros. et The Legend of Zelda pour le CD-i. Ce dernier se voulait l'évolution du CD-ROM, en lui rajoutant une dimension interactive. Le support était surtout destiné à des logiciels encyclopédiques ou pédagogiques et malgré sa nouveauté, il ne parvint hélas pas à connaître un succès grand public. C'est cependant là que les reliques de cette alliance avec Nintendo échouèrent et sortirent alors, entre 1993 et 1994, trois jeux Zelda et Hotel Mario, un genre de jeu d'arcade réminiscent de Mario Bros. et de Wrecking Crew. Ces jeux furent développés rapidement et avec un budget riquiqui, pour profiter de la vague, mais avec un succès plutôt limité.

Hotel Mario est une distraction sympathique, mais de laquelle on fait vite le tour.

La sortie simultanée de Wand of Gamelon (WoG) et de Faces of Evil (FoE) fut néanmoins, en son temps, un petit événement. Il s'agissait effectivement de la première fois que des jeux Zelda étaient développés par une autre équipe que Nintendo, qui plus est sur une console qu'il ne fabriquait point. Le soufflet retomba cependant bien rapidement et ces jeux sombrèrent, tout comme sa console, dans un oubli complet. La Saturn, la Playstation et la N64 se livraient peu de temps après une bataille farouche, Nintendo écrivait l'histoire avec Ocarina of Time, plus personne ne pensait aux oubliés de la guerre, la 3DO, la Jaguar, le CD-i. Ces jeux devenaient des curiosités, des anecdotes qu'on lisait sur les forums ou que les fanatiques délivraient innocemment, mais rien de plus.
Tout changea, cependant, avec la démocratisation d'Internet et du « Web 2.0 », et particulièrement l'apparition de Youtube. Avec le partage en masse des vidéos, on vit apparaître progressivement des montages, appelés « Youtube Poop », qui sont des sortes de compilation frénétique de vidéos diverses. Les cinématiques de WoG et de FoE tenaient là-dedans une place de choix, compte tenu de leur étrangeté. De fil en aiguille, tout un chacun connut l'existence de ces jeux, et tout un chacun les considéra médiocres, sans même y toucher. Finalement, on ne parlait pas plus de ces épisodes, de leur gameplay, de leur sentiment de jeu, ce qui est à mon goût plutôt malhonnête... Après tout, si on jugeait bien des jeux de l'époque sur leurs seules cinématiques, peu trouveraient grâce à nos yeux !

Même si vous n'avez pas essayé les jeux, force est à parier que vous reconnaissez ces dessins tant on les rencontre couramment aujourd'hui sur Internet (WoG & FoE).

Il est donc plus que temps qu'on revienne précisément sur ces curiosités. Cela est d'autant plus facile qu'un passionné, en 2020 et après quatre ans de développement, proposa en téléchargement des versions « Remastered » de ces épisodes, que l'on trouve très facilement en ligne. Ils peuvent à présent être joués sans difficulté aucune sur les ordinateurs modernes (uniquement sur Windows et Ubuntu, cependant), proposent bien des options de configuration et surtout un mode arrangé, qui fait de cruciales modifications de jeu améliorant très sensiblement l'expérience. Tout le reste demeure inchangé, pour le meilleur... et pour le moins bon.
Dans cet article cependant, je ne considérerai pas, pas dans un premier temps tout du moins, ces améliorations : je désire revenir au plus proche de la facture du temps. Et même si je joue sur ordinateur et non sur le support originel — que je possède et en état de marche, mais les jeux originaux sont plutôt chers à acquérir —, cela semble suffisant pour avoir sur ces titres le regard le plus objectif possible. Alors, allons-y : il y a des Dodongos à bombarder.

Ça va barder ! (WoG)

My boy!

