Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Lyle (05 juin 2003)
La version pratiquée est la rom de l'original sur Super Famicom traduite par le groupe de traduction amateur DeJap. Revivre une époque bénieAu cours des dernières années de son règne, la Super Famicom devient la plate-forme de prédilection des développeurs de RPG japonais. Au Japon, le genre est depuis longtemps déjà une institution du jeu vidéo, en témoignent les kilomètres de queue devant les magasins à la sortie de chaque nouveau Dragon Quest. En 1994, Final Fantasy 6 établit de nouveaux standards de qualité et inaugure une ère nouvelle. Le genre se fait alors le creuset d'une créativité graphique et musicale, ainsi que d'un perfectionnisme rarissimes dans l'Histoire du jeu vidéo. Les deux années suivantes sont celles d'un véritable âge d'or. Deux années pendant lesquelles une succession de merveilles se sont relayées sur les étagères des boutiques japonaises ou des magasins d'import occidentaux : Chrono Trigger, Seiken Densetsu 3, Tactics Ogre, Front Mission, Tales of Phantasia, Terranigma, Rudora no Hibou, Bahamut Lagoon, Energy Breaker, Super Mario RPG, Star Ocean, Treasure Hunter G, Fire Emblem 4, Dragon Quest 6... Chacun de ces jeux exploite à plein régime capacités de la machine, montre un grand souci de finition et, plus que dans n'importe quel autre genre, agit comme un catalyseur de talents individuels (1). Pour avoir vécu cette période exceptionnelle, il fallait être Japonais, japonisant ou téméraire. La grande majorité de ces titres n'a jamais été localisée pour l'occident. Réunion de circonstances favorables ? Concours tacite de virtuosité entre développeurs ? Hasard pur et simple ? Peut-être serait-il vain de chercher une explication à un tel afflux de qualité. Reste que tout à chacun a aujourd'hui la possibilité de rattraper une partie du temps perdu. La relative démocratisation du RPG japonais ayant peu à peu attisé une curiosité retrospective pour les anciens titres du genre, une demande d'un nouveau type est née il y a déjà quelques années : la localisation posthume. Profitant des possibilités offertes par l'émulation, des groupes amateurs de hackers-traducteurs ont eu l'ingéniosité de concevoir des patchs permettant de modifier à loisir les textes des roms. Ultime preuve de leur valeur, ce sont les RPG de la Super Famicom sur lesquels on travaille le plus. Aujourd'hui, certains classiques comme Seiken Densetsu 3, Bahamut Lagoon ou Chrono Trigger sont jouables dans une multitude de langues. Bien entendu, les groupes tendent à se concentrer en priorité sur les titres les plus demandés, mais bien d'autres projets en cours de réalisation concernent des RPG moins célèbres. À terme, c'est la réhabilitation des origines du genre qui pourrait être possible, bien qu'elle soit condamnée à dépendre de la bonne volonté, des compétences et du sérieux de groupes amateurs (2). Tales of Phantasia est l'un des mieux lotis, traduit autant que l'est un album de Tintin. Cela va de l'espagnol au brésilien en passant par les langues scandinaves. On planche actuellement sur des versions grecques, russes, chinoises, vietnamiennes... Comme on va le voir, le jeu est digne d'une telle attention. Sorti au Japon à la fin de l'année 1995, Tales of Phantasia est édité par Namco, d'ordinaire associé à une culture très arcade, et conçu par Wolf Team. Ce nom n'est pas tout à fait inconnu dans l'industrie japonaise. Avant Tales of Phantasia, Wolf Team développait chez Telenet Japan des jeux de qualité variable sur Megadrive, Mega CD et Snes. On leur doit par exemple Earnest Evans, Sol Deace, Arcus Odyssey, El Viento, Neugier... Bien qu'éventuellement intéressants pour les mordus de productions nippones, leur réalisation est souvent médiocre. On a peine à croire que les mêmes personnes aient pu à la fois être derrière ces jeux mineurs et un titre du calibre de Tales of Phantasia. En fait, le fossé de qualité s'explique par le fait que seuls quelques rescapés de la période Telenet composent la Wolf Team de Namco. L'un d'eux est une célébrité en devenir : Motoi Sakuraba. Tous les autres sont de nouvelles recrues, et cette équipe fraîchement constituée ne porte pas encore son véritable nom : Tri-Ace, nom qu'elle adopte en 1996 en créant