The Legend of Zelda: A Link to the Past / Zelda no Densetsu: Kamigami no Triforce (1991)
Super Nintendo - Nintendo
Le chef d'œuvre de convention
Écrire sur A Link to the Past (ALTTP à présent), autrement connu, notamment sous nos latitudes sous le nom de « Zelda III » n'est pas une tâche facile. En effet, il est aujourd'hui reconnu comme étant le meilleur des Zelda en deux dimensions, voire le meilleur des Zelda « tout court » ou encore comme le « meilleur jeu de tous les temps ». Si ces conceptions sont toujours délicates à considérer, elles empêchent surtout d'avoir un regard serein et juste sur les qualités et les défauts de cet épisode qui aura marqué, dans tous les cas, lourdement son époque. Les publicités dans les magazines sont restées dans toutes les mémoires : on y voyait le squelette d'un adolescent, affalé sur un fauteuil devant un écran de télévision allumée et une manette à la main, et le slogan de nous demander combien de temps il nous faudra pour terminer ce jeu. Le principe a été décliné ci et là, notamment pour Street Fighter II (avec un adolescent plâtré de bout en bout cette fois-ci) et je m'en rappelle comme si c'était hier. ALTTP, bien qu'étant sorti assez tôt dans l'histoire de la Super NES, a connu en réalité un parcours assez similaire au tout premier The Legend of Zelda, première des ressemblances que l'on peut tracer entre ces épisodes, c'est-à-dire qu'il sera un jeu dont on ne cessera pas de parler année après année au même titre que Super Mario World : il est une forme de constance, chez Nintendo, comme si ces deux séries en particulier révolutionnaient, lors de leur sortie, la représentation du média telle qu'on le concevait alors. Et s'il fait partie, sans doute aucun, de mes jeux favoris puisque je pousse le vice jusqu'à le refaire chaque année depuis des lustres et si j'y suis particulièrement et sentimentalement attaché, il me faut le replacer dans l'histoire globale de la saga car il est, à la fois, le point d'arrivée et le point de départ de nombreux concepts ; et je pense que l'on ne peut pleinement comprendre la « philosophie » de cette immense saga que sont les Zelda, leurs ambitions ludiques et narratives, sans jouer à cet épisode.
Comme dit auparavant, le semi-échec critique et commercial de Zelda II invita les développeurs à revenir vers leurs premières amours et l'épisode fondateur qui avait su conquérir l'adhésion de tous. ALTTP peut donc tout d'abord se lire, et se concevoir, comme une version « améliorée » du premier épisode sur NES. L'on y retrouve donc la même vue aérienne, l'inventaire qui s'est ici considérablement enrichi (on triple le nombre d'objets utilisables en combat, sans parler de ceux constamment actifs comme les tuniques qui réduisent les dégâts reçus ou les gants qui permettent de soulever les rochers), on laisse de côté le système d'expérience qui ne reviendra plus jamais. En revanche, divers éléments venus du monde de The Adventure of Link reviennent faire un petit « coucou », les plus importants étant l'inclusion d'une barre de magie et la présence de nombreux dialogues et d'une trame narrative plus complexe qu'auparavant. Le manuel du jeu lui-même, richement illustré, nous présente l'histoire de cet épisode qui se veut une « préquelle », c'est-à-dire que se plaçant chronologiquement auparavant The Legend of Zelda. On nous raconte ainsi que la terre d'Hyrule a été créée par trois déesses qui laissèrent derrière elles un artefact sacré, la Triforce, dans un Royaume nommé la « Terre d'Or ». On disait que quiconque la trouvait pouvait exaucer ses vœux les plus chers.
