Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par JPB (08 février 2010)
Eugene Jarvis. 2084, c'est pas un peu loin, ça ?
L'histoire proposée par le jeu est simple. L'histoire, hein ! Pas le jeu lui-même, je vous expliquerai ça en détail tout à l'heure.
Mais Robotron : 2084 raconte (sur les écrans lors de l'Attract Mode, c'est-à-dire quand personne ne joue sur la borne),
qu'inspiré par sa quête sans fin du progrès, l'homme a créé les Robotrons en 2084 : une espèce de robots si avancée technologiquement
que l'homme est inférieur à sa propre création. Guidés par leur logique infaillible, les Robotrons concluent rapidement que l'espèce
humaine est inefficace, et par conséquent doit être détruite. Et voilà comment avec un scénario vu et revu, on se retrouve en face d'un jeu considéré par beaucoup comme "le meilleur jeu vidéo jamais conçu". Chose étonnante, malgré tous les jeux d'arcade que j'ai pu essayer dans ces années 82, à Clermont-Ferrand ou ailleurs, je n'ai jamais pu en trouver un exemplaire pour le tester. J'ai dû le découvrir sur le tard avec M.A.M.E., chose certainement fort pratique pour mon porte-monnaie, car si Robotron : 2084 est difficile, il est aussi très prenant ! Entrons dans le vif du sujetDans Robotron : 2084, vous dirigez donc le sauveur de l'espèce humaine, rien que ça. Vous me direz : la plupart des jeux proposent d'incarner le sauveur de l'espèce humaine ! C'est vrai, mais là c'est un peu différent... Dans ce jeu, l'espèce humaine en question est représentée (ce qui est une nouveauté, la plupart du temps on ne voit que les ennemis) sous la forme du papa, de la maman, et de l'enfant appelé Mickey ; ce sont ces personnages qui se promènent un peu n'importe comment à l'écran qu'il faut sauver. Pour cela, il suffit de les toucher, et ils rapportent 1000 points pour le premier, puis 2000 pour le second, et ainsi de suite à concurrence de 5000 points maximum par personnage. Leur nombre est variable, il peut y en avoir bien plus de 3 à l'écran.
Le sauveur de l'humanité ne paie pas de mine : il ressemble à un scientifique en blouse blanche, affublé d'énormes lunettes. Le savant fou
parfait, en somme... Heureusement, il se déplace très vite, et peut tirer dans les 8 directions habituelles. Votre but est, pour passer au
tableau suivant, de le diriger afin qu'il extermine tous les robots ennemis. Robot, mon ennemi !Les ennemis, les Robotrons, sont de plusieurs sortes, tous disposant de pouvoirs particuliers. Le challenge va être d'arriver à tous les éliminer, en faisant les choses dans l'ordre pour ne pas être submergé par le nombre. N'oubliez pas que le moindre contact avec n'importe quel ennemi est mortel. Les Grunts sont les robots de base. Ils se dirigent en ligne droite vers le joueur. Heureusement qu'ils ne peuvent pas tirer, avec le nombre de Grunts qu'il peut y avoir à l'écran ce serait injouable ! Hulks : inspirés des robots de Berzerk. Ils se concentrent sur l'élimination des humains, un simple contact de leur part suffit. Ils sont indestructibles, mais en leur tirant dessus on peut les ralentir un peu. Les Sphereoids ressemblent à des cerclent qui pulsent doucement. Ils aiment se planquer dans les coins de l'écran. Au bout d'un moment, si le joueur ne les a pas détruits, ils donnent naissance à des Enforcers. Il est donc primordial de les détruire au plus vite s'ils sont présents. Les Enforcers sont des robots très rapides, qui se jettent sur le joueur en lui envoyant des décharges d'énergie. Ils sont très rapides, et peuvent être rapidement très nombreux. Ce sont des petites cochonneries, si vous me passez l'expression. Comme les Sphereoids, les Quarx se génèrent un peu partout à l'écran, puis donnent naissance à des Tanks. Il est donc là aussi primordial de les détruire le plus vite possible. Les Tanks sont d'énormes robots. Leurs tirs sont des balles rebondissantes. S'ils sont trop nombreux, vous êtes cuit, leurs tirs satureront l'écran et vous n'aurez plus de marge de manœuvre. Ce sont de grosses cochonneries, si vous me passez à nouveau