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Perfect Dark
Année : 2000
Système : N64 ...
Développeur : RareWare
Éditeur : Nintendo
Genre : FPS
Par MTF (06 mars 2025)

Y a-t-il eu, dans l'histoire du jeu vidéo, un autre miracle égal à ce que RareWare accomplit dans les années 1990 ? L'histoire est connue, même trente ans après (tudieu, que le temps passe...), et je la trouve encore fascinante. Alors que la compagnie s'était faite, sur Super Nintendo, la plus solide des réputations, tout ce qu'elle fit sur la N64, l'une des consoles les plus mal aimées de Nintendo, confina au génie.
Alors certes, quand on regarde la liste de leurs sorties, certaines sont plus faibles : Killer Instinct Gold, le port de Killer Instinct 2, n'a pas le même chien que celui de Killer Instinct ; et Blast Corps est une distraction limitée par son principe même. Mais à côté de ça : Diddy Kong Racing, Banjo-Kazooie et Tooie, Conker's Bad Fur Day sont encore cités parmi les plus grands jeux non seulement de la console, mais dans l'absolu. Et même pour ceux dont la relecture peut aujourd'hui être plus complexe, comme Jet Force Gemini ou Donkey Kong 64, le temps a fini par consolider leur place dans le panthéon vidéoludique et leurs fans sont légion.

Jet Force Gemini et Donkey Kong 64 ont pu être critiqués, mais on en parle encore avec chaleur.

Dans cette liste, brève pourtant mais ô combien notable, les plus sagaces auront remarqué l'absence de GoldenEye 007 et de Perfect Dark. J'y viens précisément, parce que leurs cas respectifs sont particulièrement intéressants. De ces deux jeux, l'un est révolutionnaire, le second non ; l'un est incontestablement, objectivement, le meilleur des deux ; et l'un est arrivé au bon moment, au bon endroit, mais l'autre a été immédiatement dépassé par des concurrents de hasard.
Sans même aller plus loin, et sans même préciser finalement qui est l'un, qui est l'autre, je pense que vous avez déjà votre petite idée. Car l'histoire du jeu vidéo a retenu GoldenEye 007, qui n'a eu de cesse d'avoir des suites officieuses et toujours décevantes pour les fanatiques ; et l'histoire du jeu vidéo a oublié Perfect Dark, qui a eu une suite officielle et décevante pour les fanatiques. Alors, je ne suis pas ici pour réparer les injustices, je n'ai pas cette envergure ; mais je vais peut-être exhumer quelques souvenirs enfouis et vous encourager à revenir à Perfect Dark qui est bien, bien mieux que dans vos propres souvenirs, déjà très cléments.

Je suis sûr que ces images déclencheront des sentiments nostalgiques chez certains ou certaines...

The World Is Not Enough

Commençons par faire l'histoire du jeu, à la fois de son développement et de son univers. Après l'immense succès, critique et commercial, de GoldenEye 007, l'idée d'une suite fondée sur Demain ne meurt jamais (Tomorrow Never Dies), l'épisode subséquent de James Bond, semblait d'une évidence frappée du bon sens. La licence, cependant, fut récupérée par Electronic Arts qui en donna sa propre interprétation. Cela ne dérangea pas les équipes de Rare qui, bien que désireuses de poursuivre leurs efforts dans le genre du First Person Shooter (FPS), voulaient développer leur propre univers.
La base du moteur du jeu ayant été reprise de GoldenEye 007, le développement avança malgré quelques remaniements d'équipe. Si je cite Laurent, dans son article sur Perfect Dark Zero : « Martin Hollis, le concepteur et producteur de Goldeneye et de Perfect Dark, n'a travaillé que 14 mois sur les trois années de production du jeu, avant de devenir consultant pour Nintendo of America en 1998 puis de créer son propre studio, Zoonami. Plus tard, ce sont d'autres développeurs qui quittent le navire pour aller fonder Free Radical Design ». Enfin, et après quelques reports, le jeu sortit au printemps 2000. L'une des idées de cette suite spirituelle, qui ne fut finalement pas implémentée en tant que telle compte tenu des limites de la console, était d'axer le gameplay sur la lumière et l'obscurité, pour pousser au plus loin les missions d'infiltration comme le ferait, des deux ans après, Splinter Cell. Il resta de cette idée quelques zones entièrement plongées dans le noir et nécessitant d'activer des lunettes à vision nocturne, ainsi que la possibilité de détruire les lampes pour obscurcir légèrement les environs sans, toutefois, les plonger entièrement dans la pénombre.

