The Legend of Zelda II: The Adventure of Link / The Legend of Zelda II: Link no Boken (1987)
Famicom Disk System / NES - Nintendo
L'art de la suite
L'avantage d'écrire sur des jeux vidéo d'un autre temps, c'est que nous sommes capables de tirer des leçons du passé : et, ici, il est possible de dire que nous plongeons corps et biens dans un âge où Nintendo n'hésitait pas à surprendre les joueurs... et le semi-échec de cette tentative les invita à ne plus retenter cela à l'avenir. Seul épisode de la série, du moins jusqu'à ce jour (septembre 2013), à être numéroté et seul épisode de la série, encore une fois jusqu'à ce jour, à se colorer d'un aspect « jeu de rôle » plus prononcé, cette suite détone véritablement. Si, aujourd'hui, Zelda II apparaît comme le « vilain petit canard » de la série, un hapax véritable voire un accident de parcours, il faut se souvenir qu'à l'époque, et cela était d'autant plus vrai pour les joueurs américains ou européens, les « numéros 2 » sur NES ont toujours été propices aux expérimentations, n'en témoigne seulement que Super Mario Bros. 2 (Super Mario USA) qui est on ne peut plus éloigné du tout premier épisode du plombier. Mais si ce jeu est particulier également, c'est qu'il souffre quelque peu du « syndrome » Virtual Boy Wario Land ou Battletoads, c'est-à-dire que, généralement, les joueurs connaissent son existence, en savent les grandes lignes mais peu, finalement, y ont réellement joué. Que je me propose alors de remettre les choses à plat et, même, de lever un certain nombre d'idées reçues.
L'histoire prend place six années après le triomphe de Link sur Ganon. Tandis que ses sbires cherchent, en vain, à le ressusciter en faisant couler le sang de son destructeur, un curieux symbole en forme de triangle apparaît sur la main gauche de Link. Il va donc se renseigner auprès d'Impa et celle-ci l'amène alors dans un autre Royaume de la Terre d'Hyrule et, plus précisément, dans un mausolée. Là, depuis plus de mille ans, dort la toute première des princesses prénommées « Zelda » : eh non, dans cet épisode, nous ne sauvons pas la même princesse que précédemment ! Cette princesse de légende est victime d'un sortilège lancé par son frère, il y a fort longtemps. À la mort du Roi, ce dernier voulait qu'elle lui révèle l'emplacement de la Triforce et des triangles de Force, de Courage et de Sagesse. Son refus la conduisit à un sommeil éternel. Une prophétie, cependant, disait qu'un jour un jeune homme, portant sur sa main la trace de la Triforce, pourrait la réveiller. Impa, convaincue que Link est ce héros légendaire, lui confie alors six cristaux et lui demande de les poser au fin fond de différents donjons. Il pourra alors rentrer dans le « Grand Palais » (The Great Palace) et retrouver la Triforce du Courage, réunissant ainsi la Triforce entière (puisqu'il a encore les morceaux de Pouvoir et de Sagesse du dernier jeu) qui pourra accomplir son vœu le plus cher.
On ne meurt que mille fois
Si The Legend of Zelda avait été construit de façon à être le plus éloigné possible de Super Mario Bros., Zelda II s'oppose, quant à lui, directement à son prédécesseur : le héros n'est plus un enfant mais un adolescent, Ganon n'apparaît nullement si ce n'est à l'écran de Game Over, la majorité du jeu ne se fera pas en vue aérienne mais bien en vue de côté. Si le premier épisode s'inspirait des jeux d'action/aventure d'alors, celui-ci semble puiser une partie de ses influences dans la série Dragon Quest dont le premier épisode, en 1986, eut un succès considérable au Japon. Tandis qu'auparavant il n'existait aucune coupure sémiotique, peut-on dire, entre les phases d'exploration et de combat, les deux étant concomittants, ici, le joueur explorera tout d'abord l'Overworld menant aux donjons et aux villages mais devra souvent, soit en touchant un ennemi sur la carte, soit en visitant des endroits particuliers de celle-ci, réussir une phase d'action en deux dimensions. Cette nouvelle orientation, seule qui prévaudra lors de l'exploration des villages et des palais, rapproche fortement cet épisode de Mario, ce qui est logique, finalement : le contraire d'un contraire n'est jamais qu'un semblable. Au cours de ces phases, Link devra jouer de l'épée et de ses sauts pour affronter de nombreux ennemis, défaire d'odieux boss et progresser dans son aventure.
Chaque ennemi vaincu octroie à Link un certain nombre de points d'expérience, ce qui lui permet alors d'augmenter son niveau de vie, de magie ou d'attaque. Le joueur a le choix de la caractéristique qu'il veut augmenter, en postposant une amélioration spécifique, selon son style de jeu. Néanmoins, s'il est toujours possible de finir l'aventure sans se soucier d'atteindre le niveau maximum, il faudra, nonobstant la vie ou l'attaque, avoir assez d'énergie magique passé un certain stade pour pouvoir progresser et lancer certains sorts spécifiques nécessaires pour accéder aux dernières zones.
