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Psychonauts
Année : 2005
Système : Windows, Playstation 2, Xbox
Développeur : Double Fine
Éditeur : Majesco
Genre : Action / Plate-forme / Aventure
Par Laurent (12 février 2007)

Il a dix ans et il s'appelle Razputin, Raz pour l'intime que vous serez bientôt. Issu d'une famille d'artistes de cirque et déjà un acrobate accompli, Raz n'a qu'une idée en tête depuis qu'il s'est découvert un don de télépathe : devenir psychonaute, faire partie de cette communauté d'agents gouvernementaux qui interviennent physiquement dans le mental des gens lorsque c'est nécessaire, pour combattre le mal à la racine. La grande aventure, quoi. Mais son père ne l'entend pas de cette oreille, alors Raz en vient à fuguer pour se rendre, sans y avoir été convié, au camp du Roc-qui-murmure, centre de formation des psychonautes.

Le camp est dirigé par Morceau Oleander, instructeur aux méthodes militaires, Sasha Nein, psychonaute expérimenté dont le sérieux et la rigueur font foi dans la profession, et Milla Vodello, experte en télékinésie et fêtarde exubérante. Tous trois détectent chez Raz une force psychique hors du commun, et bien sûr une grande immaturité. Pour devenir un psychonaute, notre héros devra affiner son jugement et sa compréhension d'autrui, apprendre à s'y retrouver dans le mental – bien souvent délabré - de ses semblables, où le bien et le mal s'entremêlent dans un fouillis de souvenirs.

Les mentors de Raz : Sasha, Oleander et Milla

Pendant ses premieres heures au camp, Raz fait connaissance avec les autres élèves, recueille diverses informations et ragots, et découvre une histoire qui semble effrayer tout le monde : le camp se trouve près du lac Oblongata, et on raconte que dans celui-ci vit un monstre qui capture les gens pour se nourrir de leur cerveau. Un peu plus tard, Raz trouve l'un des enfants du camp, apparemment décérébré : il ne pense plus qu'à regarder la télé ! D'autres cas d'enfants disparaissant puis revenant amputés de leur cerveau sont reportés, alors que Raz suit ses premiers cours, parfait ses capacités acrobatiques et apprend à maîtriser ses premiers pouvoirs psychiques. Il fait également la connaissance de Ford Cruller, un très vieux psychonaute que tout le monde croit fou (il faut dire que ses multiples personnalités se sont matérialisées et se promènent un peu partout dans le camp), mais qui lui sera d'un très grand secours. Pendant ce début de formation, Raz est pour la première fois projeté à l'intérieur d'esprits : celui d'Oléander, puis ceux de Sasha et Milla. Il fait même un tour dans son propre mental, qui étrangement semble parasité par les pensées et souvenirs de quelqu'un d'autre.

Découverte du camp : Raz montre qu'il est un excellent fil-de-fériste et s'aventure au bord du lac Oblongata.
Une malédiction autrefois lancée sur sa famille par un "psychique" lui interdit tout contact avec l'eau. Il faudra donc se procurer une barque.

Il se passe quelque chose d'anormal... et lorsqu'à son retour à la réalité Raz découvre qu'Oléander est introuvable et que Sasha et Milla sont, paraît-il, partis en mission, il décide de chercher lui même les cerveaux des enfants du camp. Une enquête approfondie dans son propre esprit, notamment toutes les données intruses qu'il contient, lui apprend qu'un dentiste fou, le docteur Loboto, est l'auteur des kidnappings. Loboto dirige un asile de fous situé sur une île au centre du lac Oblongata. Avec l'aide de Cruller, Raz se rend sur place et met en pratique ce qu'il a appris : pour parvenir à entrer dans l'asile, collecter les cerveaux de ses amis et dénouer les fils du gigantesque complot qui se cache derrière ces kidnappings (pour faire court : le sort de l'humanité est en jeu), il va devoir parcourir l'esprit de quatre occupants de l'asile, dont l'aide matérielle lui est indispensable, déterminer les causes de leurs troubles mentaux et les en libérer. Ensuite il devra atteindre le sommet de l'asile (une gigantesque tour), où d'autres surprises et révélations l'attendront, avant une ultime mission en immersion mentale l'opposant à celui qui est derrière toute l'affaire, et qui n'est autre que...

L'inconscient collectif, une projection mentale qui donne accès à tous les esprits visités au cours du jeu.
l'esprit de Milla.

Psychonauts est un jeu mêlant aventure et plates-formes, né de l'imagination débordante de Tim Schafer, qui fut 8 années durant un des développeurs les plus créatifs de LucasArts, avec Ron Gilbert. Schafer (avec un seul f, mais beaucoup de sites en mettent à tort deux, sachez-le si vous faites des recherches) est en grande partie responsable de l'écriture de titres comme Day of the Tentacle, Monkey Island 2, Full Throttle et Grim Fandango. Essentiellement des point'n click, donc, genre le mieux à même de contenir ses idées, mais hélas devenu has-been à l'orée du troisième millénaire.