Des bouts de mission peuvent être dans le noir complet : les lunettes à vision nocturne sont de mises... Le jeu adore, sinon, ces effets éblouissants, et l'on peut détruire les lampes avec notre pistolet.

Ce nouvel univers s'inspire d'œuvres comme Blade Runner, Robocop ou Judge Dredd : nous sommes dans le futur lointain de 2023 (wouah !), un monde fait de ruelles sombres, de voitures volantes, de méga-corporations et de conspirations, dans une esthétique en appelant au « Neo-Noir ». Nous suivons là la guerre larvée entre deux organisations paramilitaires dont les intérêts se percutent : d'un côté, l'institut Carrington, fondé par Daniel Carrington, et qui œuvre pour le bienfait de l'humanité. De l'autre, la compagnie dataDyne, menée d'une main de maîtresse par Cassandra de Vries. Les deux structures se sont spécialisées dans la fabrication et la vente d'armes et d'accessoires militaires, et fournissent notamment l'armée américaine en fusils, caméras de surveillance et autres accessoires de hackers.
Au début de l'intrigue, l'institut Carrington est contacté par un scientifique de la dataDyne, le Dr. Caroll, qui annonce avoir des révélations fracassantes à faire sur un projet secret qui compromettrait la sécurité mondiale. Il craint néanmoins pour sa vie, et demande alors son extraction d'un laboratoire secret, au sous-sol du bâtiment principal de la compagnie. L'institut décide d'envoyer Joanna Dark, une nouvelle recrue inexpérimentée mais au potentiel inouï, se charger de cette mission périlleuse et la dépose alors, secrètement et nuitamment, sur le toit du building, armée d'un pistolet et d'un silencieux...

L'esthétique alterne entre néons publicitaires et ruelles crasseuses, que les fanatiques des films d'anticipation reconnaîtront sans mal.

Je ne sais pas vraiment si je peux révéler, ou non, les évolutions de l'intrigue. Le jeu arrive sur ses vingt-cinq ans, et il est assez connu ; force est à parier que nombre connaissent, au moins dans ses grandes lignes, son histoire. Je la délivre cependant en détail dans les paragraphes suivants, mais en la cachant : elle ne sera lisible qu'en cliquant sur le bouton suivant si vous voulez garder la surprise. Au-delà de ça, je ne révèlerai rien dans cet article, ni par le texte, ni par l'image, je vous l'assure.

Cette intrigue est, je dois dire, particulièrement bien menée et quand bien même ne seriez-vous fan de Neo-Noir, il y a là suffisamment de retournements de situation et de surprises pour en vouloir davantage, et continuer à jouer pour le seul plaisir d'apprendre le fin mot de l'histoire. Celle-ci, par ailleurs, se dénoue tant en jeu, par les cinématiques scandant les missions et les dialogues les émaillant, qu'hors-jeu, par le briefing qui accompagne chaque mission et par d'autres textes, accessibles dans les bases de données.
Ces lectures, il faut le dire, sont absolument nécessaires pour comprendre tous les tenants et aboutissants de la narration. On peut toujours suivre l'histoire sans elles, les cinématiques font le boulot ; mais comprendre les relations entre certains personnages, l'intérêt de tel objectif ou l'importance de tel lieu, ne peut se faire qu'en lisant les descriptions offertes. Alors, nous ne sommes pas au point d'un Dark Souls , qui cache toute sa viande et n'offre que les os ; mais on sera assurément satisfait de compléter ainsi ce que les cinématiques nous offrent.

De nombreuses cinématiques rythment les différentes missions. Mr. Blonde, un grand baraqué dans un costume blanc immaculé, sera le cerveau du complot... Qui est-il, et quelles sont ses motivations ?

A View to a Kill

Le principe général de la partie n'a guère évolué au regard de GoldenEye 007, duquel Perfect Dark reprend, dans les grandes lignes, le moteur de jeu et les principes conducteurs. L'histoire se compose donc d'une vingtaine de missions, rassemblées parfois en deux ou trois niveaux successifs partageant des zones communes et que l'on explorera donc de différentes façons. Par exemple, les trois premiers niveaux se composent d'une descente du bâtiment de la dataDyne, du toit au laboratoire secret ; puis d'une exploration du laboratoire pour chercher le Dr. Caroll ; puis de notre échappée avec ce dernier, du laboratoire au toit pour être récupérée par un hélicoptère.
Ces missions alternent généralement entre séquences d'infiltration, où la discrétion sera de mise pour ne pas déclencher des alarmes ou se faufiler dans des zones hautement sécurisées, et séquences de combat plus ouvertes, où il faudra rejoindre un point d'extraction ou protéger un allié sous le feu ennemi et sans se soucier du raffut que l'on fera.