Même si WoG et FoE partagent le même style graphique et le même gameplay général, les deux épisodes se conçoivent indépendamment l'un de l'autre et ne sont pas franchement reliés historiquement, au contraire de ce que fera ultérieurement Capcom avec la série des Oracle. La différence majeure, on l'aura compris, vient du personnage dirigé, Link pour FoE, Zelda pour WoG, pour la première fois d'ailleurs de l'histoire de la saga. Le changement est cependant surtout cosmétique, tant leurs capacités d'action sont pour ainsi dire identiques, nonobstant les objets d'inventaire qu'on récoltera. On peut d'ores et déjà saluer Phillips pour ce choix même si Zelda finira, dans l'aventure de Link, par être capturée par Ganon au cours de la partie.
Les deux intrigues sont également plutôt similaires. Dans WoG, le Roi d'Hyrule part aider le Duc Onkled de Gamelon, l'un de ses liges, dont l'île est attaquée par Ganon. Un mois après son départ, et sans aucune nouvelle du Roi, Zelda envoie Link à son secours mais, là encore, il finira par ne plus donner signe de vie. La Princesse décide alors de prendre les choses en main, et de résoudre ce mystère. Dans FoE, le magicien Gwonam vient demander de l'aide à Link, pour l'aider à libérer l'île de Koridai envahie, là encore, par Ganon.

Les deux îles ont des couleurs uniques : Gamelon, à gauche, est plutôt ensoleillée, alors que Koridai, à droite, est bien plus menaçante, avec ses sommets grimaçants. Ce sont lesdits « visages du mal » qui donnent leur nom à l'épisode et qui abritent les différents boss du jeu (WoG & FoE).

Au fur et à mesure de ces deux aventures, et au gré des cinématiques et des discussions, on s'aperçoit que Jonathan Merritt, l'auteur américain à qui l'on doit ces intrigues, n'a pas tant puisé son inspiration dans les jeux précédents de la série que dans son univers étendu, et particulièrement le dessin animé qui fut diffusé à la fin des années 1980 dans le Super Mario Bros. Super Show, qui connut un très grand succès aux États-Unis. Si le design d'un certain nombre d'ennemis et de concepts puise certes dans les épisodes NES et Super NES, l'influence de cette série télévisée est plutôt évidente quand on la compare au jeu.
Particulièrement, on ne peut là encore qu'apprécier la façon dont FoE et WoG cherchent à construire un univers plus vaste que ce que Nintendo avait jadis proposé dans le monde d'Hyrule. On l'oublie parfois, mais ce sera surtout à partir de Link's Awakening, en 1993, que la série prit narrativement du corps. Auparavant, il n'y avait finalement que peu de personnages nommés, et même si la mythologie d'Hyrule ou de la Triforce était déjà bien installée grâce à A Link to the Past, tout cela était encore assez chiche à l'époque. Les épisodes CD-i, en ce sens, reprennent de la saga animée cette volonté de construire un nouveau monde fantastique en partant dans de nouvelles directions, plutôt qu'élaborer à partir des maigres éléments qu'il y avait alors.

Le terroir des jeux est plutôt varié, et évolue des forêts sombres aux montagnes en passant par des maisons, des donjons divers, voire des navires (WoG & FoE).

Les îles de Gamelon et de Koridai sont, en ce sens, remplies de vie, et pas seulement d'ennemis en tout genre : on y trouve des pêcheurs, des marchands, des villageoises, des enfants, des reines, des forgerons, à côté d'Impa qui accompagnera Zelda dans son aventure. Certes, leur rôle est plutôt compartimenté et ils interviennent surtout pour nous demander de rapporter tel ou tel objet contre récompense, mais on ne peut absolument pas accuser ce choix de paresse. Et même si, nous y viendrons tôt ou tard, la réalisation de ces personnages et la conduite de l'intrigue sont... discutables, il y a là quelque chose d'intéressant qui mérite qu'on s'y arrête.
Quelque part, on pourrait même faire de ces jeux l'origine secrète, presque hallucinée, du dessin souvent perturbant que l'on trouvera dans les épisodes futurs de la série Zelda. Certains seconds couteaux de Majora's Mask, voire de Skyward Sword, ont sans doute bien plus en commun avec Morshu, Grimbo, Lika et Alma qu'on ne le croirait de prime abord, comme si ces jeux avaient su, par hasard, anticiper l'avenir de la saga.