l'expression... Les Brains sont les pires de tous. Non seulement ils peuvent tirer sur le joueur des projectiles aux trajectoires variables, mais ils se précipitent sur les humains pour les transformer en Progs. Les Progs à leur tour se jettent sur le joueur, ils n'ont plus rien d'humain, et il ne reste plus qu'à les détruire. Donc le but est de sauver le plus d'humains possible, en éliminant le plus de Brains possible, afin de leur fournir le moins de matière première possible... Enfin, les électrodes peuvent prendre plusieurs formes et couleurs. Mais ce sont toujours des éléments à ne pas toucher (d'ailleurs les robots peuvent être détruits eux aussi s'ils les percutent), qui peuvent être détruits mais ne rapportent pas de points, et restent immobiles. Certains robots ne sont présents que lors de certains niveaux : ainsi, les Brains apparaissent pour la première fois lors de la cinquième vague. Si vous voulez connaître toutes les tactiques possibles pour jouer au mieux à ce jeu, je vous conseille de lire ce lien : http://strategywiki.org/wiki/Robotron:_2084. Quelques infos intéressantesJarvis et DeMar se sont inspirés de 1984 d'Orson Welles pour le background ; ils se sont aussi basés sur Berzerk, le jeu d'arcade de Stern où les joueurs doivent éliminer tous les robots sans toucher quoi que ce soit, et sur Pet Chase sur ordinateur Commodore, où les joueurs font se percuter des caractères entre eux. Le jeu a été conçu pour offrir de l'amusement aux joueurs, mais Eugene Jarvis le décrivait comme une "expérience athlétique" grâce à son système de commande à deux joysticks (j'y reviendrai dans quelques instants). Le concept initial, appelé Robot Wars - 1984, mettait en scène un personnage passif : il devait faire entrer en collision les robots qui parsemaient le terrain soit entre eux, soit avec un obstacle (électrodes), afin de les détruire. Mais le jeu a été jugé trop ennuyeux et le tir a été ajouté pour fournir davantage d'excitation. Eugene Jarvis lui-même explique : ' C'était amusant pendant une quinzaine de minutes, la course des robots dans les électrodes. Mais le pacifisme a ses limites. Gandhi, le jeu vidéo, devrait attendre : place à l'action par mise à mort ! Nous avons ajouté la manette de tir et le chaos était incroyable. Nous avons ensuite regardé le nombre de robots sur le terminal, avec 10 c'était amusant. Pourquoi pas 20 ? 30, 60, 90, 120 ! La tension d'avoir tout le monde se dirigeant vers vous de tous les côtés à la fois et le décompte incroyable des robots éliminés créait une décharge d'adrénaline sans précédent. Ajoutez à cela la surcharge mentale d'un contrôle réellement ambidextre, et c'était de la folie à l'état pur. ' ' On s’est posés la question suivante : "Combien d’ennemis peut-on tuer en dix secondes ?’" On s’est alors lancés dans une série de tests, choisissant de passer le nombre d’ennemis à 20, puis 50, puis 70. À chaque étape, le jeu devenait encore plus passionnant. Lorsqu’on a atteint 120, l’ordinateur a complètement planté. ' En tout cas, se retrouver au milieu d'une cohorte de robots qui se dirigent pratiquement tous vers soi est une situation impressionnante. Submergé par le nombre et accaparé par le contrôle du personnage, on se retrouve vite à ne plus savoir où donner de la tête, et finalement à baliser. Pari réussi pour les deux programmeurs, qui se sont affranchis du principe du shoot'em up, tel que Galaxian ou même Defender, pour cette raison toute simple : ' Dans quasiment tous les jeux du type Space Invaders ou Galaxian, tout descend vers le joueur. Notre idée était de placer le joueur en plein milieu de la mêlée ennemie, faisant naître lui un sentiment de panique phénoménal. Les aliens lui arrivaient dessus de tous les côtés, et tout ce qu'il pouvait encore dire était : "Oh, mon Dieu !" ' Robotron : 2084 utilise un processeur Motorola 6809 à 1 Mhz, ainsi qu'un processeur sonore M6808 et un chipset DAC. Le jeu fut programmé en 6 mois (il ne fallut que 2 semaines pour les graphismes, et il paraît que le code fut réalisé en moins d'une semaine). Jarvis