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Yoshi's Story
Année : 1998
Système : N64
Développeur : Nintendo
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action
Par MTF (17 février 2014)

Je me souviens avoir lu, un jour, une phrase de René Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote (mâtin, quel journal !), en réponse à un auxiliaire qui lui demandait s'il ne fallait pas solliciter les lecteurs pour la nouvelle maquette alors en préparation. Et Goscinny de répondre : « Le jour où les lecteurs feront le journal, je n'aurai plus qu'à démissionner. » J'aime cette anecdote. J'aime cette anecdote car elle rappelle une vérité intéressante : les décisions prises par les créateurs ne tiennent que rarement compte des envies et des velléités du public. C'est une bonne chose, selon moi : il n'y a que comme ça que l'on pourra surprendre. Mais, d'un autre côté, il n'est pas dit que nous aurons toujours raison...
La situation : Yoshi's Island, sorti en 1995 et dont j'ai déjà parlé ici, était considéré comme le plus grand jeu de plateformes de tous les temps. Bien que fondamentalement différent de Super Mario World, son parti-pris graphique, ses idées de gameplay, son challenge, en ont fait une pièce maîtresse de la fin de vie de la Super Nintendo. Aussi, lorsqu'en 1996 une suite en préparation, sous le nom de Yoshi's Island 64, est dévoilée sur, vous l'avez deviné, la N64, et qu'elle accapare le temps des développeurs de l'épisode précédent, tout un chacun est emballé. Lorsqu'on découvre, du reste, qu'il s'agit encore d'un jeu en deux dimensions avec, il est vrai, un léger effet de profondeur, l'on ne peut qu'être excité : du moins, c'était mon cas à l'époque. Les premières images nous montrent des Yoshis dans des univers pastels empruntant, cette fois-ci, moins au dessin et aux crayonnés qu'aux arts plastiques et à l'artisanat. On y voit alors des surfaces rapiécées comme du tissu, d'autres imitant des ballons de plastique aux coutures apparentes, le ciel semble fait de bois ou de papier peint. Miyamoto, se fendant de plusieurs interviews, fait savoir qu'il n'y aura, cette fois-ci, nul Bébé Mario pour contraindre le joueur : finis, cris horribles, fini, compte-à-rebours vicelard ; cette fois-ci, le projecteur éclaire le dinosaure, et lui seul.

Des concept arts devant donner une idée du résultat final. Magnifique, non ? Malheureusement, le véritable rendu sera plus terne... Maudite sortie vidéo de la console !

Décembre 1997 au Japon, premier semestre 1998 partout ailleurs. Le jeu, rebaptisé Yoshi's Story, sort enfin. Et ce fut comme si de nombreuses voix hurlèrent de terreur, puis s'éteignirent brutalement.

So happy!

L'histoire de Yoshi's Story prend place, plus ou moins, après le périple des Yoshis dans le premier épisode. Le jeu nous raconte, sous la forme d'un livre d'images dépliantes, que les dinosaures vivaient en harmonie grâce à un arbre magique délivrant fruits et bonheur à quiconque. Un jour, Baby Bowser et ses sbires décident de voler la plante. Patatras, aux dinosaures d'aller le chercher dans son fief et de rétablir l'ordre dans le pays.
Autant le dire tout de go : celles et ceux qui trouvaient déjà insupportable et, pour le moins, mignarde l'histoire du premier épisode ont intérêt à se faire une cure de testostérone avant d'aborder Yoshi's Story. Tout n'est que joie, festons, petites fleurs ; les Yoshis ânonnent des ritournelles énervantes d'une voix haut perchée, de gros cœurs apparaissent brusquement à l'écran et la musique sautille toujours, même lors de la traversée des donjons finaux. À l'époque, dans les magazines, l'on avait qualifié le jeu de « féminin ». Je ne m'embarquerai pas dans cette zone-là : tout au plus pourra-t-on dire qu'il est, peut-être, bien plus enfantin que les autres productions Nintendo qui, déjà, s'orientent souvent vers le plus jeune des publics.

Quelques extraits de l'introduction et d'une séquence intermédiaire... Le tout est accompagné d'une comptine chantée en langue Yoshi. Il faut avoir connu ça au moins une fois dans sa vie.

