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Psychonauts
Année : 2005
Système : Windows, Playstation 2, Xbox
Développeur : Double Fine
Éditeur : Majesco
Genre : Action / Plate-forme / Aventure

Réputés sains, les premiers esprits dépeints (qui se trouvent être des tutoriaux, pour le joueur comme pour Raz) montrent que la différence entre raison et folie peut tenir à pas grand chose, une simple idée ou une attitude à laquelle on parvient ou non à s'accrocher. L'esprit du coach Oleander ressemble à un immense champ de bataille, en apparence conforme à l'image martiale que le personnage se donne, garante de sa stabilité. Sasha Nein quant à lui s'exprime sur un ton monocorde et apparaît comme un homme très strict qui ne laisse rien au hasard : son esprit est un gigantesque cube, forme géométrique parfaite, mais dont chaque face peut, sur commande, déployer par des mécanismes un décor dont la thématique visuelle trouve ses origines dans le passé douloureux du personnage.

L'idée exprimée par ces phases de jeu est que sans la rectitude morale à laquelle il s'astreint, Sasha peut à tout instant perdre le contrôle de son propre esprit, et le boss qui clot ce niveau le confirme puisqu'on apprend après l'avoir vaincu qu'il n'était pas censé se trouver là. Enfin le mental de Milla Vodello se présente comme une discothèque dont certains endroits ressemblent à des flippers géants. Mais la maîtresse des lieux cache derrière une façade gaie et superficielle un terrible secret qui met en danger sa santé mentale. On en saura plus au détour d'une salle pas évidente à dénicher. Assurément l'un des moments les plus déprimants du jeu, qui intervient au cours du niveau le plus jovial.

Artwork préparatoire de la serre où l'on rencontre Gloria l'actrice déchue (voir plus bas)

Après un autre niveau-esprit mémorable dont on ne dira rien en dehors du fait qu'on y commande un Raz de la taille de Godzilla à la mobilité réduite, c'est l'arrivée à l'asile, et le jeu gagne énormément en intensité : les portes de la folie sont franchies, et Schafer se lâche.

Le premier personnage dont on parcourt l'esprit est Boyd Cooper, concierge de l'asile qui refuse d'en ouvrir la porte à Raz et tient des propos incompréhensibles à propos d'un laitier. La visite de son esprit est un moment extraordinaire, celui qui a le plus marqué les adeptes de Psychonauts. Cet homme vivait autrefois heureux, avant de tout perdre, dans une banlieue résidentielle qui est ici recréée de manière surréaliste et sens dessus-dessous. D'étranges personnages, agents secrets en costume et girl-scoots belliqueuses, y poursuivent des intérêts apparemment conflictuels en proférant des phrases inspirées des obsessions de Boyd, homme dévoué dont la société n'a pas reconnu les qualités humaines et professionnelles, et qui est à présent manipulé (probablement par hypnose) dans le cadre du complot que Raz doit déjouer. Ce niveau se caractérise, outre sa musique incroyable totalement en phase avec ce qui est montré, par un scénario complexe et un gameplay aventureux : on visite des maisons, on écoute des dialogues (sidérants !) et on débloque des zones en résolvant des énigmes.

C'est dans un recoin de l'esprit de Boyd que se trame la "conspiration du laitier", dont les répercussions seront bien réelles : indiscutablement le niveau le plus dense, le plus déroutant. N'espérez pas tout saisir à la première partie.

Ensuite, Raz vient en aide à Gloria Van Gouten, ancienne actrice devenue incapable de maîtriser ses sautes d'humeur. Son univers mental est un théâtre dans lequel s'active une troupe aux ordres d'une régisseuse totalement dépassée, sous les yeux d'un critique impitoyable, pendant qu'en coulisse l'actrice vedette de la pièce qui doit se jouer est en proie au doute. Raz devra se procurer un scénario et mettre en scène lui-même, au moyen de divers mécanismes mêlant résolution d'énigmes et plates-formes, une pièce racontant les terribles évènements qui ont marqué la jeunesse de Gloria. C'est un moment remarquable du jeu car le gameplay n'évoque plus rien de connu et entre en symbiose avec la narration.

