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Klonoa: Door to Phantomile
Année : 1997
Système : Playstation
Développeur : Namco
Éditeur : SCEE
Genre : Plate-forme / Action
Par MTF (01 mars 2021)

Si la Playstation, première du nom, est surtout connue aujourd'hui pour avoir démocratisé, à défaut de l'avoir inventée, la trois dimensions dans le jeu vidéo, c'est oublier qu'elle proposa, certes moindrement que la Saturn, des jeux en deux dimensions d'une beauté inédite alors. J'ai déjà parlé ici de Rayman, de Abe's Oddysee ou de Heart of Darkness, tous trois brillants représentants de la plates-forme ; mais aux côtés de ces aventures, on vit apparaître une mode assez brève des jeux dits en « 2.5 D » qui peuvent effectivement être considérés comme des sortes de paliers intermédiaires entre deux générations. Le principe est assez net : il s'agit de proposer un parcours sur un plan en deux dimensions mais avec des angles de caméras dynamiques, quelques modèles polygonés, parfois des intersections permettant d'aller vers la caméra ou de s'en éloigner. Ce type de jeux, aujourd'hui, me semble plus ou moins oublié : ils furent à l'époque rapidement éclipsés par les jeux en trois dimensions intégrales, et on leur préfère aujourd'hui le défilement strict, qu'il s'agisse d'évoquer l'ancienne façon (Shovel Knight, Cyber Shadow) ou de bénéficier des avantages que proposent les graphismes proches des dessins animés (Rayman Legends, Cuphead).
Il y eut néanmoins quelques glorieux représentants du genre, et ils tiraient à eux les meilleures pages des magazines spécialisés : Bug!, Nights into Dreams mais surtout Pandemonium! ont parfois été vus comme « l'avenir » du jeu de plates-formes et les évolutions naturelles des Donkey Kong Country. L'histoire en a jugé autrement ; et même si Crash Bandicoot a su, difficilement, survivre, on peine néanmoins à le rattacher à ce genre tant il propose souvent autre chose qu'un simple défilement linéaire. Aussi, je pense que l'on peut le considérer comme une véritable curiosité de cette génération.

Nights into Dreams, à gauche, et Pandemonium, à droite, sont tous deux sortis en 1996 et représentent sans doute la quintessence de cette mode de la « 2,5D ».

Parmi tous les représentants de ce genre, Klonoa est peut-être celui que je retiens le mieux, et celui sans doute qui connut la meilleure, bien que faible, postérité. Ce jeu de plates-formes de Namco, qui participa à la création de l'esprit de la console avec Ridge Racer, puis Tekken ou Soul Edge, fut assez bien remarqué à sa sortie, entre 1997 et 1998 ; mais le soufflet rapidement retomba, non sans raison cependant. Du moins, si le jeu était, et demeure, assez sympathique, on en fait effectivement assez vite le tour, sans de raisons particulières d'y revenir. Je ne l'avais d'ailleurs jadis qu'essayé, rapidement, en magasin, avant de m'en détourner : l'heure n'était plus à ça. En y revenant tout récemment, alors que j'explorais les jeux manqués de mon passé, je tombais un peu plus sous son charme ; et bien que j'eusse été, jadis, déçu d'avoir payé le prix fort pour le jeu, c'est avec bienveillance que je le reçus cette fois seconde.
Klonoa: Door to Phantomile, de son nom complet, prend place dans un univers où les rêves se font toujours prémonitoires et se matérialisent donc, sans exception, dans la réalité. Notre héros, un lapin noir et espiègle, rêve un jour qu'un avion s'écrase à flanc de montagne, non loin de son village, ce qui arrive évidemment quelques jours plus tard. Avec son ami Huepow, un esprit habitant dans une bague magique, il explore le site de l'accident et découvre alors une sombre machination : Ghadius, Roi des Cauchemars, sort de trois-mille ans d'emprisonnement et décide de se venger en libérant une créature maléfique. Est-ce que Klonoa, Huepow, leurs amis et leurs alliées réussiront à arrêter ses noirs desseins ?

La cinématique d'introduction nous raconte la découverte, par Klonoa, de l'anneau qui abritera Huepow tandis qu'à droite, Ghadius et Joka, son fidèle second, ourdissent de terrifiants projets.

Il était une fois...