Il peut être utile de supprimer les gardes en tirant secrètement derrière les vitres... mais il faut savoir parfois sortir l'artillerie lourde.

Mais à côté de ces éléments, que l'on trouvait déjà dans un certain nombre de jeux vidéo du temps et ce même avant GoldenEye 007, qui popularisa sans doute le concept auprès du grand public juste avant Half-Life, Tenchu ou Metal Gear Solid, Perfect Dark reprend de son prédécesseur un système progressif d'objectifs à remplir pour finir les missions, et qui vont augmentant avec la difficultée choisie. Ces objectifs nous empêchent de simplement traverser les niveaux de leur point de départ à leur point d'arrivée, même en tuant tous les gardes, même en ne se faisant jamais repérer ; il nous faut absolument les accomplir pour terminer le niveau, et l'échec d'un seul d'entre eux exige de recommencer la mission du commencement. Il n'y a effectivement aucun point de contrôle au cours des niveaux, y compris après une cinématique.
Ces objectifs sont, malgré leur formulation, généralement plus ou moins les mêmes : activer un interrupteur ou un ordinateur quelque part, détruire quelque chose ailleurs, utiliser l'un de nos gadgets (vision à Rayons X, radio-transmetteur, mouchard...) à un endroit ou sur un objet précis. Le jeu propose ainsi trois niveaux de difficulté (appelés ici « Agent », « Secret Agent » et « Perfect Agent ») qui, certes, jouent sur la robustesse des ennemis et la précision de leurs tirs, mais également sur le nombre d'objectifs à remplir voire, dans certains cas, leurs conditions de réalisation.

Le scanner est particulièrement utile pour savoir ce qui vous attend derrière les portes fermées. Quant au récepteur, il sera votre meilleur allié pour cracker les mots de passe, télécharger des virus ou activer les machines récalcitrantes.

L'idée était déjà présente dans GoldenEye 007, mais Perfect Dark va plus loin non seulement dans la diversité des objectifs, mais également dans la façon dont les modes de difficulté font varier la cadence. Ainsi, on appréciera certaines missions qui nous demandent de trouver et de mettre un déguisement pour infiltrer certaines places fortes (sans que cela ne soit, cependant, aussi élaboré que le Mission Impossible d'Infogrames, sorti en 1998 sur N64), d'autres qui proposent deux ou trois façons distinctes de résoudre l'objectif, d'autres encore qui nous demanderont un peu de jugeote pour arriver à nos fins.
Deux éléments complémentaires sont à souligner encore : d'une part, la façon dont on réalise un objectif dans une mission peut en influencer un autre dans un niveau subséquent. C'est le cas, par exemple, du dyptique à Chicago : on doit infiltrer un building, puis s'en échapper dans la mission suivante. Pour ce faire, on doit déposer à l'extérieur une mine à retardement, que l'on fera exploser au moment de notre échappée pour créer une issue de secours. Or, on nous donne deux emplacements pour ce faire, et le jeu se souviendra de notre choix : inutile de dire que l'une de ces options sera plus à notre avantage que l'autre...

La liste des objectifs. Lisez bien les consignes... Quand vous en avez réussi un, un message s'affiche clairement sur l'écran.

Ensuite, les modes de difficulté ultérieurs peuvent changer plus ou moins nettement la façon de réaliser le même objectif. Le changement peut être assez superficiel (comme l'emplacement d'un déguisement), mais il peut influencer plus dramatiquement la façon dont une mission se joue. Il en va ainsi du quatrième niveau, où l'on doit sauver notre patron maintenu en otage dans sa villa par les milices de la dataDyne. Pour infiltrer les lieux, dans les deux premiers modes de difficulté, une négociatrice est envoyée comme leurre et l'on doit, au début de la mission et armée d'un fusil à lunettes, la sauver en abattant rapidement les deux gardes qui la tiennent en joue. Mais dans le mode le plus difficile, c'est nous qui prenons la place de la négociatrice ! On doit donc se tirer de ce mauvais pas, puis explorer la villa en prenant un chemin bien différent.
Une bonne partie des niveaux réserve ce genre de surprises, soit d'une reconfiguration du chemin emprunté dans le mode de difficulté le plus élevé, soit d'une conséquence inédite à une action prise dans un niveau précédent. Leur découverte rend la relecture des missions particulièrement agréable, et change assez de ce qu'on nous offre d'ordinaire, à savoir se rendre dans une autre zone du niveau pour appuyer sur un énième interrupteur alors que des gardes hargneux nous canardent. Plus encore, cela donne du liant narratif à ces missions, et on ne retrouve pas ce rapetassage que l'on peut parfois avoir dans les jeux vidéo, qui juxtaposent leurs stages plus souvent qu'ils ne les articulent.

