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Condemned 1 : Criminal Origins
Année : 2005
Système : Windows, Xbox 360
Développeur : Monolith Studios
Éditeur : Sega
Genre : Survival Horror

La peur à son paroxysme

Avez-vous déjà joué à un jeu en ayant la chair de poule ? Avez-vous déjà connu ce sentiment très contradictoire qui consiste à avoir envie de continuer un jeu que vous adorez tout en ayant un peu de réticence à rallumer la console, tant le titre en question vous effraie ? Pour ma part, j'ai connu cette situation avec Condemned: Criminal Origins. J'ai déjà eu peur devant des jeux mais je n'ai jamais été autant effrayé que lorsque j'ai joué à ce titre-là. Et pourtant, j'ai adoré ça... Monolith a réussi à synthétiser dans son jeu tous les éléments les plus connus et les plus efficaces de l'horreur, tout ce qui nous avait glacé le sang dans les plus grands films d'épouvante ou les meilleurs thrillers. Une réflexion poussée sur le sujet de la peur, et sur comment faire naître l'angoisse, qui a servi de base au game design du jeu. Derrière ce travail, on trouve Frank Rooke, le lead game designer. Pour travailler sur l'écriture de Condemned, Frank Rooke (connu pour des jeux comme Tron 2.0 ou No one lives Forever) a puisé beaucoup d'éléments de réponse dans les autres médias, comme par exemple le cinéma et la littérature (Dave Hasle, producteur : « Notre lead game designer, Frank Rooke, a commencé à faire des recherches sur la façon dont l'horreur était traitée dans la culture actuelle. Il a visionné des centaines de films et enregistré certaines séquences pour s'en inspirer. Il a aussi beaucoup lu et s'est intéressé [...] aux serial killers.») De ce premier travail préparatoire a germé ce qui deviendra plus tard Condemned: Criminal Origins.

Frank Rooke, posant devant la borne du vieux jeu d'arcade Tron, lors de la sortie de Tron 2.0.

Dans une interview qui fut mise en ligne sur le site de Sega France, Dave Hasle a expliqué quelles étaient les ficelles que Monolith utilisait pour terrifier le joueur. Selon lui, il existe trois grands types de peur dans Condemned. Puisque l'interview n'est plus disponible à présent sur le site de l'éditeur, nous avons jugé bon de vous retranscrire ce passage très intéressant sur certaines astuces de design. Voici donc les propos que Dave Hasle a tenus en fin d'année 2005 lors de la sortie du jeu :

« En développant le scénario, on a étudié de près tous les types d'horreur susceptibles de constituer des défis pour le joueur.

Le premier type d'horreur qu'on a identifié, on l'a baptisé l'horreur en pleine face. Quelque chose surgit brusquement et vous terrifie. Cette technique a tout du cliché, bien entendu, mais elle garde toute son efficacité quand on ne s'y attend pas. Le tout, c'est d'y avoir recours au bon moment. Il peut s'agir d'une action particulière, ou tout simplement d'indices visuels, comme un bras sanglant, un corps pendu à une porte. Quand on est dans un espace à fort potentiel, il n'est pas évident de faire regarder le joueur dans la direction voulue afin de provoquer ce type de terreur. Dans ce cas-là, une bande sonore adaptée peut faire la différence.

Ensuite, on a vraiment beaucoup joué avec l'horreur du suspense - vous voyez quelque chose bouger dans votre champ de vision, un bruit derrière vous vous fait sursauter mais vous ne voyez pas ce qui l'a provoqué, vous entendez un hurlement dans le hall mais vous ignorez d'où vient la menace, votre rythme cardiaque s'accélère car vous savez que quelque chose va se passer mais vous ignorez à quel moment... Cette appréhension du conflit est très puissante, et aussi efficace que le conflit en lui-même. Elle est capitale pour donner un rythme à l'histoire.