Désireux de continuer malgré tout à emmener les joueurs en des terres qui leur sont inconnues, Schafer monte en 2000 le studio Double Fine Productions, où il s'entoure d'une partie du staff de Grim Fandango, en particulier l'illustrateur Scott Campbell (futur directeur artistique de Psychonauts), Peter Chan à qui le visuel des aventures de Raz doit également beaucoup, et le musicien Peter McConnell. Peu après, Microsoft, qui désire constituer une ludothèque de lancement séduisante pour la Xbox, achète des studios à tout va et finance une quantité impressionnante de jeux dont certains sont développés dans des conditions artisanales par des auteur renommés.

Les jeux de plates-formes en 3D sont alors très en vogue, et pas moins de trois titres exclusifs assimilables au genre sont prévus. Les deux premiers sont Blinx: The Time Sweeper, projet japonais très original développé par Artoon (dans lequel officie Naoto Oshima, ancien de la Sonic Team) et Voodoo Vince, autre concept étonnant sur lequel planche un petit studio américain (Beep Industries, dirigé par Clayton Kozlaric). Pour le troisième, c'est Double Fine qui est choisi, avec un jeu intitulé Psychonauts dont les toutes-premières images laissent entrevoir quelque chose d'audacieux et décalé.

Tim Schafer, Peter McConnell, et (puisqu'aucune photo de lui n'existe) un dessin de Scott Campbell.

Blinx sort en octobre 2002 et enregistre des ventes décevantes : 156.000 exemplaires malgré une très bonne publicité. Pendant ce temps le développement de Psychonauts piétine. Schafer s'est lancé dans quelque chose de très ambitieux et ses nouveaux choix en matière de gameplay ne semblent toujours pas conformes aux tendances. Sentant que la plate-forme 3D est en perte de vitesse, Microsoft abandonne dans un premier temps Voodo Vince à son sort : le jeu (très attachant au demeurant) sort en catimini le 23 septembre 2003 et se vend si mal que sur le site de Beep Industries on lira des phrases ironiques du style merci aux trois personnes qui ont acheté notre jeu, nous pensons beaucoup à elles.

De son côté Psychonauts n'est toujours pas terminé, et en mars 2004 Microsoft met fin à son partenariat avec Double Fine. 6 mois plus tard, le jeu trouve un autre éditeur : Majesco, une société fondée en 1986 qui a autrefois prospéré en fabricant et vendant à bas prix des cartouches pour NES et Sega Master System, avant de produire pour le marché US (en 1998) des clones de Megadrive et de Game Gear appelés Genesis 3 et Game Gear Core System, pour finalement se spécialiser dans le soft avec l'arrivée des 128-bits. Majesco est un éditeur peu fortuné qui entend prendre de l'envergure avec Psychonauts et Advent Rising, shooter en vue 3e personne dans un univers SF imaginé par l'écrivain Orson Scott Card, qui promet beaucoup.

Les deux jeux sortent au printemps 2005 : pour Advent Rising, les critiques sont mitigées, mais pour Psychonauts c'est une véritable standing ovation. Par contre côté public la réaction est la même dans les deux cas : un bide. Malgré une sortie conjointe sur Xbox, PS2 et PC, Psychonauts atteint péniblement en fin de carrière les 300.000 exemplaires. Pendant des mois, on ne sait même pas si le jeu va sortir en Europe, mais finalement THQ, probablement désireux d'améliorer son image auprès des core-gamers (en général cet éditeur est surtout connu pour ses jeux à licence inégaux en qualité), distribue le jeu en version PAL début 2006, à un prix plancher et remarquablement localisé. Mais rien n'y fait, Psychonauts peine à trouver preneur tandis que tous les sites et magazines du monde s'accordent à y voir un des meilleurs jeux de 2005. À l'heure où ces lignes sont écrites, la version PC est en vente via Steam, le service de vente/jeu en ligne de Valve.

Cet échec commercial n'a pas empêché Double Fine de trouver un éditeur pour son prochain jeu : Vivendi Universal Games. Majesco, de son côté, accusait 18 millions de dollars de pertes à la fin de l'exercice 2005 au lieu d'un bénéfice prévu s'élevant au même chiffre... L'éditeur a dû annuler de nombreux projets et se recentrer sur les jeux pour consoles portables afin de réduire ses coûts de développement et sortir la tête de l'eau.

