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Vingt ans de Grospixels - JC
Cheville ouvrière du site, JC a pris en charge bien des aspects de la programmation du site. C'est aussi un joueur chevronné, qui revient sur ses vingt dernières années.

1) Qui étais-tu il y a vingt ans ?

En 2000 j'étais encore étudiant, et je n'étais plus vraiment un joueur. Moi qui pratiquais très régulièrement les jeux vidéo depuis le milieu des années 80, autrement dit depuis mes 6 ou 7 ans, j'ai considérablement réduit cette activité entre 1996 et 2001. La raison initiale est une opération des yeux, qui m'a tenu éloigné des écrans pendant un long moment. Mais à cette même époque, je trouvais les jeux (32-bit) souvent bien laids voire illisibles, et au maniement plutôt hasardeux en termes de, disons, "spatialisation 3D". Bon, soyons honnête, ma vue y était surement pour beaucoup. Je me suis donc surtout contenté de jouer de façon occasionnelle sur PC, essentiellement à des point'n click, ainsi qu'à mes consoles 8 et 16-bit vieillissantes... Si encore aujourd'hui je persiste à considérer la 32-bit comme une période sombre de mon parcours vidéo-ludique, j'ai toutefois su mettre beaucoup d'eau dans mon vin et avec le temps, (re)découvrir de nombreuses perles... En fait, il aura fallu la Dreamcast et certains jeux N64 et PS2 pour me réconcilier avec la 3D. Le bon côté, c'est que les graines du retrogaming étaient plantées, et lorsque j'ai eu internet début 2000, je me suis autant intéressé à l'émulation qu'à l'actualité, si ce n'est plus.
En parallèle de cette période où je jouais peu, je n'ai pas pour autant délaissé les jeux vidéo, puisque j'en ai « développé » quelques-uns ! Bon je mets des guillemets car les plus aboutis n'ont pas dépassé le cadre de la grosse démo jouable (via des logiciels comme Klik'n Play ou The Game Factory), mais je me suis beaucoup amusé à créer tout ça. L'aspect créatif était très stimulant et touchait à plein de domaines différents : graphismes, composition musicale, programmation, écriture... Je me souviens même avoir pris des tonnes de photos (à l'ancienne, en argentique, bonjour le budget) pour un jeu d'aventure horrifique en vue subjective façon Myst, se déroulant dans la région havraise, notamment dans l'Abbaye de Graville située près de chez moi. Les badauds devaient me prendre pour un fou, à photographier des escaliers et autres éléments de décors sous tous les angles tous les 5 mètres...

Le shoot'em up "Paradox" (1997), et une énigme du jeu d'aventure "Chaos Chorus" (1996). Deux productions célèbres *ahem* du studio havrais Five O'Clock

2) Quel était ton jeu préféré alors ?

Houlà je ne sais plus, mais vu le contexte, c'était surement un point'n click... The Curse of Monkey Island m'a laissé un excellent souvenir, de même que les Chevaliers de Baphomet et Les Boucliers de Quetzalcoatl. Le très insolite Sanitarium m'a beaucoup marqué aussi... Mmmm... En y réfléchissant bien, le jeu qui m'a vraiment marqué à l'époque même si je n'en avais pas encore conscience, c'est sans doute Riven/Myst 2 ! Encore aujourd'hui, je le considère comme le jeu le plus abouti du genre qu'il investit. Même si, sur bien des aspects, d'autres jeux ont sans cesse fait évoluer le principe du Myst-like, Riven en a (im)posé les fondements, plus que Myst lui-même. Il faudra attendre Obduction (2016, des mêmes auteurs), pour qu'il trouve enfin un vrai successeur selon moi.

Riven (1997, Cyan Worlds, Inc.)

3) Si tu devais choisir deux moments marquants de l'histoire du jeu vidéo entre 2000 et aujourd'hui, quels seraient-ils ?

