Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Interphase
Année : 1989
Système : Amiga, Atari ST, DOS
Développeur : The Assembly Line
Éditeur : ImageWorks / Ubi Soft
Genre : Action / Simulation / Stratégie
[voir détails]
Par JPB (05 mai 2024)

Les jeux en "3D surfaces pleines" et moi, ç'a toujours été une grande histoire d'amour.
Sentinel, Carrier Command, Starglider 2, Voyager... J'aimais cette représentation à la fois simpliste et futuriste d'objets connus (ou pas, en fait), qui permettait de se déplacer où on voulait dans le monde et de voir ces objets sous tous les angles. Et dans mes souvenirs, le jeu qui proposait les formes 3D pleines les plus étonnantes, c'était Interphase.

Images de la boîte du jeu.
Cliquez sur l'une d'elles pour une version plus grande. Merci au site Mobygames !

À mon grand regret, je n'ai jamais réussi à le finir.

Le scénario

Il est intéressant, et rappelle par de nombreux points le roman - incontournable - Neuromancien (Neuromancer en anglais) de William Gibson, fondateur de l'univers cyberpunk. Si vous ne l'avez jamais lu, je vous le conseille fortement.

L'écran d'accueil de la version Amiga.

Dans le monde d'Interphase, les rêves sont devenus une industrie lucrative qui a mis au rebut toutes les autres formes de divertissement : musique, cinéma, etc... et même les jeux vidéo ! En effet, plutôt que regarder un film, quoi de mieux que d'être DANS le film ? Sentir, goûter, toucher, entendre, bref : vivre le rêve d'un autre. C'est la société DreamTrack Corp. qui gère ce nouveau business : elle emploie des rêveurs professionnels, capables de construire leurs rêves grâce à la puissance de leur imagination, et à les contrôler par la force de leur esprit, afin de créer des univers sur des thèmes bien précis. Ces rêves sont enregistrés sur des pistes, vendues légalement, et les gens peuvent donc acheter un rêve préfabriqué, se rapprochant au plus près de leurs propres rêves, et... le rêver, tout simplement. Un peu comme les souvenirs qu'on implante dans Total Recall, sauf qu'ici les consommateurs savent à l'avance qu'il s'agit de rêves.

Chad est justement un des meilleurs rêveurs. Mais un jour, il apprend que la dernière piste qu'il a produite a été parsemée d'images subliminales mortelles, capables de détruire l'esprit de quiconque en ferait l'expérience. Horrifié par la simple possibilité que d'autres pistes soient également trafiquées - ce qui mettrait potentiellement en péril toute la population - il décide de s'infiltrer dans le bâtiment de haute sécurité de la DreamTrack Corporation pour récupérer et détruire la piste principale. Mais cette tour dispose de nombreux systèmes de sécurité, et il ne peut agir seul. Il demande alors à son amie Kaf-E d'aller physiquement dans le bâtiment, sachant que lui sera branché via une interphase aux systèmes de la tour : d'une part, pour guider Kaf-E, et d'autre part, pour tromper ou court-circuiter tout ce qui pourrait la mettre en danger.

Chad se branche. J'aurais pensé à autre chose... mais regardez le câble dans son dos.

Ce n'est qu'ensemble qu'ils pourront mettre la main sur la piste principale contenant les rêves corrompus, tout en haut de la tour, et qu'ils pourront ensuite s'enfuir.

La carte

Dans Interphase, on joue sur deux niveaux. Le premier, c'est la carte : en blanc sur fond bleu, comme les plans d'architecture ou de mécanique pendant la grande époque du cyanotype/de la diazographie.

La carte du premier niveau. Kaf-E est en haut à gauche (en vert). Il y a un robot de sécurité en bas (en rouge).

La carte est la représentation en 2D du monde réel, une vue du dessus de chacun des 12 étages de la tour DreamTrack. Le but est simple : à chaque étage, permettre à Kaf-E d'atteindre l'ascenseur qui l'amènera à l'étage suivant. Kaf-E est représentée sous la forme d'un triangle vert, et elle a sa propre autonomie. En fait, elle est même un peu casse-cou, parce que si on n'arrive pas à faire certaines actions pour la bloquer volontairement, ou pour désactiver/leurrer les robots de sécurité qui patrouillent, elle est capable de se jeter dans les bras de l'un d'eux ou de se faire griller en marchant sur une plaque de pression électrique...