Un jour, un brigand du nom de Ganondorf, dit « Ganon des voleurs enchantés » trouva par accident l'entrée vers cette terre sacrée et fit un vœu dont on ne connaît pas la substance ; mais sa soif de puissance fut telle qu'elle changea la Terre d'Or en « Monde des Ténèbres » et devenant ainsi Ganon (celui-là même du tout premier jeu), il décida d'envahir Hyrule. Sept sages, au terme d'une longue bataille connue à présent sous le nom de « Guerre du Sceau » parvinrent à repousser les hordes démoniaques et à enfermer Ganon au moyen d'une barrière magique dans le monde qu'il avait créé, semblait-il pour toujours. Peu avant le début du jeu, de grands malheurs frappèrent le paisible Royaume d'Hyrule : famine, gelées, invasion de bêtes sauvages. Le Roi fit alors appel à un sorcier venu du désert, du nom d'Aganhim qui réussit, en utilisant une magie jamais entrevue jusqu'alors, à sauver le pays. Devenu le conseiller du Roi, on raconte cependant à présent qu'il ourdit de sombres desseins et enlève plusieurs jeunes filles sans que l'on ne sache exactement pourquoi. L'histoire commence alors que Link, dans son lit, reçoit un message télépathique de la princesse Zelda, enfermée dans les geôles du palais royal, lui suppliant de venir la délivrer. Lorsque l'elfe se réveille, il entrevoit son oncle partir de la maison, harnaché comme un chevalier qui lui recommande cependant de rester au lit. C'est alors que le héros bondit de sa couche, et que le jeu commence enfin.
Il était assez rare dans un jeu d'aventure, à cette époque, d'avoir une telle densité narrative. Si les joueurs japonais avaient depuis longtemps l'habitude des jeux de rôles complexes et si les joueurs micro s'amusaient avec des aventures épiques, les joueurs console américains et européens, quant à eux, avaient davantage l'habitude des jeux « prétexte » et ne se souciaient guère de l'histoire. Pour la première fois sans doute, Nintendo proposait aux joueurs non pas de suivre une aventure mais bien de la vivre : et si l'on ne peut aujourd'hui que sourire face aux rebondissements écrits par les développeurs, il faut vraiment se rappeler qu'au début des années 1990, nous n'avions jamais vu quelque chose de tel.
Avec ALTTP, la mythologie de la saga est à présent entièrement écrite, et les jeux suivants ne feront qu'expliciter des détails de cette cosmogonie ou choisiront de partir dans une toute autre direction pour ne pas la toucher. Son importance est telle que ce jeu fut le tout premier, ou l'un des tous premiers sur console, à bénéficier d'une traduction française intégrale et d'excellent aloi qui plus est. Aussi, l'on joue en partie pour connaître le fin mot de l'histoire : et si les liens avec les autres épisodes sont pour le moins ténus, et si, à mon goût, les joueurs s'attacheront à l'avenir davantage à la chronologie des jeux – chronologie aussi fantasque que celle des Castlevania, par exemple, c'est-à-dire remplie d'incohérences et d'impossibilités –, c'est surtout à cause de ce jeu qui se voulait initiateur d'un mythe aussi puissant que celui, mettons, du Seigneur des Anneaux dans le domaine littéraire.
Le Magister dixit
Mais ALTTP a bien d'autres qualités que sa seule histoire. Les graphismes, envers et surtout, participent grandement à son charme et montrent réellement les qualités de la Super Nintendo vis-à-vis de la concurrence et notamment de la Megadrive. Les couleurs sont éclatantes, vertes, rouges, bleues ; l'animation est sans faille et garnie de petits détails rigolos, ce qui est un exploit compte tenu de la petitesse des sprites ; le jeu gère avec une malice non dissimulée des effets de transparence divers, que ce soit le brouillard des Bois Perdus ou les nuages de la Montagne de la Mort, ou n'hésite pas à gérer de la pluie ou du givre telle qu'on n'en avait jamais vue auparavant. Le fameux « mode 7 », cette technique permettant de restituer un effet de profondeur et qui avait été présentée avec F-Zero et Pilotwings apparaît également ponctuellement, que ce soit sur l'écran-titre avec ces triangles tournant sur eux-mêmes et qui donnent une impression tridimensionnelle, la gestion de la carte du Monde de la Surface sur laquelle on peut zoomer ou quelques petits éléments plus discrets, comme le fait d'entr'apercevoir, dans un donjon, l'étage inférieur à celui où l'on se trouve actuellement. ALTTP, rapporté à l'ensemble des jeux de la console qui ont souvent été impressionnants graphiquement (ne citons que Donkey Kong Country 2 ou Yoshi's Island pour mémoire), est véritablement magnifique et même en 1995 ou 1996, soit à la fin de la vie de la Super NES, son charme était réel. Ce n'est pas tant, je pense, que le jeu en mette réellement « plein la vue » mais sa direction artistique globale, son utilisation maligne de la technique, en font un véritable tableau d'inspiration naïve qui parvient à accaparer tout un univers enfantin de cahier de coloriage pour le transcender une toile de maître.
