Ah, cette sensation grisante de s’élancer sur un circuit dans une accélération fulgurante et un crissement de pneus assourdissant ! Quel doux plaisir malheureusement réservé à une élite du pilotage ou à de chanceux héritiers d’un empire industriel ! Dans un élan de démocratisation assorti bien entendu d’un but commercial, le jeu vidéo a toujours tenté de mettre ce luxe à la portée du commun des mortels. Au milieu des années 80, les joueurs avides de vitesse ont déjà pu se régaler sur de nombreux titres de qualité, Pole Position de Namco en tête.
« Le plus important, c’est la borne. Généralement, c’est en la voyant qu’on décide ou non de jouer. »
Voilà le crédo de Yu Suzuki, programmeur au sein du studio de développement Sega-AM2, qui n’a réalisé qu’un seul jeu à l’époque. On ne peut lui donner tort. Si les qualités ludiques de Pole Position sont indéniables, le titre de Namco doit également son succès à sa borne dédiée qui place le joueur dans une réplique de cockpit automobile, les mains vissées sur le volant et le pied droit enfonçant la pédale d’accélération. On s’y croirait et c’est bien le but recherché. Pour se différencier du hit de Namco, Yu Suzuki décide d’exploiter l’une de ses passions en créant un jeu de course motocycliste. Désireux de rendre l’expérience la plus conforme à la réalité, il entreprend de construire une moto pratiquement grandeur nature pour y asseoir le joueur. Le bolide ainsi créé ne se contente pas d’être très réaliste, il se permet aussi d’être mobile. L’idée de génie de la borne Hang-On réside en effet dans son système de contrôle : pour déplacer sa moto à gauche ou à droite de l’écran, le joueur doit tout simplement se pencher dans la direction voulue. L’immersion du pilote devient le principal argument du jeu avec cette borne qui se penche, son guidon réaliste pour l’accélérateur et le frein, ainsi que l’écran de jeu placé dans le tableau de bord du terrible engin. Précisons néanmoins que cette version de luxe sera accompagnée de deux versions plus modestes sans la fameuse réplique de moto.
Bien que la conception de la borne soit capitale aux yeux de Yu Suzuki, le génial concepteur sait aussi que son titre doit proposer un gameplay bien calibré servi par une réalisation resplendissante. Et heureusement, c’est le cas pour Hang-On comme pour les futures créations du développeur japonais. Hang-On n’est en effet que le premier hit de Yu Suzuki, lui qui sera l’auteur des légendes de l’arcade Space Harrier, Out Run, After Burner et Virtua Fighter, sans oublier le titre le plus emblématique de la Dreamcast, Shenmue. Ceci dit, Yu Suzuki ne jouit pas d’une grande réputation en 1985 et a tout à prouver avec son projet de course de motos.
Hang-On
(Arcade - 1985)
Vous voici placé devant les feux de départ avec plusieurs concurrents motocyclistes. En réalité, il ne s’agit pas de véritables concurrents puisqu’ils n’auront aucune influence sur votre progression. Votre seul but est d’arriver au prochain checkpoint dans le temps imparti. Les autres motos sont là uniquement pour vous gêner sur votre chemin. Les heurter signifie perdre de la vitesse et dévier de votre trajectoire au risque de sortir de la piste et de s’empaler sur un poteau, une pancarte ou un arbre. Un choc contre un élément du décor vous fait chuter de votre bolide, lequel explosera instantanément. Ce genre de déboires coûte de précieuses secondes, tellement précieuses qu’il vous sera alors quasiment impossible de rallier l’arrivée.
Le pilote n’a donc pas le droit à l’erreur dans cette course d’une difficulté assez corsée. Tout l’art consiste à slalomer entre les autres motos et à bien négocier les tournants. Lancé à votre vitesse de pointe culminant à près de 280 km/h, vous aurez toutes les peines du monde à ne pas déraper dans les virages. Sans un parfait contrôle de ces dérapages, soit vous percuterez les autres motards, soit vous n’aurez pas suffisamment de temps pour atteindre le prochain checkpoint. Cette difficulté est aussi la grande force du gameplay. Déraper juste ce qu’il faut, éviter un concurrent au dernier moment, décélérer voire freiner en cas d’urgence : une recette toute simple mais diablement amusante grâce à votre monture qui répond au doigt et à l’œil.
Les captures d’écran parlent pour elles-mêmes : Hang-On bénéficie d’une excellente réalisation. Les motos sont joliment dessinées, très colorées, suffisamment détaillées et remarquablement animées. De surcroît, les motos concurrentes foncent vers le joueur dans un effet de zoom particulièrement fluide. Les décors sont, quant à eux, assez sommaires même si les bords de la route sont jonchés d’éléments variés, notamment des panneaux publicitaires représentant des marques authentiques ou légèrement travesties. L'arrière-plan est lui composé de deux séquences défilant à des vitesses différentes, donnant ainsi un effet de relief sympathique pour l'époque. Le niveau de la ville la nuit tire son épingle du jeu avec son ambiance de course clandestine et ses buildings illuminés en arrière-plan. Évitez quand même de trop admirer ce décor, ce niveau est le plus difficile de tous.
