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Ultimate Play The Game
L'histoire d'une compagnie anglaise fondée par les frères Stamper, qui ont notamment su introduire plusieurs concepts de jeux vidéo révolutionnaires durant les années 80, en particulier sur le mythique ordinateur ZX Spectrum.
Par Jean-Christian Verdez (09 septembre 2008)

Si beaucoup le reconnaissent surtout pour ses jeux développés sous la tutelle de Nintendo entre 1993 et 2001, Rare est un studio dont l'histoire va très au-delà de cet intervalle. Car bien que cette période ait apporté son lot de bombes vidéo-ludiques et une renommée internationale à ses créateurs, ce serait une grave erreur que de penser que Rare était un développeur sans importance avant de travailler sur SuperNes, ou/et serait à considérer comme fini depuis sa revente par le géant nippon pour une somme exorbitante à Microsoft, société alors novice sur le marché des consoles et n'ayant qu'une très faible crédibilité dans une industrie majoritairement conduite par les japonais depuis 20 ans. Pour comprendre l'importance d'un studio comme Rare dans le monde des développeurs de jeux, il nous faut d'abord nous intéresser à un autre studio de développement, remonter au début des années 80 et nous rendre dans une petite ville anglaise baptisée Ashby de la Zouch, située à mi-chemin entre Birmingham et Notthingam. C'est là que deux frères se préparent à laisser une empreinte indélébile dans l'histoire du jeu vidéo...

Au commencement...

Durant la fin des années 70, Christopher Stamper suit des études en physique et en électronique à l'université et, suite à l'obtention de son diplôme, il décroche un boulot comme programmeur de jeux. Après deux années à travailler pour les autres, Chris décide qu'il peut mettre à profit son expérience à des fins personnelles, notamment sur ZX Spectrum, la machine populaire en Angleterre à ce moment. Avec son frère Timothy Stamper et un collègue (et ami) nommé John Lathbury, ils fondent la société Ashby Computers & Graphics (AC&G). Voici donc nos trois compères, anciens développeurs de jeux d'arcade ayant travaillé pour Associated Leisure et Zitec Electronics sur des projets tels que Gyruss ou Blue Print, ainsi que sur d'autres productions financées par Sega et Konami, en route pour l'aventure. Mais le staff d'AC&G ne se limite pas là, puisque la petite amie et future femme de Tim, Carol Ward, fait aussi partie de l'équipe ainsi que leur soeur Louise Stamper. On peut dire que la famille est la colonne vertébrale de cette toute jeune société. Après le développement d'outils de conversion pour l'arcade, AC&G se lance enfin dans le développement et commence par se trouver un "nom de scène", un peu plus vendeur que le très droit Computer & Graphics, à savoir Ultimate - Play the Game. Rien que dans ces deux noms de sociétés le ton est donné : graphisme et gameplay seront les ingrédients principaux des jeux Ultimate. D'ailleurs, leur expérience dans le domaine du jeu d'arcade où une concurrence terrible fait rage, a donné aux membres d'Ultimate de solides connaissances dans la conception de jeux à succès. En effet, avant que Sega ne fasse du jeu d'arcade une sorte d'attraction foraine miniature avec la série des Space Harrier, le G-Lock 360 ou encore les jeux de courses tels que Outrun qui ont fait la fortune de la firme, les jeux d'arcade se devaient pour attirer l'attention du joueur d'être nantis de graphismes attrayants et d'une jouabilité exemplaire. C'est exactement ce savoir-faire que les frère Stamper veulent développer sur les machines de salon.

