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Coleco Vision
1982 - 1985
Véritable monstre de puissance à sa sortie, cette console fut la première à égaler les jeux d'arcade.
Par Laurent (29 décembre 2008)
La console ColecoVision de JPB (photo prise en 2017).

Histoire

À l'époque de la suprématie d'Atari et de sa console VCS, et alors que Mattel, avec son Intellivision, fait de la résistance, la console ColecoVision se présente comme une alternative intéressante et de qualité. Aujourd'hui, elle fait irrémédiablement partie du passé, mais un petit historique n'est pas inintéressant.

La Connecticut Leather Company, alias Coleco Industries fut fondée en 1932 à Hartford, Connecticut, par un immigrant Russe nommé Maurice Greenberg. Au départ, ce n'est qu'une petite fabrique de chaussures en cuir, mais à partir des années 50, Coleco se reconvertit dans la fabrication de matériaux plastiques et laisse tomber le cuir, ayant atteint un capital de 1 million de dollars. À la fin des années 60, la compagnie est devenue le numéro 1 des fabricants de piscines hors-sol en plastique, mais connaît des difficultés financières, et passe très près de la faillite dans les années 70 après quelques tentatives infructueuses dans le domaine des véhicules tout-terrains.

En 1976, Coleco fait une première apparition sur le marché du jeu vidéo en produisant un clone de la console Pong sous le label Telstar qui lui apporte de jolis bénéfices. Neuf autres variantes du jeu seront fabriquées jusqu'en 1978. Après l'apparition de l'Atari VCS, il n'y a plus d'avenir pour les consoles qui n'acceptent pas de cartouches de jeux, et Telstar périclite.

Deux des consoles Telstar.

Le président de Coleco, Arnold Greenberg, charge alors le département de recherche et développement de créer une console dite de troisième génération (la première étant les consoles type Pong et la deuxième les consoles à cartouches), qui s'imposerait comme un nouveau standard en matière de performances graphiques et d'évolutivité. L'arme de marketing principale de cette console doit être le jeu inclus dans le package, et Greenberg a des vues sur Donkey Kong, le hit de Nintendo. Coleco envoie un exécutif au Japon pour en négocier les droits, qui sont obtenus pour 250 000 dollars. C'est une somme plutôt élevée pour l'époque, mais Atari et Mattel sont aussi sur les rangs. Plus tard, en 1982, Universal attaquera Coleco et Nintendo pour l'utilisation du nom "Kong", dont il sont propriétaires des droits depuis le film King Kong, et pendant quelque temps, Coleco leur versera 3% de leurs recettes sur le jeu Donkey Kong (ndJPB : avant un croustillant retournement de situation, vous en saurez plus en lisant l'article sur Donkey Kong).

La console Coleco, appelée ColecoVision, qui doit être livrée avec la cartouche Donkey Kong est basée sur un microprocesseur Z-80A (8-bits) cadencé à 3,58 Mhz, 8 Ko de RAM et 17 Ko de RAM vidéo, ce qui permet une résolution de 256x192 pixels en 16 couleurs. Elle peut afficher 32 sprites en même temps, ce qui est du jamais vu dans le domaine du jeu vidéo domestique. Le processeur sonore 3 canaux tient aussi bien la route.

Donkey Kong sur ColecoVision.

La ColecoVision est commercialisée à l'été 1982, au prix de 199$. Elle se présente sous la forme d'une grosse boîte noire peu gracieuse accompagnée de deux contrôleurs de jeu inspirés de ceux de l'Intellivision, c'est-à-dire munis de 12 boutons dont les fonctions sont indiquées par un plastique que l'on pose sur le contrôleur, différent pour chaque jeu. Ces contrôleurs sont par ailleurs munis d'une sorte de joystick plat qui se manipule avec le pouce. La partie la plus prometteuse de la machine est le large slot de façade prévu pour insérer de multiples extensions que Coleco prévoit de développer. En dehors de Donkey Kong, 12 autres jeux sont en vente. À l'instar d'Atari, Coleco mise sur l'achat de licences pour adapter sur sa console les jeux d'arcades les plus en vue du moment. Les premiers titres ainsi adaptés sur ColecoVision seront Lady Bug, Space Panic, Mouse Trap, Venture, Space Fury et Zaxxon. Même si ces conversions ne sont pas parfaites, elle représentent un grand pas vers la possibilité de jouer à de tels jeux chez soi, dans des conditions proches de celles d'une salle d'arcade.

