Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Jean-Christian Verdez (04 février 2019) L'écriture du présent article a été motivée par un test paru sur JeuxVideo.com, sur lequel je suis tombé récemment par hasard : l'auteur y explique qu'Opera Fatal a été développé et édité en 1999 par les français d'Index+, et le sanctionne d'un 9/20, faisant état d'un soft médiocre et techniquement indigne des autres productions d'Index+ (notamment Paris 1313 : Le Disparu de Notre-Dame auquel il est largement comparé). Avis expéditif quoique défendable, mais qui se fonde sur une approximation à même d'influencer aussi bien l'auteur que ses lecteurs : ainsi que le sous-entendent les crédits du jeu accessibles dès le début de la partie, Opera Fatal n'est pas français mais allemand, n'est pas sorti en 1999 mais en 1996, et peut de ce fait justifier certains aspects techniques vieillots par une compatibilité historique avec Windows 3.1 ! Des erreurs qui s'expliquent simplement : il existe deux versions d'Opera Fatal. L'originale de 1996 jamais parue en France, et le remake à la française de 1999 que nous autres voyons souvent, à tort, comme originale. (D'ailleurs, aucun site/wiki étranger ne semble au courant de l'existence de cette VF, ce qui n'arrange rien)... Ce test date de la sortie du jeu en France vers novembre 99. JeuxVideo.com est alors une référence française majeure qui sert inévitablement de source supposée fiable dans un internet balbutiant. De fait, une erreur commise à l'époque peut se propager et perdurer sur le net pendant très, très longtemps. C'est surement le cas ici car hormis de rares exceptions, comme chez l'incontournable planete-aventure.net, beaucoup d'articles et fiches descriptives en français entretiennent la confusion... C'est pourquoi aujourd'hui, nous allons nous rendre à l'opéra. Deux fois. L'histoire vous place dans la peau d'un chef d'orchestre, qui se trouve en bien fâcheuse situation. Alors qu'il doit bientôt diriger une représentation du célèbre "Fidelio", le seul opéra qu'a écrit Beethoven, le drame survient : la veille du concert, un mystérieux individu lui vole ses partitions, obligeant à l'annulation du spectacle si elles ne sont pas vite retrouvées. Le voleur, non content de son forfait, va jusqu'à proposer un jeu de pistes au sein de l'imposant opéra de la ville, avec comme ultime récompense la restitution des partitions. Vous voilà donc sur place, le soir venu, prêt à explorer chaque recoin de l'opéra et a agiter vos cellules grises pour mettre en pratique vos connaissances sur la théorie musicale, en particulier le Classique, afin de résoudre les énigmes. Votre carrière et votre réputation en dépendent... Certes, le scénario ne brille pas par son originalité, ni par sa logique (il n'y a aucune copie des partitions de Fidelio ? Qui plus est dans une formation impliquant des dizaines de musiciens ? Vraiment ?). Mais jouons le jeu, après tout l'essentiel n'est pas là. Partition originaleLe jeu est développé par Ruske & Pühretmaier, société allemande fondée en 1996 dans le but de créer des jeux ludo-éducatifs. Elle s'associe avec l'éditeur HEUREKA-Klett spécialisé dans les livres éducatifs. Ensemble, ils créent plusieurs softs qui reposent tous sur la même approche : choisir un sujet d'apprentissage et le traiter au travers d'un jeu d'aventure en vue subjective. On peut citer pour mémoire quelques productions. Physikus, qui projette le joueur sur une île où il devra s'imprégner des lois de la physique pour progresser, et Bioskopia, qui se focalise cette fois sur la biologie. HEUREKA-Klett a aussi produit Chemikus, où le tableau périodique des éléments sera votre nouveau meilleur ami... Ces différents jeux font partie d'une série surnommée "Quest for Knowledge", dont Opera Fatal est le premier volet. Comme son nom le suggère, cet opus s'attarde sur la musique classique. Les productions classées dans la catégorie "ludo-éducatif" n'ont pas toujours une très bonne réputation. Il faut dire que beaucoup de softs du genre, en particulier ceux des années 80 et 90, sont soumis à un dilemme simple : "à qui s'adresse-t-on ?" Les jeux ayant une intention (ludo)éducative visent souvent un public plutôt jeune, donc inexpérimenté, et vis-a-vis de qui on imagine parfois qu'il n'est pas utile de faire beaucoup d'effort. En résultent des productions souvent peu intéressantes, dont certaines sont carrément débilitantes. Au bout du compte, les jeux qui s'en sortent le mieux sont sans doute ceux qui parviennent à placer la notion d'apprentissage au second plan, à proposer un vrai programme ludique avant tout. Opera Fatal est de ceux là, car avant toute chose, le joueur est en face d'un jeu d'aventure à la première personne, où les