le premier Star Ocean chez Enix. Contrairement à ce que suggère les crédits de l'écran-titre, c'est donc bien avec Tales of Phantasia qu'est né l'un des plus grands développeurs de RPG, plus tard responsable de Valkyrie Profile et des Star Ocean sur les machines de Sony. Il faut avoir fait Tales of Phantasia pour s'apercevoir qu'on a tendance à en parler comme d'un illustre inconnu. En effet, le caractère impersonnel de sa redécouverte tardive a quelque chose de frustrant : on sait définir ses grandes lignes, on l'estime en tant que premier jeu d'un grand développeur et premier épisode d'une série de qualité, on est au courant de son excellence. Mais en définitive, le connaît-on vraiment ? Non. Il suffit pour s'en convaincre de comparer les discours tenus à propos de Chrono Trigger et Final Fantasy 6, les deux classiques incontestés de la machine traduits en anglais, avec ceux portant sur Tales of Phantasia. Bien vite une différence se fait sentir, un flagrant manque de vécu et de précision dans le cas de ce dernier. Tales of Phantasia est respecté plus que reconnu. C'est dire à quel point son absence de localisation officielle fut dommageable à sa carrière. On peut sans risque affirmer que s'il avait été traduit ne serait-ce que pour les États-Unis, on en parlerait aujourd'hui avec la même affection que Secret of Mana, A Link to the Past ou Chrono Trigger. Gageons que le travail des groupes amateurs, ainsi que la sortie à venir d'une version GBA finiront par porter leurs fruits, et que le jeu prendra la place qui lui revient dans l'estime des joueurs et dans la hiérarchie du genre. Présentation des hérosLe héros de l'histoire se prénomme Cless, un adolescent brutalement précipité dans un monde adulte particulièrement cruel. Aux côtés de son ami Chester, il est seul survivant de son village, massacré par des inconnus. Il semblerait que les auteurs du forfait étaient à la recherche d'un pendentif dont Cless a hérité et qui appartient à sa famille depuis des générations. La seule motivation du jeune homme est à présent d'obtenir vengeance. La route sera longue, pleine d'embûches, de combats acharnés, de rencontres et de surprises en tout genre... Seul pendant quelque temps, après s'être séparé de Chester, Cless fait d'abord la connaissance de Mint, une jeune fille reservée qu'il délivre des geôles dans lesquelles ils sont tous deux enfermés. Plus tard, deux autres personnages rejoignent l'équipe : Klarth, un invocateur un brin taciture et Arche, une jeune magicienne dont le tempérament se révèle vite être l'exacte opposé de celui de Mint. L'équipe au complet se compose ainsi de ces quatre seuls personnages pendant une grande partie de l'aventure. Des personnages simples et attachants, sans que le jeu ait besoin de trop se focaliser sur leur petite personne. Au milieu des années 1990, le RPG japonais savait encore nous rendre des protagonistes sympathiques sans avoir à forcer leur introspection. Tous ont un deuil, un secret qui motive leurs choix et que de discrètes séquences narratives nous confient à des moments-clés du jeu. Les particularités des héros ont souvent une incidence sur le déroulement et les circonstances de l'aventure. On explore de nombreuses cavernes à la recherche d'esprits que Klarth pourra ensuite invoquer. La nature demi-elfe d'Arche pose des problèmes de cohabitation raciale mais son balai, qui lui permet de voler, est à plusieurs reprises très utile pour tout le groupe. Les dons curatifs de Mint sont déterminants dans le scénario... Tous ont des relations, des attaches. À l'inverse de tous ces héros de RPG qui semblent toujours être au dessus du monde qu'ils doivent sauver, ceux de Tales of Phantasia dépendent complètement de leur univers, ce qui les rend plus vivants et pallie en quelque sorte à la prévisibilité de leurs attitudes. Il faut traverser plusieurs dizaines d'heures de jeu pour que Chester réapparaisse et intègre définitivement l'équipe. C'est à partir de ce moment qu'il faut mettre de côté l'un des cinq personnages, puisque seuls quatre d'entre eux peuvent se battre en même temps. Certes, après Final Fantasy 6 et ses quatorze personnages disponibles, on aurait pu attendre d'un titre aussi ambitieux qu'il intègre une équipe plus fournie. En fait, un tel luxe