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Nintendo
Plus d'un siècle de génie commercial et de créations ludiques inoubliables : Naissance et évolution d'un géant.

1983 - 1989 : Nintendo règne sur le monde.

On entre ici dans la portion la plus glorieuse de l'histoire de Nintendo, celle où la compagnie va posséder plus de 90% des parts de marché du jeu vidéo, profitant de la déconfiture des géants américains du secteur.

1983

Après que Donkey Kong a assuré, pour ne pas dire sauvé son implantation américaine, Nintendo ouvre de nouvelles usines à Uji, et Nintendo of America ouvre une filiale nommée Nintendo Entertainment Centres à Vancouver (Canada). Le capital de NoA atteint 10 millions de dollars, et Nintendo figure aux premiers rangs du Tokyo Stock Exchange. C'est dans ce contexte de prospérité que la compagnie lance en juillet 83 la Famicom (Family Computer), une console qui va se vendre contre toute attente à 500.000 exemplaires en 2 mois au Japon. La Famicom n'a pas (encore) de vraie concurrente et ne coûte vraiment pas cher. Elle ne rapporte en elle-même que peu de bénéfices mais Nintendo mise sur les jeux, inventant là la tactique qui est devenue le standard marketing pour le lancement d'une console de jeu. Après quelques mois d'exploitation fructueuse au Japon, marqués tout de même par un petit incident technique qui nécessite le retour de presque tous les exemplaires vendus pour changer un composant défectueux, le lancement de la Famicom aux Etats-Unis est envisagé. Là encore, Nintendo va faire preuve d'une certaine forme de génie dans la façon dont l'opération, quasi-suicidaire au vu des ventes de la concurrence, est préparée. En 1984, le marché des consoles de jeu aux USA est au plus bas. Les jeux Atari sont vendus dix fois moins cher que trois ans auparavant, Mattel et Coleco ont jeté l'éponge, et tout le monde ne parle plus que de micro-ordinateurs, les consoles étant considérées comme un produit du passé. Ce marasme, Hiroshi Yamauchi le voit comme une terre à coloniser.

La première mesure novatrice prise par Nintendo à l'occasion du lancement de la Nintendo Entertainment System (nom donné à la Famicom en dehors du Japon) est le fameux label Nintendo Seal of Quality. Aucun titre pour NES ne peut être vendu sans ce label qui ne s'obtient qu'après une inspection rigoureuse du logiciel, quand celui-ci n'est pas carrément modifié, voire censuré. Cela signifie que Nintendo contrôle totalement son parc de jeux. Là où Atari avait vu la carrière de la VCS gangrenée peu à peu par la sortie de jeux nuls, très difficiles à distinguer des bons pour l'utilisateur, Nintendo se donne les moyens de garantir à ce dernier qu'il en aura pour son argent. Ce n'est pas tout : l'obtention du label Nintendo implique l'interdiction pour le développeur d'adapter le jeu sur tout autre système. C'est ainsi que Nintendo, qui n'a déjà guère de concurrent, peut asseoir encore plus son monopole en squattant tous les bons titres, dont les licences seront monnayées facilement grâce aux finances démesurées de la compagnie.

Castlevania et Bubble Bobble, deux jeux NES qui ont le label Nintendo.

à la voracité, Nintendo ajoute une forme d'hypocrisie en faisant appel dans un premier temps à Atari pour distribuer la NES aux states... Le deal échouera, toutefois, à cause d'une histoire stupide qui reflète bien l'état d'esprit règnant alors dans les coulisses du jeu vidéo : à l'occasion de la sortie de la console Colecovision, Coleco a acheté à Nintendo les droits de Donkey Kong pour une adaptation sur cette console, le contrat excluant tout autre système. En 1984, alors que la Colecovision arrive en fin de carrière, Coleco se fonde sur son hardware pour produire un micro-ordinateur qui lui est totalement compatible, l'Adam. Evidemment, Coleco se sert de Donkey Kong pour faire la démonstration des capacités de son ordinateur. Le code du jeu est strictement le même que sur Colecovision, il ne s'agit pas d'une adaptation. Comme tout cela se passe au moment même où Nintendo est en pourparlers avec Atari pour la distribution de la NES aux USA, les dirigeants d'Atari n'apprécient guère de voir un jeu Nintendo à succès faire les beaux jours de la concurrence, et se fâchent. Il n'y aura pas, donc, d'alliance entre Nintendo et Atari (dont les intentions initiales vis-à-vis de la NES restent aussi à éclaircir), et Nintendo attaque Coleco en justice pour rupture de contrat.

