Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Corentin M. (21 novembre 2003)
Septembre 1998. La fièvre Dreamcast monte. Les annonces se multiplient. Les projets se dévoilent sur la toute nouvelle et rutilante machine à rêves. Sega a besoin d’un très grand jeu pour faire sensation. En interne ce sera Sonic Adventure, mais il faut surtout attirer les éditeurs tiers. Sega commande donc au studio japonais Climax Graphics (depuis rebaptisé Crazy Games Inc.) la livraison d’un grand jeu d’aventure qui devra frapper très fort. Et faire très mal. Ce sera Blue Stinger, dévoilé en ce mois de septembre 1998 de folie. Les screenshots abondent, où l’on découvre un héros très blue, Eliot, plongé dans un fatras assez indéfinissable peuplé de monstres difformes en tous genres. Ça fait très Resident Evil dit-on alors. Ça fait surtout très forte impression : des décors excellemment modélisés, des boss gigantesques, des angles de caméra osés, des textures d’une finesse hallucinante, des effets spéciaux sidérants... Avec à côté un Sonic Adventure, plus de doute possible : la Dreamcast prouve sa foudroyante puissance de feu. Le jeu est annoncé pour la sortie de la machine, le 20 novembre. Hélas, comme Sonic, il sera repoussé, mais pas seulement de trois semaines : jusqu’à mars 1999 au Japon. Mars 1999 : la Dreamcast peine quelque peu. Sonic Adventure, Virtua Fighter 3 et Sega Rally 2 ont bien cartonné, mais cela reste des titres internes. Les autres jeux ne décollent pas, et les ventes de Dreamcast stagnent. C’est dans ce climat de doute, à peine quelques mois après une sortie dans l’euphorie, que débarque enfin Blue Stinger. Disons-le clairement, le jeu ne relèvera pas franchement la barre : les ventes plafonnent à 150.000 unités au pays du Soleil Levant. Rien de bien transcendant. Mais le jeu, lui, est bel et bien là. L’accueil est mitigé. Très mitigé. On parle de pétard mouillé, de daube infâme, de bon jeu, de chef-d’œuvre, belle division qui mérite une explication. Ou tout au moins, une tentative d’explication, tant les deux clans semblent définitivement ennemis. « Blue Stinger, le Resident Evil de la Dreamcast ». Voilà une accroche en couverture de magazine qu'on a lu partout, et une comparaison finalement plus racoleuse que flatteuse, tant Blue Stinger n’est pas cela. Et c’est peut-être bien là le problème. Par manque ou par erreur de communication, Blue Stinger prépare son propre insuccès. Car, non, définitivement non, Blue Stinger n’est pas un « Resident Evil ». Mais, attendu, vendu en tant que tel, forcément, la comparaison tourne à son désavantage, d’autant que des défauts techniques évidents et difficilement pardonnables ne permettent pas l’accroche nécessaire pour que le joueur frustré aille chercher plus en avant la véritable nature du jeu. Blue Stinger déçoit. À tort ? LectureLe jeu commence par une cinématique des plus décevantes. Signes visibles de compression abusive de l’image, modélisation douteuse, design moyen... Mouais, pas top, tout ça, mais ça doit quand même être de la balle, ce jeu. On commence donc à diriger Eliot sur un quai. La texture de l’eau est réussie, mais des plus mal animées, quelques images par seconde tout au plus. Un hélicoptère s’écrase non loin de là. Cette scène vue des dizaines de fois grâce à des screenshots de toute beauté rend, elle aussi, beaucoup moins bien à l’écran en raison – encore – d’une animation douteuse. Bon. On pousse le joystick vers l’avant. Eliot se met à courir. Et là, horreur... Ses jambes partent dans tous les sens, n’importe comment. On a mal pour lui, on jurerait que ses jambes vont se dérober sous son propre poids. C’est quoi ce jeu ? Bon. On pénètre un premier bâtiment. Très vite on est agressé. Les monstres rencontrés sont grotesques, ridicules. Ils s’effondrent lourdement à vos pieds une fois – facilement – abattus, en poussant un long râle ridicule. Le pire est à venir : la bête vaincue répand sur le sol de petites pièces de monnaie. Stupéfaction du joueur. Non, mais, décidément, c’est quoi ce jeu ? Estomaqué, le joueur promène Eliot sur ce non-sens, cette aberration vidéoludique que représentent ces piécettes pour tout survival-horror qui se respecte. Et là, c’est encore pire. Gling, pouit, gling, pouit. Un bruitage des plus ridicules accompagne la récolte des sous. Re-stupéfaction. Difficile dès lors de se faire peur, surtout que le reste de l’ambiance, faite d’envahissantes musiques de supermarché lourdingues et de décors pas du tout étouffants, d’un éclairage des plus lumineux, semble tout à fait à côté de la plaque. On rencontre deux-trois autres persos, encore plus mal animés – et ça c’est difficile à croire, encore plus à accepter – qui nous expliquent une histoire à dormir debout et nous envoient vers des énigmes qui