Les personnages trainent au milieu des monstres, mais on les trouve surtout dans de jolies maisons, qu'il ne me déplairait pas d'investir (FoE & WoG).

Bring the crystal from Serigon!

J'évoquais à l'instant la façon dont ces nombreux personnages nous demandaient des service ; profitons-en pour revenir plus précisément sur l'organisation et l'économie de ces épisodes. L'inspiration première, et il n'y a ici pas grand doute à avoir, c'est bien entendu Zelda II, sans doute l'un des épisodes les plus controversés de la série canonique. On retrouve là le point de vue de côté et l'accent porté sur la plate-forme et les combats, plutôt que sur les énigmes et l'exploration. Zelda et Link se contrôlent comme dans cet épisode, avec quelques actions en plus et particulièrement la possibilité de marcher à croupetons, même si la chose est rarement utile.
On ne trouvera cependant pas, en cours de route, de moyens d'améliorer notre panel autrement qu'en dégotant de nouveaux objets. Notamment, notre épée initiale finira par lancer des lasers lorsque notre vie est au maximum, puis constamment avec un autre upgrade ; sinon, ce sera avec des talismans, des boules de feu et autres sceptres qu'on pourra affronter de nouvelles épreuves.

L'inventaire des deux jeux se remplira progressivement, mais l'on aura toujours notre épée et notre bouclier, bien pratique pour bloquer les projectiles (WoG & FoE).

La progression au sein de l'aventure est cependant plutôt étrange au regard de Zelda II, et par endroit, elle s'apparente davantage à un genre de point'n click qu'à un jeu de plates-formes/action. Certes, on passera le plus clair de notre temps à sauter ci et là et à jouer de notre épée pour tuer les ennemis, mais il ne s'agira pas seulement de traverser les zones de la gauche vers la droite pour évoluer. Il faudra surtout trouver différents objets et les rapporter aux bons personnages, à la façon des quêtes d'échange que Link's Awakening, une fois encore, avait stabilisé. Celle-ci veut qu'on lui ramène de la poussière de fée, pour fabriquer une cape magique ; un autre veut des baies d'un genre particulier, pour en infuser le gant de puissance.
Les objets qu'on nous fabrique, s'ils peuvent servir épisodiquement dans les zones de jeu pour immobiliser les ennemis ou devenir insensible à leurs attaques, serviront surtout à tuer les boss du jeu, généralement d'ailleurs en un seul coup. C'est pour cela que je tends à rapprocher ces épisodes, finalement, moins d'une aventure classique de Zelda que d'un King's Quest, à la philosophie plutôt similaire. Après tout, si l'on a un livre magique capable d'enfermer le malin, il suffit juste de l'ouvrir face à Ganon pour le vaincre...

Les environnements font également souvent penser à un jeu d'aventure Sierra, au point qu'on s'attendrait à voir surgir le roi Graham dans l'aventure (WoG & FoE).

Il faut, en tous les cas, une très, très bonne mémoire pour jouer à ces aventures, ou avoir à côté de soi un carnet pour noter précisément qui veut quoi, et où. Les jeux se font effectivement assez ouverts, et ne conditionnent pas vraiment leur progression derrière les objets d'inventaire. On débloque généralement une nouvelle zone en arrivant à la fin d'une précédente, à l'exception précisément de celles s'achevant par un boss. C'est également là que l'un des défauts les plus flagrants saute aux yeux : l'incohérence de notre parcours autour des îles.
Contrairement à Zelda II où même, à dire vrai, à la très grande majorité des jeux d'aventure, notre cheminement géographique ne fait pas vraiment sens. On peut sortir d'un village situé au sud et se retrouver aux portes d'une caverne à l'ouest ; ou escalader un piton rocheux, et débloquer une crique de l'autre côté de l'île. Même si l'on peut, sur la carte du monde, choisir sans mal sa destination, cette déconnexion irréelle n'aide pas à se rappeler précisément de ce que l'on peut ou doit faire à un moment donné de l'histoire.