Lorsque l'on sait qu'au moment des faits, Atari est au plus bas et coûte deux millions de dollars par jour à son propriétaire, la Warner, et qu'une telle alliance aurait pu représenter une planche de salut, lorsque l'on sait encore que l'Adam a été un bide, et que Coleco a fait faillite peu après sa sortie, on ne peut s'empêcher de penser que toute cette affaire n'aura servi qu'à débarrasser Nintendo de toute concurrence, avec une facilité certainement inespérée pour Hiroshi Yamauchi. Les dirigeants américains, de leur côté, ont eu le tort de prendre Nintendo de haut, à une époque où les entreprises hi-tech japonaises sont encore assez mal considérées en Occident (dans les années 70 elles étaient même franchement méprisées).

En parallèle de ces considérations, c'est aussi en 1983 que le jeu d'arcade Mario Bros, conçu par Shigeru Miyamoto, sort et connaît un énorme succès. On y dirige le même personnage que dans Donkey Kong, désormais capable d'assommer des ennemis par dessous d'un coup de tête, et de tomber de n'importe quelle hauteur sans mourir, autant d'idées soufflées à Miyamoto par Gunpei Yokoi. Toujours moustachu, le héros n'est plus charpentier mais plombier (le gameplay et les décors à base de tuyaux l'exigent), porte le prénom de Mario (la légende veut que ce soit un clin d'oeil à Mario Segale, propriétaire des locaux de NoA, très bruyant quand il venait réclamer les loyers en retard) et se découvre un frère (Luigi) du fait que le jeu peut se pratiquer à deux. Ce personnage va rapidement devenir la figure de proue de Nintendo, dans une politique marketing quelque peu inspirée de Disney qui consiste à mettre en avant les produits maison plutôt que les licences achetées à d'autres éditeurs.

Mario Bros.

1984

Nintendo engrange plus d'argent que jamais. La Famicom se vend toujours très bien au Japon, où la sortie de nouveaux jeux est parfois vécue comme un évènement populaire national. D'autres consoles sont alors sur le marché comme la SG-1000 de Sega, mais ne se vendent pas suffisamment pour inquiéter Nintendo. Le seul problème auquel la compagnie fait face est la taille insuffisante de son département de développement (R&D). Celui-ci se voit alors divisé en trois entités, dirigées respectivement par Gunpei Yokoi, Masayuki Uemura et Takeda Genyo, qui recrutent le plus possible de techniciens et d'artistes. Toutefois, Yamauchi préfère que la qualité prime sur la quantité, les bons jeux pouvant se vendre à plusieurs millions d'exemplaires. De lourdes sommes sont également investies dans la promotion et la publicité. Côté arcade, Nintendo lance une ligne de jeux à deux écrans nommés VS. System, dont le premier titre est Donkey Kong 3. Le manque de succès de ce jeu fera disparaître (temporairement) le grand singe des produits Nintendo, au profit des frères Mario, très populaires.

1985

Au CES (Consumer Electronic Show) en janvier, la sortie de la NES aux USA est officiellement annoncée. Elle sera accompagnée de la mise sur le marché de 25 jeux. La sortie est prévue pour le mois de septembre, puis sera repoussée aux fêtes de Noël. En décembre, elle est mise en test marketing sur la ville de New York et se vend à 90.000 exemplaires, ce qui semble présager d'un succès qui va se confirmer par la suite. Super Mario Bros, sur Famicom (toujours supervisé par Shigeru Miyamoto), sort au Japon et explose tous les records de vente. Cependant, le marché mondial des jeux vidéo est en plein effondrement, avec des gains qui ont baissé de moitié. Nintendo en empoche la quasi-totalité, et reste donc en excellente santé.