En fait la carte est en 3D : on peut regarder partout et on a un niveau de zoom assez hallucinant. Et ce n'est pas par hasard ! Autant il est utile de voir l'ensemble d'un étage, pour se faire une idée du chemin que suivra Kaf-E (comme je le disais, on ne la dirige pas, elle prend ses propres décisions), autant il faut systématiquement regarder les détails, en zoomant au maximum s'il le faut, pour être sûr de ne rien oublier.

"Toujours bien regarder les petits caractères"... Même le jeu l'indique, et sur la carte elle-même !

Tous les objets sont accessibles, tant pour savoir ce qu'ils sont en cliquant sur INFO (caméra, porte, etc.) que pour pouvoir appliquer une balise de repérage sur eux en cliquant sur NAV. Ainsi, si Kaf-E est bloquée par une porte, il faut la sélectionner sur la carte afin de définir la trajectoire que Chad devra suivre pour trouver son équivalent dans la matrice (je vais souvent utiliser ce terme, que je trouve approprié, même si Matrix est sorti 10 ans plus tard). Je reviendrai dans le chapitre suivant sur les actions de Chad, mais encore une fois le monde réel et le virtuel sont liés.

D'ailleurs, il vous faut regarder régulièrement la carte pour être sûr que Kaf-E ne court aucun danger (immédiat ou futur), mais celle-ci n'hésite pas à envoyer un message à Chad pour lui demander de l'aider à avancer. Par exemple, au premier niveau, elle est tout de suite bloquée par une porte, et demande à Chad de la lui ouvrir. Il est facile de trouver la représentation virtuelle de cette porte et de la détruire, ce qui permettra à Kaf-E de passer... et de se faire repérer, un peu plus loin, par plusieurs caméras de surveillance cachées dans le couloir... qui à leur tour, activeront le robot de sécurité, qui se mettra en chasse et trouvera Kaf-E... et mettra fin au jeu.

Kaf-E demande de l'aide.
Une caméra active, dans le coin du couloir tout en haut à droite de la carte globale. Il faut zoomer pour vraiment la voir.

En fait, chaque étage est un puzzle, qu'il faut comprendre pour en triompher. Par comprendre, j'entends non seulement connaître les objets à activer, les robots ou pièges à éviter, mais surtout l'ordre dans lequel faire les actions. Donc il faut réfléchir à quoi faire, quand le faire, et vous aurez certainement droit à des échecs parce qu'il est impossible d'arriver à trouver la bonne séquence du premier coup.

La partie 3D

La vue en 3D est quant à elle la représentation en 3D des systèmes de la tour DreamTrack, de son réseau, tel que le voit Chad via son interphase. Tout y est complètement surréaliste, aucun objet qu'on trouve dans la matrice n'est la représentation identique de l'objet correspondant dans le monde réel : vous ne verrez jamais de porte, ou de caméra, dans la matrice. Cependant, les formes sont toujours les mêmes, ce qui fait qu'on apprend rapidement qu'une porte correspond à un cube vert dans ce monde virtuel.

Concrètement, vous n'avez pas de représentation dans la matrice. Vous disposez d'un bouclier (la barre en haut à droite de l'écran), qui diminue à chaque fois que vous percutez un obstacle ou que vous encaissez un tir ennemi. Vous vous déplacez dans l'environnement avec la souris, sachant que vous pouvez regarder partout autour de vous, et avancer (ou reculer) plus ou moins vite dans la direction que votre réticule indique. Il est cependant impossible de se déplacer latéralement ou verticalement, on n'est pas dans Elite, ce n'est pas une simulation !

Vous vous rappelez la caméra de tout à l'heure ?
Eh bien, j'ai détruit sa représentation virtuelle, et maintenant elle est éteinte.

À chaque étage physique correspondent 8 étages virtuels appelés couches ou niveaux, qui se répètent en boucle indéfiniment. On passe de l'un à l'autre en franchissant les "trous de communication" colorés, disposés au sol ou au plafond - mais certains étages de la tour ne permettent de changer de niveau que par le sol. En vue subjective, vous devez d'abord trouver la correspondance entre l'objet réel (porte fermée, plaque de pression, plaque tournante...) et l'élément virtuel placé dans un des 8 niveaux, grâce à des flèches indiquant la direction précise ; ensuite, vous devrez interagir avec celui-ci.