n'est pas vraiment nécessaire. L'équipe de Tales of Phantasia est aussi restreinte que polyvalente. Pour le mieux comprendre, une description exhaustive du système de combat, l'âme et la marque de fabrique de toute la série, est indispensable. Ce système hybride vu de profil mélange temps réel, action et RPG pur. Ses partis pris peuvent dérouter au départ. À force de pratique, il révèle toute son efficacité et confèrent à l'ensemble du jeu un dynamisme permanant. Mais surtout, c'est à ce système que les Tales of doivent le bénéfice de se démarquer autant des autres séries de RPG. Les bases de toute une sérieEn première ligne : ClessEn tant que héros principal, Cless est le personnage « maître » des affrontements. Il se trouve en première ligne, face à l'ennemi. C'est le seul que l'on contrôle entièrement, et c'est aussi le seul qu'on ne peut supprimer du groupe de combattants. On le déplace à droite ou à gauche, et on décide de toutes ses actions offensives. Ses compétences sont spécialisées dans l'attaque physique. Le joueur peut choisir entre quatre types de coups différents : trancher / poignarder, soit à terre, soit en sautant. Ce ne sont que les coups de base. Cless possède en plus une large panoplie de coups spéciaux qu'il obtient soit en gagnant des niveaux d'expérience, soit en les apprenant directement dans des manuels. Ces techniques se divisent en deux catégories : celles dédiées au corps à corps (short range) et celles utiles pour les assauts de longue distance (long range). Ces dernières fonctionnent même quand l'ennemi est hors champ. Dans le menu, on peut en configurer deux de chaque type. Ce qui fait un total de quatre techniques réalisables dans un même combat. À chaque fois qu'une technique est exécutée, son degré de maîtrise augmente sur une échelle représentée en pourcentage. Quel est l'interêt de maîtriser un coup à 100 % ? Certains coups sont des combinaisons : ils mélangent les techniques de deux autres coups spéciaux. C'est pourquoi ces combos peuvent être disponibles dans le menu de Cless, mais ils ne seront pas exécutables tant que les coups à combiner ne seront pas maîtrisés à 100 %. Parfois, il faut donc choisir de pratiquer une technique pas forcément appropriée à la situation dans l'unique but d'avoir accès à des combos bien plus efficaces. La plupart des coups spéciaux de Cless sont offensifs, bien que certains permettent de se défendre, de se soigner ou d'augmenter vitesse et attaque. Beaucoup incluent de la magie élémentale (feu, électricité...) et tous consomment des TP (Technical Points, similaires à des points de magie) en quantité variable. Dans un affrontement difficile, savoir choisir puis placer au bon moment les techniques de Cless est souvent la clé de la réussite. Toutes ne se valent pas mais elles sont très variées, ce qui permet au joueur de choisir parmi plusieurs stratégies d'attaque. Certaines sont utiles dans des affrontements bien spécifiques, d'autres sont passe-partout, utiles du début à la fin du jeu, leur efficacité progressant avec l'expérience de Cless. Les concepteurs ont veillé à répartir un minimum leurs forces et faiblesses. Quelques exemples : Fury Slice est un coup tranché dévastateur mais qui prend un certain temps à être envoyé, et donc facilement parable. Blade Storm déchaîne une rapide succession de petits coups peu puissants qui ont l'avantage d'immobiliser l'adversaire pendant plusieurs secondes. Le Phoenix est une technique absolument vitale : Cless prend l'apparance de l'oiseau de feu et fonce sur l'ennemi. Non seulement la cible est atteinte dans 95 % des cas, mais en plus Cless revient aussitôt après à son point de départ, plutôt que de rester à proximité de l'ennemi – s'exposant à la contre-attaque - comme c'est le cas avec les autres techniques. Autre qualité de Phoenix, elle se combine avec un grand nombre d'autres coups spéciaux. Les techniques de Cless constituent le plaisir numéro un des combats de Tales of Phantasia. S'acharner sur l'ennemi à grands coups de Tiger Teeth ou de Dual Kick procure une satisfaction et une sensation de puissance comparables au gameplay d'un Street Fighter ou d'un Fatal Fury. Ce n'est pas un hasard. Wolf Team s'est largement inspiré des beat'em up Capcom et SNK en imaginant ces