Tout d'abord, la première Xbox, et par extension la Xbox 360, qui m'ont tellement convaincu que j'en ai délaissé le PC au profit des consoles de jeu (du moins jusqu'en 2014 où mes goûts m'ont inévitablement ramené sur PC). Ses apports, comme la démocratisation du multijoueurs sur console, font partie de mes meilleurs souvenirs de joueur. Aaah, les fameuses sessions Live grospixelliennes du samedi après-midi, sur des chefs d'œuvres comme Project Gotham Racing 2 ! Les « achievements » étaient eux aussi très intéressants, même si tous les jeux n'ont pas su les exploiter correctement. Pour finir, le Live Arcade, catalogue dématérialisé de « petits » jeux, souvent à 5€ ou 10€, qui auraient été inaccessibles autrement...
Comme autre fait marquant, je citerais le moment où le dématérialisé est devenu la norme, symbolisé par la soudaine toute puissance de Steam sur PC, mais aussi par les boutiques virtuelles sur consoles lorsque tous les constructeurs s'y sont mis. Plusieurs éditeurs ont leur boutique aussi, désormais... Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet (et on va sans doute y revenir un peu plus bas ^^)

Source : Microsoft (publicité pour l'abonnement Live Gold).

4) Ça veut dire quoi, « retrogaming » pour toi aujourd'hui ?

De base, le retrogaming est le fait de pratiquer un jeu vidéo tournant sur un système qui n'est plus exploité commercialement. En caricaturant, un retrogamer est quelqu'un qui joue à un jeu sorti il y a plus de dix ans... Mais cette définition reste limitée. Aujourd'hui il n'y a plus de gap entre deux générations de machines, comme il pouvait y en avoir il y a 20 ans. Les jeux sont plus beaux, la puissance permet quelques options inédites, mais le gameplay n'évolue plus autant qu'avant. Par exemple, j'ai personnellement du mal à considérer qu'un jeu comme Assassin's Creed (2007) appartienne au retrogaming, surtout comparé aux épisodes suivants. Il n'est pas rétro, juste vieux de 13 ans. On en arrive au point où lorsque des jeux ressortent en version HD sur les consoles de la génération suivante, pour étoffer un catalogue qui serait autrement bien vide, on n'a pas spécialement l'impression de jouer à un jeu ancien...
À l'inverse, il y a 20 ans, lorsque deux jeux étaient séparés par 13 années d'existence (en l'occurrence 1987 et 2000), ils étaient totalement incomparables... Si on ajoute à ça la mode neo-retro, qui brouille encore la frontière en proposant des jeux récents répondant à beaucoup de critères de jeux très anciens, alors réduire le retrogaming à une simple question d'âge ne paraît plus suffire. Bref, pour moi, le retrogaming aujourd'hui, c'est à la fois un jeu ne tournant plus sur les supports modernes, et un jeu proposant des mécanismes qui ne sont plus d'actualité.

Stories Untold (2017, No Code)

5) Quel jeu as-tu découvert grâce à Grospixels ?

Il y en a des tonnes. Littéralement. Bien que le résultat n'ait pas toujours été heureux, je n'ai jamais hésité à sortir de ma zone de confort, et j'ai de facto découvert beaucoup de jeux sur la simple base que le forum et/ou un article de Grospixels l'évoquait en termes positifs. Je pourrais citer Metropolis Street Racer, Shenmue, Jet Set Radio, Crazy Taxi, mais bon là j'aurais plus vite fait de citer directement la Dreamcast, ma première console Sega, achetée bien que son sort fût déjà scellé, parce que le forum en disait du bien ^^.
Allez, je vais en citer un dernier : Rez. Tôt ou tard, j'aurais surement eu une Dreamcast, même sans Grospixels. Et j'aurais fini par jouer à tous les jeux Dreamcast auxquels j'ai effectivement joué... sauf Rez. Il ne me tentait pas du tout, les reviews internet de l'époque étaient mitigées et plutôt condescendantes, et sans les avis sur le forum ainsi qu'un article de nos petits camarades de chez push-start (qui pastichait l'article officiel de jeuxvideo.com), je ne lui aurais jamais laissé sa chance. Et ça aurait été fort dommage.

6) Quel article as-tu toujours voulu écrire ?