Le jeu exhibe une architecture délurée et parfois audacieuse, mais qui rend les environnements difficiles à explorer parfois (FoE & WoG).

Lamp oil, Rope, Bombs!

C'est à partir de là que les fissures commencent à apparaître, de plus en plus nombreuses. FoE et WoG ont effectivement cette tendance, assez répandue hélas, de corrompre des idées intéressantes par des décisions abstruses, qui ont un impact absolu notre plaisir de jeu. Car aux côtés de cette déconnexion géographique, il y a une déconnexion ludique bien plus gênante. Particulièrement, les associations d'objets, entre les ennemis qui y sont sensibles et notre inventaire, paraissent souvent arbitraires, voire absurdes. S'il peut être évident d'utiliser une boule de neige sur un ennemi de feu, ou le contraire, bien malin qui saura immédiatement utiliser le miroir ou le sceptre sur le cochon ou le loup !
De l'autre côté, les jeux aiment souvent plonger le monde dans le noir — y compris, d'ailleurs et bizarrement, à l'extérieur —, à mettre les plates-formes hors de portée, ou encore à bloquer les portes par de petits rochers. Les réponses à ces questions se trouvent aisément par les premiers magasins que l'on découvrira et qui vendent, cela est devenu une plaisanterie pour les initiés, de l'huile à lanterne, de la corde et des bombes.

Si on connaît le jeu, on peut toujours avancer dans le noir, mais je ne vous le conseille pas... quant aux rochers, ils bloqueront souvent la progression (WoG).

Cependant, préparez-vous à très régulièrement faire des emplettes, car les stocks diminuent à vue d'œil. La lanterne dure peu longtemps, et l'on ne peut absolument rien faire dans le noir ; les cordes sont souvent nécessaires, mais comme il est difficile de savoir souvent où l'on peut s'en servir, on les gaspille rapidement. Le pire, cependant, demeure les bombes. Certes, d'un côté, leur puissance de feu a considérablement augmenté, et elles peuvent à présent détruire tous les ennemis à l'écran. De l'autre, il faut souvent en utiliser une dizaine (!) pour détruire un petit rocher, qui n'a rien de vraiment spécial.
C'est dans ce type d'errance que l'on comprend que l'équipe de développement débutait dans le média, car ces choix sont clairement incompréhensibles pour qui a une expérience, même limitée, du jeu vidéo, de ses codes et de sa grammaire. Il y a pire, cependant : car comme des dominos qui chuteraient à la chaîne, cette décision finit par influencer tout ce qui peut mal aller dans la boucle de gameplay des deux jeux.

Les objets servent souvent à immobiliser les ennemis, ce qui est un bienfait comme ils tombent sur nous en escadrille. Quant à l'épée qui lance des lasers quel que soit notre niveau de vie, elle est une bénédiction (FoE & WoG).

Comme on doit souvent racheter des munitions, de l'huile et des cordes (sans même parler, dans FoE, des boules de feu ou de glace que laissent tomber les ennemis à leur mort), et comme, de plus, utiliser les objets consomme également de l'argent comme le faisaient jadis les flèches dans le tout premier The Legend of Zelda, on finit par tuer des ennemis à la chaîne pour se refaire un pécule. Pour faciliter ce travail, les ennemis reviennent constamment dans l'aire de jeu, ce qui permet, il est vrai, de devenir riche assez vite... mais, de l'autre côté, cela rend le parcours naturel de ces zones plutôt fastidieux.
Il y a effectivement des niveaux où nous sommes proprement harcelés par les Moblins ou les fantômes, sans que l'on ne puisse respirer et sans, j'en suis persuadé, faire autrement que de prendre des dégâts. La chose en devient ridicule dans les derniers donjons, et l'on finit par foncer tête bêche, en espérant arracher la victoire et s'échapper en vie plutôt que d'élaborer un plan compliqué, voué de toutes façons à l'échec.

Boum, dans la face ! Les ennemis sont sans relâche, et ils sont particulièrement féroces (Wog & FoE).