techniques. On trouve plusieurs points communs : la plupart des coups provoquent des impacts multiples similaires à des combos et les ombres bleutées laissées par Cless, magnifiant l'extrême rapidité de ses mouvements, rappellent les « fury » des King of Fighters. Vers la fin du jeu, quelques gadgets onéreux viennent enfoncer le clou : manier Cless devient un challenge, un entraînement à part entière. On n'en dira pas plus. Reste un aspect capital également emprunté au beat'em up, les parades. Toute attaque, physique ou magique, peut être bloquée, et ce des deux côtés (personnages ou ennemis). Il faut en permanance tenir compte du fait que même une technique parée consomme des TP, et ainsi ne pas céder à la tentation de les activer n'importe quand. On doit ensuite s'en servir contre l'ennemi : la meilleure façon d'empêcher de puissants magiciens d'envoyer leur sort est encore d'aller directement à leur contact. Pour certains boss, c'est même la seule façon de s'en sortir vivant... Derrière : les autresÀ côté de Cless, il y a les autres. Les trois personnages placés derrière Cless sur la ligne de front. Avec eux les affrontements sont déjà plus proches d'un RPG traditionnel. Mint est spécialisée dans la magie blanche et les changements de statut. Elle remonte les points de vie, soigne les états anormaux de l'équipe ou en inflige aux ennemis. Arche s'occupe de la magie noire, complètement offensive. Klarth, lui, obtient ses invocations des esprits avec lesquels il passe une alliance. Ces trois persos étant magiciens, ils ne se battront en corps à corps que s'ils y sont contraints. Chester est un archer, et sa place est en deuxième ligne juste derrière Cless. Avec L et R, on peut faire bouger l'ensemble de l'équipe à droite ou à gauche. Pour le reste, c'est le jeu lui-même qui contrôle les actions des trois personnages. Cependant, de nombreux paramètres permettent au joueur de modifier leur comportement à sa guise. Pour chaque personnage, on peut choisir parmi quatre degrès de participation au combat, déterminés en fonction de ses compétences propres. Pour Mint, par exemple, on a le choix entre « aider les persos », « privilégier les HP aux TP », « économiser les TP » ou « ne pas faire de magie ». On peut également bloquer à l'I.A l'accès à n'importe quel sort ou invocation, entre autre pour obliger les persos à en privilégier d'autres plus appropriés à la situation. Pendant les combats, on a même la possibilité de lancer un sort ou une invoc à la place de l'I.A si l'on estime qu'elle ne fait pas ce qu'il faut, à condition de la prendre de vitesse, c'est-à-dire de choisir avant elle (ce qui dans les affrontements ardus n'est pas toujours chose aisée, puisqu'il faut en même temps s'occuper de Cless). Notons que pour l'utilisation des objets, c'est le joueur qui doit tout faire. Enfin, pour qui désirerait absolument tout contrôler il est en théorie possible, en règlant le comportement de chaque perso sur « ne rien faire », de désactiver complètement l'I.A. En pratique, c'est inutilement fastidieux et par moments ingérable. D'autant qu'il serait dommage de s'en passer, car les concepteurs ont su maîtriser leurs innovations. Il est rare que les personnages assistés par l'ordinateur fassent mal leur boulot. Ils choisissent judicieusement leurs sorts offensifs et Mint ne tarde jamais à soigner un camarade en difficulté. Mieux, ils savent corriger leurs erreurs : ils n'enverront pas deux fois dans le même combat un sort dont l'élément (le feu, la glace...) est absorbé par l'ennemi. On se bat avec le sentiment d'être pleinement épaulé par ses coéquipiers, ce qui permet du même coup de se concentrer sur les techniques de Cless. Pour efficace qu'elle soit, cette coopération joueur-machine n'est pas totalement infaillible. La mécanique s'enraye dans un cas particulier, lorsque l'ensemble de l'équipe se retrouve physiquement exposée à l'ennemi. Contrairement à Cless, tous les autres personnages se déplacent très lentement et sont vulnérables en corps à corps (trois d'entre eux sont des magiciens). Or, quand ils sont assaillis, jamais ils ne cherchent à s'écarter de l'ennemi, se bornant à parer tant bien que mal leurs attaques et restant prisonniers de la place qui leur est assignée au sein de l'équipe, place que