Parmi les articles que j'ai bel et bien écrits, je dirais ceux consacrés à Trilobyte (The 7th Guest, The 11th Hour, Clandestiny). Ils auraient d'ailleurs du être suivis d'un autre triptyque, dédié à Tender Loving Care, Point of View, et une longue analyse ayant pour thème The 7th Guest III et tout ce qui a gravité autour depuis 20 ans. Malheureusement, un récent crash de disque dur a atomisé mes brouillons, pourtant très avancés... Difficile pour l'instant de trouver la motivation de tout recommencer de zéro, mais qui sait.
Parmi les articles que j'aimerais écrire un jour, j'ai depuis très, très longtemps, un projet de dossier dédié à la musique interactive / évolutive / synchronisée, qui tourne à l'arlésienne car je ne veux pas me rater : c'est un sujet qui m'est très cher. Pour vous donner une idée, j'ai débuté la musique en fabriquant mes propres instruments, là encore vers 6 ou 7 ans. Par exemple, j'avais notamment piqué les verres de la cuisine pour les remplir à différentes hauteurs, j'ai aussi détourné les casseroles pour en faire une batterie, je m'étais même fabriqué une contrebasse avec un seau, un balai et une grosse ficelle (croyez-le ou non, ça marche vraiment bien !). Sans le savoir, je faisais mes premiers pas dans la musique concrète, et par extension la musique diégétique, les deux points de départ vers une interactivité entre la musique et son auditeur. Dans le domaine du jeu vidéo, j'ai rêvé de musiques interactives bien avant des tentatives officielles telles que le technologie iMUSE de LucasArts. Le sujet me fascine littéralement depuis toujours. Problème : depuis ma première ébauche sur le sujet il y a presque 20 ans (!), tout évolue, beaucoup et très vite. Les jeux, mais aussi les critiques. Sur Youtube, notamment, on trouve beaucoup d'analyses sur les jeux vidéo et la musique, parfois à un niveau très poussé. Il devient très difficile de traiter le sujet de façon correcte et sans répéter ce qui a déjà été dit ailleurs, souvent mieux que je ne pourrais le faire...

Illustration du monde de la musique d'un prototype annulé de Rayman 4.

7) Pourquoi venir sur GP en 2020 ?

Parce qu'il représente une certaine vision du web qui s'est doucement perdue avec le « 2.0 ». Les articles sont toujours écrits avec passion, et la plupart se veulent intemporels. En furetant parmi les articles et dossiers du site, vous pourrez toujours tomber sur une perle vidéo-ludique à découvrir ou redécouvrir. Souvent, je me dis que Grospixels a raté le train du 2.0 et qu'on aurait pu, par exemple, faire de bonnes vidéos pour traiter tel ou tel sujet. Mais en fait, je tire une certaine satisfaction à me dire que l'on fait encore ça « à l'ancienne ». Si on le compare à une vidéo ou un podcast, un texte a une rythmique particulière, plus lente. On peut s'y permettre beaucoup plus de détails, d'apartés, sans perdre le lecteur en route. Et puis, il y a déjà bien d'autres vidéastes qui font de l'excellent boulot (coucou Les Jeux du Passé, Gros Nenesse, Docteur Ritournelle, Lord Paddle, et j'en oublie, je vais me faire disputer...).
De son côté, le forum est moins actif qu'il y a dix ans. Mais il est toujours parcouru par quelques irréductibles passionnés (dont certains n'attendent que vous pour relancer des défis hiscore sur de bons vieux jeux d'arcade ! Je dis ça je dis rien).

Séquence d'introduction du jeu Snes TMNT 4: Turtles in Time.

8) Quel est l'avenir du retrogaming pour toi ?

Je suis assez pessimiste sur l'avenir du retrogaming. Le dématérialisé a été pour moi, sur le papier, la solution ultime pour la préservation des jeux vidéo. C'est la base de l'émulation, elle-même fer de lance du retrogaming. Sans démat', ce sont des milliers de jeux qui seraient inaccessibles et, pire, oubliés... Aussi, lorsque Steam et consorts sont devenus la norme, le naïf en moi s'est dit « on n'aura plus jamais de problèmes pour retrouver d'anciens jeux. On a enfin une solution légale viable ». Ce à quoi le cynique en moi a répondu « lol. » Aujourd'hui, des jeux disparaissent des catalogues Steam, GOG, Xbox, PS Store, etc. par dizaines, dans l'indifférence générale. Le support physique avait l'avantage de bénéficier des stocks de magasins, voire du marché parallèle de l'occasion. Mais en démat', un jeu n'existe qu'en un seul exemplaire, possédé par l'éditeur, qui accepte de vous le dupliquer au prix de beaucoup de contraintes (DRM, abonnements, licences), jusqu'au jour où il dit stop. Et là c'est comme si le jeu cessait d'exister. De fait, aujourd'hui il est encore possible de dénicher la cartouche NES du Duck Tales de 1989 et d'y jouer sur la console originale. Mais son remake de 2013, lui, n'existe déjà plus depuis un an. Seuls les gens qui l'ont acheté à sa sortie peuvent encore y jouer légalement, sans pouvoir le prêter ou l'échanger... Pourquoi ? Parce que Disney n'a pas reconduit le droit d'exploitation de sa licence. Autre exemple, essayez de trouver les versions dématérialisées de GRID (2008) ou GRID 2 (2013) depuis que Codemasters a rebooté la série. Idem pour les Forza...