On a également le classique « Sauvez tous les otages », mais aussi des séquences d'infiltration en portant un déguisement. Pensez à ranger votre flingue pour ne pas éveiller les soupçons !

Il faut en revancher signaler que ces objectifs ne sont pas toujours clairement exposés, et il arrive fréquemment que l'on échoue une mission par ignorance, parce qu'on aura fait les actions dans le désordre, parce qu'on aura détruit un appareil déterminant, ou encore parce qu'on aura tué un personnage essentiel à la progression. La lecture des briefings nous oriente volontiers, mais les ordres de mission se finissent souvent par « trouvez un moyen d'entrer » ou « débrouillez-vous pour... ». C'est certes plutôt réaliste pour une agente secrète, mais on aurait très volontiers apprécié un peu plus d'informations.
On comprendra rapidement, cependant, deux clés essentielles. D'une part, les objectifs sont, très généralement, présentés de façon chronologique, selon notre progression spatiale dans le niveau. Si on résout ainsi le second objectif sans avoir accompli le premier, c'est que l'on est tout vraisemblablement passé à côté de quelque chose et qu'il faut donc rebrousser chemin. D'autre part, des dialogues s'activent à proximité des objectifs à remplir : soit Daniel Carrington, soit un autre agent ou encore un technicien, nous donne une consigne plus précise, soit c'est Joanna Dark elle-même qui soliloque à notre intention. C'est le signal qu'il y a là quelque chose à accomplir, en mettant souvent à profit l'un de nos gadgets.

La caméra-espion sera indispensable pour certains objectifs, mais on peut s'en servir pour explorer les lieux. Attention, les gardes comprendront vite que quelque chose cloche... Ne vous inquiétez pas, sinon, quand un personnage vous demande de montrer quelque chose, tout est automatisé si les objectifs précédents ont été remplis.

Reste cependant que malgré ces indications, il n'est pas rare d'absolument rien biter, la première fois, à ce que l'on doit faire et là où on doit aller, et il n'est pas rare d'échouer bêtement dans sa progression. Ce ne sera cependant pas toujours un échec, car le jeu ne nous expulse jamais d'un niveau à moins de mourir : libre à nous de profiter, dès lors, de ce poids en moins sur nos épaules pour explorer les stages, repérer l'emplacement des caméras de surveillance et des gardes, des différents pièges. À quelques exceptions près, tous ces éléments sont d'une rigidité parfaite et si nos premiers pas sont souvent circonspects, on se surprend à retenter notre chance avec bien plus d'agilité et de rapidité.
Même, je dirais que plus que GoldenEye 007, Perfect Dark veut que vous échouiez les premières fois pour apprendre une partition, et la restituer parfaitement. Au regard des aventures de Bond, le jeu est tout de même plus franc du collier, il y a bien moins de missions d'escorte ou de protection et moins la place, surtout, au hasard. C'est donc un plaisir véritable que de traverser en cinq ou dix minutes des niveaux que l'on avait mis, la fois première, plus d'une demi-heure à apprivoiser, de trouver des raccourcis et des chemins de traverse, et de prendre possession de ces lieux roublards, voire labyrinthiques.

Rien ne ressemble plus à un hangar avec des caisses, qu'un autre hangar avec d'autres caisses... Pour s'y retrouver, sachez que si le jeu fait disparaître les cadavres pour soulager sa mémoire, il garde les traces de sang et les impacts de balles, ce qui permet de jouer au Petit Poucet.