1986

En début d'année, après de fructueux essais de commercialisation locale pendant les fêtes de Noël, la NES est lancée dans tous les Etats-Unis, le nombre de jeux sortis simultanément se limitant finalement à 15. Rapidement, les ventes de la console deviennent dix fois supérieures à celles de tous ses concurrents réunis, et en septembre la sortie en Europe a lieu, avec le même succès. C'est un fait, la NES est une réussite mondiale que personne n'aurait pu prévoir, sauf les dirigeants de Nintendo. Au Japon, le Famicom Disk System est lancé, permettant de jouer à des jeux stockés sur disquettes, support moins coûteux que la cartouche, mais fragile et dépourvu de protection contre la copie.

Une Famicom posée sur un Famicom Disk System.

Le Famicom Disk System sera rapidement abandonné, ainsi que toute velléité de la part de Nintendo d'utiliser autre chose que la cartouche comme support logiciel, et ce pour longtemps. Metroid, auquel Gunpei Yokoi a participé, fait partie des quelques jeux à avoir été commercialisés sur disquette au Japon. Pour en augmenter les ventes, Nintendo le sortira dans le reste du monde en cartouche, et là, le succès sera au rendez-vous.

1987

La NES est au plus fort de son succès aux states. The Legend of Zelda, jeu d'aventure issu l'année précédente de l'imagination de Shigeru Miyamoto, devient le premier titre non fourni avec une console à dépasser le million d'exemplaires vendus, au moment même où sort sa suite The Legend of Zelda 2: The Adventure of Link. Gunpei Yokoi présente son nouveau prototype, la Game Boy, console portable à affichage LCD, et prédit qu'elle se vendra à 25 millions d'exemplaires en 3 ans. L'avenir lui donnera tort, puisque ce chiffre sera dépassé !

Cette même année, NEC lance la PC Engine, console nettement plus puissante que la NES, mais à la ludothèque appauvrie en titres forts, ceux-ci étant trustés par Nintendo. Sega propose aussi une alternative intéressante à la NES avec la Sega Master System, console légèrement plus puissante mais qui souffre également d'un manque de titres forts, quoique les adaptations des jeux d'arcade de son constructeur lui donnent un argument de poids. Aux USA, la SMS est écrasée par l'intouchable NES, mais en Europe et au Japon, Sega fait d'excellents résultats. Grâce à ces succès divers, tous japonais en dehors du secteur de l'arcade où Atari garde une bonne cote, le marché des jeux vidéo remonte un peu la pente.

1988

La NES possède maintenant 70 titres dans sa ludothèque. Le jeu Super Mario Bros 2, issu d'un projet nommé Doki Doki Panic auquel on a associé Mario à la dernière minute, sort en Europe et aux USA et se vend à 10 millions d'exemplaires (le vrai Super Mario Bros 2, trop ressemblant au premier et inutilement difficile, n'est sorti qu'au Japon et n'a pas marché).

Alexei Pajitnov (né en 1956) et Vadim Gerasimov (né en 1968).

En URSS, deux étudiants nommés Alexei Pajitnov et Vadim Gerasimov ont créé en 1984 un jeu vidéo appelé Tetris qui fait couler beaucoup d'encre. Ce titre révolutionnaire de simplicité et d'attractivité fait le tour de la planète et rapporte beaucoup d'argent à beaucoup de monde, sauf à ses deux auteurs. Pour tout le monde Tetris est un jeu soviétique, mais lorsqu'il s'agit de se partager les gains, les choses sont beaucoup moins claires (voir l'article sur Tetris). Nintendo s'y intéresse de près et finira par en obtenir les droits d'exploitation. Minoru Arakawa, gendre de Hiroshi Yamauchi et président de Nintendo of America, imagine un lancement couplé de la Game Boy et de Tetris, et ce sera un autre énorme jackpot pour Nintendo, en plus des 7 millions de cartouches NES vendues cette année-là.

Minoru Arakawa et Howard Lincoln ont dirigé Nintendo of America dans les années 80, et largement contribué à la relance du marché américain des jeux vidéo, alors sinistré.