Mais c'est là où d'autres décisions viennent nous retenir dans la progression. Déjà, pour récolter un objet, n'importe lequel, qu'il s'agisse d'un rubis, d'une clé ou d'un artefact important pour l'aventure, il nous faut le transpercer avec notre épée et non pas, simplement, entrer en contact avec lui. Certes, la chose ne semble pas si ennuyeuse que ça de prime abord et on finit par le faire sans trop y penser, mais comme, de plus, la zone de contact avec l'épée est assez exigeante, cela finit par devenir très pénible à la longue.
Ensuite, et c'est peut-être plus dommageable, nous n'avons qu'un nombre de vies limité, même si les continue sont à discrétion. Et comme le jeu enregistre, à notre mort, l'état de notre inventaire, il n'est pas rare de perdre toute sa progression dans un stage et de devoir passer une dizaine de minutes à récupérer de l'argent pour, ensuite, se refaire un stock d'objets et retenter sa chance. Il n'y a rien de plus frustrant que de tout perdre suite à un saut mal dosé ou un fantôme qui brutalement est apparu à l'écran, et de devoir passer quinze minutes de récolte avant de revenir là où on en était.

Les magasins vendent les mêmes objets à foison, et on y passe beaucoup de temps (Wog & FoE).

You shall die!

Cette nécessité est d'autant plus pesante, lourde, ennuyeuse, que la maniabilité du jeu est vraiment, vraiment bizarre. Nous sommes déjà chanceux, quelque part, car il semblerait que dans la version originale, il y avait un délai très perceptible entre la commande entrée et le résultat à l'écran, aggravé par la technologie infrarouge qu'avait le CD-i. Les contraintes des périphériques de contrôle du reste, pensés pour des jeux ludo-éducatifs et des logiciels du type « pointer et cliquer », rendaient la progression dans l'aventure plutôt fastidieuse, voire inconfortable. Heureusement, les manettes modernes facilitent largement notre partie.
Cela n'arrange cependant pas d'autres choix malheureux. Notamment, pour faire apparaître l'écran d'inventaire, il faut d'abord se baisser, ce qui rend le jeu plutôt heurté ; et de plus, le bouton pour activer un objet est le même que pour passer une porte. Il est ainsi fréquent, notamment quand on veut utiliser sa lanterne, de changer de zone sans qu'on ne le veuille, ce qui aggrave particulièrement le sentiment et le rythme de l'ensemble.

Il arrive souvent qu'on se prenne plein de projectiles dès qu'on rentre dans une maison... maisons qui ne cachent d'ailleurs pas toujours des choses intéressantes (Wog & FoE).

Rien n'est cependant plus grave que la pesanteur de la jouabilité, et la confusion des niveaux. Link et Zelda se dirigent globalement assez bien, même s'ils tombent, à mon goût, un peu trop lourdement, mais les zones de collision, surtout, sont définitivement à revoir. Plus d'une fois, comme pour ramasser les rubis, il arrive que l'épée traverse les ennemis sans les toucher, ou que notre bouclier ne nous protège point des projectiles alors que visuellement, tout semblait parfait. Si l'on ajoute à ça que le concept de frames d'invincibilité semble être inconnu de la partie, et que l'on peut donc encaisser plusieurs coups en une seule seconde, on finit par mourir très rapidement et très facilement dans FoE et dans WoG.
Le plus grave demeure, à mon goût, l'impossibilité de lire correctement les niveaux, et de voir absolument les endroits où l'on peut effectivement se tenir. Les arrière-plans sont, il est vrai, particulièrement beaux et détaillés, ce sont de jolies peintures pleines de couleurs : mais elles s'accordent très mal avec l'exigence d'un jeu de plates-formes, et plus d'une fois tombe-t-on dans un trou qui paraissait insignifiant, ou atterrit-on sur une surface que l'on aurait jurée absente. Si l'on ajoute à ça les imprécisions de gameplay, le jeu se fait inutilement injuste et certains tableaux deviennent mille fois plus difficiles qu'ils ne devraient l'être.

Ces écrans peuvent être une horreur à parcourir, comme on n'est jamais trop sûr de l'endroit où se tenir (Wog & FoE).