Le destin de Psychonauts est tragique, car ce sont les critiques qui ont vu juste et le public qui n'a rien voulu entendre. Ce jeu est un trésor, un bien précieux qu'il aurait fallu chérir et porter en triomphe, car il possède des qualités d'écriture uniques, une capacité d'émouvoir et un humour redoutables, une rare intelligence de conception, et en plus c'est un bon jeu vidéo, parfaitement fini, amusant, varié et bien équilibré...

Raz met deux censeurs au tapis d'un coup de PSI Blast. Les censeurs sont des ennemis qu'on rencontre dans tous les esprits, dont ils représentent les inhibitions. Ils n'ont de cesse de chasser tout intrus.
Raz se rend au repaire de l'agent Cruller pour déposer divers objets et acquérir en échange de nouveaux pouvoirs. Cruller peut téléporter Raz dans cet endroit quelque soit l'endroit où il se trouve, monde réel ou esprit, et l'y renvoyer. Il peut également prodiguer des conseils en cas de blocage sur une énigme ou un boss.

Une des ses caractéristiques majeures est le soin extrême que ses créateurs ont apporté à la mise en place d'un monde dans lequel chaque élément, qu'il soit narratif, visuel ou relatif au gameplay, trouve une justification. Le résumé précédent de l'histoire, qui élude quantité de lieux, détails, personnages et péripéties, en donne un aperçu, mais seule la pratique du jeu permet de prendre conscience du travail accompli, et on se dira fréquemment que les 5 ans de développement n'ont pas totalement été perdus. Les capacités physiques de Raz, les innombrables objets qu'il collecte (leur utilisation comme leur appellation), la manière dont on navigue d'un lieu à l'autre, les pouvoirs psychiques et leur utilisation... tout est parfaitement cohérent dans le cadre de l'histoire qui est racontée, des informations qui sont données au joueur ou des réactions des personnages.

Et pourtant Psychonauts est un jeu qui se permet à peu près n'importe quoi, du fait même de son concept : la plupart des endroits qui font office de niveau représentent le contenu d'esprits malades ou torturés, et tous diffèrent dans leur approche. Le gameplay change (tantôt orienté plates-formes, tantôt privilégiant l'exploration et les énigmes), les décors sautent du coq à l'âne (architecture logique ou totalement biscornue, types de graphismes et de couleurs très différents)... C'est une succession de petits univers et scénarios très élaborés qui ne révèlent tous leurs secrets qu'au joueur curieux, méthodique et impliqué.

L'apprenti-psychonaute en compagnie des pensionnaires de l'asile :Boyd Cooper est tout à fait à gauche, et à droite de Raz se trouvent Edgar Teglee, Fred Bonaparte et Gloria van Gouten.

En effet, la collecte d'items est primordiale dans Psychonauts : dans chaque esprit on trouve des dizaines de bribes de souvenirs (en fait des images translucides en 2D qui flottent un peu partout), des bagages émotionnels (valises et sacs auxquels il s'agit de rendre leur étiquette après l'avoir ramassée à un autre endroit du niveau) et des coffres-forts mentaux contenant des souvenirs refoulés. Ces objets (en particulier les coffres) peuvent débloquer des artworks qui révèlent des informations importantes sur le propriétaire de l'esprit visité, son passé, les traumatismes qu'il a vécus. Et c'est en les cherchant jusque dans les moindres recoins qu'on captera les détails intéressants qui jalonnent les décors.

Car les personnages de Psychonauts dont le mental est mis à nu sont loin d'être des barjots comme les autres : ce sont des individus ordinaires mais passionnants qui depuis l'enfance ont accumulé souffrances, brimades, pertes et frustrations. Certains ont su se reconstruire mais gardent au fond d'eux mêmes les traces de leur passé (les fameux coffre-forts), et d'autres ont basculé dans la folie suite à un événement déclencheur qu'il s'agira d'identifier afin de l'annuler, et ramener le sujet à la raison, ce qui se concrétise en termes ludiques par une suite d'énigmes à résoudre (10 fois plus simples que ce que Schafer proposait dans ses anciens jeux, il faut le signaler) et un combat contre un boss. Traverser les niveaux en se contentant de remplir leurs objectifs pourrait donner l'impression d'avoir affaire à un jeu déjanté qui part dans tous les sens et brasse du vent, alors qu'en fait il propose une magnifique galerie de portraits.


Extraits de comics débloqués en trouvant des coffres-forts dans les esprits : en une poignée de vignettes et sans texte, Scott Campbell donne de la profondeur aux personnages en illustrant leurs pires souvenirs. Le décalage entre ce trait naïf et ces histoires sombres, souvent cruelles, est un choc et on ne perçoit plus le jeu de la même manière. La lecture de ces petites BD motive grandement à explorer les niveaux de fond en comble. Il y en a une vingtaine au total, constituées de 6 ou 7 vignettes.
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