The Legend of Zelda: Oracle of Ages - The Legend of Zelda: Oracle of Seasons (2001)
Game Boy Color - Capcom/Nintendo
Soyons honnêtes, ces deux Zelda signés Capcom, en attendant le prochain épisode majeur sur Gamecube, n’apportent rien de fondamentalement nouveau. Ils exploitent en revanche l’implacable filon Link’s Awakening avec panache. Et pourtant rien n'était gagné : sous-traiter un éditeur pour entretenir une license aussi mythique, même en s'adressant au très compétent Capcom, n'était à priori pas la meilleure idée. Force est de constater que la qualité est encore au rendez-vous, grâce à un respect très rigoureux de toutes les règles régissant le gameplay de la série.
Capcom avait initialement prévu de sortir trois épisodes originaux sur Gameboy Color, chiffre qui pour des raisons qui ne regardent que l'éditeur a été ramené à deux. Et ce n'est pas un hasard si les deux épisodes ont été conçus et commercialisés en même temps. En effet, si rien ne nous empêche d'aborder chacun d'eux comme une seule et même aventure, les deux jeux sont interdépendants. Après avoir fini l'un des deux - l'ordre importe peu - on obtient un mot de passe à entrer en commençant l'aventure suivante. Au terme de cette seconde quête seulement pourra-t-on alors affronter le vrai boss de fin, l'être maléfique qui tire les ficelles des deux scénarii respectifs. Ainsi peut-on aussi concevoir Oracles of Ages et Oracle of Seasons comme une seule grande aventure, d'autant plus que ce mode de jeu influe sur certains passages. Et ce n'est pas tout. Ce jumelage des deux cartouches vous offre également la possibilité d'améliorer votre équipement, et de manière significative. Dans la seconde aventure, des personnages chargent Link d'aller répéter des secrets, toujours sous forme de mots de passe, à des personnages précis de l'aventure précédente. Les récompenses peuvent être très intéressantes : possibilité de porter plus de bombres (50), de graines (99), épées de niveau deux ou trois...
Les intrigues ne présentent en elles-mêmes guère d'intérêt. Oracle of Ages prétexte le sempiternel voyage spatio-temporel pour superposer deux cartes dont les variantes deviennent bien vite, comme dans A Link to the Past, l'axiome principal du gameplay. Reste que deux cartes, cela donne une aire de jeu assez vaste, sachant qu'elle est encore étendue par la présence de tout un monde aquatique. Eh oui, pour la première fois, Link pourra vraiment explorer à loisir les fonds marins ! Le concept d'Oracle of Seasons est un peu plus original : dans un monde où le climat est devenu fou, Link trouve vite le moyen d'en reprendre le contrôle grâce à un sceptre. En grimpant sur l'une des souches d'arbres savamment disposées dans le jeu et en agitant le sceptre, Link peut à volonter accélérer le cours des saisons. Bien évidemment, ces variantes climatiques modifient grandement le terrain, sa surface et sa végétation. Au joueur d'en tirer partie. Oracle of Seasons renferme également tout un monde souterrain avec sa population, son climat suffocant (invariable celui-ci) et même sa monnaie (du minerai).
Pour le reste, les Oracleof sont structurés comme un Zelda de base. On a droit à nos huit donjons, avec toujours ces deux phases alternant la quête pour accéder au donjon, puis le donjon lui-même, ce dernier mettant à chaque fois l'accent sur l'utilisation d'un objet nouvellement acquis. Il y a bien entendu des échanges d'objets, des mini-jeux et de nombreuses sous-aventures. Bien que reposant sur des concepts différents, les deux jeux sont en définitive très similaires. On entend parfois dire que Oracle of Ages est plus une affaire d'énigmes et Oracle of Seasons de combats, mais la différence n'est pas si évidente que ça. Ce qui est sûr, c'est qu'on nage constamment en plein Zelda, et donc que l'équilibre action/réflexion est toujours bien là.
C'est dans l'équipement que l'on trouve les premières petites innovations. Dans ses quêtes, Link peut mettre la main sur des bagues aux fonctions très diverses. C'est seulement en amenant les bagues trouvées chez un joaillier qu'il pourra les faire évaluer pour savoir à quoi elles servent et qu'il pourra les équiper. Il pourra bien entendu en équiper de plus en plus en trouvant les upgrades adéquates. Ces objets, indépendants de ceux du menu habituel, peuvent au mieux faciliter la tâche dans certaines circonstances. En revanche, on ne peut pas dire qu'ils changent vraiment la jouabilité. Les concepteurs ont eu l'intelligence d'en faire des gadgets de manière à ne pas rompre le subtil équilibre de difficulté qui caractérise toute la série. Par exemple, certaines bagues sont à double tranchant et diminuent votre défense autant qu'elles augmentent votre attaque. On en trouve qui améliorent les compétences de base : lancer les bombes un peu plus loin, plonger un peu plus longtemps, charger son épée plus rapidement... Certaines ne servent à rien, comme celles qui permettent de se transformer en monstre. En tout, plus d'une soixantaine de bagues motiveront les joueurs les plus acharnés. Les autres pourront aisément se passer de la plupart d'entre elles. On trouve généralement les plus précieuses à l'issue de sous-quêtes et les plus courantes devront être "cultivées" par le biais d'arbre dont elles seront le fruit. Enfin, en s'équipant d'un câble link et de deux Gameboy Color/Advance, le joueur pourra transférer toutes ses bagues d'un épisode à l'autre, ce qui représente un gain de temps considérable.