Lorsque Raz la rencontre, Gloria est à la limite de l'autisme : impossible de lui parler, et pourtant il faut absolument qu'elle coopère. Pour la guérir, Raz devra composer avec la présence en son esprit de l'infect critique (à droite) et son canon à épithètes méprisants.

L'esprit suivant est celui du traditionnel timbré se prenant pour Napoléon : un cliché du genre en apparence, un autre moment d'anthologie au bout du compte. Fred Bonaparte souffre d'un complexe d'infériorité extrême, ce qui est plutôt paradoxal pour un descendant du vaniteux empereur. Dans son mental, Raz le découvre qui affronte son ancêtre sur un jeu de stratégie guerrier et essuie défaite sur défaite. Notre héros rétrécit jusqu'à la taille d'une pièce du jeu et se promène sur le plateau, composé de forêts, de rivières et de petites maisons. Le gameplay de ce niveau lorgne en direction des villages de Zelda avec une succession de visites chez des personnages qui confient de petites missions à Raz avant de l'aider dans sa quête, celle-ci consistant à faire remporter la partie à Fred. C'est un niveau passionnant, l'un des plus riches du jeu en phases de gameplay diverses et objets à ramasser. Anecdote : sur le plateau de jeu se trouve une maison dans laquelle on peut observer une réplique de Fred et Napoléon en train de jouer... c'est le genre de détail qui rend fou, vous êtes prévenus.

Raz étudie le plateau de jeu pour renforcer les positions de Fred. Il rétrécira encore d'avantage pour intervenir directement sur le terrain. Ce n'est qu'une fois la partie gagnée que Fred retrouvera sourire et confiance en lui.

Avec l'aide des trois personnages précédents, Raz est presque parvenu à atteindre le repaire du Dr Loboto, mais un dernier agité du bocal nécessite une intervention in situ (si l'on peut dire). Edgar Teglee, artiste peintre, a développé une obsession maladive : il passe son temps à peindre un taureau de corrida en furie symbolisant la colère qui l'a rendu fou. L'intérieur de son esprit modifie en profondeur la charte graphique du jeu : les couleurs deviennent fluorescentes pour imiter l'effet des ampoules dites de "lumière noire" qu'on utilise dans certaines discothèques. Dans cette ambiance feutrée, Raz retrouve Edgar construisant un château de cartes pour atteindre l'image de son amour perdu, Lampita Pasionado, qui flotte dans les airs et pleure des pétales de roses. Il manque quatre cartes à Edgar pour que l'édifice soit complet, et Raz va devoir pénétrer plus profondément les souvenirs de l'artiste pour les retrouver. Il se retrouve dans un réseau de ruelles peuplées de chiens parlants (et joueurs de poker), mais l'exploration des lieux est rendue difficile par le passage toutes les 5 secondes d'El Odio, immense taureau rose qui fait tout valser sur son passage.

Une enquête sur le passé lycéen d'Edgar et son histoire, plus complexe que prévu, avec Lampita, permettra à Raz de combattre et chasser de l'esprit du pauvre artiste tous les malfaisants qui se sont plu à le faire souffrir. D'un point de vue narratif, ce niveau se distingue par une série de fausses pistes et surprises. C'est aussi un passage très abouti sur le plan du gameplay : l'exploration se fait en résolvant des énigmes ou en exécutant des séries de sauts, il y a plusieurs boss à combattre, et le décor contient de nombreuses salles secrètes dont la découverte n'est pas indispensable au premier passage.

Raz explore les rues de Velvetopia, nom donné à l'univers mental d'Edgar.
Le château de cartes dont Raz participe à l'achèvement.

Vous découvrirez le reste par vous même, mais sachez que le jeu ne cessera de vous étonner par la quantité de thèmes qu'il aborde et leur rareté dans le domaine du jeu vidéo. Les quatre niveaux précédemment décrits sont les plus inventifs mais il y a beaucoup d'autres bonnes choses : on citera notamment toute la première partie du jeu, située dans le Camp du Roc-qui-murmure avant que les choses se gâtent. Il est alors possible à tout moment d'accéder aux niveaux de formation (Oleander, Sasha, Milla), mais on peut aussi se promener des heures dans le camp à la recherche de trésors cachés et d'items améliorant les capacités de Raz. On découvre alors la vie quotidienne du camp, notamment les rapports entre élèves : une quantité effarante de petites scènes, bourrées de ces dialogues interminables et tordants dont Tim Schafer a le secret.