Autrement dit, le versant « action » de cet épisode ne dépend pas uniquement des objets récupérés comme auparavant mais également de vos différentes victoires face aux belligérants ; et il vous faudra sans doute, ci et là, multiplier les combats pour gagner quelques niveaux et ainsi survivre. Car le jeu, cela est devenu proverbial, est d'une difficulté aberrante. Les deux premiers donjons, pourtant, ne paient pas de mine. S'il faut un temps pour s'habituer à la maniabilité un peu lourde de Link du moins, bien plus lourde que celle du sautillant plombier par exemple, et pour apprendre à tenir compte de la portée médiocre de son épée, l'on ne rencontrera cependant pas d'énormes problèmes.
C'est alors que surgit La Montagne de la Mort (Death Mountain). Il s'agit d'un labyrinthe de cavernes au terme duquel vous obtiendrez le marteau, nécessaire pour briser des blocs de pierre et, ainsi, continuer votre aventure. Malheureusement, outre le fait qu'il est extraordinairement dur de se repérer ici, les ennemis sont d'une résistance infâme et nul doute que vous y perdrez de nombreuses vies... car oui, Link a à présent des vies, comme dans un jeu de plateformes des plus classiques. Cela ne change finalement que peu de choses car au moindre Game Over, vous reviendrez au tout début du jeu, au mausolée, ce qui représente parfois un très long chemin pour revenir à l'endroit de votre dernier échec. Mourir dans les palais vous ramène également au point de départ, et il n'y a que lorsque vous entrerez, finalement, dans le Grand palais, que le jeu montrera un peu de pitié en vous faisant redémarrer à son début.
La difficulté de Zelda II, malgré ce passage très marquant de la Montagne de la Mort qui aura surpris tous les joueurs d'alors, est sinon surtout condensée au sein de deux étapes cruciales : l'exploration des donjons et les combats face aux boss. En effet, le « monde de la surface » ici n'a quasiment aucun mystère, ce qui peut décevoir vis-à-vis du jeu précédent. Si ce n'est un village caché et quelques petits endroits destinés à vous faire découvrir une vie ou un sac de points d'expérience, il n'y a aura là rien de plus : la majorité du jeu se fait dans des cavernes ou dans les palais, tous labyrinthiques et s'étendant sur plusieurs niveaux, garnis de pièges retors comme des passages invisibles qui nous demandent de traverser les murs (sans pour autant qu'un indice vienne nous montrer que l'on peut le faire) et qui vous demanderont de dessiner, sur une feuille de papier, des cartes précises comme dans Metroid. Eh oui, hélas et pour répondre à votre question, il n'y a là nulle carte d'aucune sorte...
Mais ce n'est pas encore là le plus gênant. Non : les combats contre les boss seront, quant à eux, bien plus intenses. Des sorciers, des chevaliers en armure, des dragons vous attendront et, bien entendu, vous affronterez finalement votre propre ombre, Dark Link qui doit être l'un des boss les plus difficiles, tous Zelda confondus.
Finir Zelda II, même malgré la sauvegarde, est un tour de force. Les solutions, ici, sont d'une utilité toute relative car le jeu se fait bien plus bavard qu'auparavant : les nombreux villages disséminés sur la carte sont remplis d'habitants prompts à vous donner des indices sur votre prochaine destination voire sur les cachettes d'expérience ou de vies, on peut également s'y recharger en santé et en magie et leur ambiance, après tant d'excitation, est on ne peut plus reposante. Finalement, ce que l'on peut surtout reprocher à Zelda II, outre sa difficulté prégnante, c'est son intensité : il est comme tout orienté vers l'action et délaisse quelque peu l'exploration et le mystère au profit d'une aventure riche en émotions. Je pense que c'est surtout cela qui a étonné et qui étonne encore aujourd'hui les joueurs qui s'y essaient.
Car pour être parfaitement honnête, et si l'on oublie de le comparer au tout premier jeu et à ses suites, Zelda II reste, qu'on le veuille ou non, un grand jeu, au même titre que The Battle of Olympus (1988, Infinity) qui s'inspirera grandement de son modèle. Beau, doué d'un gameplay d'une superbe richesse que ce soit par l'intermédiaire des coups d'épée ou des sorts magiques qu'apprendra le héros au cours de son aventure et, évidemment, d'une difficulté certaine mais loin d'être insurmontable si l'on sait s'en donner la peine, il aura finalement souffert de la comparaison avec The Legend of Zelda qu'il n'a jamais su remplacer dans le cœur des joueurs. Aussi, si son influence sur la suite de la série est on ne peut plus lisible tant du point de vue de l'histoire (mention de la Triforce telle qu'on la connaît aujourd'hui, le symbole sur le main de Link) que du gameplay (barre de magie, sorts, villages...), les joueurs ont, semble-t-il et tacitement, accepté de l'oublier au profit d'épisodes plus « conformes » à leur représentation de la saga, à tort car il reste l'un des meilleurs jeux de la NES.