déplacements se font écran par écran. L'aspect éducatif est presque accidentel : de la même manière que l'on doit découvrir et assimiler les étranges règles qui régissent des mondes comme celui de Myst afin de résoudre les énigmes, ici il faut apprendre certains faits techniques ou/et historiques en rapport avec la musique classique. Bien que toute l'histoire se déroule dans un seul lieu, ce dernier est assez grand et toutes les salles ne seront pas accessibles dès le début de l'intrigue. On peut ainsi diviser l'opéra en 5 ou 6 sections différentes. Pour ouvrir une porte donnant accès à une section supplémentaire, il faudra d'abord répondre à une série de questions accessibles via un livre du secrétariat situé à l'entrée du bâtiment. Dès que la première page du carnet est remplie correctement, une porte s'ouvre quelque part dans l'opéra (on peut deviner où grâce à un système de caméras de surveillance, lui aussi accessible depuis le secrétariat). Le carnet passe automatiquement à la page suivante, et ainsi de suite... Là où les choses se compliquent, c'est que si vous devez inscrire les réponses dans le carnet du secrétariat, il vous faudra d'abord trouver les questions qui, elles, sont écrites sur de petits bouts de papier cachés un peu partout dans l'opéra. Certaines questions pourront sembler difficiles pour le néophyte, mais rassurez-vous : comme dit plus haut, en pratique, il n'y a aucun pré-requis à avoir pour espérer venir à bout du jeu. Non seulement les notions musicales nécessaires pour progresser sont minces, mais de toute façon vous trouverez toutes les réponses dans le jeu sous une forme ou une autre, soit par des indices, soit grâce à des livres évoquant de multiples sujets liés à la musique classique : les grands compositeurs, les différents courants musicaux, les instrument de musique et leur spécificité, quelques notions théoriques, la description d'oeuvres majeures... Valorisant les joueurs spécialistes qui connaitraient déjà les réponses, cette approche a le mérite de n'exclure aucun joueur, petit ou grand, mélomane ou non, du moment qu'il est suffisamment curieux pour s'initier à la musique classique. Par ailleurs, avant de mettre la main sur ces questions cachées ici et là, il vous faudra parfois trouver et utiliser des objets et résoudre des puzzles (généralement simples). Certaines énigmes feront à nouveau appel à vos connaissances musicales, tandis que d'autres seront plus dans la veine des jeux d'aventure traditionnels. Vous devrez notamment trouver et utiliser différents objets au fil de votre progression (comme par exemple un fusible pour rétablir le courant, du fromage pour attirer une souris...), et bien sûr d'inévitables clefs pour déverrouiller des lieux jusque-là inaccessibles... Ré-orchestrationTrois ans passent avant qu'Opera Fatal ne finisse par trouver un chemin menant en France. Nous sommes déjà en 1999 et c'est Index+ qui édite le jeu. Cette société fondée en 1992 par Emmanuel Olivier s'est d'abord spécialisée dans la création de programmes interactifs, notamment pour le Louvre, puis finit par éditer elle-même ses softs. Ainsi, en 1999, Index+ a déjà dans son catalogue, comme développeur ou comme éditeur, des jeux tels que Croisades : Conspiration au Royaume d'Orient, ou Paris 1313 : Le Disparu de Notre-Dame, intéressants jeux d'aventure sur fond éducatif, un genre qui dans la même période fera aussi le bonheur d'un certain Cryo (Egypte 1156 B.C : L'énigme de la tombe royale, Versailles : Complot à la Cours du Roi Soleil, et j'en passe). En passant, vous avez remarqué qu'en France on adore ajouter un sous-titre à rallonge dès que possible, pour les jeux et les films ? Pour Opera Fatal, c'est dans le générique d'ouverture : "La Chasse Infernale au Livret Volé". Je n'ai jamais compris l'intérêt de cette mode, dont le but est probablement de donner une dimension épique au sujet, mais qui à mon avis revient surtout à spoiler l'arc introductif de chaque histoire. M'enfin bon, je m'égare. En 1999, donc, la société Index+ fait découvrir Opera Fatal au public français. Elle aurait pu se contenter de publier le jeu tel quel, en localisant les quelques dialogues initialement en allemand, à l'image des autres distributeurs étrangers. Au lieu de ça les frenchies vont opter pour une approche beaucoup plus surprenante : donner un coup de neuf au jeu, et ainsi mieux correspondre aux attentes des joueurs de 1999. Sur le papier, l'idée de faire un remake est louable, bien qu'avec un jeu de seulement 3 ans, on pourra toujours s'interroger sur la pertinence d'un tel choix. En fin de compte, le résultat transcende-t-il son modèle, ou au contraire est-il décevant ? Voyons ça tout de suite. Comparaison fataleLa principale