The Legend of Zelda: The Wind Waker / Zelda no Densetsu: Kaze no Takuto (2002)
Game Cube - Nintendo
Zelda, vous commencez à le comprendre, est un monument. Chacune de ses apparitions a su nous émerveiller, jusqu'aux deux monstres sur Nintendo 64 qui ont absolument tout chamboulé. C'est donc peu dire que ce Wind Waker était attendu au tournant. Et sa gestation nous en a fait voir de toutes les couleurs. Août 2000, Nintendo présente en fanfare sa nouvelle console dédiée au jeu et rien qu'au jeu, la Game Cube (ou le Game Cube). Parmi tant d'autres révélations, une vidéo de Zelda à couper le souffle est montrée, où l'on voit Link et son ennemi de toujours Ganondorf croiser le fer dans une violente joute. Entièrement en 3D et fantastiquement réalisée, présentant des personnages au design plus « adulte » que sur Nintendo 64, cette très courte séquence annonce la couleur : Zelda est de retour et ça va faire très mal. Puis, plus rien. Il faut attendre la fin 2001 pour voir ZeldaGamecube réapparaître... transfiguré. Finie, la 3D supra réaliste et texturée à outrance : ce Zelda-là retombe en enfance ! Comprenez par là que le design a fait un saut périlleux de la mort et apparaît désormais clairement enfantin, mais, surtout, le rendu du moteur 3D est désormais le cell-shading, cette technique donnant un aspect 2D crayonné pastel à la 3D. Wow. Les Japonais adorent et crient à tue-tête, hystériques. Les occidentaux, eux, sont moins à la fête, devant cette subite et déstabilisante décision. Le mythe de Zelda aurait-il trébuché en Occident ?
Alors Miyamoto, harcelé, a dû s'expliquer. Pourquoi ce génial créateur a t-il pris une telle décision ? Tout simplement parce que, dixit l'intéressé, les tentatives visant à rendre l'univers de Zelda plus mature et réaliste avaient toutes plus ou moins échoué. Un discours finalement logique. Cela n'a toutefois pas empêché Nintendo de nous présenter à l'E3 2004 un tout nouveau Zelda en magnifique 3D et au look bien plus mature - aboutissement d'une nouvelle approche finalement acceptable pour Zelda ou véritable renouveau ? À voir, mais penchons-nous pour l'instant sur The Wind Waker. C'est donc un jeu au design supra mimi, voire complètement gamin, et totalement cell-shadé qui débarque au mois de novembre 2002 au Japon. L'Europe devra, elle, attendre le mois de mai 2003. Dur dur. Mais qu'importe.
Le nouveau Zelda est là. Toutefois, et c'est la vraie interrogation, après un passage à la 3D des plus impressionnants avec Ocarina of Time, et une excursion dans la quatrième dimension avec Majora's Mask, comment ce Wind Waker allait-il bien pouvoir nous emmener aussi loin ? Car il faut vraiment rappeler à quel point les deux épisodes sur Nintendo 64 avaient su transcender leur époque. Ocarina of Time arrivait dans un milieu pollué par des jeux d'action/aventure mal maîtrisés, aux caméras hasardeuses, pour proposer une révolution du gameplay : bouton contextuel et boutons configurables, lock sur les ennemis, caméras parfaites, saut automatique... et surtout un item extraordinaire, le fameux Ocarina du Temps. Cet instrument de musique permettait à Link - rendez-vous compte ! - de maîtriser l'espace (téléportations aux quatre coins de la gigantesque map et dans les donjons), le temps (saut dans le passé et l'avenir) et les éléments (soleil, pluie, tempête) - dans une certaine mesure bien sûr. Majora's Mask reprenait presque tous ces éléments et poussait encore bien plus loin la maîtrise et l'utilisation du temps, à la fois omniprésent, redondant, grisant et frustrant, pour donner au joueur un hallucinant écheveau de possibilités scénaristiques et scéniques spatio-temporelles. Un très grand moment de jeu. Sans oublier le level design, toujours génial... The Wind Waker avait donc d'une certaine manière la très lourde tâche de se succéder à lui-même. Mission réussie - tout au moins en partie. Écartons d'emblée le faux problème lié au design. La justification donnée par Miyamoto prend réellement tous son sens une fois la manette en main : ce monde magique et merveilleux est réellement mis en valeur par ce procédé graphique qui apparaît totalement approprié pour lui rendre le plus beau des hommages. L'aspect visuel est réellement sublime, drôle, touchant et addictif : on veut en voir toujours plus et jamais, au grand jamais, n'est-on déçu, notamment grâce à des boss inoubliables. Mais, surtout, il faut vraiment voir la bonne bouille de notre petit elfe blond, tantôt fâché, râleur, déterminé ou apeuré. Du grand art !
Côté gameplay, il faut reconnaître que les nouveautés sont finalement peu nombreuses, ce qui conforte dans l'idée que les épisodes Nintendo 64 avaient vraiment beaucoup apporté. Attention toutefois : dans The Wind Waker on trouve tout de même, en remplacement des chevauchées à cheval, la présence d'un petit bateau vivant à tête de dragon qu'il faudra utiliser pour parcourir le monde d'Hyrule, fait de bouts de terre émergeant d'un immense océan. Rien que ça est déjà grisant : partir à la découverte d'un monde ! Certes, oui, ces déplacements peuvent être un peu longs - comptez jusqu'à 20 minutes parfois ! Mais ce serait oublier qu'il y a toujours un petit îlot à découvrir, une île au loin à contempler ou un monstre marin à affronter. D'autant plus que la navigation est tout sauf passive : il faudra sans cesse exploiter les vents et maintenir le cap. Et puis quand bien même serait-ce un poil ennuyeux, sachez que, très vite, il vous sera possible d'utiliser des tornades pour vous téléporter un peu partout.