Live and Let Die

Heureusement, le jeu nous donne bien des options pour explorer ces différents niveaux, à commencer par notre arsenal. Les grands classiques du genre n'ont pas été oubliés : pistolets de précision ou mitrailleurs, fusils d'assaut, grenades, lance-roquettes... Les moyens de faire tout exploser autour de nous sont variés, et on compte une petite trentaine d'armes différentes, chacune avec leurs avantages et leurs défauts. Certaines connaissent des variations intéressantes, comme le Falcon 2, l'arme de prédilection de Joanna, qui peut être parfois accompagné d'un silencieux ou d'une lunette en début de mission ; hélas, nous n'aurons pas le choix de l'accessoire, celui-ci nous étant imposé au début de la partie.
Il faudrait cependant doubler ce nombre, car chaque arme possède une fonction secondaire, accessible d'une pression de bouton et qui change souvent substantiellement son emploi : les pistolets donnent accès à des coups de crosse, pour étourdir les ennemis ou les civils sans les tuer, certains fusils peuvent être employés comme lance-grenades ou comme mine de proximité, d'autres peuvent devenir des tourelles de surveillance que l'on peut suspendre aux murs ou au plafond, la grenade rebondit incessamment jusqu'à trouver une cible. Si ces options sont superfétatoires, même si sympathiques, dans les modes de difficulté les plus simples, elles deviendront essentielles pour les challenges les plus élaborés.

Le stand de tir propose de s'essayer à toutes les armes (du moment qu'on les a trouvées dans la campagne solo), et de réussir plusieurs challenges de plus en plus ardus. Cela permet notamment de débloquer certaines armes de GoldenEye 007 dans les modes de jeu.

Aux côtés de ces armes, on citera également une petite panoplie de gadgets au rôle plus circonstancié, et servant généralement à remplir tel ou tel objectif : des perturbateurs d'ondes radio, des explosifs nécessaires pour trouer certains murs fragiles, des scanners nous permettant de voir l'invisible... et on nous offre aussi d'autres ustensibles nous facilitant la tâche, comme des lunettes à vision nocturne, des boucliers augmentant notre vie, des dispositifs de camouflage ou des drones, pratiques pour sonder les alentours ou neutraliser certaines cibles solitaires. On gagnera, une fois encore, à comprendre parfaitement la façon dont ces différents objets fonctionnent avant de se lancer dans l'aventure car dès la première mission, le jeu ne vous fera pas de cadeaux.
Ce n'est pas pour rien, d'ailleurs, que le jeu s'ouvre non pas sur le premier niveau, mais sur une visite de l'institut Carrington par son fondateur lui-même, qui vous fera le tour des lieux. Non seulement cela vous sera utile, comme un niveau assez coton y prendra place dans le derniers tiers de la campagne, mais ce sera là que vous pourrez tester les armes, vous familiariser avec le maniement de Joanna et essayer ses gadgets. Contrairement aux habitudes de Rare ou de Nintendo, la première mission n'a effectivement pas vraiment été pensée comme un tutoriel : si vous négligez alors cette partie de votre formation d'espionne, vos premiers pas risquent d'être particulièrement douloureux.

Daniel Carrington vous présentera l'institut en personne, comme vous venez d'être recrutée. Jonathan est un autre agent que vous croiserez parfois. Il est assez taquin envers Joanna, car on apprendra qu'elle a explosé son score à l'entraînement, alors qu'il avait battu précédemment le record... Les mecs, j'vous jure.

Perfect Dark est effectivement un jeu ardu, du moins plus ardu, à ce que j'ai trouvé, que GoldenEye 007 sans, pourtant, qu'il n'y paraisse de prime abord. Cela tient à plusieurs choses : déjà, comme je le signalais plus haut, les objectifs à remplir dans les missions sont plus complexes et plus variés, et donc les chances d'échouer faute d'avoir compris ce qu'on devait faire sont plus nombreuses. Mais surtout, l'intelligence artificielle des ennemis a été précisément revue, et les environnements sont confus en diable.
Commençons par les ennemis. Ceux-ci ont davantage de répondant, et plus d'une corde à leur arc : il ne suffit plus, comme dans GoldenEye 007, de lancer un petit « coucou » à l'entrée d'un couloir, puis de s'accroupir sur le côté d'une porte pour les aligner gentiment tandis qu'ils arrivent à la queue-leu-leu. Là, ils tendent des embuscades, sont bien plus mobiles et, surtout, plus malins : plutôt que de vous poursuivre et de courir partout comme des canards sans tête, ils attendront patiemment que vous reveniez les chercher pour vous mitrailler dès la porte ouverte. Alors, ils ne sont pas aussi futés que ceux de Half-Life, par exemple, et on saura les manipuler assez bien ; mais l'effort est particulièrement appréciable.

Joanna changera parfois de tenue en cours de jeu. Elle a vraisemblablement été inspirée par le personnage de Nikita, dans le film de Luc Besson.