Pour poursuivre un rien sur l'histoire et les personnages, une belle part du bestiaire de Yoshi's Island a été repris : Baby Bowser bien entendu, mais aussi Kamek et les Maskass (Shy Guy) qui deviennent ici pirates, danseurs de limbo, explorateurs des fonds marins. L'on notera que beaucoup d'ennemis apparaissant ici feront une seule et unique apparition dans l'univers de Mario ; et s'ils appartiennent, de plein droit, à l'iconographie globale du jeu, il est vrai qu'il aurait été étrange de les apercevoir ailleurs. Cela se reproduira parfois à l'avenir, comme dans Super Mario Sunshine où les créatures inventées pour l'occasion ne seront pas reprises par la suite. Ce qu'il ne sera guère difficile d'arguer en revanche, c'est que la difficulté du jeu épouse parfaitement son imagerie : il ne faudra qu'une après-midi pour voir le générique de fin. Moins, d'ailleurs : ma première partie a dû durer, bon an, mal an, deux ou trois heures, tout au plus. C'est que le principe du jeu est des plus particuliers...
Le titre se compose de six mondes, composés chacun de quatre niveaux. Au début du jeu, le joueur peut sélectionner, sans difficulté aucune, les niveaux 1-1, 1-2, 1-3 et 1-4 ; et une fois un seul de ceux-ci terminés, il peut alors accéder au monde suivant et ce jusqu'à la fin du jeu. Il est une contrainte particulière, cependant : dans chaque niveau se trouvent dissimulés trois gros cœurs extatiques. Ce sont, en réalité, des sortes de clés qui permettent d'ouvrir les niveaux ultérieurs. Terminez un monde sans récupérer un cœur, et seul le premier stage du monde suivant sera accessible ; un cœur en poche, deux niveaux s'ouvrent, et ainsi de suite. Sachant qu'au sein d'un même monde certains stages sont plus faciles que d'autres, il est donc toujours intéressant de récolter ces bonus. Ce n'est pas tout. Le joueur innocent qui ne saurait rien du principe de Yoshi's Story risque de poireauter longtemps au sein d'un stage. Ceux-ci sont composés de plusieurs sections, reliées entre elles par des sortes de pot en terre cuite faisant office de téléporteurs que ponctuent, à intervalles réguliers, des petits bonhommes. Ceux-ci, une fois activés, permettent d'aller de ci de là dans le niveau avec facilité.

Les Maskass sont, là encore, sur le devant de la scène. À droite, l'un des petits bonhommes dont je parlais. Ils font office de téléporteurs.

L'ennui, c'est qu'il n'y a ici nul anneau de fin de niveau, nul drapeau, nul objectif : accéder à la fin de la dernière section donne accès à un pot en terre cuite... qui reconduit au tout début du stage. J'avoue, la première fois, j'ai cru qu'on se moquait de moi.
C'est qu'en réalité, afin d'accéder au niveau suivant, il convient aux Yoshis de dévorer trente fruits parmi ceux disséminés dans le stage. Ils peuvent être flottants ci et là, détenus par des ennemis, dissimulés dans le sol, accessibles après avoir remporté l'une ou l'autre épreuve. Une fois le trentième fruit dévoré, une musique céleste s'élève, Yoshi exulte... et le niveau est terminé.

Un peu de finesse dans un monde... de finesses

Revenons un rien sur le gameplay. Le principe initié quelques années auparavant de la fabrication et des lancers d'œufs a encore cours. Globalement cependant, on les utilisera bien moins, et avec bien moins d'intelligence : quelques ennemis retors - la majorité peut être avalée, ou bien un saut-rodéo s'en débarrassera bien plus vite -, quelques mécanismes simples, rien de plus. De là, l'on ne retrouvera pas ici les perles d'ingéniosité, les transformations, les bouleversements de gameplay du jeu d'alors : l'aventure se fait bien plus linéaire que jamais, du moins, rien ne ressort de cette peinture naïve. La barre de vie, jadis endossée indirectement par Bébé Mario, est ici remplacée par une marguerite à pétales qui s'effeuille au fur et à mesure des dégâts reçus, et qui se régénère en mangeant des fruits ou certains éléments particulièrement appréciés des dinosaures.
Le grand principe du jeu, cependant, tourne autour de ces fameux fruits. Au début de chaque partie, une roulette décide quel sera le « fruit du jour » des Yoshis : le dévorer permet d'engranger plus d'énergie. À côté de cela, certaines choses, comme les piments, la font diminuer. Chaque Yoshi, sur les six disponibles initialement, a un fruit favori correspondant à sa couleur : vert pour la pastèque, jaune pour les bananes, etc. En manger rapporte autant d'énergie que le « fruit du jour », et ils vous sauveront la mise quelques fois. Les Yoshis, justement, peuvent être considérés comme les « vies » du joueur. À chaque échec, le dinosaure contrôlé est embarqué par les maskass pour être fait prisonnier dans le château de Bébé Bowser. Une fois tous les Yoshis emprisonnés, la partie est terminée. Pour les libérer, il convient de trouver, dissimulé dans certains niveaux uniquement, un Maskass blanc qui, une fois sélectionné, ira libérer l'une des pauvres bêtes. Au titre des secrets, l'on notera, bien cachés là encore, un Yoshi Noir et un Yoshi Blanc pour qui tous les fruits, même les piments, sont des « fruits favoris » : ils vous faciliteront bien volontiers la tâche.