Ce qui frappe en lançant une partie de Klonoa pour la première fois, c'est sa douceur et sa tendresse, son enthousiasme. La cinématique inaugurale, à défaut d'être plus belle que celles des jeux contemporains, illustre un univers chatoyant et rigolo, où le ciel bleu se dispute aux vertes prairies. La petite mélodie inaugurale est un trésor d'invitation ludique, et rapidement nous entrons dans un monde en appelant au merveilleux et aux contes de fées. La cible du jeu, l'équipe de développement de l'avoir souvent dit, était les enfants et en cela, je pense qu'elle a parfaitement réussi. J'étais adolescent à la sortie du jeu, et je l'ai dédaigné précisément à cause de cela ; à présent que je vieillis et que je me découvre de nouvelles tendresses, je vois bien les qualités de cette ligne ronde qui plaira tant aux parents qu'à leur progéniture, même si le mielleux de l'ensemble pourra, occasionnellement, donner la nausée même au plus gentil des mignards.
Tout dans Klonoa est joli et sympathique : couleurs, formes, musiques, on se croirait dans un véritable film d'animation et même si les environnements traversés ne sont pas particulièrement inédits (on va trouver de la forêt, des cités antiques ou magiques, de sombres cavernes...), leur dessin est suffisamment charmant pour faire oublier leur manque général d'inspiration. Leur faible nombre empêche cependant la redite, et on y reste trop peu de temps pour s'en lasser véritablement ; même, on se surprend à retenir quelques curiosités, cette vallée des vents ou cette tour aux mécanismes de bois, qui témoignent d'une véritable cohérence interne.

Le livre fait figure de carte du monde, et nous renseigne sur les secrets découverts. Parmi ces niveaux, le passage dans les bois, avec ses cahutes suspendues et sa musique tribale, est sans doute mon favori.

Cela, je pense, distingue Klonoa de Yoshi's Story, qui sortit plus ou moins à la même période et qui partage bien des similitudes avec celui-ci, notamment la présentation des mondes du jeu sous forme de livre s'ouvrant et se complétant au fur et à mesure de notre périple. Mais tandis que Nintendo utilisait ce principe pour proposer une marquetterie bigarée et sautiller de place en place, parfois peu heureusement, Klonoa verrouille sa géographie en proposant un monde plus étroitement connecté, ne serait-ce que par les dialogues du jeu. Bien que l'on ne puisse en effet choisir sa destination future, l'aventure étant d'une linéarité confondante, lire que l'on peut rejoindre tel royaume à partir de tel autre par cette caverne, ou qu'une rivière qui arrose la forêt trouve sa source dans une contrée voisine, participe à construire agréablement le monde.
De même, l'univers de Klonoa est davantage peuplé que l'île des Yoshis, et chaque pays verra sa peuplade ou son ethnie, entre les gardes farouches des bois, les Sélénites ou la tribu de l'eau. On devine cependant davantage qu'on apprend, tant le jeu, et cela m'a surpris, ne perd guère de temps à justifier son identité. Les dialogues semblent considérer que tout nous est déjà connu, et si ce n'est l'une ou l'autre révélation concernant Ghadius et son grand œuvre, rien ne nous sera vraiment expliqué.

Les dialogues sont soit confondants de mutisme, soit maladroitement explicatifs, mais tout cela manque cruellement d'âme.

C'est d'ailleurs le seul véritable grief que je ferai à l'intrigue, une fois mise de côté son identité melliflue qui procède davantage d'un choix artistique que d'un défaut particulier. Certes, le jeu se présente comme une course-poursuite, Klonoa et Huepow cherchant à tout prix à empêcher Ghadius et ses sbires de mener à bien leurs sombres missions, et il est donc une urgence particulière à chaque étape de notre progression ; mais il m'a parfois manqué un peu de théâtre ou de mise en scène, une respiration pour mieux comprendre le sens de nos actions. Quand tel personnage meurt ainsi, est enlevé ou disparaît, le choc émotionnel est sinon faible, souvent nul : et même si le manuel donnait, jadis, quelques clés de compréhension, il est dommage que le jeu ne se tienne pas par sa force seule.
Le jeu manque dès lors d'efficacité sur ce point-là, et ne parvient pas véritablement à construire ses effets. On finit par jouer assez mécaniquement et même si le cœur de son gameplay, on le verra ci-après, demeure assez solide, l'entre-deux devient assez inconfortable. C'est dommage : avec un peu plus de narration, une cinématique ou deux de plus, voire l'opportunité d'explorer un peu ce village et de discuter avec ses habitantes et habitants, on aurait eu quelque chose de plus engageant et de plus intéressant.

Il est dommage ainsi de traverser des temples et des places fortes qui semblent pétries de passé, mais dont on ne saura hélas quasiment rien.