La firme Anglaise jette donc tout d'abord son dévolu sur un ordinateur national, le Sinclair ZX Spectrum, extrêmement prometteur du fait de la politique adoptée par son créateur Clive Sinclair, qui consiste à faire en sorte que sa machine soit financièrement accessible au plus grand nombre, ce qui ne manque pas de la rendre rapidement populaire. Ultimate se donne six mois pour prendre le temps de peaufiner leur premier jeu (et du même coup leur premier hit), Jetpac, qui sort pour l'été 1983. Il aura suffit d'un jeu, un seul, pour propulser Ultimate sur le devant de la scène, car non seulement Jetpac est un succès, mais il demeure encore aujourd'hui un classique tant son principe est aussi simple qu'addictif et ses graphismes aussi clairs que chatoyants. En très peu de temps, les ventes du jeu vont s'enflammer ! Il faut rappeler qu'à ce moment-là les choses étaient différentes d'aujourd'hui : les délais de développement d'un jeu étaient beaucoup plus courts, le financement n'atteignait pas des proportions pharaoniques, et le parc de machines était lui aussi plus humble (dû à la fois à la présence d'une concurrence qui ne se limitait alors pas à 2 ou 3 constructeurs mondiaux, au prix souvent prohibitif des ordinateurs, et bien évidemment à la popularité des jeux vidéo qui était loin du marché de masse tel qu'on le connaît depuis ce nouveau millénaire). En outre le monde vidéo-ludique était encore un énorme laboratoire, les ordinateurs permettaient à presque n'importe qui de se lancer dans le développement, et le nombre de jeux disponibles augmentait en conséquence. Aussi, quand un jeu se vendait à quelques dizaines de milliers d'exemplaires, on pouvait raisonnablement commencer à être satisfait. Le score atteint par Jetpac après sa sortie (330.000 exemplaires vendus) est donc d'autant plus impressionnant qu'il correspond à ce moment-là à environ un possesseur de Spectrum sur trois !

Jetpac (été 1983) - ZX Spectrum, puis BBC et Vic20
(voir aussi l'article sur ce jeu)

Le moins qu'on puisse dire, c'est que pour un premier jeu Ultimate a frappé un grand coup, et les quelques mois pris pour peaufiner le concept ont été aussi payants que décisifs pour la suite des événements. La capture d'écran ci-jointe ne peut être plus explicite : vous êtes Jetman, petit astronaute en scaphandre atterrissant sur différentes planètes (toutes avec les 3 mêmes plates-formes placées aux mêmes endroits, seuls les ennemis changent de forme et d'attitude), et il vous faut récolter du fuel, le ramener à votre fusée, et décoller pour la planète suivante. Les niveaux se suivent et se ressemblent, pourtant, le simple fait que chaque planète/niveau proposent des hostiles au comportement différent (déplacement en ligne droite, en rebond, etc.) suffit à rendre le jeu terriblement addictif. En outre Jetman souffre (volontairement) d'une inertie dans ses déplacements, ce qui accentue la marge de progression et contribue à la fois à la difficulté du jeu et au plaisir qu'on ressent en jouant. Sous des allures simples, Jetpac est un soft riche qui lui permet sans peine d'acquérir le statut de jeu culte.

Came & Conkered

La machine à hits est lancée, et avant la fin de cet été vidéo-ludiquement chaud quelques jeux supplémentaires font leur apparition dans les foyers britanniques, toujours sur le désormais bien implanté ZX Spectrum : Pssst!, Tranz Am, ou encore Cookie. Ils démontrent la diversité dont Ultimate peut faire preuve en terme de gameplay, et le fait de sortir autant de jeux aussi bons et suffisamment différents en un minimum de temps conquiert le public. Lors du choix et de l'achat d'un jeu, le nom d'Ultimate devient instantanément une valeur sûre.

Pssst! (juin 1983) - ZX Spectrum
(voir aussi l'article sur ce jeu)

Incarnez un petit Robot nommé Robbie, qui doit éliminer de méchants insectes mangeurs de fleur à grands coups d'aérosol (d'où le "pssst!"). Le jeu permet l'utilisation de trois types d'aérosols, auxquels sont plus ou moins sensibles les trois types de bêbêtes présentes dans Pssst! ...

Après Jetpac, Ultimate récidive avec un autre excellent jeu, les deux softs ayant plus de points communs qu'on pourrait le penser de prime abord : ici la fusée à construire est remplacée par une fleur. Les différences fondamentales viennent du fait que la fleur se développe seule, et que les ennemis ne s'attaquent plus directement au héros mais à cette fleur qu'il va donc falloir protéger. On est évidemment à des années lumière de l'empathie par exemple éprouvée envers la douce Yorda dans Ico mais l'idée de base, à savoir protéger une entité qui n'est pas le personnage jouable, demeure. Cette comparaison assez osée pour dire qu'Ultimate, dès ses premiers jeux, met en place des situations où la destruction d'ennemis n'est pas une finalité. Cette tendance se confirme très vite avec la sortie de Cookie, où il va falloir à la fois éloigner les méchants (comme dans Pssst!) et fournir les bons items (comme dans Jetpac), les deux ayant une influence sur un élément extérieur (une préparation de cookies... et là on s'aperçoit que j'ai finalement réussi à comparer Yorda à un saladier, fallait oser!).