l'on peut d'ailleurs modifier dans le menu. Face à un adversaire dangereux, à plus forte raison un boss, une telle situation peut rapidement tourner au massacre. En somme, l'I.A de Tales of Phantasia est collective : les trois persos sont aussi efficaces tous ensembles que médiocres individuellement. C'est pourquoi il faut compter sur la rapidité et la puissance physique de Cless pour constituer un rampart entre l'ennemi et le reste de l'équipe. Tant que ce rampart fonctionne, l'I.A sait se charger du reste. Le problème, c'est qu'il lui arrive de ne pas pouvoir fonctionner : quand les ennemis prennent les persos en tenailles, quand ils se téléportent, ou tout simplement quand ils parviennent à passer au dessus de Cless. Le joueur qui n'a jamais vu tourner de Tales of pourra peut-être se demander à quoi ressemble, à l'écran, ce système de combat si étrange. Eh bien, tout comme dans les Star Ocean, ça ressemble à un joyeux foutoir. Pas d'ordre d'attaque, pas de tour par tour, c'est au premier ou au plus rapide de prendre l'initiative. Les coups portés et les sorts se succèdent à un rythme et dans une anarchie que les amateurs de RPG posés et organisés n'apprécieront peut-être que modérément. On peut, fort logiquement, souffler au moment de choisir soi-même un sort ou un objet dans les menus. Le reste du temps, toute décision doit être prise le plus rapidement possible. C'est pourquoi il vaut mieux compter le moins possible sur ses talents d'improvisateur. La préparation d'un combat ardu est au moins aussi déterminante que son déroulement. Comme dans tout RPG digne de ce nom, il faut s'attendre à passer du temps dans les menus, s'organiser avant d'affronter la difficulté à défaut de pouvoir le faire pendant. Faire preuve de bon sens dans les menus, puis de méthode et de constance dans les affrontements, voilà où sont les exigences du jeu. Au bout du compte, Tales of Phantasia propose donc bel et bien une part généreuse de réflexion et de stratégie, et ce malgré ce que l'apparence visuelle de ses combats - une véritable boucherie dans les situations les plus disputées - pourrait suggérer. Mais qu'importe, les fondations des Tales of sont là. Au joueur de les apprivoiser, puis d'en profiter au maximum. Namco fera dans les épisodes suivants de nombreux ajouts qui rendront les joutes encore plus impressionnantes, mais sans réellement modifier ce qui en fait l'essence et l'intérêt. Entre tradition et modernitéTales of Phantasia propose une aventure mélant le commun et le remarquable, le routinier et l'original. D'un côté, la progression repose sur des formules qui, déjà en 1995, pouvaient être considérées comme bien rodées. De l'autre, Wolf Team a fait l'effort d'introduire un maximum de variété à tous les niveaux. Un bon moyen d'illustrer cet effort est de commencer par décrire les donjons, peut-être l'exercice le plus périlleux pour un développeur de RPG. Car considérez la généralité suivante : tant un RPG modeste peut être sauvé s'il propose un gameplay varié, dynamique ou ingénieux dans ses donjons, tant un RPG aux donjons négligés et ennuyeux, même s'il réussit dans les autres départements de jeu, se condamne à laisser une impression de médiocrité globale. Ici, les donjons proposent souvent une idée de situation ou de gameplay qui conditionne toute la progression : bloquer des arrivées de gaz toxique avec des rochers, servir de guide à un nain égaré, raccorder une série de circuits électriques, jouer avec des niveaux d'eau... Les interactions avec l'environnement sont assez riches. À la disposition de l'équipe, un objet faisant jaillir une étincelle sert à activer des interrupteurs à distance ou à allumer des torches. Les pieux ou le feu constituent de véritables dangers pour les points de vie, en particulier lorqu'en plus on est plongé dans l'obscurité. On passe une grande partie de l'aventure dans des cavernes, des tours ou des sous-sols. La diversité que tous ces lieux proposent est donc très appréciable. Quand bien même il y aurait danger de redite, le gain d'expérience se charge de garder intacte la motivation du joueur grâce à un apport régulier de techniques, de sorts ou de petites scènes narratives. Il y a toujours quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent, la « carotte » qui fait avancer. Que pourrait-on reprocher aux donjons de Tales of Phantasia à la lumière de nos critères actuels ? Rien qu'une chose, mais de taille. En fait, le seul défaut conséquent du jeu. L'aventure est déjà longue. Pourtant, Wolf Team a cru bon de rallonger encore la durée de vie avec une fréquence des combats qui frise le ridicule (excepté sur la carte du jeu où elle reste raisonnable). Ce n'est pas tant les combats qui sont un problème, puisque comme on l'a vu, ils sont un régal de dynamisme et de jouabilité. De plus, ils se terminent en général rapidement contre les ennemis communs. Non, le problème, c'est la brièveté des séquences qui les séparent : entre deux et trois secondes en moyenne. Les donjons sont dans l'ensemble vastes, et quand leur structure est en plus tordue, rien n'est plus irritant que d'être obligé de se battre lorsque l'on tourne en rond depuis dix minutes. Dans un jeu d'aventure, le plaisir de l'exploration vient en grande partie de la cartographie mentale que se fait le joueur d'un lieu (3). Dans Tales of Phantasia, la fréquence des combats hâche l'exploration, la décompose à force d'alterner vue de profil et vue de dessus, et rend finalement ce processus plus pénible qu'autre chose. Comment cartographier un lieu qu'on ne peut observer qu'en l'espace de minuscules séquences ? Parfois, on finit par ne plus vouloir qu'avancer alors qu'on aurait tout à gagner à traîner dans les donjons, ne serait-ce que pour y trouver tous les coffres dont ils recèlent. C'est l'unique archaïsme de Tales of Phantasia, l'aspect que l'on pouvait accepter il y quinze ans et qui sera insupportable au joueur moyen d'aujourd'hui. Hors des donjons l'aventure est, là encore, parfois conventionelle, parfois innovante. La narration, sagement distillée comme souvent dans les RPG de cette période, influe intelligemment sur la diversité des situations. S'infiltrer dans un château, chercher une créature divine dans une forêt enneigée, slalomer entre une foule d'ennemis pour traverser une plaine en moins de trois jours (avec un cycle jour / nuit inclu le temps de la séquence), tout un programme... À mi-chemin de l'aventure, un passage mémorable préfigure le grand spectacle cinématique des RPG modernes (4). Sauf que ce qui est devenu une norme aujourd'hui était encore sur 16-bits un morceau de bravoure et une courageuse tentative pour faire avancer les choses, même un an après les ambitions similaires de Final Fantasy 6 (que l'on peut considérer comme pionnier du domaine). La linéarité de l'aventure est idéalement dosée. Bien vite il n'appartient qu'au joueur de choisir sa destination en navire, de faire tout un ensemble de donjons dans l'ordre qui lui convient – sachant toutefois qu'un mauvais choix pourra compliquer inutilement la progression – ou de se concentrer sur une quête annexe au lieu de faire avancer le scénario. Le jeu n'est dirigiste que lorsque la narration le nécessite. Et de ce côté, on peut difficilement exiger plus d'un RPG japonais. Les nombreuses villes, dans lequelles on passe également pas mal de temps, sont de taille très variable. Cela va de la bourgade à la grande ville portuaire ou militaire. Les tavernes sont idéales pour les rumeurs et les commerces proposent tout ce qu'il faut pour s'équiper décemment. Les variations de prix d'une boutique à l'autre permettent même de spéculer si l'on a besoin de grandes sommes d'argent. L'histoire que nous raconte Tales of Phantasia se suit avec plaisir. Les héros voyagent dans le temps à plusieurs reprises, d'abord accidentellement puis de leur plein gré, visitant ainsi le monde à trois époques différentes. Axiome de gameplay dans Chrono Trigger, cet élément demeure ici un outil narratif (le joueur ne choisit pas de faire ces voyages) plutôt bien utilisé. Le nom du personnage à abattre est bien vite sur toutes les bouches : Dhaos, le sorcier vaincu puis emprisonné dans un sceau magique au moment de l'introduction. Au fil du jeu, sa puissance croit dangeureusement, au point de devenir une menace pour des régions entières. Malgré tout, il semble faire mystère de ses véritables motivations. Les héros tentent bien d'établir un lien entre ce personnage, l'énergie mana, ressource vitale de la planète qui s'épuise peu à peu, et l'arbre