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Virtua Tennis
Année : 2000
Système : Arcade
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Sport
Par Thomas V. (17 avril 2006)

Au service, SEGA !

S'il y a bien une chose énervante avec les bornes d'arcade, c'est la faible durée des parties, surtout lorsque l'on découvre un jeu. Le problème c'est que le prix des jetons, notamment dans les salles "La Tête Dans Les Nuages", n'incite pas vraiment à la découverte, c'est-à-dire au gaspillage nécessaire de 3 ou 4 crédits avant de maîtriser la bête. Résultat : on a tendance à tourner sur les mêmes jeux pendant des mois, pour moins avoir le sentiment d'être pris pour une vache à lait.

Et puis un jour, il se produit un évènement rare : la découverte d'un jeu différent. Ce jeu-là, ce fut Virtua Tennis. Premier signe distinctif, qu'il partage avec Virtua Striker : des parties "longues". On en a pour minimum 5 minutes de jeu au première crédit. Ensuite, la prise en main est enfantine. 2 boutons, un stick, au moins on ne se complique pas la vie. Enfin, et c'est là qu'intervient le génie de Sega : l'alchimie parfaite entre les éléments que sont les possibilités de jeu, le fun, la prise en main, la difficulté et l'ambiance... Une véritable claque, à cette époque pas si lointaine où Internet n'était pas encore arrivé dans autant de foyers qu'aujourd'hui, et où l'on pouvait encore être surpris par une nouveauté sans avoir des screenshots et des vidéos à profusion, tout au long de son développement. Comme Crazy Taxi à cette même époque, Virtua Tennis est de ce genre de jeux qui marque clairement le gouffre entre ce qui est disponible chez soi (Playstation, N64, PC 3DFX) et l'avenir : le système Naomi-DC.

En quelques mots, avant de rentrer plus dans les détails, l'impression qui se dégage quand on aborde Virtua Tennis, c'est sa déconcertante aisance sur tous les plans. Les mouvements sont fluides et variés de manière à ce que le joueur se prenne vraiment pour un champion de tennis, tout sort très facilement, le joueur n'est pas agressé en permanence par des effets sonores, les menus sont calmes, il n'y a presque pas de musique. Si le propre de certains jeux d'arcade est de proposer une expérience physique au joueur, celui-ci y arrive à merveille en inversant les codes établis.

À cela il faut ajouter le fait que le tennis est à la base un sport qui repose sur l'échange, ce qui suppose une sorte de "prise en main" par le jeu : au foot, à la course, au tir-à-zombies ou au rambo-like on fonctionne de suite de manière plus binaire, même si le but ici reste de frapper dans cette p... de balle pour que l'autre c... d'en face ne la rattrape pas. Passé cette petite note d'intention, on peut entrer plus en détails dans les entrailles de mon GD-ROM le plus utilisé (non, non, je ne dépense pas 2 euros chaque fois que je veux jouer à ce jeu, d'autant qu'à 2, ben c'est 2 fois plus cher).

1st service

En parallèle à la création d'un jeu de tennis, Sega a tenté une expérimentation pour le moins bizarre, fondée sur le même moteur de jeu : Cosmic Smash. S'il fallait décrire le jeu, je dirais que c'est un mix entre du squash et du casse-briques dans une ambiance à la Rez. Aujourd'hui, ça peut paraître génial pour un retrogamer déviant qui écoute des standards du jazz et de la country rejoués sur un C64 dans sa chaîne hi-fi Bang&Olufsen, mais cela peut aussi laisser l'impression que Maître SEGA ne s'est pas trop foulé. Hors de question d'espérer faire se ruiner des joueurs à grands coups de parties à 10 balles pendant des mois, de vendre la chose à 60 euros pour qu'ils l'amènent chez eux, ou de la décliner en suites parce qu'un joueur, c'est fidèle. Sega a donc décidé, dans un extrême mouvement de sagesse caractéristique de sa période post-saturnienne, d'habiller chaudement sa création. Autant dire que le paquet a été mis : Virtua tennis (oui, oui, c'est de ce jeu qu'on parle !) a pour lui de très beaux graphismes "réalistes", des courts variés, la licence de quelques grands noms du tennis de l'époque (Pioline, Kafelnikof...) et un gameplay accrocheur.