Pour ce qui est des objets traditionnels, toute la panoplie du parfait petit Link est au rendez-vous, avec en plus quelques idées assez futées et toujours pleinement exploitées, c'est-à-dire ayant un réel impact sur le design des niveaux. En plus des bombes, des boucliers ou de la pelle, on découvre entre autre un boomerang L-2 dont on peut diriger la trajectoire pendant une partie du vol. Très pratique. La plume L-2 permet elle un double saut façon Arthur ou Musashi. La meilleure idée est sans doute le gant magnétique, grâce auquel Link peut se déplacer dans le airs en s'alignant sur des aimants disposés dans des donjons ou aux abords de crevasses. Pour inverser la polarité du gant, il suffit de lâcher le bouton d'utilisation et de rappuyer dessus. Inutile de vous dire que quand Link est au-dessus d'un gouffre, il faut que le laps de temps entre les deux pressions du bouton soit le plus court possible, ce qui implique quelques passages assez irritants ! Mais on peut aussi se servir du gant pour déplacer des objets métalliques, et par exemple les utiliser comme bouclier...
Il y a dans les deux jeux cinq types de graines qui permettent diverses actions. Les graines Braise remplacent la magie de feu des anciens épisodes : on peut enflammer des monstres ou allumer des torches. Les graines Pegase se substituent un peu aux bottes. La vitesse de déplacement de Link est décuplée pendant quelques secondes. Contre les boss, leur utilisation peut-être salutaire. Une autre variété de graine permet la téléportation. En s'équipant d'une arme à feu dans Oracle of Ages et d'un lance-pierre dans Oracle of Seasons, on peut aussi utiliser ces graines comme simples projectiles pour se débarasser d'ennemis ou pour actionner des interrupteurs à distance.
Sur le terrain, là encore les Oracleof jouent la carte de l'innovation tranquille. À côté des éternels blocs amovibles, des torches et des trappes, on découvre des wagonnets dans lesquels il faudra faire preuve d'un bon timing pour actionner un interrupteur ou un aiguillage au moment propice. Dans Oracle of Seasons, des trampolines permettent d'atteindre les étages supérieurs d'un donjon, à condition de les déplacer au bon endroit. On trouve aussi des passages à mi-chemin entre agilité et réflexion dans lesquels il faut faire pivoter des panneaux réfléchissants dans le but d'envoyer des projectiles (qui rebondissent sur certaines parois) sur des cibles précises. Ce ne sont que quelques exemples parmi d'autres.
Signalons aussi l'introduction de diverses montures que Link peut appeler grâce à un instrument de musique : un ours, un hippopotame ou un kangourou boxeur. Ces animaux aident Link à franchir certains obstacles naturels mais leur puissance peut aussi faciliter les combats. En revanche, ils ne peuvent évoluer que dans des zones très limitées. Pour ce qui est du bestiaire, il est dans une grande mesure similaire à celui de Link's Awakening. Rien de notable, donc. Quant aux boss, ils nécessitent toujours autant de jugeotte que d'agilité. Les deux épisodes respectent les acquis "civilisationnels" d'Ocarina of Time et de Majora's Mask : en neutralisant les Mojos, on peut obtenir des renseignements ou acheter des objets. Dans le monde sous-marin d'Oracle of Ages, on rencontre le peuple Zora et les Gorons, créatures aussi balourdes que sympathiques, vivent toujours dans les montagnes.
La réalisation est d'un excellent niveau pour une Gameboy Color. Les deux jeux ont de bien meilleures couleurs que le maladroitement colorisé Zelda DX et les graphismes sont un peu plus détaillés et toujours réussis. L'animation ne souffre d'aucun ralentissement, mais on appréciera surtout l'ajout d'un scrolling multi-directionnel dans les donjons, comme dans Zelda 3, ce qui accroît considérablement leur taille. La bande son est tout à fait honorable, avec des bruitages identiques à ceux de Link's Awakening et des musiques de qualité. En terme de durée de vie, les Oracleof sont de grandes et longues aventures. Explorer chaque pouce des deux mondes, trouver toutes les bagues, tous les upgrades et finir toutes les sous-quêtes peut facilement prendre plus d'une cinquantaine d'heures.
Alors Link's Awakening est-il battu ? Oui et non. Il l'est sans doute pour ce qui est de l'ampleur et de la richesse des mondes visités et de la réalisation (sauf peut-être pour les musiques, supérieures dans Link's Awakening). En revanche, le premier opus de la Gameboy repose sur une histoire et un univers bien plus originaux, et sa perfection formelle, son art de l'économie de moyens restent inégalés sur portable. C'est justement là que Capcom trahit sa présence. En chipotant un peu, il arrive qu'on dénote quelques facilités, quelques faiblesses ou un léger manque d'inspiration dans la conception des niveaux. Mais le level design est un domaine dans lequel Nintendo n'a pas de rivaux. Rien de bien grave, donc, ni rien de condamnable. On accroche aux deux aventures du début à la fin et on persévère sereinement avec l'idée que tout effort sera au bout du compte récompensé. Tous les Zeldas marchent comme ça.
Pas d'inquétude, la série était donc entre de bonnes mains. Et on se dit finalement que si on ne se lasse pas de deux longs épisodes en 2D minimaliste à l'heure où la 3D entre dans sa période de maturité, c'est vraiment que Zelda, dans son essence même, est une très, très grande série.