du même nom, mais il faut terminer l'aventure pour que tout soit tiré au clair. On ne peut que s'en réjouir : à l'inverse de Tales of Phantasia, le RPG japonais tend à placer les nervures du dénouement avant l'affrontement ultime, laissant ainsi peu de matière et de surprise à la séquence de fin. La force de l'argument est encore renforcée par le recours aux figures divines ou aux royaumes comme intermédiaires entre les héros et l'ennemi. Le sort du monde étant en question, diverses factions s'en mêlent. On s'allie à une armée le temps d'une campagne, on se fait aider par Pégase, mais on est aussi sommé par Odin de lui restituer une arme sacrée. On évolue dans un monde qui existe autrement que par le seul biais des héros. Et paradoxalement, plus on se sent petit dans cet univers, plus on se sent impliqué. Dépassant le seuil du prétexte assumé, l'histoire de Tales of Phantasia fait un pas de plus vers la complexité narrative dont les RPG les plus ambitieux seront friands les années suivantes. Le signe d'une transition, en somme. Difficile de définir précisément l'univers de Tales of Phantasia, de lui trouver un semblant d'unité. C'est un patchwork d'influences et d'inspirations. On trouve beaucoup de mythologie scandinave dans les personnages et leurs aptitudes, les noms de lieux ou les équipements, du médiéval fantastique dans le bestiaire et l'architecture de certaines villes, du high-tech dans certaines technologies. Cette diversité n'est pas uniquement due à la présence des voyages temporels. Les développeurs voulaient avant tout créer un univers en piochant dans un vivier d'acquis, puis y ajouter leur touche personnelle. Tales of Phantasia nous montre qu'au milieu des années 1990, le RPG japonais choisit de plus en plus librement ses inspirations. De tels croisements d'influences, marginaux voire impensables à une époque 8-bits habituée à une certaine unité thématique (univers futuriste, ou heroic-fantasy, ou contemporain etc...), deviennent peu à peu les nouveaux univers de référence du genre. Conclusion, si au niveau de ses influences Tales of Phantasia puise dans la tradition, la réutilisation qui en est faite est elle un procédé tout à fait moderne. Qui s'investit dans Tales of Phantasia doit s'attendre à une aventure longue, vaste et riche. La carte est ample avec des dizaines de lieux à découvrir. Explorer l'ensemble du monde demande entre quarante et cinquante heures, bien plus encore si l'on entreprend de fouiller chaque pouce de continent pour y trouver tous les objets du jeu. Les quêtes secondaires sont nombreuses : chasse au trésor, arène de combat, village caché, sous-sols de caverne facultatifs... Sans compter les habituels petits jeux, dont une addictive et irritante course à pied. Arrivé à la fin du fil narratif, on dispose encore d'une grande marge pour améliorer les capacités de ses personnages. Les meilleures techniques, les sorts les plus puissants se méritent. Certaines quêtes secondaires servent aussi d'épilogues à des points de scénario (art dans lequel Final Fantasy 6 règne en maître). Exploiter le potentiel de l'équipe n'est pas qu'une question de satisfaction. Cela peut tout simplement aider à avancer. Si dans l'ensemble l'aventure est abordable, elle sait nous bousculer avec d'occasionnels piques de difficulté. La vélocité de certains boss prend de court. Approchez-vous un peu trop près d'un ennemi aux puissantes attaques physiques et c'est la mort en une fraction de seconde, même avec sept ou huit mille points de vie. Dans certaines régions, on peut aussi perdre contre des ennemis « normaux » suite à une réunion de circonstances défavorables, et pas forcément à cause d'un manque d'expérience. Les derniers sous-sols des galeries de Morlia, interminables, sont une traversée de l'enfer dont on ne ressort pas indemne. En fait, dans toute progression en terrain inconnu, on ne se sent jamais vraiment en sécurité. Et au bout du compte, même si une défaite à une heure de la dernière sauvegarde est rageante, ça n'est pas plus mal. Un RPG qui maintient en éveil (de quelque manière que ce soit) est toujours plus intéressant qu'un RPG « pantouflard », dans lequel on finit par avancer avec la certitude de la victoire.
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