Et Huepow pompait, et il pompait...

Fort heureusement, la partie ludique rattrape assez bien l'histoire inexperte et offre quelques situations intéressantes. En et par lui-même, Klonoa dispose des capacités attendues d'un jeu de plates-formes du temps : il court et saute, et peut même voleter légèrement et petitement avec ses oreilles, ce qui contribue à le rapprocher, une fois encore, des Yoshis dont on parlait plus haut. On comprendra cependant rapidement qu'il ne peut se défaire des ennemis en les écrasant, le moindre contact, quel qu'il soit, avec eux, le blessant.
Pour les vaincre, il lui faut faire appel à son comparse qui, d'une pression de bouton, déclenchera son « rayon éole » dont le principal effet est de faire gonfler les ennemis comme des baudruches. Ce faisant, l'on peut les employer comme projectile, autant pour tuer d'autres ennemis qu'activer des mécanismes lointains, mais surtout pour s'en servir de promontoire et bénéficier ainsi d'un « double saut » particulièrement efficace et rapidement nécessaire pour progresser.

Je ne peux m'empêcher de croire que le processus est douloureux... mais c'est bien utile pour activer des interrupteurs au premier plan !

Le besoin, dès lors, de devoir faire appel aux ennemis ainsi gonflés pour avancer dans la partie donne au jeu une toute légère dimension réflexive, même si on comprendra bien vite ce qu'il nous faut faire. Il s'agit ainsi parfois de trouver un ennemi, ou de le faire venir, à l'endroit idoine pour ensuite l'utiliser, ou encore de trouver son chemin dans un petit labyrinthe pour atteindre une haute plate-forme. Si on ne se crispera pas vraiment les méninges, il est quelques bonus cachés qui demanderont un peu plus d'intelligence et qui pourront éventuellement vous arrêter une ou deux minutes supplémentaires.
Si cette idée est bienvenue, elle affecte en revanche et notablement le rythme du jeu, qui en devient assez plan. Comme les ennemis reviennent toujours dans l'aire de jeu (il ne faudrait pas qu'on ne puisse progresser, faute de réaliser un double-saut !), chercher à les tuer est vain et on ne se sent donc jamais vraiment d'une force particulière ; et si ce n'est dans les ultimes niveaux, qui multiplient indûment les goufres sans fond, on pourra souvent retenter un saut manqué en ayant l'assurance de toujours retomber en terrain connu.

Les boss sont rapidement expédiés, et les cœurs de vie abondent... Dommage ! Un peu plus de challenge eût été bienvenu.

L'exploration, de même, est relativement quelconque, déroutante même parfois par endroit. Il m'est arrivé notamment plus d'une fois de ne pas savoir, quand une fourche se présentait à moi, où était la voie première, où était le sentier second ; et il n'est rien de plus frustrant que de croire s'aventurer dans une zone cachée et finalement de déclencher un événement nous empêchant de glaner les derniers secrets du niveau. Toutes choses égales par ailleurs, cela n'est pas bien grave dans la mesure où la récompense scandant la complétion parfaite est pour le moins décevante ; mais comme le jeu n'invite pas nécessairement à la relecture, on finit par se demander si tout cela vaut vraiment la chandelle.
Car, et là encore je ne peux m'empêcher de faire le lien avec Yoshi's Story qui souffrait des mêmes tares, le jeu manque clairement de souffle, sans faire de jeu de mots particulier. Ses mécaniques, toutes simples soient-elles, ne sont pas exploitées parfaitement ou avec suffisamment de variation, et on finit toujours par faire les mêmes choses. Il faudra attendre la toute fin du jeu, ou presque, pour qu'on nous demande des techniques un peu plus avancées comme des triples sauts ou des interrupteurs compliqués, et qu'on goûte un peu de challenge. Il y avait là pas mal de potentiel, déçu hélas ; et si ce n'est précisément l'ultime stage secret, accessible une fois tous les bonus collectés, qui exige d'exploiter le moteur de jeu à sa pleine mesure, nous n'aurons guère l'occasion de faire preuve de maestria.

Quelques niveaux vous demandent de rebrousser chemin après avoir activé un interrupteur, mais ils sont bien trop rares... Quant au niveau bonus, il se présente sous la forme d'une course contre la montre parfois un peu retorde, mais sans difficulté massive.

Un rêve très étrange...