Tout cela concourt à faire de ces jeux des épreuves bien plus longues qu'elles ne le sont réellement, ce qui augmente considérablement la durée de vie. Cela n'était certes pas rare au long de la période des 8-bits, et bien des jeux NES sont coupables des mêmes travers. En 1993 cependant, la chose était ouvertement anachronique, et le jeu exhibait un passéisme dérangeant. Tout compte fait, et si l'on connaît par avance la topographie du niveau et sa progression générale, on peut finir les épisodes en un peu plus d'une heure, peut-être deux : mais lors d'une première partie, on peut très volontiers multiplier par deux ou trois notre temps de jeu, nos parties étant surtout consacrées à la récolte de rubis et à des morts injustes, que rien n'aurait pu véritablement éviter.
La difficulté des jeux s'en ressent dès lors nécessairement, de même que leur rythme. Des deux, il m'a cependant semblé que WoG était un peu plus simple, et que ses phases de plates-formes étaient plus évidentes et moins horripilantes, mais peut-être n'était-ce qu'une impression : il faut dire que j'y ai joué en second, et que j'étais déjà habitué à certains des choix de gameplay. C'est en tous les cas un écueil dont il faut avoir conscience avant de commencer l'aventure, et qui ne s'arrange hélas pas avec le temps.

Le jeu est dépaysant et il présente un assez bon challenge. Il mérite d'être pris comme un jeu d'arcade plutôt que comme un jeu d'aventure (FoE).

I won!

Il y a, cependant, un prix de consolation à tout cela, et quel prix ! Bien entendu, et c'est ce qui est resté dans la légende, ce sont les séquences animées des deux jeux. WoG et FoE ont quelque chose comme une dizaine de minutes de séquences animées chacun, en ouverture et fermeture de l'aventure bien entendu, mais également lors de chaque rencontre avec un personnage. Mais ces séquences ont un style et un rythme bien à elles, étranges et baroques, qui ne peuvent pas laisser indifférent.
On doit ces séquences, sur lesquelles ont travaillé près de deux-cents personnes, au studio Animation Magic, compagnie à présent défunte qui fera par la suite l'animation de King's Quest VII: The Princeless Bride, jeu généralement bien plus apprécié. Pour l'anecdote, Animation Magic était une compagnie russo-américaine, une curiosité géopolitique de l'époque qui bénéficia de la chute du bloc de l'est, et je me refuse de croire qu'il y a dans ces séquences autre chose que la plus honnête des sincérités.

Oui, de la sincérité. Même du talent, je rajouterai. Tout dépend de votre définition de la chose, évidemment (FoE).

Les personnages sont vibrants de personnalité, ils bougent dans tous les sens, s'étirent et grimacent à la moindre occasion. La caméra se déplace constamment, s'approche malaisément des visages et des yeux, ou saute anarchiquement de personnage en personnage, qui se tortillent comme des marionnettes manipulées par un forain spasmodique. Le doublage n'est pas en reste, grand guignolesque et ridicule même si, à mon sens, la version française et la version allemande sont bien mieux réussies que la version originale anglaise, de loin celle qui fit le grand succès en ligne de ces séquences.
Mais c'est précisément l'étrangeté de ces animations, leur décalage au regard de ce que l'on attendrait de la série Zelda et ce, encore une fois, à l'instar de ce que faisait jadis la série animée, leur incongruïté, qui transforment ces séquences en des sortes de miracles qui, selon votre sensibilité, confineront soit au navet, soit à la nanardise. Je suis de cette seconde école, à n'en point douter : et mon rire est bien moins grinçant que d'autres tant j'apprécie, au tout premier degré, les qualités artistiques de ces dessins animés.

Par endroit, on n'est vraiment pas loin des délires expérimentaux des années 60 ou 70 (WoG & FoE).