Qu'est-ce qu'ils sont trognons ! Faites vos jeux, mesdames et messieurs, faites vos jeux.

Et... ce sera tout. Oubliez les niveaux secrets, les zones bonus, l'exploration constante. Si chaque stage ne manque pas de prendre place dans un environnement particulier selon une règle chère à Miyamoto, rien ne pourra jamais vous surprendre, nonobstant cette nécessité de trouver trente fruits dans chaque niveau. À côté de la profusion extrême de l'épisode Super Nes, l'on ne peut qu'être déçu. Mais ce n'est là que le commencement...

Le concept de l'iceberg

Car une fois le mode histoire terminé, et une fois les vingt-quatre stages débloqués, le joueur aura tout intérêt à aller vers le mode « épreuve » qui, loin d'être secondaire, est l'essentiel de la cartouche. Dans ce mode, nous sommes invités à refaire les niveaux afin d'obtenir, ce qui est rare chez Nintendo, le plus haut score possible. Yoshi's Story n'est, en effet, nullement un jeu de plateformes classiques, mais bien un jeu d'arcade : et de la même façon que Wario Land 4, son plein potentiel ne se dévoile qu'en faisant la course au score.

L'on pourra parfois choisir son chemin. À droite, l'un des rares boss du jeu. Si ce n'est Baby Bowser, le joueur n'en affrontera qu'un seul, une fois le niveau 4-x terminé.

Les mécaniques de gameplay sont, pour cela, entièrement tournées vers ce principe. Les fruits favoris de chaque Yoshi sont ceux qui rapportent le plus de points ; à côté de cela, la couleur influence aussi les ennemis, comme les Shy Guy : il faut alors chercher à en manger le plus possible de la même couleur et, le cas échéant, un saut-rodéo à proximité leur fera changer de robe. Au début de chaque partie, rappelez-vous, un « fruit du jour » est sélectionné : il aura alors le même effet que le fruit favori de chacun sur le score. Les gros cœurs rapportent des points ; manger, d'affilée, sept fruits identiques fait descendre du ciel un petit cœur qui rend invincible, qui change les ennemis à proximité en fruits du jour à condition de faire, encore une fois, un saut-rodéo à côté d'eux et qui fait apparaître des petites pièces à des endroits particuliers du stage rapportant, vous vous en doutez, des points encore. Ces pièces, d'ailleurs, apparaissent ci et là si on fait un saut-rodéo à des endroits précis du stage : le joueur peut repérer ces derniers en demandant à Yoshi de « renifler », ce qui permet de trouver les choses louches.
Enfin, il y a les melons. Les melons sont les fruits favoris de tous les Yoshis. Il y en a exactement trente par niveaux, savamment cachés, et tous les dégoter compose le grand challenge du jeu. Ils donnent le plus grand nombre de points, mais il vous faudra retourner l'intégralité du niveau pour les trouver, ce qui est plus facile à dire qu'à faire. Aussi, dans l'idéal, afin d'avoir le meilleur score il convient : de finir le niveau avec l'intégralité des points de vie, de trouver les trois cœurs, de manger les trente melons, de trouver toutes les pièces cachées, et de manger tous les ennemis de la couleur correspondante au Yoshi. Inutile de dire que cela en fait, du travail...

Les épreuves permettant de gagner des melons en série sont souvent d'endurance : ici, il faut aller le plus loin possible en naviguant dans le cerceau qui fend les airs. À droite : la quête des melons représente le plus grand challenge du jeu.