Une bonne vingtaine de personnages sont ainsi dépeints, disposant chacun d'une vraie personnalité. L'humour n'est ni hermétique ni vulgaire et remporte facilement l'adhésion, car Tim Schafer aime profondément ses personnages. En ce qui concerne la dernière partie du jeu, il faut savoir que la difficulté des phases de plates-formes (jusque là modérée) y augmente assez brutalement. Le tout dernier niveau est même redoutable, mais à ce stade du jeu vous serez pris dans la nasse et n'abandonnerez pour rien au monde.

Raz peut faire des grinds sur de nombreuses surfaces. Vers la fin du jeu, une longue descente est ainsi au programme, d'une grande difficulté. À gauche, Raz utilise dans l'esprit de Milla sa boule de lévitation pour faire un saut élevé. Cette boule s'actionne au moyen d'un pouvoir psy : Raz peut marcher dessus pour se déplacer plus vite et mieux réagir aux tremplins propulseurs, ou s'y accrocher pour chuter en douceur et reprendre de l'altitude dans un courant d'air ascendant. Une grande course sur boule de lévitation est également incluse dans un des premiers niveaux, qui n'est pas sans rappeler celles qu'on rencontre dans les Sonic en 3D.

Au niveau du gameplay global, s'il faut retenir que les objets à ramasser abondent (le menu d'inventaire est si riche qu'on met longtemps à y trouver ses repères), le jeu comporte également une (petite) dimension RPG : Raz dispose d'un "rang cadet" qui augmente graduellement au gré de la progression, et acquiert en cours d'aventure de nouveaux pouvoirs psychiques, 8 au total, qui s'utilisent pour se déplacer, combattre et actionner diverses choses. Il n'est possible d'utiliser que deux de ces pouvoirs en même temps, que l'on assigne à des boutons grâce à un menu. La maniabilité est donc assez complexe, avec 6 boutons dont deux à paramétrer soi même en fonction des situations, deux gâchettes pour le verrouillage et le tir, un contrôle manuel de caméra, un double-saut et une gamme d'acrobaties très classique mais complète. Précisons également qu'on ne rencontre pas de problème de jouabilité particulier, même dans les niveaux à l'architecture démente.

Une fois le jeu terminé il est possible de retourner dans la plupart des esprits (mais pas dans les portions de jeu situées dans le monde réel, hélas) pour traquer les fragments de souvenirs, bagages, trésors et coffres qu'on a ratés la première fois : ceux-ci ne sont pas trop vicieusement camouflés, et compléter le jeu à plus de 90% est à la portée de n'importe qui.

Sur Xbox le jeu tourne comme une horloge, sur PS2 un peu moins bien et les textures sont moins jolies mais cette version est plus facile à dénicher pour un petit prix, et la mouture PC est exagérément gourmande mais présente l'avantage de pouvoir être décortiquée pour en extraire des centaines d'images et fichiers sonores ou musicaux.

Un artwork de préparation signé Peter Chan (daté de février 2001 !) pour une des salles du camp. Sur la droite se trouve un magasin dans lequel Raz devra acheter des objets indispensables en début de progression avec la monnaie du jeu, des têtes de flèches (je vous passe les détails) que l'on trouve un peu partout dans le camp.

On l'a dit, l'épilogue de l'affaire Psychonauts est heureux car Double Fine va pouvoir enchaîner sur un autre projet avec le soutien d'un gros éditeur, et Tim Schafer en est ressorti grandi, prouvant qu'il n'était pas un dinosaure. Mais qu'un tel jeu soit passé au dessus de la tête de tant de joueurs est révoltant. Alors il faut en parler, expliquer aux gens que la plate-forme 3D est un des genres les plus réjouissants qui soient et que les histoires de caméra n'intéressent plus personne, que les jeux d'aventure ne sont pas morts et qu'ils ne l'ont jamais été, que l'humour peut être une composante primordiale d'un jeu vidéo, que l'intérêt d'un personnage ne se résume pas à son look sur un dessin de couverture ou une capture d'écran, et que la soif de surprise, d'étonnement, la volonté d'aller contre ses habitudes et ses préjugés, est une source de bonheur bien sous-estimée.

Laurent
(12 février 2007)
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