Plus que le gameplay, fastidieux voire parfois raté, plus que la boucle de jeu, rapidement laborieuse, plus que la jouabilité, éminemment perfectible, s'il y a une raison de jouer à WoG et à FoE, c'est bien pour ces cinématiques. On leur excuse même de nous empêcher de comprendre l'intrigue : là encore, je défie quiconque de faire un résumé éclairé des enjeux de la partie tant les personnages sont introduits et disparaissent sans que l'on ne sache particulièrement qui ils étaient ou ce qu'ils voulaient, vocifèrent énergiquement et se transforment comme des monstres de l'antiquité avant de disparaître dans un nuage de fumée.
Je le redis alors, s'il y a bien une raison de poursuivre la partie, malgré l'ennui que l'on peut ressentir, occasionnellement, c'est celle-là. Tout comme on s'attache à une série médiocre, parce que l'on veut en connaître le twist, tout comme on papote pendant les dialogues d'un film d'action pour se taire pendant les explosions, on accepte de mourir à répétition et de collecter des rubis sans fin pour avoir la chance de voir la nouvelle étape d'animation, et aucune ne nous déçoit. J'irais même plus loin, et je vous déconseillerais de regarder les compilations que l'on trouve facilement, à présent, en ligne : ces séquences sont vos récompenses, comme le sont les cinématiques dans n'importe quel jeu, et on les apprécie d'autant plus lorsqu'on a bataillé pour les visionner.

Il est d'ailleurs heureux que l'on puisse revoir ces scènes comme on le veut, en reparlant aux personnages. De toutes façons, il faut parfois deux ou trois visionnages pour commencer ne serait-ce qu'à saisir ce qui se passe... (WoG).

We were just about to have a fest!

Alors, que fait-on de Link : The Faces of Evil et de Zelda : The Wand of Gamelon ? Déjà, pour s'en faire l'idée la meilleure, je recommanderai absolument la version Remastered dont je parlais en début d'article et qui polit les aspérités les plus moches de l'original. Nul besoin, avec cette version, d'utiliser l'épée pour ramasser les objets, les vies sont infinies, la maniabilité est améliorée, on peut à présent jouer en format 16:9, plutôt que dans le 4:3 premier. Il est bien entendu toujours possible de jouer aux épisodes dans les conditions premières, mais le gain de confort est tel qu'il serait absurde de passer à côté.
Cette version ne sauve pas, cependant, les problèmes les plus forts de rythme et de difficulté, et les jeux sont tout aussi injustes qu'auparavant. Mais, dirais-je et je le répète, ils ne sont pas plus injustes ou plus mauvais que bien des jeux de la NES ou même de la période où ils sortirent, au début des années 1990, et rien ne les empêche définitivement d'être parcourus aujourd'hui grâce à cette version Remastered.

Ces versions sont absolument prodigieuses, et témoignent d'un véritable amour des jeux originaux.

D'ailleurs, et cela doit être précisé, la critique n'avait pas été à l'époque si méchante que ça. Au pire, les jeux avaient été considérés comme plutôt moyens, mais certains journaux avaient été plutôt enthousiastes. Il est vrai que le support CD-ROM, encore une petite nouveauté, avait dû jouer là-dedans, particulièrement concernant les voix parfaitement audibles, malgré le jeu trémulant parfois des acteurs et actrices, et les musiques « de qualité CD », d'une écriture et d'une composition franchement intéressantes. Mais il faut rajouter les décors assez beaux, l'animation correcte et, ne les oublions pas, les cinématiques : tout cela participe à l'ambiance unique du jeu, et à son caractère si particulier.
Ces deux épisodes de Zelda ne sont pas, et c'est là quelque chose que je défendrai vraiment, des mauvais jeux. De « mauvais Zelda », sans doute aucun ; de mauvais jeux, je ne pense pas. Ils ont bien des défauts, et bien des erreurs de jugement, mais ils méritent d'être redécouverts. Ils sont des témoins privilégiés de leur époque, des hasards industriels comme l'histoire se plaît parfois à créer. Ce sont des jeux qui ont souffert d'un temps de développement et d'un budget réduits pour la licence qu'ils exploitaient, mais qui ont fait de leur mieux. Et ils méritent davantage qu'une ricanerie adolescente, ou qu'une moquerie honteuse.

Ahahah ! (WoG)
MTF
(04 mars 2023)
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