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Deep Fear
Année : 1998
Système : Saturn
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Survival Horror
Par Corentin M. (26 janvier 2004)

Septembre 1998. La PlayStation domine le monde. On attend la Dreamcast. La Saturn n’a plus rien à espérer. C’est pourtant à ce moment là que sort Deep Fear, la réponse d’un Sega offensé au Resident Evil 2 de Capcom qui avait refusé de porter son titre phare sur Saturn. Au début de l’année 1998, quelques screenshots avaient circulé, révélant les décors fixes d’une station sous-marine. Un titre avait été donné : Deep Fear. « Peur profonde », littéralement. Puis, plus rien. La Saturn étant sur le point d’être abandonnée, rien d’étonnant à cela. Le jeu devait sans doute être annulé. C’est donc à la surprise générale que Deep Fear est finalement commercialisé.

Qu’est-ce donc que Deep Fear, à part l’un des ultimes soubresauts d’une Saturn blessée ? Quelque part, c’est tout simplement l’un des meilleurs « clones » de Resident Evil jamais conçu, avant qu’un certain Silent Hill ne vienne bousculer tout ça en 1999. Mais resituons un peu l’histoire de Deep Fear : un objet prétendument non-identifié - mais qui ressemble pourtant à s’y méprendre à une simple capsule spatiale terrestre - pénètre notre atmosphère et s’abîme dans les profondeurs de l’océan Pacifique. Le sous-marin nucléaire SeaFox est immédiatement envoyé au point d’impact afin de ramener le vaisseau à son port d’attache : la station sous-marine Big Table. Le vaisseau est acheminé à bon port. Mais, très vite, la situation dégénère : le contact radio avec le SeaFox est perdu. Le sous-marin rompt ses amarres et va s’écraser sur les fonds marins non loin de la station. De là, il lance une torpille qui va percuter la centrale de ravitaillement en oxygène de Big Table. Mais, surtout, les immenses silos à missiles nucléaires sont ouverts et prêts à faire feu. Panique à bord. C’est à vous, John Mayor, de régler cette situation un rien cataclysmique.

Le scénario est, certes, assez classique. Quoique. Toujours est-il que Deep Fear arrive avec pas mal de bonnes idées. L’environnement tout d’abord, avec sa station coupée du monde au fond de l’océan, propose ainsi un endroit propice à la claustrophobie. La station est inondée depuis l’incident, et dans certaines zones les eaux montent dangereusement. L’oxygène vient à manquer. Il faudra donc constamment rétablir les conduits à oxygène pour rétablir la pression, la station étant construite de manière réaliste. Les énigmes visant au rétablissement de son bon fonctionnement sont étonnamment crédibles, à des années lumières des énigmes franchement capillotractées de Resident Evil et cie. Évidemment, le problème est d’origine extra-terrestre, et qui dit extra-terrestre dit méchantes créatures affamées et vilain virus qui contamine vos coéquipiers. Voilà pour les inévitables combats. La réalisation, elle, est tout simplement magnifique. Si les temps de chargements s’avèrent un peu plus longs que ceux de Resident Evil 2 sur PlayStation, la qualité et la variété des décors forcent le respect. Tous les ingrédients d'un grand jeu sont donc bel et bien là.

Hélas, derrière ces bonnes idées, se cachent d’autres choix de gameplay autrement moins avouables. Tout d’abord, si l’aventure n’est pas forcément courte en terme de densité d’évènements, la difficulté est tellement mal gérée que l’on plie le jeu en trois petites heures. Certains remarqueront, à raison, que l’on n’est finalement pas si loin de Resident Evil, lui aussi doté d’une très faible durée de vie. Mais comme je l’ai dit, si Deep Fear est court, c’est à cause d’une gestion de la difficulté extrèmement douteuse. Ici, les soins sont en quantité infinie. Idem pour les munitions et les bombes à oxygène. On croit rêver, pour un jeu qui se veut frère de Resident Evil. Et je ne parle même pas de la visée automatique des ennemis (il est certes possible de la bloquer). Difficulté zéro. Incroyablement frustrant. Finalement le jeu ne fait pas si peur que cela. On découvre en fait, derrière ce masque « residentevilien » faussement vendeur (faut-il rappeler qu’à cette époque il était totalement illusoire de croire pouvoir vendre ce jeu à grande échelle), un « simple » mais véritable jeu d’action-aventure des mieux ficelés.

Et c’est bien pour cela finalement que l’on reste scotché. Parce que, justement, la difficulté étant nulle et l’histoire regorgeant de scènes toutes mieux pensées les unes que les autres, on prend un malin plaisir à progresser dans l’aventure, qui plus est accompagnée par une quantité phénoménale de cinématiques très bien filmées à défaut d’être bien compressées. Et c’est finalement là que réside la grandeur de ce jeu : sa capacité à plonger le joueur dans des situations toutes plus intéressantes les unes que les autres au travers de décors étonnamment variés mais toujours réalistes pour une station sous-marine, le tout entrecoupée par des cinématiques de folie, certes pas toujours au top techniquement, mais toujours chargées émotionnellement grâce à un étonnant travail artistique. Et ce ne sont pas les musiques, sublimes, de l'excellent Kenji Kawai (Ghost in the Shell) qui viendront gâcher notre plaisir. Le jeu restera ainsi pour le joueur une succession syncopée de scènes de folie, parfois d’anthologie (par exemple lorsque le porte-avions en surface, secoué par une gigantesque déflagration, laisse tomber un avion de chasse fondant sur la station tel un prédateur blessé par la hausse inexorable de la pression...) excellemment mises en scène autour d’un scénario finalement pas si convenu qu’on aurait bien voulu le croire et qui développe des liens réellement grandissants entre les personnages. La conclusion est, elle, d’une rare poésie, bercée par le talent de Kawai et des images de toute beauté que l’on aimerait voir plus souvent dans nos jeux vidéo.

Corentin M.
(26 janvier 2004)
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