L'univers musical n'est bien entendu pas en reste, et il est temps ici d'en parler. Koji Kondo, compositeur d'exception notamment associé à la série des Mario, signe peut-être ici l'un de ses meilleurs albums. Que l'on ne se méprenne : son travail sur The Legend of Zelda ou Zelda II est tout autant admirable et leurs compositions sont restées longtemps en mémoire, mais l'on ne pouvait s'empêcher de le croire comme restreint par les capacités de la NES. Sur Super NES en revanche, il s'en donne en cœur joie. L'on peine, parfois, à se dire qu'il ne s'agit que de musiques « midi » car les pistes ont une véritable profondeur, un écho, une harmonie qui laisse pantois. Plusieurs genres se côtoient ici : le sautillant des plaines d'Hyrule, le mystère des palais, l'apaisement du village de Kokoriko, l'épique du Monde Noir... Tout fait profondément sens et vient prolonger l'expérience des décors et des graphismes.
Je pense que c'est avec ALTTP que j'ai enfin compris que la musique pouvait être, dans un jeu vidéo, davantage qu'un accompagnement agréable mais bien une façon de prolonger l'aventure et le gameplay en eux-mêmes. C'est à partir de là, également, que l'art musical deviendra la raison d'être de la saga entière au point d'être, ponctuellement, un ressort narratif du premier ordre comme on le verra bientôt.
Pour compléter ce joli tableau technique, parlons rapidement de la jouabilité. En soi, les bases du tout premier The Legend of Zelda n'ont guère évolué : un bouton est ainsi perpétuellement dédié à l'épée, le bouclier étant toujours actif du moment que l'on n'utilise pas un objet, et un second utilise un objet d'inventaire, figuré dans la case en haut à gauche de l'écran à côté de l'énergie magique. La manette plus complexe de la Super NES permet cependant d'allouer un bouton à l'apparition de la carte, qui possède à présent un menu entièrement dédié et un autre à une action « contextuelle » peut-on dire, qui permet généralement de soulever les rochers et, passé un certain stade de l'aventure, de sprinter droit devant soi pour traverser rapidement de longues distances et de percuter des arbres ou des murs pour en faire tomber des bonus.
Cette simplicité absolue est généralement suffisante pour progresser dans le jeu mais l'on remarquera que passé le milieu de l'aventure, la nécessité de changer d'objet d'inventaire régulièrement fait regretter de ne pas pouvoir en sélectionner plusieurs en une seule fois, par exemple par l'intermédiaire des boutons flippers « L » et « R » ; mais ce n'est jamais que du pinaillage tant la maniabilité a été pensée jusque dans ses moindres détails. Un mouvement supplémentaire, qui devenait nécessaire pour étendre l'univers, fait ici son apparition : la possibilité de se laisser choir d'une falaise pour atterrir en contrebas. Si la chose est rarement demandée finalement, elle permet cependant de donner une profondeur supplémentaire aux décors et peut être le point focal de plusieurs petites énigmes puisqu'il faut souvent calculer où nous pouvons choir pour atteindre une caverne autrement inaccessible. L'agilité du héros sera par la suite lourdement développée pour réinjecter une part « action » à la saga, pour notre plus grand bonheur.
Condamnés à être libres
Cependant, et malgré toutes ces nombreuses qualités et l'aura que le jeu possède encore aujourd'hui, de nombreuses voix se sont élevées récemment pour, je ne dirais pas « conspuer », mais minorer l'intelligence ludique de cet épisode. Et, quelque part, ces voix n'ont pas entièrement tort. En réalité, l'on s'aperçoit que Nintendo a cherché à prendre le meilleur de The Legend of Zelda et de Zelda II, à les mélanger pour en espérer en retirer la délicieuse moëlle. Et la chose est pour la grande part réussie ou, du moins, elle dissimule assez bien ses limites pour qu'elles n'apparaissent qu'au cours de nos futures parties. Aussi, l'inspiration du tout premier épisode se ressent dans cet appel de l'aventure, dans cette liberté sans limite aucune, croit-on, qui s'offre à nous dès le commencement de l'aventure. Après avoir libéré la princesse Zelda, ce qui fait office, en quelques sortes, de « tutoriel » aux principes du jeu en nous présentant à la fois le versant « action » par l'intermédiaire des combats et le versant « aventure » par l'intermédiaire des secrets à trouver et des mécanismes à activer, le joueur est libre d'explorer comme auparavant son univers. Une très grande partie de la carte est d'ores et déjà accessible, seule la Montagne de la Mort, qui demande à finir le deuxième palais pour être explorée, est inaccessible au commencement. Nous ne sommes pas loin de l'esprit du premier épisode sur NES où l'échelle était exigée pour explorer la partie ouest du Royaume.