raconte : ' Il a été conçu en six mois. [...] Nous avons conçu tous les graphismes et l'animation en deux semaines environ, parce qu'il n'y avait pas de technologie disponible pour s'amuser avec. Aujourd'hui, vous n'en avez jamais vraiment fini avec les graphismes car il y a tant d'options - la réflexion, l'alpha-shading... Au moment où vous êtes enfin en mesure de vous concentrer sur votre gameplay, l'échéance est imminente. Alors, nous avons passé quatre des six mois du développement de Robotron à y JOUER. Nous lui avons fait passer un véritable enfer. Nous étions bons - mais pas excellents - et au fur et à mesure, nous avons réussi à développer un sentiment collectif pour le gameplay général et la difficulté. '
Vous avez pu voir les captures d'écran du jeu : les sprites sont très reconnaissables, colorés, leur animation est des plus simples
mais fonctionne bien. L'écran en 292 x 240 pixels et 16 couleurs suffit largement. Le jeu est même très coloré pour l'époque ! On notera
les apparitions ou désintégrations du joueur, qui entraînent un effet visuel assez réussi même s'il est déstabilisant au début. Le mode de contrôle
La principale raison pour laquelle Eugene Jarvis en eut l'idée, c'est qu'il fut blessé à la main droite lors d'un accident de voiture. Quand
il revint travailler, il avait encore un plâtre, ce qui l'empêcha (provisoirement) de jouer de façon traditionnelle, c'est-à-dire en tenant
le joystick d'une main, et en appuyant sur le bouton de tir avec l'autre. ' J'étais un grand fan du jeu Berzerk, et la frustration que je rencontrais - ainsi que dans tous les autres jeux à une seule manette - c'est que vous devez aller vers un ennemi afin de tirer dans cette direction. Berzerk avait un mode qui atténuait quelque peu ce principe, car si vous laissiez appuyé le bouton de tir, le personnage s'arrêtait, et une balle pouvait être tirée avec le joystick dans n'importe quelle direction. Donc, dans ce mode, le joystick contrôlait uniquement le tir. J'ai juste ajouté une manette distincte pour tirer. ' Personnellement, je suis d'accord avec lui, il y a des fois où on se fait bêtement avoir à cause de ce système de déplacement/tir. Du coup, Robotron : 2084 propose deux manettes. Celle de gauche, sur 8 directions, permet de diriger le personnage, et la manette de droite, sur 8 directions également, donne l'angle de tir. C'est beaucoup plus pratique, plus instinctif sur le principe (on peut aller vers le bas en arrosant le haut de l'écran), mais dans le feu de l'action ça devient beaucoup plus difficile à gérer. Il est fréquent de se tromper, de se retrouver paralysé un court instant parce qu'on hésite entre la direction du joueur et du tir, ou même de lier le tir et le déplacement... Le contrôle est génial mais plus délicat à manier qu'il n'en a l'air... Rétrospectivement, Jarvis considère que le design est ' une contradiction qui mélange "incroyable liberté de mouvement" et facilité d'utilisation '. Alors oui, c'est clair : on joue, la tension grimpe vite, on s'accroche aux manettes, les mouvements se font brusques et rapides tant on carbure aux réflexes. Et quand Jarvis parlait d'expérience athlétique, les joueurs qui tenaient plus de 4 waves pouvaient en témoigner ! Pour info, Robotron : 2084 n'est pas le premier à utiliser deux manettes : le double joystick était déjà présent en 1981 dans Draco (Cidelsa) et Space Dungeon (Taito). Ah, au fait, la solution de ma petite énigme, un peu plus haut : à l'écran vous trouverez 34 Grunts, 7 Hulks, 6 humains (dont 1 déjà mort), 4 Sphereoids, 24 électrodes, et le joueur. Ça fait quand même 76 éléments à gérer en même temps. Et il y a des waves bien plus fournies... Pas étonnant que ce soit si physique quand tout ça vous tombe dessus ! Je me demande à quoi pouvait ressembler Robert Bonney à la fin de sa partie, lorsqu'il inscrivit le record officiel de 960 350 points le 2 juillet 1985... Adaptations : étaient-elles possibles ?Les adaptations de Robotron : 2084 ont présenté un élément commun fort embêtant par rapport à la version