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Sega Saturn
Aujourd'hui star absolue des consoles d'occasion, la Saturn est passée à côté d'une reconnaissance qu'elle trouve aujourd'hui à titre posthume. Comme en est-on arrivé là ?
Par Laurent (01 décembre 2008)

Aujourd’hui, le marché des consoles de jeux est uniquement gouverné par les chiffres de ventes et les parts de marché. C’est une véritable jungle dans laquelle l’échec n’est pas permis, aussi bien pour les constructeurs débutants que pour ceux qui ont des décennies d’expérience derrière eux. Dans les années 80, l’atmosphère était un peu moins tendue et les prétendants au titre de leader moins nombreux, ce qui a permis à Sega de lancer sur une période de presque 10 ans une série de produits qui n’ont jamais vraiment trouvé leur public, sans pour autant jeter l’éponge. Il y a eu le Mega CD, extension pour Mega Drive lui donnant la possibilité d’utiliser le support CD. Un échec mémorable pour un système qui fait partie des pionniers dans son secteur. Ensuite, il y a eu le Sega 32X, qui faisait de la Mega Drive la deuxième console 32-bits de l’histoire (après le Commodore CD-32), et qui à son tour s’est planté. Enfin, la Saturn, console maudite s’il en est, qui est passée à côté du public d’une manière fort regrettable. Ironiquement, c’est alors qu’on célébrait son retour au premier plan avec la Dreamcast que Sega a finalement abandonné les consoles de jeux, comme si un rappel des impayés de cette triste période était arrivé entre temps. Aujourd’hui, un simple coup d’œil sur les sites Internet spécialisés dans les jeux vidéo, et surtout leurs forums suffit à voir combien la Saturn est recherchée, regrettée, voire adulée. C’est là, beaucoup plus que dans les courbes de rentabilité, que peut se lire l’impact d’une console ou d’un micro sur le public, et sa place dans l’Histoire des jeux vidéo.

Histoire de la Saturn : la guerre des 32-bits

Au début des années 90, les consoles de jeux se portent au mieux. Le crash de 1983 est oublié, et Nintendo et Sega se partagent un marché juteux. On est cependant à l’aube d’un grand tournant qui va faire de nombreuses victimes : l’avènement du CD-ROM. Ce support de données, appelé à remplacer la cartouche devenue trop chère et trop limitée dans ses capacités de stockage, va être au centre d’une guerre sans merci qui fera de nombreuses victimes et verra à son issue le marché du jeu vidéo totalement changé. Sega est un des premiers constructeurs à se lancer dans le CD-ROM, avec le lecteur Mega CD pour Mega Drive (appelé Sega CD aux USA). Cette extension est très prometteuse sur le papier mais le résultat, à savoir les jeux, est décevant. Bien sûr, le CD-ROM permet l’utilisation de séquences cinématiques, mais l’apport en matière de plaisir ludique est discutable, et les jeux développés spécifiquement pour le support, assez rares, sont accueillis froidement par la critique. Le 32X, extension 32-bits pour Mega Drive, ne fera pas mieux. Chez Sega, on comprend alors qu’il est temps de lancer un produit vraiment nouveau, une console 32-bits qui trancherait radicalement avec une génération de hardware qui touche sa fin.

On sait alors que depuis 1991 Nintendo étudie la sortie d’un lecteur de CD pour sa SNES, celle-ci subissant la concurrence de la Mega Drive. On sait aussi que ce lecteur, fabriqué en sous-traitance par Sony, finira par être refusé par Nintendo et servira de fondation au projet Sony PlayStation. Cette 32-bits, produite par un nouveau venu sur le marché des consoles, a tout pour s’imposer : une image fraîche, un constructeur aux reins solides capable de faire l’effort de marketing nécessaire, et le support de développeurs prestigieux. Chez Sega, on sent que la guerre des 32-bits, qui met également en scène Commodore, 3DO et Atari, va être terrible et que la survie des belligérants en dépendra. La course au développement commence, et rapidement, Sega décide de faire table rase de ces précédents produits. Bien qu’étant équipée d’un lecteur de CD-ROM, la nouvelle console ne sera pas compatible avec les jeux Mega CD et 32x. Baptisée Saturn, son hardware est imposant, et fait enfin la différence avec la Mega Drive, ce qui n’était pas totalement le cas des précédentes :