Cette exploration, cependant, sera rapidement un échec pour le joueur car il s'apercevra que nombre de grottes ou de lieux lui seront inaccessibles car il n'aura pas, à ce moment-là de l'aventure, l'objet idoine lui permettant de trouver les secrets divers. Tandis qu'il était possible jadis de collecter déjà plusieurs cœurs et objets vitaux sans même avoir posé le pied dans un donjon, ici, ce n'est guère qu'un fragment de cœur et quelques bombes qui pourront être amassés. Il faudra au joueur suivre l'histoire pour qu'au fur et à mesure son champ d'investigation s'ouvre quelque peu. Cette logique de progression séquencée, liée aux objets obtenus et qui est l'arc-boutant de la série des Metroid dès ses débuts, nous renvoie alors à Zelda II bien que cet aspect fût moins développé ou, du moins, plus ponctuel qu'ici. C'est que l'histoire, ou la narration, a ici une place plus importante bien qu'elle n'y paraisse guère : il n'y aura ici qu'un seul et unique village, Kokoriko qui servira surtout à nous indiquer le chemin vers le tout premier palais, les autres personnages d'importance, sages et ermites, étant placés ci et là sur la carte.
Cela donne une impression étrange d'éparpillement, les interlocuteurs étant généralement en-dehors des zones d'habitation et même s'il est énormément de textes dans ALTTP, l'action finalement prédomine souvent. Les personnages se contentent de nous donner notre prochain objectif, qui apparaît alors clairement sur notre carte – même s'il faudra, parfois, louvoyer et trouver un chemin de traverse pour l'atteindre – et une fois celui-ci atteint, un autre apparaît et ainsi de suite. La liberté que l'on ressent alors en parcourant l'aventure, du moins lors des premières heures, est donc toute relative : mais cela est fait avec une subtilité telle que l'on ne s'en aperçoit que très tardivement. Contrairement aux Metroid, encore une fois, où l'on rencontre très régulièrement ces « barrière d'inventaire » et où, finalement, l'on peine à se détacher à cette logique de « couloir évolutif », ALTTP, peut-être parce que la proportion entre le personnage et le décor est plus grande, nous donne pendant longtemps l'illusion d'une parfaite liberté ce qui est déjà une franche réussite.
Cette illusion est d'autant plus grande une fois survenu le twist de l'histoire, que tout un chacun doit connaître à présent. La structure narrative de ce jeu a depuis fait école : Link doit, tout d'abord, parcourir trois temples et arracher Excalibur de son socle pour confronter le sorcier Aganhim. Mais celui-ci, une fois vaincu, expédie l'elfe dans le « Monde des Ténèbres » qui est une copie démoniaque du monde d'Hyrule. C'est alors huit temples supplémentaires qu'il devra parcourir. Si les premiers pas dans ce nouveau monde sont très balisés puisque l'on ne peut guère qu'aller vers le premier temple, une fois celui-ci terminé, l'emplacement des sept autres apparaît sur notre carte et c'est quasiment toute cette nouvelle carte que l'on peut explorer. Cette fois-ci, ce seront davantage les palais que l'on ne pourra finir dans l'ordre que nous le voudrons – même s'il est possible d'intervertir certains d'entre eux –, le Monde de la Surface étant, quant à lui, quasiment entièrement explorable dès le commencement.