Les niveaux en revanche, c'est une autre paire de manches. Moi qui les connais, à présent, assez bien, je ne manque pourtant jamais de m'y perdre et en lisant d'autres témoignages de joueurs et de joueuses, il semble que je ne sois pas le seul. Je pense cependant mieux comprendre, à présent, d'où viennent ces difficultés. D'une part, les stages sont d'une architecture plus complexe, qui laisse une meilleure part à la verticalité, et il faut souvent trouver un escalier dérobé ou un ascenseur particulier pour progresser. Ensuite, leurs différentes parties sont quasiment identiques, graphiquement parlant : il y a bien, parfois, des couloirs colorés différemment, ou telle machine unique en son genre, mais c'est rare. Enfin, on parcourt souvent les mêmes niveaux au long de plusieurs missions successives, et il est facile de les confondre.
Je suis cependant partagé quant à ces éléments qui, incontestablement, rendent le parcours des missions particulièrement laborieux : le stage du sous-marin, de la montagne enneigée ou même la toute première mission de la campagne risquent de vous faire tourner en rond longtemps avant de repérer la porte, la fissure ou le monte-charge qui vous permettent de progresser. Et autant je puis admettre qu'il n'y ait pas de panneaux indicateurs ou de symboles dans une villa ensoleillée ou dans la planque des méchants, autant je trouve ça plus bizarre dans un aéroport, une base militaire ou un sous-marin.

Se repérer dans ces couloirs pierreux ou dans ces corridors blancs est une horreur... N'hésitez pas à faire une carte sur un bout de papier !

Et puis, de l'autre côté, je me souviens m'être perdu, la semaine passée encore, dans les couloirs menant à la médecine du travail ; et il est d'un réalisme frappant, épuisant même, qu'un couloir de hangar ressemble trait pour trait, balustrade pour balustrade, au couloir d'à côté. Ça ne fait certes pas très « jeu vidéo », mais c'est d'une véracité incontournable pour cet univers futuriste, dystopique, dans lequel nos repères habituels peuvent être perturbés. Le jeu nous offre certes parfois des radars rudimentaires, mais il n'y a là nulle carte : on ne peut compter que sur nous-mêmes, et sur notre sens de l'orientation.
Tout cela, associé à la difficulté de remplir certains objectifs, s'accorde cependant : on s'attend de nous à ce qu'on échoue et qu'on se perde, qu'on apprivoise les lieux, qu'on les comprenne intimement pour jouer, ensuite, la mélodie la plus parfaite possible. Il y a finalement peu de hasards dans le jeu, et même s'il faudra toujours, à un moment donné, faire preuve de réflexes et d'improvisation, on peut faire en sorte de compartimenter ces instants et de s'en sortir (presque) indemne.

Les environnements sont néanmoins plutôt variés, et pas un seul niveau n'est anecdotique.

For Your Eyes Only

On se plie d'autant plus à ces exigences que le jeu est d'une beauté certaine, et d'une jouabilité sans failles. Je ne mentirai pas en disant qu'on ne pensait pas la N64 capable de telles prouesses graphiques... et effectivement, puisque le jeu exige, si ce n'est pour quelques modes bonus, le fameux « Expansion Pack » qui avait été fourni, un an auparavant, avec Donkey Kong 64. Le gain de mémoire est particulièrement notable et n'eussent été la sortie vidéo horrible de la console et la faible résolution initiale du jeu, on aurait pu croire parfois à un titre des débuts de la Playstation 2. Les environnements sont plutôt variés, entre bureaux immaculés, plaine d'Alaska et bases souterraines, et le travail de la lumière et des reflets est assuré. On peut notamment s'amuser à briser toutes les lampes sur notre parcours pour obscurcir dynamiquement les lieux, et même si l'effet sur les séquences d'infiltration est presque inexistant, comme je le disais plus haut, on s'en étonne toujours. Un petit détail fou, mais qui témoigne du soin général apporté à la facture : chaque arme possède sa propre petite animation de recharge, qui influence sur son efficacité en combat... C'est rien, mais ce degré de finition reste rare dans les jeux de tir du temps.
Mais si je devais, cependant, féliciter Rare pour un aspect technique, ce serait au plan sonore que je porterais mes plus vives félicitations. Alors bien entendu, il y a tout le travail musical de Grant Kirkhope, à qui l'on devait les extraordinaires bandes originales de GoldenEye 007 ou de Banjo-Kazooie, et qui propose ici un album très atmosphérique, parfaitement en phase avec les ambitions narratives du jeu, mais le jeu propose aussi un nombre très impressionnants de dialogues parlés, comme on en proposait à présent depuis la Playstation et la Saturn mais trop rarement sur N64, support cartouche de la console oblige.