Vous pouvez tirer (munitions illimitées) : chaque clic sur le bouton gauche de la souris projette deux sphères vertes droit devant, vers le réticule au centre de l'écran. Ces tirs sont assez rapides et efficaces contre tout objet en mouvement (drones de patrouille, grenouilles en monocycle (oui, vous avez bien lu)) ou contre les petits éléments au sol ou au plafond (cubes de portes, pyramides de caméras...) Cependant, il existe de plus grosses structures telles que les centrales d'énergie ou les générateurs de drones de patrouille, et ces éléments doivent être détruits avec un missile, qu'on verrouille d'abord sur la cible avant de le lancer. Le missile a un autre avantage : il ne détruit qu'un élément à la fois ; le souci des sphères, c'est que comme elles sont toujours tirées par deux, l'une d'elles peut atteindre sa cible, mais l'autre va se perdre dans la matrice... et qui sait, peut-être endommager une autre structure dont on a besoin. Les dommages collatéraux risquent de se payer cher.

Un drone de patrouille, qui sort d'un générateur.
Une grenouille sur son monocycle.

Vous pouvez aussi vous arrimer à certaines structures pour modifier leur comportement : l'atelier, ou les plaques tournantes dont vous pouvez modifier l'orientation. Cet élément est assez complexe, dans le sens où, dans le monde réel, quand Kaf-E en atteint une, elle va automatiquement s'arrêter et attendre votre feu vert pour partir dans la direction que vous aurez choisie ; alors que les robots de sécurité, eux, ne s'arrêtent pas et suivent directement la direction de la plaque.

Vous pouvez enfin capturer certains objets avec un rayon tracteur. En plus d'être nécessaire pour amener un objet (cube/porte, pyramide/caméra ou octaèdre/plaque tournante) que vous venez de fabriquer dans un atelier jusqu'à l'emplacement de celui détruit par erreur afin de le remplacer, le rayon tracteur est pratique pour immobiliser un drone de patrouille, afin de le détruire plus facilement.

Évolution de l'aventure

Quand Kaf-E arrive à atteindre l'ascenseur vers l'étage suivant, elle vous envoie un message afin que vous puissiez localiser le tunnel qui vous mène, vous aussi, à l'étage supérieur - comme au tout début du jeu.

"Je suis dans l'ascenseur".
Iris vers le tunnel en vue.

Une fois que vous avez trouvé la porte en forme de diaphragme dans un des huit niveaux, vous devez la franchir (ce qui activera l'ascenseur pour Kaf-E), et vous vous retrouvez à suivre une espèce d'oiseau, à vitesse constante, dans ce conduit pas rectiligne. Vous devez atteindre l'autre exrémité, où une autre ouverture en forme de diaphragme vous attend pour la franchir à son tour. La difficulté provient du fait qu'il ne faut toucher ni les bords du tunnel, ni les liaisons verticales ou horizontales qui le parsèment, sous peine d'esquinter votre bouclier.

Pour info, le tunnel est le seul moment où, à l'origine, on pouvait sauvegarder (sur une disquette vierge, pas sur celle du jeu bien entendu). De nos jours, avec l'émulation, on peut faire une sauvegarde d'état quand on veut.

Dans le tunnel, on distingue l'iris vers l'étage suivant à l'extrémité.

Dans la matrice, le jeu ne vous fera pas de cadeau. Dès le premier étage, les huit niveaux sont parsemés de patrouilleurs qui... patrouillent, et qui vous tirent dessus à vue (sphères rouges), ce qui entame votre bouclier. Les étages suivants verront plus d'ennemis vous mettre des bâtons dans les roues, notamment l'emblématique grenouille sur son monocycle qui vous envoie des rafales de tirs si vous vous approchez trop d'elle. Le fait de rater une ouverture et de se cogner au sol ou au plafond met aussi à mal votre bouclier, tout comme percuter un objet quelconque.

Heureusement, il existe des structures qui vous rechargent : les centrales d'énergie. En vous y arrimant, vous refaites le plein de bouclier, puis la structure explose. Il y en a une à chaque étage, ce qui vous permet en la ciblant sur la carte de vous y rendre dans le monde virtuel. Et si vous avez vraiment besoin d'énergie, vous pouvez toujours voler le plus vite possible sous les arches rouges.

Au début du 2ème étage, Kaf-E s'arrête sur une plaque tournante. Je la repère sur la carte, et je me dirige
vers elle dans la matrice. Une fois trouvée (l'octaèdre bleu), je m'y connecte, et je peux agir sur la direction à donner.