Cette liberté est même dédoublée puisqu'à présent Link pourra circuler plus ou moins à sa guise entre les deux mondes. « Plus ou moins » car les règles sont assez strictes : si le héros peut, grâce à un objet, passer du Monde des Ténèbres à celui de la Lumière instantanément, ce qui permet d'atteindre des lieux autrement inaccessibles, il ne peut faire l'inverse qu'en trouvant des dalles magiques savamment dissimulées ci et là. Il en ressort alors que la composante « énigme », jadis dévolue surtout aux donjons, envahie également l'Overworld puisqu'il faudra souvent se creuser les méninges pour ne serait-ce que poursuivre l'aventure. Du reste, les développeurs réinjectent ce qui manquait peut-être à Zelda II, c'est-à-dire des secrets en nombre qui justifient l'exploration. Si la plupart des grottes dérobées ne contiennent que des rubis, une grande part dissimule des objets d'inventaire accessoires mais qui pourront vous aider à aborder certains combats, comme la Cape ou la Canne de Byrma qui vous rendent invincible tant que vous avez de l'énergie magique, et surtout des quarts de cœur qui augmentent votre barre de vie.
L'on prendra donc un grand plaisir, une fois le premier palais des Ténèbres terminé, à revenir méthodiquement sur nos pas et à explorer notre univers pour en découvrir tous les secrets et c'est là, je pense, que ALTTP récupère une partie de sa liberté perdue jadis ; encore une fois pour comparer la chose avec Metroid, si ce dernier ne vous propose cette quête des secrets surtout à la fin du jeu en vous demandant de faire un usage combiné de tous les objets trouvés au fur et à mesure de la partie, ALTTP prend un malin plaisir à introduire cette quête « parallèle » assez tôt dans sa progression ; et quand bien même faudrait-il bien attendre les derniers instants de l'aventure pour tout trouver, je pense qu'une fois le deuxième temple terminé et le Grappin obtenu (objet qui permet de traverser des gouffres en s'agrippant à divers objets), c'est la quasi-totalité des secrets que l'on peut récupérer. Un choix très intéressant qui sera reproduit à l'avenir et qui permet de véritablement moduler son expérience.
Les enfants de Dédale
Ce qui aura également marqué les esprits des joueurs, ce sont les donjons. Tandis que tous les autres aspects décrits ici étaient soit des évolutions attendues, soit des reprises d'éléments jadis exploités, l'exploration des palais est sans doute le point focal de toute l'aventure et il sera à présent un élément attendu et scruté à la loupe par les joueurs futurs. Ceux-ci sont d'une ingéniosité et d'une construction qui forcent le respect. À nouveau, leurs objectifs sont similaires à ceux du premier Zelda : l'on devra donc encore y trouver une Carte, une Boussole (qui, outre l'emplacement du boss, indique également les coffres à ouvrir) et un Trésor (une arme généralement, qui nécessite cette fois-ci de trouver une Grande Clé pour ouvrir le coffre qui le contient). L'on remarquera de façon plus systématique, même s'il est quelques incartades à cela, qu'il faut à présent utiliser le Trésor du Palais pour accéder au boss et, dans certains cas, pour le vaincre. Leurs structures, cependant, en font de grandes énigmes à part entière : s'étendant à présent sur plusieurs niveaux, étages ou sous-sols, ayant plusieurs entrées, il faudra souvent faire fonctionner ses méninges pour progresser. Généralement, et même si certaines astuces se retrouvent tout au long du jeu (comme le fait d'allumer les torches pour débloquer un passage), chaque donjon tourne autour d'un mécanisme en particulier et de son exploitation. Ce peut être, prosaïquement, un ennemi spécifique à un temple qui demande une astuce pour le vaincre ou un labyrinthe retors qui exige de trouver un passage secret, de sauter dans un trou ou de détruire un mur pour accéder à une nouvelle salle ; mais c'est aussi jouer avec des interrupteurs pour augmenter le niveau de l'eau et ainsi accéder à une haute échelle, utiliser une bombe pour activer un interrupteur éloigné, jouer avec des cristaux qui font lever certains blocs et en font disparaître d'autres sur plusieurs étages ou voltiger au-dessus du vide à l'aide de plates-formes que l'on doit faire magiquement apparaître.
Chaque donjon, de là, possède sa propre identité, son propre code couleur, ses propres ennemis : que les temps du projet « Adventure » nous semblent loin ! Ce ne sont plus, simplement, des « niveaux » mais des lieux nommés, le Bourbier de Souffrance, la Tour d'Héra, le Roc de la Tortue, la Forêt des Squelettes et, pour l'une des premières fois de la série sans doute, ils peuvent réellement poser problèmes aux joueurs. L'idée sous-jacente à la complétion des donjons est celle-ci : puisque le joueur a été capable d'y entrer, c'est qu'il possède assez d'objets d'inventaire pour le terminer. Il lui faut alors les exploiter on ne peut mieux : et tous les donjons ont quasiment au moins une pièce centrale avec cinq ou six issues, chacune menant à une autre salle et ainsi de suite jusqu'à enfin terminer l'aventure. Lors de mes premières parties, il m'était arrivé régulièrement de ne jamais trouver la Carte ou la Boussole, c'est vous dire à quel point les palais peuvent être retors !