Autre nouveauté, ou plutôt remplacement : l'Ocarina cède ici sa place à la Baguette du Vent. D'un maniement moins évident, mais tout de même très simple, ce petit bout de bois vous sera très utile, pour changer la direction du vent à chaque instant : un élément très important - d'où le titre du jeu : The Wind Waker ou l'Éveilleur du Vent - et pas du tout restreint à la navigation ! Car votre baguette vous permettra aussi, et parmi d'autre pouvoirs, la possibilité de vous téléporter ou de changer de corps - rien que ça. On regrettera toutefois un nombre assez restreint de mélodies, et, par voie de conséquence, des pouvoirs plus limités que ceux conférés par l'Ocarina du Temps...
Le gameplay général n'a pas changé : il s'agit toujours de trouver comment accéder aux nombreux donjons et, ensuite, d'en ressortir vivant après un inévitable et monumental boss. Il y a donc, en gros, deux phases de jeu : l'une, plus en « extérieur« où l'on discute, se ballade, cherche le nouvel item du moment, la personne à qui parler, et ensuite la partie plus « underground« , le donjon à proprement parler, zone ultra-dense de création nintendoesque où les neurones et les réflexes du joueur seront mis à rude épreuve. Les ennemis vous barreront bien évidemment la route, mais le plus dur sera de franchir tous les obstacles, récolter toutes les clés, résoudre toutes les énigmes... Et c'est bien sur ce plan que toute la magie de Zelda opère. Les créateurs de chez Nintendo ont placé des mini-pièges diablement intelligents absolument partout et les déjouer sera toujours un pur bonheur de découverte et d'action. On enchaîne ainsi avec un plaisir non feint les niveaux conçus sur la maîtrise du vent, de la lumière, du changement de corps, du vol plané, etc. Du très, très grand Nintendo - même si l'on notera, peut-être, une moins grande profusion de concepts que dans les épisodes Nintendo 64. Certaines scènes sont même carrément des redites !
Le seul véritable problème du jeu serait plutôt son rythme, pas toujours optimisé. D'abord, The Wind Waker est plus court que les deux épisodes 3D précédents. Ensuite, et on l'a déjà dit : ces longues traversées en bateau pourraient en lasser certains. Mais il n'y a pas que ça : certaines quêtes qui auraient pu n'être qu'annexes sont ici obligatoires et ne sont pas toujours forcément passionnantes. On repense également à ces huit morceaux de Triforce à collecter aux quatre coins du monde, à l'aide de cartes parfois bien difficiles à trouver, et ensuite très cher payées - comptez donc du temps pour avoir cet argent - pour être décodées. Ajoutez, en plus de rythme parfois bancal, quelques petits passages à vide dans les donjons, ou d'autres assez énervants, et l'on se retrouve avec un jeu pas exempt de défauts et donc, d'un certain point de vue, moins bon que ses prédécesseurs car sûrement moins proche de la perfection. D'un point de vue plus subjectif, on pourra peut-être regretter la tonalité de l'aventure, résolument moins « dark« que sur les épisodes Nintendo 64.
Mais il s'agit vraiment là de bien peu de choses, comparé au fantastique ensemble que représenté le jeu. Car même l'ambiance décontractée est en fait résolument particulière et propice à de très grands moments. Tout d'abord, ce monde marin est immédiatement attachant, avec ses centaines de personnages tous aussi sympathiques les uns que les autres et tous ces coins et recoins où il est possible de fouiner. Et Dieu que ce monde est vaste, même si l'océan en occupe la majeure partie : il y aura toujours quelque chose à découvrir en naviguant : récifs, îlots, trésors, bateaux ennemis ou amis, base secrète de pirates, vaisseau fantôme... Sachez également que la météo change et qu'il faudra veiller au grain : la tempête a vite fait de se lever et les vagues se feront grosses. On pourra toute de même regretter que cet océan ne soit pas plus exploité : ces tempêtes, par exemple, ne verseront jamais dans le démentiel - cela aurait pourtant pu être très intéressant, avec pourquoi pas une zone de grande tempête où le rivage serait malmené par les éléments. Point non plus de fonds marins à explorer à sa guise : ils n'existent pas. Tout au plus Link peut-il y plonger quelques petites secondes, mais on n'y voit jamais rien d'autre que cette surface infiniment bleue et opaque, et les trésors à repêcher sont remontés avec un simple treuil. Bref, cet élément principal qu'est l'océan aurait sans doute pu être mieux exploité.
Mais si le monde apparaît paradisiaque avec toutes ces jolies îles sympas - d'autres moins quand même ! - paumées au milieu d'un océan bleu pastel, il ne faut pas oublier que l'histoire de ce nouveau Zelda commence par une légende, forcément forgée à partir des évènements déjà passés de la saga. Et en retrouver les origines, notamment le royaume d'Hyrule, sera définitivement un très grand moment, à la fois mystique, magique et solennel. Il serait donc faux de ne voir en The Wind Waker qu'un retour en enfance ou une gigantesque gaminerie, aussi plaisante, merveilleuse et bien conçue soit-elle. Simplement, oui, on pourra dire que l'on attendait un peu plus de ce Wind Waker - même s'il faut bien admettre que c'était très gourmand de notre part, car le jeu reste vraiment sublime et tellement riche. Alors comme en plus The Wind Waker est fourni avec un remake d'Ocarina of Time graphiquement super lissé et contenant Ura Zelda - la version Hard du jeu qui devait sortir sur 64DD -, le plaisir devient, de fait, incommensurable.