Un extrait du thème de la mission d'infiltration à Chicago, qui sent bien le béton mouillé.
Un extrait d'un niveau plus porté vers l'action, où ça canarde à tout va.

La technologie de compression, la même que celle que l'on aura dans Conker's Bad Fur Day, était impressionnante pour l'époque. Les voix grésillent peut-être un peu, mais elles sont très, très nombreuses : dans les cinématiques qui inaugurent, closent et parfois même scandent les niveaux certes, mais également dans les phases de jeu où les personnages dialoguent, donnent des directives ou hurlent leur dernier râle en poussant autre chose que des grognements. La distribution a été judicieusement choisie, et je comprends largement les critiques faites à Perfect Dark Zero, Laurent en parlait dans son dossier de jadis, quand on changea la voix du personnage principal.
En me documentant d'ailleurs sur le jeu, j'ai eu la surprise d'apprendre que c'est Eveline Fischer Novakovic qui donne sa voix à l'héroïne. Cela me surprit, car l'actrice est aussi compositrice, et on lui doit notamment la bande originale atmosphérique, voire effrayante, de Donkey Kong Country 3 ! Aux côtés d'elle, on retrouvera Chris Sutherland, un habitué de Rare (et, aujourd'hui, de Playtonic) et Louise Tilton, que l'on entendra dans Kameo: Elements of Power ou Star Fox Adventures. Je me régale toujours d'entendre ces dialogues même si, je le concède, entendre pour la énième fois un garde s'exclamer « Get her! » ou « I don't wanna die! » peut fatiguer à la longue, et il aurait été appréciable d'avoir un peu plus de variétés ici.

On peut parfois surprendre des dialogues derrière les portes fermées, mais ce sera surtout dans les cinématiques qu'on en profitera le plus.

Sur le plan de la jouabilité, nous sommes en terrain connu. Rare avait déjà montré comment la manette-trident de la N64 pouvait servir à contrôler les FPS, et l'équipe n'a pas eu vraiment besoin de réviser profondément son système qui tendait à la perfection. Le maniement est un peu plus souple cependant, et on peut à présenter non seulement s'accroupir, mais aussi ramper pour diminuer le risque de prendre une balle perdue, au détriment de notre vitesse de déplacement. On appréciera également l'inclusion d'un menu radial pour sélectionner plus aisément une arme ou un gadget à la volée, sans mettre le jeu en pause ou passer en revue tout notre arsenal.
D'autres petits détails, améliorant la progression, se rencontrent ci et là : on peut tirer sur les armes des ennemis pour les leur faire perdre et les rendre ainsi temporairement inoffensifs. Parfois aussi, leurs fusils s'enrayent et ils pestent, nous laissant le temps de répliquer ou de s'enfuir. On peut enfin tendre quelques menus pièges, comme les ennemis réagissent encore au bruit ou s'ils voient un collègue brusquement mourir, pour les attirer dans un guet-apens. Ils sont, en revanche, peu observateurs et ne s'alarmeront guère en voyant le cadavre d'un de leurs collègues au sol en faisant leurs rondes. Qui sait, peut-être qu'ils ne s'appréciaient pas !

Certaines embuscades seront scriptées, mais les gardes savent sinon d'eux-mêmes se planquer derrière la géométrie du niveau... Entraînez-vous à viser, une balle dans la tête les élimine immédiatement.

Pour finir cet inventaire, parlons enfin des modes multijoueurs car ils sont nombreux et divers. On retrouve les duels qui avaient fait la renommée de GoldenEye 007, à deux, trois ou quatre, et on peut même à présent faire intervenir des bots contrôlés par la machine pour des matchs encore plus intenses. On retrouve les options habituelles, du match en équipe à la personnalisation des armes et des arènes, et grâce à l'Expansion Pack, le jeu rame bien, bien moins que son prédécesseur, même lorsque les grenades pètent de partout et que la console doit gérer les explosions, la fumée, les particules et le reste.
Deux autres modes de jeu sont inédits, et bien plus intéressants. Ils s'explorent à deux : le premier propose de faire les missions de la campagne solo en coopération, ce qui est plutôt sympathique même si les niveaux ne changent pas franchement. On peut en revanche faire tenir le rôle du ou de la partenaire à un bot, et programmer son comportement. L'autre option, en revanche, fait s'incarner le second joueur ou joueuse humaine dans un ennemi, qui va dès lors tout faire pour empêcher Joanna Dark d'arriver à ses fins. Si on le tue, il se réincarnera dans un autre garde jusqu'à la victoire d'un des deux camps. Je vous garantis que ce mode est, de loin, le plus drôle de tous, au point de compromettre vos meilleures amitiés. Ces options de jeu sont sans doute plus anecdotiques que la magnifique campagne solo, ou que le très solide DeathMatch, mais leur originalité est recommandable et je tenais à les citer.