Kaf-E, elle aussi, verra de plus en plus d'obstacles différents. Mais plus que la diversité de pièges, l'augmentation de la difficulté viendra de la disposition des étages et du mal à trouver le bon enchaînement d'actions à réaliser. Par exemple, les plaques de pression ou les planchers électrifiés n'ont pas de correspondance dans la matrice, et il faut s'en servir avec Kaf-E pour "piéger" les robots de sécurité. Ainsi, au deuxième étage, il faut rediriger certaines plaques tournantes pour que, dès que Kaf-E passe sur une plaque de pression, le robot s'active et suive la direction des plaques tournantes déjà préparées. De cette manière, le robot finit par arriver sur un plancher électrifié en plein sur le parcours de votre amie. Et forcément, le robot et le plancher explosent et Kaf-E peut ensuite avancer sans danger.

Techniquement

Interphase dispose d'atouts techniques assez impressionnants, du moins pour la partie 3D.

D'abord, la partie graphique. Les formes proposées dans le jeu sont toutes plus complexes que ce qu'on a pu voir dans les jeux en 3D surfaces pleines sortis auparavant. De plus, c'est si je ne me trompe pas, le premier jeu offrant des modèles sphériques (les tirs notamment) qui seront repris dans Infestation l'année suivante. On a de plus un effet d'ombrage pour les élements éloignés, qui s'éclairent au fur et à mesure qu'on s'en rapproche, ce qui donne de la profondeur au monde qu'on parcourt (c'est particulièrement visible dans les tunnels entre deux étages).

Il n'y a pas de décors lointains, seulement les ouvertures au sol et au plafond, ce qui limite les objets à l'écran comme étant soit des structures fixes, soit des objets en mouvement, et il n'y en a pas beaucoup en même temps : du coup le jeu est très fluide, même quand on vole près de modèles 3D, il n'y a pas de ralentissements notables.

Quelques exemples de constructions qu'on peut survoler. J'aime beaucoup le Pendule de Newton en haut à droite.

Côté son, rien de particulier. Certains choix de bruitages sont étranges (je pense au basculement carte / monde 3D), mais les tirs, explosions et chocs sont bien rendus. La musique à l'écran d'intro est courte mais sympa, à base de percussions synthétiques.

Reste à parler du gameplay proprement dit. Le maniement de Chad dans la matrice est un peu destabilisant au début (on change la propulsion en laissant appuyé le bouton droit de la souris et en avançant ou reculant), et quand on clique sur la barre d'espace pour choisir une option comme la carte, le missile, le rayon tracteur... Chad se retrouve "en roue libre" parce que le curseur de la souris apparaît à l'écran. On comprend vite qu'il y a une touche associée à chaque option, qui est bien plus facile à utiliser, mais ce n'est quand même pas évident au début.
Parfois, quand on est trop près du sol ou du plafond, il arrive qu'on se cogne à répétition : il est parfois délicat de retrouver une altitude "correcte".
Mais ces quelques petits soucis ne sont rien en face du challenge et de la réalisation haut de gamme de ce jeu. L'idée d'utiliser l'interphase pour lier le monde réel et le virtuel est excellente, de même que devoir zoomer au maximum sur les plans pour avoir des indices ! Même si la difficulté des énigmes implique un die & retry obligatoire pour comprendre quel élément fait quoi, avec un peu de persévérance on finit toujours par trouver la solution d'un étage.

Hélas, j'ai manqué de persévérance...

Conclusion

Interphase est passé largement en-dessous des radars par rapport à d'autres titres de 1989, malgré les récompenses qu'il a reçues (voir ci-dessous), c'est dommage. Mais je me trompe peut-être ! En tout cas, il fait partie des jeux 3D que j'ai adorés à l'époque, et j'espère que certains d'entre vous l'ont aussi connu.

Interphase fut testé :
- dans le Tilt n°73 de Décembre 1989 (Hit, 18/20) ;
- dans le Gen4 n°17 de Décembre 1989 (Gen d'Or, 98%) ;
- dans le Joystick n°1 de Janvier 1990 (85%).
Interphase reçut les prix suivants :
- le Tilt d'Or 1989 de la Meilleure Animation ;
- le 4 d'Or 1989 du Meilleur Jeu en 3D ;
- le 4 de Bronze 1988 du Meilleur Jeu d'Arcade/Stratégie.

JPB
(05 mai 2024)