15-0

Je vous l'ai dit plus haut, il n'y a que 2 boutons en tout et pour tout dans Virtua Tennis : un pour les coups directs, un pour les lobs. Le tout est géré très intelligemment par l'ordinateur afin de ne pas vous enfermer trop vite dans un jeu basique. Ainsi, le type de coup que vous sortirez dépendra de plusieurs paramètres sur lesquels vous avez le contrôle : pression plus ou moins longue du bouton, anticipation du coup et placement. La direction contrôle le côté où vous placerez la balle, et la longueur de votre coup, de sorte que vous puissiez faire des amortis. On sort ainsi systématiquement le coup que l'on voulait OU que l'on aurait sorti dans la réalité (dans les moments où l'on n'a pas le choix). La seule réserve provient du fait que les effets sont gérés de façon très sommaire (on ne les contrôle pas, en gros), et qu'il est dur de réussir des coups décalés. Les services sont eux aussi gérés très simplement : on appuie pour remplir une jauge, on appuie à nouveau quand la puissance du coup convient et c'est parti !

L'intelligence du gameplay rend possible des styles de jeu très variés : le fond de court, l'attaque, le service-volée... Le choix du tennisman (les femmes n'arriveront que dans Virtua Tennis 2) est aussi déterminant, puisque chacun est doté de caractéristiques particulières. N'y connaissant vraiment rien en tennis, je ne sais pas si elles ont été choisies arbitrairement ou non : Pioline est complet, Moya puissant, Philipoussis est un "grand serveur", Haas a un coup droit puissant, Johansson est rapide, Courier a des "coups variés", Kafelnikov a un bon revers et Henman est un volleyeur hors pair.

Outre le "plus", les joueurs sont très bien différenciés concernant d'autres caractéristiques que sont la puissance, la vitesse ou la capacité à jouer "placé" en toute circonstance. La version console vous propose de débloquer 10 autres tennismen : 8 "normaux", qui se payent quand même le luxe d'être pour la plupart bien meilleurs que les vrais, et 2 personnages cachés aux noms évocateurs : Master et King.

Le tennis, un sport courtois ?

Variété semble être le mot qui a présidé à la conception du jeu. Le niveau d'un joueur se détermine donc d'une part dans les attributs essentiels de tout bon tennisman : le placement, l'anticipation, la technique (on est bien aidé dans son apprentissage par l'IA) et d'autre part dans la capacité à surprendre son adversaire. C'est, plus que la chance, ce qui départage 2 joueurs d'un même niveau. Passé un certain temps, le jeu contre un humain s'apparente d'ailleurs bien plus à un jeu de baston, où chaque coup est d'une utilité vitale mais ne peut être employé qu'à un moment précis sous peine de punition directe par l'adversaire. L'exemple le plus radical est le lob. On l'utilise lorsque l'adversaire est au filet. Bien placé, il est fatal presque à chaque fois. Le problème, c'est qu'il faut pour cela lui donner une puissance suffisante : trop faibles, l'adversaire va les rattraper au moyen d'un smash, trop puissant, la balle sera "out". C'est donc une arme à double tranchant, qui n'est pas sans rappeler certaines furies dans les jeux de fight.

Sur des surfaces "traîtres" comme la terre battue, il faut chercher à piéger son adversaire en alternant balles longues et amortis, frappes décroisées, services puissants et très faibles... Puisque j'en suis à comparer Virtua Tennis avec un jeu de combat, je dirais qu'on pourrait établir un rapprochement avec Dead or Alive. Le gameplay est riche tout en restant accessible (il serait difficile de faire plus simple), absence d'élitisme qui a certainement contribué à installer le jeu parmi les titres-phares de la Dreamcast, et tranche par ailleurs avec une certaine tradition propre, à mon avis, aux jeux d'arcade en général. Le CPU ne triche pas, même en Very Hard, il dispose des mêmes armes que le joueur lambda (qui peut potentiellement sortir tous les coups du jeu à la première partie). À chaque défaite, on sait donc pertinemment pourquoi on a perdu, ce qui permet de très vite identifier ses défauts et d'y remédier.