- 2 processeurs 32-bits Hitachi SH2 à 29 Mhz (l’organisation de la mémoire fait qu’ils ne fonctionnent jamais en même temps).
- 2 chips graphiques 32-bits, le VDP1 et le VDP2.
- Le VDP 1 est chargé de la 3d. Il peut afficher 500.000 polygones colorés à la secondes, et 200.000 polygones texturés à la seconde. Il supporte des effets 3d de base (Gouraud shading et texture mapping)
- Le VDP 2 est chargé des effets 2d classiques : sprites (en nombre presque illimité), scrollings, arrière-plans en couleurs 24bits etc..
- Les résolutions affichables sont de 320x224, 640x224 ou 704x480, le tout en couleurs 24-bits.
- Le processeur sonore (Motorola 68EC1000) dispose de 32 canaux et supporte des samples en 44Khz-16bits. Il dispose également d’un synthétiseur FM (Yamaha SCSP), d’un DSP Yamaha pour les effets d’acoustique, et supporte la lecture de CD-Audio.
- La console dispose de 2 Mo de RAM, 4 Mo de ROM et 1,54 Mo de RAM video.
- Le lecteur de CD-ROM (JVC) est un 2x (300 Ko/s) et utilise des CD-ROM de 660 Mo.

Ces spécifications techniques semblent très proche en termes de performances de celles de la PlayStation (à l’exception du son, largement supérieur côté Saturn, y compris par rapport à la Nintendo 64). Pourtant, la Saturn va se traîner durant toute sa carrière la réputation de console moins puissante que celle de Sony. Cela s’explique peut-être par la difficulté à la programmer, qui va pendant un certains temps empêcher les développeurs d’en tirer le meilleur parti (Sony aura le même problème plus tard avec la PS2). Il faudra notamment attendre très longtemps avant de voir les modes graphiques en 640x224 et 704x480 utilisés dans des jeux. Aujourd’hui, la réponse à la question concernant les puissances respectives de la Saturn et de la PSX trouve autant de réponses différentes que de personnes à qui on la pose. Deux choses restent certaines : le hardware de la Saturn a manifestement été "gonflé" à la hâte peu avant la sortie de la console afin d'éviter une comparaison désavantageuse avec sa concurrente. Les difficultés de développement rencontrées sur Saturn viennent certainement de ce réajustement technique. Dans le même temps, Sony préparait des outils de développement excellents pour sa console... La supériorité de certains jeux PSX sur leur pendant Saturn n'en est que plus compréhensible (faites un comparatif avec les versions de Tombraider, Resident Evil ou Wipeout, il n'y a pas photo). La deuxième certitude est que la Saturn, grâce au VDP 2, est imbattable pour les jeux en 2d.

Revenons aux débuts de la console : la Saturn est prévue de sortir au Japon en novembre 94, et aux Etats-Unis en septembre 1995. Pour ce qui est de la ludothèque, Sega mise évidemment gros sur les capacités 3d de sa machine, qui lui permettent de faire tourner des adaptations des hits de l'éditeur en salles d’arcade. On est alors à l’époque où Sega Rallye, Virtua Racing et Virtua Fighter cassent la baraque, et Sega est vu comme le pionnier du jeu en 3d rapide, jouable, apportant les mêmes sensations que les bons vieux jeux d’arcade d’antan sans que la 3d ne soit un handicap, le tout avec un rendu visuel sidérant. La possibilité de jouer à de tels jeux chez soi est un atout de poids, mais Sega ne s’arrête pas là, et fait un énorme effort de recrutement chez les développeurs externes : Capcom, Konami, bien sûr, mais aussi des Européens ou des Américains. Hélas, beaucoup sont déjà liés par des contrats d’exclusivité avec Nintendo ou Sony, et la Saturn devra dans un premier temps se contenter des miettes.

A sa sortie au Japon, pour les fêtes de fin d’année 1994 (en même temps que la PSX), elle est plutôt bien accueillie, mais on lui reproche son manque de jeux disponibles. Pour Noël, elle n’en propose que 5, alors que la Playstation en a 4 fois plus. De plus, la conversion de Virtua Fighter, très attendue, est une déception technique. Le jeu est excellent, mais ses graphismes sont moches, loin des capacités annoncées. Sega, qui doit absolument conquérir au moins 70% des parts de marché pour que le projet soit rentable et éponge les pertes causées par les précédents échecs, sent que seul un triomphe en terre américaine pourra lui permettre de passer en tête. Pour ce faire, la sortie USA est avancée au mois de mai 95.