Cookie (juillet 1983) - ZX Spectrum
(voir aussi l'article sur ce jeu)

Cookie vous permet donc de prendre la place d'un chef cuisinier. Le but est de pousser en leur tirant dessus (et sans les toucher) les différents ingrédients qui vont sortir du meuble situé à droite de l'écran, et les faire tomber dans un grand bol. Chaque niveau propose son type d'ingrédients et un compteur indique combien il faut en rajouter pour passer au niveau suivant. Bien entendu, il faudra en même temps empêcher différents détritus qui apparaissent aléatoirement (boites de conserve, boulons, etc.) de tomber dans l'appareil, sous peine de devoir compenser cette faute de goût en ajoutant un nombre élevé de bons ingrédients supplémentaires...

Tout comme avec Jetpac et Pssst, Cookie est un jeu où tous les niveaux (tableaux) sont visuellement identiques, ce qui permet de comprendre de façon instantanée ce qu'on demande au joueur. En outre ces trois jeux, et particulièrement Pssst et cookie, se focalisent sur une approche très "constructive" du jeu vidéo, ce qui les rends encore aujourd'hui assez singuliers : le but n'est pas (pas seulement) d'éliminer les importuns pour survivre ou/et amasser des trésors tout en sauvant une quelconque princesse à la fin, mais avant tout de développer quelque chose, que ce soit en assemblant les éléments d'une fusée, en protégeant une fleur qui pousse, où en mélangeant du chocolat dans un bol ! Ce ludisme résolument optimiste, que l'on retrouve régulièrement dans certaines productions Nintendo, montre qu'une société aussi jeune qu'AC&G/Ultimate a déjà parfaitement conscience de l'intérêt à développer un gameplay orienté vers ce qu'on pourrait appeler l'action indirecte : dans Cookie il est plus amusant de pousser au bon moment un ingrédient au déplacement erratique vers un emplacement précis, plutôt que s'il fallait simplement lui tirer dessus pour augmenter un compteur. Ce "principe" a d'ailleurs été poussé à l'extrême quelques années plus tard dans certains puzzle games comme Push Over et son effet domino, ou encore The Incredible Machine alias "la souris attirée par le fromage réveille le chat qui tire sur la corde et déclenche le ventilateur qui souffle sur le ballon qui..."

Tranz Am (juillet 1983) - ZX Spectrum

Le scénario vous place en l'an 3472 dans un univers à la Mad Max, où seule l'essence importe et où la possession de 8 coupes cachées dans le pays est l'unique équivalent de ce qu'on pourrait appeler une réussite sociale... A bord de votre bolide, traversez donc l'Amérique à toute allure en évitant les éléments du décor, en ramassant régulièrement des petites bonus en forme de pompe à essence pour faire le plein de carburant, et surtout en cherchant les coupes disséminées ici ou là dans le pays. Dans cette course aux points, il faudra aussi faire attention à la température du moteur de la voiture qui augmente dangereusement avec la vitesse, ainsi que des adversaires qui cherchent à vous percuter. Trans Am est le premier jeu d'Ultimate à être pourvu d'un scrolling (multi-directionnel puisque la voiture peut se déplacer dans n'importe quelle direction). A titre tout personnel, je trouve ce jeu un peu moins inspiré que les autres de la première fournée Ultimate. Rouler librement sur une grande aire de jeu à la recherche de coupes en or est certes grisant, mais trouver les huit coupes perdues est un peu une question de chance... Pour l'anecdote, et bien qu'on ne puisse pas parler de suite, Rare sortira quelques années plus tard un jeu dont le titre est une sorte d'hommage à Tranz Am, à savoir RC Pro Am.