arcade : il n'y avait pas 2 manettes sur ces conversions. Même Eugene Jarvis le reconnaît : ' Robotron a toujours été frustrant dans les versions non-arcade en raison de l'absence de la double manette. En raison de l'intensité du gameplay, le jeu est très athlétique, et il est très agréable d'avoir une borne d'arcade de 150 kilos qui stabilise votre joystick. Sans véritable double manette fixe, le jeu peut être très frustrant dans les versions console et PC. ' En attendant, vous pourrez constater par vous-mêmes la qualité des conversions, relativement fidèles à l'original (l'important étant de bien reconnaître les différents éléments, de ce côté-là c'est quand même réussi). J'avoue que je ne saurai pas dire si la jouabilité est au rendez-vous, n'en ayant connu aucune. La version Atari ST fut sortie en 1987, bien plus tard que les conversions directes, et ne reçut pratiquement aucun succès : le rétrogaming n'était pas encore entré dans les mœurs, et si les graphismes sont semblables au jeu d'arcade, ils sont loin de ce que pouvait faire le ST en termes de rendu. Du coup, c'est cet aspect qui a primé sur le reste, les notes furent relativement mauvaises ("les programmeurs ne savent pas tirer parti des capacités du ST") et le fun du jeu d'arcade, élément essentiel, n'a jamais été évoqué. En dehors de la version Lynx qui fut lancée en 1991, Robotron : 2084 a pourtant été présent dans de nombreuses compilations telles qu'on en voit depuis les consoles 16-bits : il faisait partie en 1996 de la compilation "Williams Arcade's Greatest Hits" sur NES, MegaDrive, Saturn et PlayStation. Il était également présent dans d'autres compilations sur les machines de génération suivante ("Midway's Greatest Arcade Hits Volume I", "Midway's Greatest Arcade Hits", "Midway Arcade Treasure" sur N64, GBA, GameCube, PS2, Windows bien sûr...) et même de nos jours sur XBLA ! Une suite fut créée par Jarvis et DeMar en 1983 : Blaster. Le jeu n'eut pas le même rayonnement que Defender ou Robotron : 2084. Je me rappelle d'en avoir vu le test dans un des premiers Tilt, je trouvais les graphismes horriblement cubiques, alors que Blaster propose plusieurs types de jeux fort différents... Pour conclure...Robotron : 2084 est un jeu incontournable de l'âge d'or des jeux d'arcade. J'ai lancé une petite énigme l'autre jour sur Grospixels, et j'ai été surpris de lire la réponse en moins d'une demi journée... Comme quoi il semble que le jeu soit réellement connu, même en France à notre époque. Bonne nouvelle ! En tout cas, les louanges ont plu de tous les côtés, à toutes les époques. Le magazine Retro Gamer le note comme numéro 2 des "Top 25 Arcade Games", vous en lirez le petit test ici. En 2008, le Livre Guiness des Records le classe comme jeu d'arcade numéro 11 au niveau de son impact technique, créatif et culturel. ' Robotron : 2084 incarne selon moi le summum en matière de jeu vidéo. Si je devais vivre sur une île déserte raccordée à l’électricité, j’emporterais Robotron avec moi. Sans aucune hésitation. ' (David Thiel, ancien ingénieur du son chez Gottlieb) ' Robotron est sans doute le meilleur jeu d’arcade jamais conçu. En tout cas, c’est l’un des plus stimulants et passionnants de tous les temps. ' (Archer McLean, programmeur de titres cultes comme Dropzone et International Karaté) ' Avec beaucoup de chance, je mettrai peut-être un jour la main sur une borne originale de Robotron : 2084. Et le jour où, enfin, je manierai frénétiquement ses deux joysticks, je ne jouerai pas à un vieux jeu. Je jouerai, point. C’est comme ça qu’il faut voir les choses. ' (Steven Poole, 2003 - le très respecté Steven Poole, auteur de Trigger Happy, ouvrage remarquable sur l'histoire des jeux vidéo, considéré comme un chef d'œuvre absolu). Personnellement, j'ajouterai que Robotron : 2084 est un des jeux les plus stressants auxquels j'ai pu jouer, mais que j'y reviens régulièrement en espérant battre mon record. Ne passez pas à côté, vous m'en direz des nouvelles ! Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (15 réactions) |