Leur complexité est telle que les solutions de l'époque recommandaient de terminer le sixième palais avant le cinquième pour obtenir un objet permettant de résoudre plus facilement une énigme en particulier qui demandait, sinon, de jouer avec des interrupteurs sur quatre niveaux tout en poussant des blocs dans des fossés pour maintenir un bouton-poussoir appuyé. Aussi et comme auparavant, les solutions seront ici un plus nécessaire pour les joueurs et ce malgré le côté très « bavard » du jeu : et, comme jadis, la boîte contenait non seulement la carte du monde mais également un « guide du joueur » scellé, à n'utiliser en dernier recours qui délivrait les réponses aux énigmes les plus tordues de l'épisode. Si cela n'était pas suffisant, il faut rappeler que Nintendo entretenait un service d'aide par téléphone et je ne serai pas surpris d'apprendre que nombre de factures téléphoniques augmentèrent brutalement après l'achat du jeu pour le bambin de la famille.
Je pense que ces donjons sont, encore aujourd'hui, les plus intelligents jamais dessinés dans un jeu vidéo et les autres Zelda ne chercheront jamais qu'à reproduire non seulement l'ambiance mais également les astuces de celui-ci : autrement dit, si vous avez fini ALTTP, vous pourrez affronter sans difficulté tous les autres jeux de la saga... du moins, vous aurez assez de bouteille pour entrer dans l'esprit des concepteurs.
Le chef d'œuvre véritable ?
Revenons alors à ce que nous disions plus haut : ALTTP est-il encore cette pierre angulaire, cet incontournable du média tel qu'on nous le présente encore ? Il a pour lui, il faut le reconnaître, de très solides arguments : beauté, variété, intelligence. Seule peut-être sa difficulté est à discuter : bien moins dur, évidemment, que Zelda II ou même, je trouve que The Legend of Zelda, il pourra surprendre ponctuellement le joueur, surtout au début du Monde des Ténèbres et lors des deux derniers donjons, très, très longs et complexes qui exigeront sans doute de vous de conserver une fée dans un flacon pour ressusciter au cas où un accident surviendrait. Reste cependant cette question, discutée en longueur, de la « liberté » de la progression. Nintendo voulait ménager la chèvre et le chou et force est de constater, encore une fois, que lors d'une première partie, si l'on ne cherche pas spécifiquement à faire jouer la comparaison, que la chose fonctionne on ne peut mieux. Le pot-aux-roses est finalement découvert au cours de nos relectures mais il se dégage malgré tout de cet épisode, de la même façon que pour Super Mario World par ailleurs, une aura toute particulière qui en fait une étape marquante du média.
Car il y a eu, qu'on l'accepte ou non, un « avant » et un « après » ALTTP : les joueurs exigèrent après lui des ambitions narratives plus développées (je pense que son succès invita Nintendo à offrir aux joueurs américains et européens surtout des jeux comme Secret of Mana ou Secret of Evermore), des énigmes plus intelligentes, des quêtes plus épiques. De la même façon que le tout premier Zelda avait révolutionné en son temps le genre de l'action/aventure, ALTTP a ouvert un champ des possibles qui a modelé fortement le paysage vidéoludique tel qu'on le connaît aujourd'hui et c'est la raison pour laquelle son statut de « chef d'œuvre » ou de jeu « culte » n'est pas usurpé pour deux sous. Il ne faudrait cependant pas que ces étiquettes nous empêchent, nous autres joueurs, de garder un regard clairvoyant sur les qualités et les défauts de ce titre, aucun jeu ne pouvant prétendre à la perfection absolue. Sa jeunesse éternelle cependant, son univers chatoyant et son intelligence intemporelle en font une pierre angulaire du média et l'on ne saurait, je pense, comprendre pleinement non seulement ce qu'est un jeu vidéo mais, aussi, ce pourquoi nous sommes aussi passionnés pour ce média, sans y avoir joué au moins une fois.