Cet essoufflement se rencontre même dans la présentation générale du jeu, qui tombe à chaque fois un peu court. Tout comme l'intrigue ne prenait pas le temps de s'installer, tout comme le gameplay râle au moindre effort, ainsi en va-t-il de la difficulté générale du jeu, de sa mise en scène, de sa poésie. Alors certes, la cible du jeu étant les enfants, on pouvait s'attendre à ce qu'il soit assez simple. Cela frise cependant souvent l'insulte, seul l'ultime boss, par sa longueur, pourra sans doute surprendre ; et quand bien même, on aurait pu exiger une quête alternative, des secrets mieux cachés, quelque chose titillant notre intérêt.
On sent également, et bizarrement, que Klonoa hésite à faire preuve d'audace et qu'il reste bien trop sage. Ainsi, bien que le jeu propose épisodiquement des chemins spiralant et bouclant sur eux-mêmes, un niveau au déroulement plus ouvert, des combats de boss aux arènes en formes de cerceaux, cela ne représente qu'une portion infinitisémale de son économie. Le jeu étant court, du reste (une douzaine de niveaux à peine, qu'on boucle chacun en une dizaine ou une douzaine de minutes si on prend le temps de tout explorer), on regrette de n'avoir à se mettre sous la dent qu'un nouveau décor, très occasionnellement un nouvel ennemi et encore !, ceux-ci de se répéter inlassablement.

Ce type d'arène en cercle était déjà présent dans Pandemonium ! Les niveaux permettent, sinon, de voir parfois au loin les futures épreuves qui nous attendent.

Tout cela en vérité est d'une stupide tristesse car tout était là pourtant, tous les éléments étaient présents, ont été pensés avec amour et diligence, mais tout finit par manquer d'ambition, même d'orgueil. C'est dommage, car on ressort de Klonoa assez triste, triste de ne pas avoir eu davantage, triste de n'avoir eu « que ça », alors qu'il y avait tant à faire. Objectivement parlant, on ne saurait le considérer comme un mauvais jeu, loin de là même : ce qu'il fait, il le fait extraordinairement bien et si on ne prenait qu'une collection de moments, de vignettes ou de « visions », le terme choisi pour appeler les stages, on ne verrait là que du bon. Mais un jeu est davantage que la somme de ses parties, du moins, il doit aspirer à l'être : et ce qui fonctionne bien dans un premier niveau alasse et agace, si on le répète pendant plusieurs heures sans variation.
Alors, bien entendu, si on le prend comme une pochade, une distraction, Klonoa « fait le travail » et remplit sa mission, même, je pense qu'à l'époque, il convint parfaitement aux plus jeunes d'entre nous et fut une introduction charmante au jeu vidéo et à la plate-forme. Au contraire d'un Mario, par exemple, qui peut être difficile à terminer, n'importe qui peut finir Klonoa sans trop de mal, peut-être avec un peu de persévérance pour l'un ou l'autre boss, et encore.

L'effet de rondeur est bien mené, mais trop rare, tout comme les petites idées pimentant la partie, à l'instar de ce niveau alternant entre des ennemis invincibles de nuit, et des plates-formes disparaissant le jour.

Mais le jeu aurait pu être plus, bien plus à mon sens. Il est frustrant, agaçant, de voir ainsi tout ce potentiel gâché et le personnage rejoindre les rangs, nombreux et serrés, de ces « mascottes » qui ne parvinrent jamais à se faire un nom. Le jeu eut une suite sur Playstation 2 certes, même un remake sur Wii, sur lesquels je ne dirai rien, puisque je n'y ai pas joué suffisamment pour m'en faire une idée ; mais leur oubli rapide de la conscience collective me fait croire que cela ne suffit pas à sauver le lapin noir.
Malgré tout, et même si vous risquez d'en sortir perplexe, je vous recommanderai Klonoa, que vous trouviez la galette à vil prix en brocante, que vous le téléchargiez sur console virtuelle ou en profitiez par un autre biais. L'expérience ne vous occupera guère plus que quelques après-midis, si vous vous décidez à aller jusqu'au bout, une heure ou deux si vous voulez juste goûter le jeu, et je peux vous assurer que ces premiers moments sont représentatifs de l'essentiel. Mais que ces après-midis sont agréables, que ces moments sont beaux : Klonoa n'est certes pas un bouquet immortel, mais c'est une rose flamboyante et odorante qui imprime moins sa forme que son idée, et satisfait toujours, même si fugacement.

La princesse (ou la diva, si on veut) est sauvée, tout est rentré dans l'ordre ! À moins que... Huepow, que l'on voit ici sous sa forme réelle, a une révélation fracassante à faire... et que je vous laisserai découvrir par vous-même !
MTF
(01 mars 2021)
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