La ColecoVision fait un peu figure d'arbitre dans la guerre qui oppose Atari à Mattel. Elle coûte environ 100$ de plus que l'Atari VCS, mais 35$ de moins que l'Intellivision, et obtient un succès franc et rapide, avec 550 000 machines vendues les premiers mois. À Noël 1982, un million de ColecoVision ont trouvé acquéreur aux USA, ainsi que 8 millions de cartouches. L'action de Coleco explose à Wall Street, passant de 6$ 7/8 à 36 ¾ en moins d'un an. La raison d'un tel succès est la capacité de la ColecoVision à reproduire des jeux d'arcade à la maison. Il faut savoir qu'à l'époque, le simple fait de jouer à un jeu vidéo sur son écran de télévision est déjà incroyable, et les joueurs ne sont pas trop exigeants. Des noms tels qu'Asteroids, Frogger, Moon Patrol ou Pac Man font rêver, et peu importe la qualité réelle du jeu. C'est pourquoi l'Atari VCS a été un succès en dépit du rendu souvent catastrophique des conversions d'arcade qu'elle a connues. La ColecoVision apporte plus de rêve encore, et une impression de qualité. Cette fois, il semble vraiment possible de profiter de graphismes fins, détaillés. Le jeu vidéo domestique n'est peut-être plus synonyme de graphismes cubiques et de son indigent.

Venture.
Mouse Trap.

L'évolutivité de la ColecoVision faisant partie des promesses de Coleco, le constructeur tient parole et lance en 1982 deux extensions hardware.
La première, un adaptateur qui permet d'utiliser les cartouches pour VCS Atari, est proposé à 60$. 150 000 exemplaires seront vendus. Bien entendu, Atari n'a jamais donné son accord pour la diffusion d'un tel produit, et attaque Coleco, réclamant 350 millions de dollars de dommages. Coleco invoque la loi anti-trust, et contre attaque, demandant 550 millions ! Finalement, le conflit se règlera par le versement de royalties de Coleco à Atari. Un adaptateur Coleco pour les cartouches Intellivision est aussi prévu, mais ne verra jamais le jour.

La deuxième extension est le Driving Controller ou "Module de pilotage" en français : un volant pour jeux de courses de voiture, équipé d'une pédale d'accélération, et livré avec le jeu Turbo, vendu 55$. Le volant se branche à la place du joystick 1 de la console, tandis que le joystick branché dans la prise 2 sert de levier de vitesses.

Le module pour jeux VCS.
Merci à Evan-Amos !
Le module Turbo de JPB.

En 1983, la ColecoVision est au top du marché du jeu vidéo. Elle se vend à 1,5 millions d'unité par an, passant brièvement devant la VCS 2600, l'Intellivision, et surtout la nouvelle 5200 Supersystem d'Atari. Même en Europe, où elle est distribuée par CBS Electronics, elle attire la curiosité. 29 jeux développés spécifiquement pour Coleco sont disponibles, auxquels vient s'ajouter tout le catalogue Atari grâce à l'adaptateur. Cela permet à la ColecoVision d'avoir la ludothèque la plus étendue du marché. Après ce succès, Coleco décide que la suite logique est la création d'un micro-ordinateur. Tout d'abord, une nouvelle extension de la ColecoVision est annoncée, le Super Game Module, qui ajoute de la mémoire vive et permet de jouer à de nouvelles versions de certains titres, cette fois sans aucune différence de graphismes avec les versions arcade.

Exemples de bons jeux sur ColecoVision : Schtroumpfs et Tarzan. Des personnages reconnaissables, des décors qui remplissent totalement l'écran... De tels graphismes rendirent fous de jalousie les possesseurs de VCS, et même d'Intellivision.

Mais avant tout ceci, deux autres modules d'extension arrivent en France : le module n° 4 - le Super Roller livré avec le jeu Slither, et le module n°5 - les Super Controllers, livrés avec Rocky.

Un Super Controller de JPB.
Le Super Roller.

Ensuite, Coleco investit 34 millions de dollars dans le développement du micro-ordinateur Adam, que l'on peut acheter soit en tant que tel, soit sous la forme d'un module d'extension pour ColecoVision. Le hardware de l'Adam est basé sur un Z-80, avec 64 Ko de RAM et 32 Ko de ROM (extensible à 144 Ko). Il est équipé de trois slots internes, et d'un bus d'extension pour divers périphériques. La version Adam complète est dotée d'une unité centrale regroupant le hardware de l'Adam et de la ColecoVision (avec la trappe pour les cartouches), et de deux contrôleurs de jeux dans la livrée blanche de l'Adam (un article spécifique est disponible ici).