Virtua Fighter et la Saturn japonaise

Cette décision est une erreur qui va coûter cher à Sega. Non seulement les développeurs sont pris de cours, et ne parviennent pas à finaliser les nouveaux titre à temps, mais en essuyant les plâtres, la Saturn permet à Sony de peaufiner sa tactique de lancement : à sa sortie aux USA, la Saturn est vendu 399$, un prix jugé trop élevé par beaucoup (et pourtant Sega a fait un effort, puisque le premier montant envisagé flirtait avec les 500$). Avec une ludothèque restreinte, les ventes de jeux ne permettent pas à Sega de payer le coût de la promotion. Du coup, celle-ci est insuffisante. Lorsque la PlayStation sort en septembre, elle est facturée 299$, dispose d’un catalogue de jeux confortable garni de titres très populaires, qui exploitent très bien les capacités de la machine et la font passer pour une bombe technologique.

Très rapidement, il apparaît qu’aux USA la Saturn est distancée par la PlayStation, qui devient en quelques mois le produit le plus branché qu’on ait vu depuis longtemps. Sega est à côté de la plaque et se voit considéré comme une figure du passé. De plus, ses clients les plus fidèles ont pour beaucoup été écœurés par la façon dont le 32X a été laissé pour compte dès que la Saturn est apparue. Cette extension pour Mega Drive s’est avérée au final n’être pour le constructeur qu’une source de liquidité pendant la phase de développement de sa 32-bits vedette.

Duke Nukem 3d et Panzer Dragoon

Peu après la sortie aux USA, la Saturn arrive en Europe, mal soutenue par une promotion qui s’est déjà recentrée sur le Japon, seul pays où les chiffres de ventes enregistrés sont corrects. Comparée à la PlayStation, la Saturn, telle qu’elle apparaît dans nos contrées fin-95 n’a rien pour séduire. Côté prix elle est compétitive (Sega ayant revu ses tarifs à la baisse contraint et forcé), mais les stands de démonstration laissent penser que Panzer Dragoon, excellent shoot’em’up en 3d mettant le joueur aux commandes d’un dragon, est le seul jeu à tourner sur la machine (on cherche en vain des étalages avec d’autres jeux).

La PlayStation, dont la ludothèque s’est enrichie de titres comme Ridge Racer, Destruction Derby ou Tekken, semble un choix évident. Les publicités pour la Saturn se limitent à une imagerie typiquement jeu vidéo, ciblant un public d’habitués, que le constructeur cerne mal, et le slogan Sega c’est plus fort que toi est trop présomptueux pour une société qui enchaîne bide sur bide depuis 5 ans sur le marché des consoles. Sony joue beaucoup mieux le coup sur la promotion, insistant sur la personnalité des joueurs et leur environnement plutôt que sur les jeux eux-mêmes. Les publicités pour la PlayStation parviennent à provoquer l’identification, donner la sensation que l’achat de cette console permet d’intégrer une communauté qui vit avec son temps. De plus, ces pubs ne manquent de montrer qu’un grand nombre de jeux excellents tournent sur la machine et le slogan ne sous-estimez pas la puissance de la Playstation est beaucoup plus conforme à la position du produit sur le marché.

La stratégie de Sega peut être considérée comme invalide, mais en fait l'entreprise a été victime de sa réputation et de son attachement à certaines valeurs commerciales. Les jeux Sega ont toujours été vus par leurs fans comme une sorte d’incarnation de l’esprit jeu vidéo. Des jeux faits pour les hard-core gamers, basés avant tout sur un plaisir ludique à la fois immédiat et durable. Il est tout à fait dans la logique maison que la Saturn et son marketing aient été adressés aux seuls joueurs. Sony, qui œuvre depuis toujours dans des créneaux grand public, aura eu l’intelligence de chercher à agrandir la clientèle habituelle des jeux vidéo en créant de toute pièce un phénomène de société (l’Histoire future dira si le jeu vidéo est finalement sorti grandi de l’affaire ou pas). La seule erreur de Sega est de ne pas avoir su s’adapter à cette nouvelle donne, tout en étant à la traîne dans certains secteurs du marché du jeu vidéo (notamment les consoles portables) trustés par son autre gros concurrent, Nintendo.