font, elles, vraiment pitié tant elle sont nazes. En plus dès que l’action devient un peu chaude, en version japonaise, la caméra n’a rien de mieux à faire que se balader à 300 mètres de l’action pour embrasser le paysage ou au contraire, effectue un zoom tellement surpuissant sur la tête d’Eliot qu’il en devient obstruant. En version européenne elle passe son temps à fixer le dos du héros de si près qu’on ne voit rien devant, et quand on entre dans une nouvelle pièce elle se fixe juste sur le haut de son crâne, perdue dans sa chevelure très mal modélisée. Bon allez on laisse tomber, c'est vraiment trop nul. RelectureIl est vrai que c’est mal animé, mais par contre c’est vraiment réussi niveau modélisation des décors. Ces derniers sont souvent gigantesques, texturés à outrance avec une précision presque maniaque et surtout une étonnante finesse. Le souci du détail est renversant. En inspectant une cuisine on découvre des meubles et des ustensiles tout en volume, une véritable orgie polygonale, et des effets spéciaux renversants car aussi tape-à-l’œil que fins : Lorsque l’on expédie une roquette à l’aide du bazooka, la trajectoire du projectile est magnifiquement rendue et l’impact illumine l’écran d’une explosion à couper le souffle qui projette des débris dans tous les sens, le tout accompagné par une parfaite gestion de la dynamique de l’éclairage. À l’opposé, il suffira de zoomer grâce à la caméra européenne sur un bureau dévasté pour remarquer que le pot à crayons en métal est balayé de subtils reflets. Assez impressionnant. Maintenant, l’ambiance : ce n’est définitivement pas un jeu d’horreur. Ce sont les journalistes qui, prenant leurs rêves pour des réalités ou par simple facilité, en ont abusivement décidé ainsi. Car devant un tel design, une telle profusion de couleurs, une telle utilisation de la musique, qui peut encore le croire ? Apparemment trop de monde. Reprenons. Eliot est caricatural à souhait, tout comme les monstres à quatre bras ou les boss de 30 mètres de haut qu’il pourfend en faisant gicler des hectolitres de sang bien trop rouge qui repeignent les murs puis disparaissent en un instant. Trop caricatural pour n’être qu’un loupé. Et que dire des armes ? Un bazooka, une « électromatraque », un sabre laser (!), un Power Mixer (!!), un lance-napalm (!!!!). Que de l’artillerie lourde uniquement prétexte à dégommer à tout va avec un plaisir certain, encore grandi par le bruitage débile que fait la thune de la bête – comme si elle en avait – en étant ramassée, puis transcendé par le vibreur dans la manette. Le scénario quant à lui, des plus anecdotiques, ne sert qu’à introduire des scènes de pure folie : matraquer inconsciemment un tuyau à gaz sous pression pour tout faire péter et se retrouver 150 mètres plus loin soufflé par l’explosion, prendre un bain pépère dans un sauna, faire remarquer méchamment à son coéquipier qu’il est bien trop gras pour entrer dans la pourtant nécessaire combinaison NBC, se retrouver contaminé par un virus mortel et ainsi arborer un visage totalement lacéré, décréter alors qu’on a l'appendice dévoré par des démangeaisons qu’on doit absolument aller uriner dans la flaque d’à côté, tenter de répondre au talky-walky mais ne plus pouvoir que hurler un cri bestial parce que l’on a la gorge en feu, j’en passe et des meilleures. Comment dès lors ne pas y voir une parodie ? Et après tout, que les développeurs l’aient voulu ou non quelle importance si c’est si drôle ? Blue Stinger ne se prend manifestement pas au sérieux et le plaisir ressenti n’est alors tout simplement pas descriptible. Alors quand en plus la durée de vie s’en mêle pour nous tenir en haleine pendant plusieurs heures bien trippantes, on ne peut qu’être satisfait. Vous l’aurez compris, Blue Stinger, c’est tout ou rien. À tel point que j’ai dû séparer le test en deux parfaites antithèses. Sauf que la synthèse, elle, n’est pas possible. Aucune des deux parties ne peut subjectivement tolérer l’autre. Le test objectif n’est possible qu’en rendant compte de ces deux conduites potentielles à l’égard de ce jeu qui ne peut convaincre tout le monde tant le plaisir qu’il provoque repose sur des critères dont l’intangibilité est totale. Certains diront que le second degré est poussif, inefficace et involontaire. D’autres se poileront devant leur écran comme jamais. Cela dit, vous aurez noté que j’ai terminé par le côté positif du jeu, et comme chacun le sait la dernière idée que l’on a d’un texte est souvent influencée par la fin de la démonstration. Vous aurez alors compris mes intentions. Car, oui, je l'avoue : j'ai trippé à mort sur Blue Stinger. Il ne tient maintenant qu'à vous de tenter le coup. Et de choisir votre camp. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (66 réactions) |