Le joueur qui voudra bien se plier à cette exigence en aura alors pour son argent et il pourra, très facilement, multiplier la durée de vie du titre par quatre ou cinq. Mais ça, peu l'auront fait hélas à l'époque... Ce n'est pas que la course au score soit inintéressante : mais il manque quelque chose, à ce jeu, pour nous pousser à nous surpasser. Comparons encore une fois les choses avec Wario Land 4 : les mécaniques de scoring, sont, en soi, similaires et, de même, ne se dévoilent, et dévoilent leur potentiel, qu'une fois l'histoire achevée. Mais Wario savait surprendre le joueur par son level-design, ses nombreux cachettes dissimulées, son principe même de devoir revenir au point de départ qui oblige à faire des choix et à planifier son parcours.
Yoshi's Story fait cela mais en « mode mineur » : nul besoin de se presser. En observant attentivement l'environnement, en allant lentement, en prenant les choses comme elles viennent, il devient finalement assez facile, bien que fastidieux, de décrocher un bon score. Seules certaines épreuves d'adresse permettant de gagner des melons vous mèneront la vie dure : et, au pire, à l'aide d'un guide détaillant où se trouvent ces derniers dans les stages, rien ne sera insurmontable. L'idée de faire un jeu d'arcade dans l'univers de Yoshi, en soi, ne semble pas mauvaise. Mais, de la même façon que pour Yoshi Touch and Go (2005, DS) qui fera aussi la course aux points, il est quelque chose dans cet univers qui ne paraît pas destiné à cela. Sa nonchalance, peut-être, son insouciance : l'on a bien envie, comme dans Yoshi's Island, de parcourir une grande histoire, d'affronter mille dangers si ceux-ci s'habillent de couleurs vives et de fanfreluches ; l'on a bien envie, même si cela ne plaira pas à tous, d'arpenter un univers sage et coloré, mignon, doux, et d'oublier un instant les sombres couloirs et l'épique des quêtes d'antan ; mais l'on n'a pas envie, du moins cela ne m'a jamais tenté, de prendre les choses « sérieusement » et d'injecter de la compétition ici.

Les environnements sont tout de même fort réssis. Avec Yoshi, on est toujours en vacances !

Il y a comme une obscénité de principe ici : demande-t-on à des enfants qui jouent au football de respecter méticuleusement les règles ? Ou de faire preuve de sérieux en toute situation ? Certains parents sans doute, mais allons donc...
Le décalage dont fait preuve Yoshi's Story, de là, entre son enrobage sucré à en vomir et sa volonté de proposer un challenge scoré est bien trop important. Le jeu ne parvient pas à faire le grand écart : il lui aurait fallu ou bien repartir sur les bases de Yoshi's Island, et d'incorporer une quête du « 100% » exigeant une grande concentration, ou bien jouer parfaitement le jeu de l'arcade et d'adapter, de là, sa difficulté en accord avec celle-ci.

Le jour d'après

Tout n'est pourtant pas à jeter dans Yoshi's Story, loin de là. Les graphismes font leur petit effet et le rendu « concret », si éloigné de Yoshi's Island, est fort bien réalisé même si le rendu vidéo de la N64 n'est pas à la hauteur des espérances ; du moins, on en vient à regretter une version HD, fidèle aux premiers concept arts, pour en profiter pleinement. Les musiques, dans leur genre, toutes frétillantes, sont très sympathiques et certaines comptent même parmi mes favorites. Le gameplay, malgré sa linéarité et son absence de prises de risque, reste, mais c'était attendu de la maison, d'une excellence qui force le respect.
Mais toutes ces choses-là, finalement, ne composent que la surface des choses. Et les éléments cachés, qui d'ordinaire chez Nintendo font tout l'amour que l'on peut avoir pour leurs productions, peinent à soulever un intérêt quelconque. Contrairement à Wario Land 4 qui avait enthousiasmé et les joueurs, et la critique, même si peu ont vu tout l'intérêt « scoré » de l'aventure car présageant, sans doute, sa puissance sourde, Yoshi's Story n'aura provoqué sur son passage que le dédain, voire l'incompréhension. Certes, les joueurs ont été déçus de ne pas avoir une suite plus conforme à l'original ; mais au-delà de cela, je pense qu'ils ont été déçus, que j'ai été déçu, de la monotonie de l'ensemble. L'imagerie infantile a été synonyme, ici, d'épuration et de simplicité stupide : le jeu en deviendrait une bouillie fade que l'on nous présente certes comme pleine de nutriments, mais qui ne saurait émoustiller les papilles.

Certaines scènes sont pourtant sympathiques de multitude... Les mondes sont figurés comme dans un livre d'images. Tous les éléments, en deux dimensions, s'animent.

Et pourtant, j'y reviens de temps à autre. L'on pourra dire ce qu'on voudra : mais parce que l'aventure est courte, on y plonge facilement, à la façon d'un jeu sur console portable. On y joue une heure ou deux, on prend plaisir à trouver tous les melons que l'on peut, on se laisse attendrir, lentement, patiemment, par la joie ambiante. Et si Yoshi's Story ne sera jamais un grand jeu de plateformes ni, même et dans l'absolu, autre chose qu'un jeu « moyen », il mérite au moins un coup d'œil, ne serait-ce que pour se rappeler que les modèles peuvent être, de temps en temps, faillibles.

MTF
(17 février 2014)
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