Si on ajoute à ça la virtualisation des machines via le cloud gaming, je crains à moyen terme un monde où l'on jouera aux jeux auxquels on nous autorisera à jouer, au moment où on nous autorisera à y jouer. L'avenir est dans le temporaire, et le retrogaming n'a pas sa place dans un tel modèle économique. Le but est d'abord de vendre, donc de tout mettre en sursis pour que tout disparaisse au profit du prochain truc à vendre. Il vous faut jouer au jeu de l'année, pas au jeu de l'année dernière... Et même si on inclut le côté illégal du retrogaming, autrement dit l'émulation (qui, bien que tolérée voire parfois encouragée, reste techniquement illégale la plupart du temps), les jeux de ces dernières années prennent une place folle et on ne pourra pas les stocker/essayer aussi facilement que nos bons vieux jeux Apple, NES ou Megadrive. Et pour l'avenir, comment émuler un jeu s'il n'était disponible qu'en streaming via je-ne-sais quel cloud-chose ?

*Ahem* Bon excusez-moi une seconde, je vais prendre un Prozac et je reviens.

Cloud Gaming : illustration (issue de Paper Mario).

9) Plutôt « Grospixels » ou « GrosPolygones » ?

Grospixels, évidemment. Ceci étant, l'honnêteté me commande de dire que si les GrosPolygones m'ont un peu fait fuir à l'époque des 32-bit, je ne les ai jamais méprisés, au contraire. D'ailleurs, j'ai adoré les années qui ont suivi, car les jeux se sont rapidement révélés de plus en plus esthétiques et de mieux en mieux maîtrisés, notamment en ce qui concerne les déplacements du personnage et les réactions de la caméra... Et c'est aussi vrai pour les années qui ont précédé : citons par exemple le fantastique Stunts : 4D Sport Driving et son éditeur de circuits, des ovnis comme The Sentinel, et bien sûr Elite que j'ai découvert via sa version NES. Le jeu ramait comme pas permis dès qu'un vaisseau ou une base se situait trop près de nous, la NES était complètement à genoux en termes de calculs, mais que ce jeu était incroyable et fascinant ! Par extension, je serais assez curieux de voir ce que pourrait donner un revival du "low-poly". Maintenant que l'on est débarrassé de toutes les contraintes liées aux basses résolutions, la 3D à faible nombre de polygones pourrait, en tant que choix artistique, dévoiler de belles choses. Certains jeux commencent à aller dans ce sens (Minecraft, SuperHot...)

10) Le mot de la fin ?

Je suis content d'avoir pu participer à l'aventure Grospixels pendant toutes ces années. Quand on y réfléchit, c'est assez dingue de se dire que c'est l'un des très rares sites amateur consacré à l'histoire du jeu vidéo à être encore actif alors qu'il a techniquement été créé au siècle dernier (eh oui, on commet souvent l'erreur, mais aout 2000 c'est encore le XXe siècle ^^) ! Être toujours là dans un internet qui a à ce point changé entretemps, ce n'est pas banal. Oh, Grospixels aussi a évolué. Les mises-à-jour sont moins fréquentes, car les différents membres du site ont chacun une vie dans laquelle le jeu vidéo n'a souvent plus qu'une petite part. Et puis en 2020, le retrogaming est moins à la mode, il est supplanté par le neo-retro, ces jeux bien récents qui proposent une expérience à l'ancienne tout en étant composés d'éléments (graphismes comme musiques) qui seraient en réalité impossibles à reproduire sur les machines de l'époque, ce qui donne à la fois de sympathiques remakes, et des jeux novateurs fantastiques !)
À la rigueur, je regrette un peu que certains sujets/jeux peinent à déclencher des réactions, notamment sur le forum. Bon, OK, j'admets pour ma part ne pas parler des softs les plus populaires du monde (vive les point'n click injustement oubliés !) et l'absence de réactions sur certains topics est un peu prévisible. Mais je pense quand même qu'un certain esprit curieux s'est perdu avec le temps. C'est d'ailleurs un sentiment global, pas seulement lié à Grospixels.

Bref, en conclusion, soyez curieux !

Source : EagleEye (lien Youtube).