modification par rapport au jeu original consiste en une refonte complète des graphismes. Oubliez le côté bandes-dessinées, et faites place à quelque chose de beaucoup plus dans l'air du temps : Tous les visuels d'Opera Fatal ont été refaits en images de synthèse. Ils demeurent toutefois fidèles aux originaux en ce qui concerne les angles de vue, les objets et autres éléments du décor, bref, tout ce qui constitue chaque pièce. Et c'est sans doute la première erreur de ce remake : une fois les lieux originaux passés à la moulinette du réalisme, ils paraissent soudain plus quelconques, sans âme. Les dessins originaux avaient un style graphique sans doute un peu simple, mais qui avait une personnalité, et qui laissait place à l'imagination... Le rendu 3D du remake est quant à lui beaucoup plus réaliste. On est dans un lieu "vrai", dans lequel il n'y a par définition plus rien à imaginer, d'autant plus qu'un opéra n'est à la base pas un lieu propice à la fantaisie graphique. Et du coup, tout semble plus vide, il se dégage de cet opéra une certaine froideur, absente de l'original... Selon l'éclairage et le choix des textures, certaines salles deviennent néanmoins vraiment très belles, notamment les parties publiques de l'opéra (le hall, les longs corridors, toutes les pièces agrémentées de grands lustres et de textures aux couleurs riches). D'autres endroits seront au contraire un peu ratés (les sous-sols, les coulisses, et tous les endroits peu spacieux ou/et peu éclairés)... Accessoirement, pour les jeux de cette époque, le rendu en 3D vieillit généralement vite et mal. C'est le cas ici, et si les graphismes du remake n'ont absolument rien de honteux pour 1999, ils ont, aujourd'hui, l'air beaucoup plus datés que leur équivalent de 1996... Un choix qui se justifiait au regard de la mode de l'époque, mais qui avec le recul prend des allures de simple décision marketing à court terme... Mais pour être exact, l'erreur d'Index+ n'a pas été de refaire les graphismes. Non, l'erreur, c'est d'avoir décidé de ne modifier QUE les graphismes. Mise à part une localisation des textes en français, tout le reste du jeu est identique. Même gameplay, mêmes énigmes, et surtout mêmes sons et musiques... Vu ces nouveaux graphismes, on pouvait espérer un travail aussi conséquent sur l'audio, a fortiori dans un soft porté sur la sensibilisation à la musique classique. Las ! Les différents extraits sonores sont toujours aussi courts et toujours aussi (mal) compressés. Ce qui en 1996 était normal, voire inévitable, à cause des limites techniques de l'époque, ne l'est plus du tout en 1999. À vrai dire, je trouve même proprement scandaleux d'avoir négligé, que dis-je, ignoré cet aspect dans le processus de modernisation d'un soft consacré à la musique. C'était le premier, voire le seul, aspect qui justifiait réellement la mise en chantier d'une nouvelle version ! Si les seuls ajouts qu'Index+ trouvait utile de faire étaient purement graphiques, il aurait été préférable de s'abstenir et de nous proposer une bête localisation française de la version originale sortie 3 ans plus tôt, comme l'ont fait par exemple les Italiens ou les Anglais. Dans un jeu dédié à la musique, le parti-pris uniquement visuel de ce remake fait donc grandement douter de la pertinence du projet... En dehors de ça, on appréciera évidemment la localisation en français des énigmes, surtout pour les séries de questions/réponses à écrire dans le calepin pour progresser ! Les textes et leçons de musicologie ont aussi été traduits, pour la plus grande joie de ceux qui ne pipent pas un mot de la langue de Beethoven. Quant au jeu proprement dit, il reste identique dans son déroulement, et donc toujours aussi sympathique. CodaSi le remake se révèle donc complètement vain en tant que remake, il n'en demeure pas moins bon en tant que jeu, puisque le gameplay est identique. Maintenant, quelle version privilégier ? Au regard de tout ce qui précède, l'originale paraîtra le choix le plus logique, car les différents aspects du jeux y sont plus homogènes. Mais à moins d'être allergique aux changements graphiques ou aux textes en français, le remake reste une bonne alternative et a l'avantage d'être bien plus facile à trouver de nos jours. Notez toutefois que la version de 1996 a aussi été éditée en anglais, ce qui est peut-être le meilleur compromis entre authenticité "rétroludique", et accessibilité. Finalement, Opéra Fatal (quelle que soit sa version), réussit le pari d'initier son public à la musique classique à travers un Myst-like qui s'appréciera en tant que jeu avant d'être perçu à l'aune de ses opportunités éducatives. Et c'est bien là l'essentiel...
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