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C'est beau de se perdre dans le royaume idyllique du gameplay parfait, certes, encore faut-il parfois en revenir aux considérations bassement matérielles des moyens visuels et auditifs qui vont permettre au joueur d'en savourer les richesses... Premier choc : c'est beau ! Rarement auparavant avait-on pu voir un tel niveau de détail dans un jeu de tennis : les différents revêtements sont très bien rendus, vos échanges laissent des traces ("voui, tu sais, le lob que je t'ai mis tout à l'heure, on voit encore la marque"), des nuages assombrissent périodiquement le ciel (superbe effet), l'animation des arbitres et ramasseurs de balles à fait l'objet du même soin que celles des joueurs... Et puis, il y a cette fluidité d'animation : bluffante, même encore de nos jours. On retrouve donc toutes les caractéristiques du style Dreamcast, à savoir que c'est super fin, sans aliasing, fluide, sans chargement... au prix de textures plutôt simples.

Quant à l'ambiance sonore... ben, disons qu'il vaut déjà mieux oublier les musiques, quelconques au possibles. Les bruitages de la raquette qui frappe la balle sont un peu bizarres. Dommage qu'on n'ait pas droit à ce petit bruit si caractéristique des dimanches après-midi sur le central de Roland Garros en compagnie de Gérard Holtz... Les voix des arbitres changent selon le pays dans lequel on se trouve. On a droit à l'inévitable voix française, du même niveau que celle de Out Run 2 : vous n'avez pas fini d'essayer de la refaire...

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Pour exploiter dignement les capacités de son bébé, Sega s'y est pris de manière très classique. Un mode arcade (5 matchs sur des revêtements différents, contre un vrai tennisman) et le traditionnel mode exhibition, permettant de customiser sa partie : nombre de jeux, simple ou double, sélection du court et de son adversaire.

Les solitaires passeront énormément de temps sur le mode World tour, qui consiste en une succession de matchs en simple et en double (avec un ordi vraiment très bête comme coéquipier) et d'épreuves d'entraînement franchement pénibles. Finir ce mode est quelque peu usant pour les doigts et le moral, tant ces épreuves paraissent difficiles : vous devez vous retaper 3 fois le même exercice, avec à chaque fois une petite difficulté supplémentaire. "Press Start to retry" comme dirait l'autre...

Il est cependant nécessaire de tout terminer pour débloquer les personnages supplémentaires, les courts, les tenues, les tenues cachées (il faut faire des temps délirants dans les épreuves d'entraînement), et espérer affronter King : pour le débloquer, il faudra le vaincre. Quoi qu'il en soit, si le jeu solo présente un intérêt certain, c'est bien à 2 joueurs (voire plus pour les chanceux qui jouent en double) que Virtua Tennis doit être pratiqué pour en apprécier toute la richesse.

Game, set and match

Ecrire l'épilogue de cet article est une souffrance. Pourquoi ? Parce que s'amuser à résumer les qualités d'un tel jeu pour aboutir à la conclusion qu'il mérite d'être considéré parmi les meilleurs de sa catégorie, c'est écrire un énième épitaphe à la Dreamcast. Car ce jeu, avec d'autres comme Crazy Taxi, Rez, MSR, Jet Set Radio est l'illustration parfaite du talent de Sega durant la période où cette boîte savait encore être géniale. En l'espace de quelques années, après des erreurs inouïes, Sega a relevé la tête avec la console à la spirale, et puis plus rien.

Virtua Tennis a donc le double intérêt d'être le digne représentant d'une époque (ma préférée dans l'histoire des jeux ?) et un jeu excellent avant tout.

Thomas V.
(17 avril 2006)
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