Notons par ailleurs que Jetpac, Pssst!, Tranz Am et Cookie seront réédités sur cartouche après la sortie en septembre 1983 de l'Interface II. Pour mémoire, l'interface II est un périphérique permettant entre autres de brancher 2 joysticks sur le ZX Spectrum, et aussi jouer à des jeux sur cartouche. Cette interface s'est révélée plutôt décevante et au final seulement 10 jeux sortiront dans ce format, parmis lesquels les quatre premiers softs d'Ultimate.

Hey, hey, 48k !

Sans doute frustré par les 16k initiaux du Spectrum, et en même temps désireux d'aller plus loin, Ultimate décide dès le début de l'année 1984 (soit environ 6 mois après leur premier jeu) de passer à la vitesse supérieure en programmant désormais uniquement pour les machines Sinclair à être pourvues de 48k de mémoire. Atic Atac et Lunar Jetman seront les premiers à en bénéficier.

Lunar Jetman (1984) - ZX Spectrum, puis BBC
(voir aussi l'article sur ce jeu)

Lunar Jetman est en quelque sorte la suite de Jetpac. Cette fois on ne doit plus construire de fusée, mais détruire des bases / lance-missiles alien en y plaçant une bombe. La grosse nouveauté, c'est que les niveaux tiennent cette fois sur plusieurs écrans, ce qui introduit une petite notion de recherche dans un concept initialement très arcade (on est toutefois en présence d'écrans fixes, il n'y a pas de scrolling) : il faut bien sûr trouver la bombe, mais le joueur devra utiliser une jeep lunaire pour la déplacer. Ensuite il n'y a plus qu'à apporter la bombe à la base ennemie. Même si le jeu reste latéral, il introduit déjà une notion de recherche et déplacement d'objets qu'on retrouvera bien plus tard et de façon très prononcée dans Solar Jetman. Les deux radars distincts pour indiquer les positions de la jeep et de l'objectif alien vont dans ce sens. Évidemment on est très loin d'un jeu d'aventure, et des myriades d'ennemis envahiront régulièrement l'écran, obligeant Jetman à utiliser son jetpac et son laser dévastateur comme dans le précédent épisode. Par ailleurs, les traditionnels fuel et temps limités précipiteront avec malice votre perte. Avec ce digne successeur de Jetpac, Ultimate démontre ses compétences sur 48k.

Atic Atac (1984) - ZX Spectrum

Atic Atac vous propose d'incarner un personnage enfermé dans un château hanté, et dont la seule chance de survie est de trouver la clef de l'unique porte de sortie, cachée quelque part dans l'hostile demeure. Nous voici en présence de l'un des premiers jeux d'aventure-action de l'histoire. L'aspect recherche entr'aperçu plus haut avec Lunar Jetman est ici bien plus présent puisque la division du jeu en plusieurs écrans se fait dans les quatre directions cardinales, incitant les développeurs à adopter une vue de dessus. Et non seulement Atic Atac est un excellent jeu, mais en plus il met en évidence chez Ultimate une tendance dont l'impact ne sera évalué que quelques mois plus tard avec un autre de leurs hits (Knight Lore), celle de la recherche d'une troisième dimension sur un gameplay exclusivement 2D (la 2D étant aux débuts des années 80 la seule alternative, si l'on excepte certaines oeuvres en vue subjective comme l'incroyable Elite). Ici, bien que vu de dessus, le jeu expose clairement une perspective donnant un relief tout particulier à l'ensemble. Toujours poussé par cette volonté de concilier graphismes de qualité et gameplay intuitif, Ultimate continue ses expériences programmo-ludiques, pour le plus grand plaisir des joueurs. A noter pour l'anecdote que Atic Atac et qu'un autre soft ZX Spectrum nommé DragonTorc ont inspiré le producteur britannique Tim Child pour la création d'un jeu télévisé assez révolutionnaire diffusé entre 1987 et 1994 : Nightmare (c'est son nom) proposait en effet, via la fameuse technique d'écran bleu, d'incruster virtuellement les jeunes participants dans une sorte de donjon dont il fallait sortir vainqueur après quelques épreuves (voir ce site pour plus de détails). Cette série a été très populaire, au point que son concept s'est exporté dans d'autres pays, comme la France. Eh oui, rappelez-vous le Chevalier du Labyrinthe, présenté par Georges Beller entre 1990 et 1992.

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