L'Adam de JPB (photo prise en 2017), version module d'extension n°3.

Les deux versions de l'Adam incluent un clavier professionnel, un lecteur de cassettes qui peut lire des données compressées, et la possibilité d'en brancher un deuxième. Une monstrueuse imprimante à marguerite est aussi incluse, qui fait en même temps office d'alimentation externe (ce qui signifie que sans elle l'Adam ne peut fonctionner !). Peu après la sortie de la machine, un lecteur de disquettes 5'¼ et un modem 300 bauds seront disponibles. Fin 1983, juste avant la sortie officielle prévue pour Noël, Coleco compte déjà 400 000 pré-commandes pour l'Adam, qui est vendu par correspondance au prix de 600$ pour la version complète, et 400$ pour le module ColecoVision (en France, l'Adam coûte environ 7 800 francs, et du fait de sa parenté avec la ColecoVision on ne le trouve que dans les magasins de jouets). Hélas, si les premiers mois de commercialisation voient un certain effet de curiosité l'emporter, l'Adam tombe rapidement dans l'indifférence, et les ventes ne dépasseront pas 100 000 exemplaires en dehors des pré-commandes. L'Adam est bourré de bugs logiciels, et provoque un tel champ magnétique lors de sa mise en route que toute cassette oubliée dans le lecteur se voit rendue inutilisable ! 60 % des modèles vendus sont retournés en garantie.

En 1984, alors que le marché du jeu vidéo domestique est mourant, la division électronique de Coleco accuse 258 millions de dollars de pertes. Le prix de l'ADAM est baissé à 300$, mais rien n'y fait. C'est un bide cinglant.

L'Adam et la ColecoVision, ainsi que tous leurs produits dérivés, sont abandonnés par Coleco début 1985. La société Telegames en rachète les droits, et met en vente par correspondance les stocks restants pour 40$ la pièce, avec un nouveau look et des joypads inspirés de ceux de la Nintendo NES, sous le nom de Personal Arcade. Les entrepôts où sont stockées les Personal Arcade seront dévastés par une tornade en 1994.

La console Personal Arcade. Merci à Evan-Amos !

Quant à Coleco, la société fait finalement faillite en 1988, après plus de 50 ans d'activité. Au total, ce sont 6 millions de consoles vendues et 190 cartouches éditées que Coleco peut mettre à l'actif de la ColecoVision. Une belle carrière, sabotée par l'effondrement de tout un marché, celui des consoles de jeux après l'abandon des VCS 2600 et 5200 par Atari. Aujourd'hui, il reste les émulateurs pour nous rappeler ce bon vieux temps, ainsi bien sûr que les conventions retro-gaming, où la Coleco est systématiquement présente du fait de ses ventes très correctes sur vieux Continent entre 1983 et 1985 (ndJPB : hélas, certaines conventions rétro, au contraire, ne proposent que des jeux à partir de l'ère Sega Master System / NES en expliquant que le look et l'intérêt des jeux de l'époque antérieure n'intéresseront pas les gens des années 2015... argument fallacieux s'il en est !).

Ajout de JPB (mars 2009)

Pour compléter le dossier, j'ai retrouvé des infos liées à la ColecoVision : des dépliants que j'ai gardés, des scans de Tilt...

Voici la première brochure publicitaire que j'ai trouvée à l'époque. Images des cartouches américaines, captures d'écran en fait redessinées (regardez le screenshot pour Les Schtroumpfs, rien à voir avec l'image réelle du jeu !), pas de photo de l'ordinateur Adam :

Le poster. Je l'avais vu pour la première fois dans le hall à côté du Ludo à Clermont-Ferrand en 1983, chez un petit revendeur indépendant "spécial Coleco". Celui-ci provient du petit magasin de photo à Cannes, seul revendeur que j'y avais trouvé en 1984, il y a encore le tampon sur l'affiche :

Voici maintenant la brochure définitive, qu'on dénichait dans tous les magasins qui vendaient la Coleco. Captures d'écran réelles cette fois, et on voit enfin à quoi ressemble l'Adam ! La dernière rangée correspond au catalogue "spécial nouveautés 1984" :

Le test de la console dans le Tilt n° 5 de mai/juin 1983 :

Et enfin, les 3 pubs accrocheuses, qu'on voyait dans les magazines (aussi bien Tilt que Pif Gadget !) : celles de Zaxxon, de Turbo et des Schtroumpfs :

Laurent
(29 décembre 2008)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
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