Au total, le jeu s’articule sur 5 niveaux (les Alpes, le bord de mer, le Grand Canyon, la ville la nuit et enfin un circuit). Si vous traverserez les Alpes sans trop de difficultés, le bord de mer et le Grand Canyon vous réserveront quelques virages bien serrés qu'il faudra absolument bien négocier pour atteindre la ville avec des secondes de réserve. En effet, les secondes restantes à la fin d'un niveau seront ajoutées au début du niveau suivant. Ces précieuses secondes supplémentaires seront indispensables pour sortir de la ville au terme d'un parcours qui est de loin le plus corsé du jeu. Le dernier niveau ne sera alors plus qu'une formalité avec ses longs virages légers. Bravo ! vous êtes arrivé au bout de votre périple.
Mais, au fait, savez-vous dans quel mode de difficulté vous évoluiez ? Même si les réglages d'usine donnent déjà lieu à un challenge relevé, le jeu propose des réglages de difficulté qui raviront l'exploitant de salle d'arcade le plus vénal. Le premier réglage concerne le temps qui est accordé au joueur au début de chaque niveau, de 75 à 55 secondes. Bon courage pour terminer un niveau, et surtout la ville, en 55 secondes. Le deuxième réglage porte sur le nombre de motos présentes sur la route. Si vous êtes déjà gêné par le trafic en mode « easy », l'on ne donnera pas cher de votre peau en mode « hardest ». Pour vous donner une image, en mode « hardest », on se croirait presque sur le ring de Bruxelles un vendredi à 17h, Bruxelles ayant reçu le titre de la ville européenne la plus embouteillée en 2011 ! Par souci de clarté, voici un récapitulatif de ces réglages de difficulté, qui est tiré du manuel de la borne.
Parlons enfin de scoring... bah et puis non. Si vous êtes intéressé par cet aspect du jeu, rendez-vous plutôt sur la page du défi high-score consacré à Hang-on (voir la section Grospixels Arena du forum)
Hang-On est donc un jeu simple mais bien réalisé et amusant à chaque partie. Si vous avez la chance incroyable de croiser aujourd’hui la borne de luxe, n’hésitez pas à tester ce hit des années ’80 dans les conditions optimales. Mais que la rareté de cette borne ne vous empêche pas de faire une petite partie avec votre émulateur favori. Hang-On a clairement sa place parmi les classiques du genre, même si sa suite l’améliorera en tous points.
Pour conclure, si vous aimez flâner et vous balader dans le jeu Shenmue, allez faire un tour dans la salle d'arcade de la ville. Si vous avez 100 yens en poche, il serait dommage de ne pas essayer la borne de Hang-on qui est dans un état de conservation remarquable (comme vous pouvez le constater sur cette vidéo du site de jeuxvideo.com). Enfin, si vous n'avez pas pu attendre la sortie de Shenmue en Europe, vous avez probablement acheté une Dreamcast japonaise. Si c'est le cas, une autre possibilité de jouer à Hang-On s'offre à vous. La version arcade du jeu est en effet disponible sur une compilation consacrée à son génial créateur, qui s'intitule Yu Suzuki Game Works vol. 1 et qui n'est sortie qu'au Japon.
Cette compilation regroupe cinq grands succès du studio Sega AM-2 qui ont été réalisés par Yu Suzuki : Hang-On bien entendu, mais aussi les classiques Space Harrier, Out Run et After Burner II, ainsi que le plus discutable Power Drift. Le disque de jeu est enfiché dans un livre riche en illustrations qui retrace la première partie de la carrière prolifique de Yu Suzuki. Les anecdotes du maître ne seront malheureusement accessibles qu'à ceux qui lisent le japonais, car la compilation n'a pas traversé les frontières du Japon et son texte n'a donc jamais été traduit. En revanche, il vous suffira de comprendre deux mots d'anglais (« press » et « start ») pour jouer aux titres présents sur cette compilation. Curieusement, Hang-On est le seul à disposer d'un menu d'options, lequel reprend notamment les réglages des dip switches sur la borne d'arcade (voir tableau ci-dessus).
Le menu d'options comprend, en outre, une série de réglages sonores. Vous pouvez tout d'abord choisir de désactiver la musique pour ne laisser que les bruitages. Si les bruitages lors des dépassements et des passages sur les vibreurs sont satisfaisants, ce n'est pas le cas du bruit de votre moteur qui peut vite devenir énervant. Et puis, il serait dommage de vous priver du thème musical principal de Hang-On. Retournez donc plutôt aux réglages et activez la musique, avec ou sans batterie. Cette musique est une création de Hiroshi Miyauchi et constitue la première collaboration entre ce compositeur et Yu Suzuki. Plus tard, Hiroshi Miyauchi s'illustrera notamment par ses compositions pour les jeux Out Run ou Super Hang-On sur lequel nous reviendrons bien entendu dans la suite de l'article. Pour l'heure, profitez des musiques du premier Hang-On grâce au sound test disponible dans la compilation Yu Suzuki. Vous préférez les écouter tout de suite pour continuer agréablement votre lecture ? Pas de problème, les voici : la musique du thème principal, de l'écran-titre et du tableau des scores. Afin de vous donner la pêche pour la suite de l'article, voici encore deux versions réarrangées du thème principal de Hang-On. L'une et l'autre ont été composées pour l'album « Super Hang-On 20th anniversary collection » qui rend hommage à l'excellente bande son de la série.