Les duels sont toujours aussi prenants, et le mode contre-opération est vraiment très drôle !

The World is not enough

Pourtant, j'y reviens finalement après cette longue liste de qualités exceptionnelles et ces défauts quasiment inexistants, l'histoire du jeu vidéo a oublié Perfect Dark. Il y a eu certes Perfect Dark Zero et sa réception mitigée, il y a eu quelques romans et une ou deux bandes dessinées, mais tout cela s'est finalement vite éteint et je pense que c'est dû, surtout, au plus complet des hasards.
Déjà, le titre est sorti à la frontière de deux générations et on sait que, souvent, cela empêche les jeux de pleinement s'exprimer à leur plein potentiel commercial. Même si Perfect Dark a été un gros succès critique, il s'en est écoulé trois fois moins d'exemplaires que pour GoldenEye 007 et tous les regards se portaient déjà qui vers la Playstation 2, qui vers la XBox ou la GameCube, et même si le jeu était impressionnant pour la N64, sa 3D a vieilli extraordinairement vite.

La jaquette de la version japonaise est vraiment belle, et je tenais à la montrer ici. Le design de Joanna a été aussi modifiée en jeu, pour la rendre un peu plus « anime »...

Ensuite, le jeu a eu une concurrence féroce, notamment en termes d'univers. Il y avait incontestablement, dans le Zeitgeist vidéoludique entre 1998 et 2002, quelque chose pour le Néo-Noir et la dystopie et tout aussi bien faits étaient-ils, l'univers et le gameplay de Perfect Dark n'étaient pas les meilleurs. Ses ennemis étaient plus stupides et moins variés que ceux de Half-Life, son arsenal et ses véhicules moins marquants que ceux de Halo, son gameplay d'infiltration moins abouti que Metal Gear Solid, sa liberté d'action moins grande que dans Deus Ex, son jeu avec la lumière sera finalement développée dans Splinter Cell. Il n'y avait tout simplement plus la place pour Perfect Dark, qui s'est retrouvé mis de côté, il tombait un peu court ; et sa suite est arrivée un peu trop tard, et n'a pas été assez convaincante, pour faire tourner la machine plus longtemps.
Moi-même, et bien que sachant pertinemment qu'il s'agissait d'un des derniers chefs d'œuvre de sa console, je suis plus facilement revenu, ces dernières années, vers GoldenEye 007 que vers Perfect Dark. James Bond était certes un peu plus brut de décoffrage que Joanna Dark, plus moche et plus lent, moins inventif, mais sa simplicité en fait un classique éternel et il en devient, ainsi, plus familier, plus accessible, plus évident.

Le jeu est ressorti en 2010 sur XBLA (Xbox 360) en version « remaster », avec un joli ripolinage graphique, et est disponible depuis 2024 sur la console virtuelle de la Nintendo Switch.

Les choses changent cependant, et je sens poindre comme un renouveau : on se rappelle, un quart de siècle plus tard, de l'existence du jeu. Il y a peu, une décompilation complète a permis de produire un excellent port PC (dépôt GitHub), qui permet de redécouvrir l'épisode dans une meilleure résolution, avec des options de contrôle nouvelles (dont le combo « clavier / souris » !), mais sans rien changer à sa physique ou à son moteur de jeu. Je l'ai redécouvert absolument par ce biais, terminant tous ses challenges, affrontant ses derniers défis, m'amusant comme un petit fou : et même si mes premiers souvenirs étaient encore assez vifs, ma relecture a renforcé mes convictions profondes, que Perfect Dark est, de loin, le meilleur FPS de la N64.
Quand on termine l'ultime mission du mode campagne, c'est attendu, le générique de fin se lance, et les noms de l'équipe de développement apparaissent sur un fond étoilé. Les derniers mots du générique sont « Perfect Dark is Forever ». Alors qu'on annonce, pour 2025, un reboot de la série, et qu'on peut à présent y jouer dans les meilleures conditions possibles, cette maxime n'a jamais été aussi vraie.

Le Noir Absolu est éternel...
MTF
(06 mars 2025)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Les images de l'article sont issues de la partie jouée sur la chaîne Youtube "LongplayArchive" (lien)
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