Pourtant, le temps passe, et la Saturn commence à disposer de très bons titres : Virtua Fighter 2, Fighting Vipers, House of the Dead, Sega Rallye Championship, Daytona USA, autant de jeux qui sont à la hauteur de ce qui avait été annoncé, sans parler des RPG, magnifiques, comme Panzer Dragoon Saga ou Shinning Force III, imprimés de façon indélébile dans la mémoire de ceux qui y ont joué.

Sega Rallye Championship et Shining Force 3

Il faut aussi signaler que la Saturn fut la première console à s’ouvrir au jeu sur Internet. Le modem Netlink, vendu séparément, permettait de jouer en réseau à certains titres, et donnait accès à des fonctions de e-mail, d’IRC, ainsi qu’au Web avec le logiciel PlanetWeb.

Toutes ces avancées ne resteront qu’à l’état d’embryon, et connaîtront un véritable essor avec la Dreamcast, surtout aux USA et en Europe, où la Saturn n’a pas vraiment eu sa chance. Certains des meilleurs titres de la console ne sont disponibles qu’en import japonais, comme Radiant Silvergun, Vampire Savior, X-Men Vs. Street Fighter, ou Marvel Vs. Street Fighter (de Capcom) ou encore les conversions de jeux Neo Geo par SNK, comme Thunder Force.

Ce problème de non-importation trouve sa source dans l’abandon progressif des marchés US et européen par Sega. Un an et demi après sa sortie, la Saturn commence à devenir un produit exclusivement nippon. Les possesseurs européens, rebutés pas la rareté des jeux et le prix des imports japonais, se débarrassent de leur console pour s’acheter une PSX, et la Saturn commence à envahir le marché de l’occasion, ou aujourd’hui encore elle est très présente.

La production de jeux pour l’Europe et les USA va continuer jusqu’en décembre 1998, date de sortie de Magic Knight Rayearth, l’ultime jeu Saturn exporté vers les US. Au Japon, la Saturn aura connu une carrière honorable, mais insuffisante pour rembourser les coûts énormes de son développement et de sa promotion à l’échelle mondiale. Cette ardoise finira même par faire partie des raisons qui ont poussé Sega, trois ans plus tard, à abandonner les consoles. La carrière de la Saturn s’arrête fin 99, après la sortie de la Dreamcast. Les possesseurs japonais de Saturn revendent alors illico leur machine et se précipitent sur la nouvelle bombe de Sega, si puissante et alléchante comparée à la PSX et la N64, d’autant que la PS2 est encore loin. Sega change une nouvelle fois ses batteries, et abandonne la Saturn, dont les jeux ne sont pas utilisables sur la DC.

NiGHTS into Dreams et Radiant Silvergun

Aujourd’hui, la Saturn est très vivante dans le cœur des joueurs, qui découvrent, mieux vaut tard que jamais, les centaines de jeux de son catalogue, parmi lesquels figurent de petites merveilles. On peut acquérir une Saturn avec plus de dix jeux pour une somme raisonnable, ce qui en fait une affaire très recherchée, même si la possibilité d'obtenir un modèle japonais est bien plus intéressante (et donc coûteuse). Quant aux jeux, ils font preuve, pour certains, d’une résistance étonnante aux ravages du temps. A l’esbroufe de la 3d sans substance ludique, trop courante à son époque, les jeux de la Saturn préfèrent s’en tenir à des recettes éprouvées, qui ont tendance à revenir en force aujourd’hui.

Conclusion

Si la Saturn a raté son rendez-vous avec les joueurs, ceux-ci lui accordent aujourd’hui le respect et l’amour qu’elle mérite. Son échec commercial coïncide avec une explosion du marché du jeu vidéo, dont l’ampleur égale, dans l’autre sens, celle du crash du même marché en 1983. Dans les deux cas, il y a eu des victimes et des vainqueurs. L’histoire des jeux vidéo retiendra cependant que si Sega a pêché par manque de soutien envers certains de ses produits, on ne peut pas lui reprocher de s’être moqué de ses clients sur la qualité des jeux. Même si la Saturn ne remplit pas les exigences actuelles en matière de graphismes en 3d, elle reste aujourd’hui une source de fun authentique que les connaisseurs apprécient, et toute personne qui aujourd’hui se sent triste que Sega ait abandonné les consoles (c’est à dire tout amoureux de jeux vidéo qui se respecte) se remémorera avec amertume son histoire.

Laurent
(01 décembre 2008)
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