Le 12 décembre, Atari traîne Nintendo en justice pour exercice illégal d'un monopole sur le marché du jeu vidéo. De multiples actes de concurrence déloyale sont reprochés, parmi lesquels figure en bonne place le fameux label Nintendo. Le procès ne donnera rien. Nintendo possède alors 85% des parts d'un marché en bien meilleure forme que 5 ans auparavant. Aux USA et au Japon, un foyer sur trois possède une NES, soit deux fois plus que de magnétoscopes...

1989

La Game Boy est lancée au Japon, avec le jeu Tetris comme prévu, puis plus tard avec Super Mario Land. Les études montrent que Mario est à présent aussi connu que Mickey Mouse ou Bugs Bunny.

Les produits dérivés de Mario se multiplient. Ici, un autocollant datant de 1989 .

On annonce le successeur de la Famicom, la Super Famicom (appelée logiquement Super Nintendo Entertainment System aux USA et en Europe), une console qui est dans un premier temps censée être compatible avec les jeux de la NES. Aux Etats-Unis, un film titré The Wizard (réalisé par Todd Holland) sort sur les écrans, avec Fred Savage, Beau Bridges et Christian Slater. Il raconte l'histoire d'un jeune garçon qui projette de participer à un championnat du monde de jeux Nintendo. Lors de la scène finale, à savoir le concours en question, les concurrents s'affrontent sur une nouvelle version de Super Mario, Super Mario Bros 3, qui est en fait une pré-version de la prochaine grande sortie sur NES. Cette habile opération promotionnelle va provoquer une énorme attente du jeu, dont le succès est dors et déjà assuré. Super Mario Bros 3 se vendra à plus de 18 millions d'exemplaires, rapportant plus de 500 millions de dollars.

Au milieu de ses concurrents, Nintendo fait de plus en plus figure de géant. NEC poursuit la diffusion de sa PC Engine, qui sort aux USA sous le nom de Turbo Grafx-16. Si la console se vend très bien au Japon, c'est un flop aux USA et un succès très limité en Europe. La raison en est toujours le manque de jeux vedettes, même si peu à peu son catalogue s'enrichit de titres excellents (et méconnus). Atari, de son côté, sort la Lynx, une superbe console portable LCD couleur, nantie de bons jeux mais qui coûte beaucoup plus cher que la Game Boy, n'en a pas l'autonomie sur piles, et ne parviendra pas à la détrôner. C'est le début d'une hégémonie de Nintendo sur le secteur des consoles portables, jamais démentie par la suite.

Aux Etats-Unis, le label Nintendo et la main-mise de Nintendo sur les jeux NES commencent à être fortement contestés. Atari sort des jeux NES, sous le label Tengen, sans l'accord de Nintendo. Ce sont pour la plupart des licences de titres développés par Sega et Namco, concurrents directs de Nintendo, comme Afterburner, Shinobi ou Alien Syndrome, ainsi que d'autres titres comme Klax, MsPac Man, Pac Man, RBI Baseball, Hard Drivin' ou même Tetris, et se vendent très bien, ce qui agace les dirigeants de Nintendo of America.

Tetris : De tous les jeux Tengen pour NES, c'est celui-ci qui a fait couler le plus d'encre.

Nintendo attaque Atari pour violation de patente, mais cette fois se heurte à la justice américaine qui, comme chacun le sait, déteste les monopoles. Les revendeurs qui affichent des titres Tengen dans leur catalogue sont alors menacés de boycott par Nintendo. Atari contre attaque en justice, et gagne à nouveau, puis le jugement est retourné en appel, autorisant Nintendo à continuer d'intimider les revendeurs. Ceux-ci, dans la plupart des cas, coopèrent, ne voulant pas perdre la manne financière que représentent les jeux NES. Sega, de son côté, poursuit sa lente progression avec la Genesis (Mega Drive en Europe), qui sort aux USA et ne manque pas de faire forte impression avec son authentique processeur 16-bits qui autorise des jeux d'un genre nouveau, qui font passer la NES pour une antiquité technique. Cela n'empêche cette dernière de se vendre cette année là à 9 millions d'exemplaires (et 50 millions de cartouches).

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