La troisième horreur est psychologique - elle est directement liée au joueur et l'influence. Cette horreur se manifeste de différentes façons, notamment par des hallucinations que le joueur perçoit sans vraiment en être conscient. Citons également la pression exercée par un être encore plus diabolique sur l'esprit du personnage principal, et qui l'incite à se montrer de plus en plus agressif à mesure que le jeu progresse. Enfin, l'interaction qui se fait toujours plus violente avec le monde lugubre de Condemned a de quoi déstabiliser.

Au départ, le joueur examine les preuves et essaie de résoudre certaines scènes de crime. À la fin, il essaie plutôt de garder toute sa tête tandis que le monde qui l'entoure semble vraiment sombrer dans le délire ».

Une des visions dont parle Dave Hasle dans l'extrait de l'interview. De temps en temps, le joueur aura des flashs, des sortes de visions du serial killer qu'il traque. Ces flashbacks ont une double utilité : pousser le joueur à essayer de rassembler les différentes pièces du puzzle constituant le scénario, et augmenter encore la tension, en proposant des hallucinations que le joueur ne s'explique pas.

Une des plus grandes forces de Condemned, c'est sa gestion parfaitement maîtrisée du rythme de l'aventure. En jouant sur les différents types de peur, et en intercalant entre les séquences les plus terrifiantes des moments d'investigation plus calmes, Monolith a réussi à jouer sur les contrastes. Les scènes très fortes correspondant aux montées d'adrénaline et les scènes plus calmes (comme les prélèvements d'indices) se succèdent tout au long de l'aventure. En jouant sur les effets de surprise et sur le rythme du jeu (ce qui nécessite un excellent level design), le titre de Sega arrive à entretenir l'intérêt du joueur et s'amuse tout au long des quelques 10-15 heures de l'aventure avec ses nerfs. Il est également important de souligner la maîtrise du rythme du jeu dans sa construction narrative. Condemned raconte la chute aux enfers d'Ethan Thomas, peu à peu submergé par le Mal de Metro City, et le développement du jeu recrée cette structure. Alors qu'au début du scénario, le joueur est plutôt calme et pense pouvoir maîtriser le déroulement de l'histoire, il va alors perdre pied au fur et à mesure, pour se sentir enfin complètement dépassé par les événements. Il passera alors du rôle d'enquêteur au rôle de proie luttant pour sa vie. Le jeu a été structuré pour que le joueur ressente cette longue chute, cette destruction que subit Ethan. D'ailleurs, le personnage même d'Ethan Thomas, au travers de ses réflexions, de ses paroles et également de son apparence, a été conçu selon le même schéma : tout d'abord enquêteur méthodique et froid, il succombera lui aussi et deviendra peu à peu plus sauvage, plus agressif. Une vraie réussite narrative.

Le personnage de Ethan Thomas s'apprête à vivre un enfer comme il n'en a jamais connu. Tout comme son avatar, le joueur va peu à peu sombrer...

Pour réussir parfaitement son pari et pour procurer au joueur une des plus belles frousses de sa vie, il fallait à Condemned une réalisation technique qui supporte efficacement les idées de design. De ce côté-là, c'est plutôt réussi sur de nombreux points. Les animations sont une des plus grandes forces du titre de Monolith à ce sujet : les différents ennemis que l'on rencontre ont tous des animations très réussies et surtout très spécifiques. Alors que certains semblent lourds et massifs, se déplaçant en soufflant comme un taureau, d'autres bondissent comme des félins ou encore rampent sur le sol en gémissant. Cependant, le constat est moins réjouissant au niveau graphique : certes, le jeu est loin d'être désagréable à l'œil, mais certaines modélisations un peu carrées et surtout certaines textures très pauvres témoignent du fait que Condemned était l'un des premiers jeux de la Xbox 360. Face aux autres productions sorties sur consoles next gen quelque temps après (au hasard, Gears of War d'Epic, sorti en 2006), l'aspect visuel de Condemned est quand même un peu en retrait. Malgré tout, l'éclairage très réussi permet un jeu d'ombre et de lumière qui a toute son importance dans un jeu d'ambiance comme Condemned. Enfin, comment ne pas souligner l'excellence du travail sur le son, tant celui-ci apporte à l'atmosphère parfaitement malsaine du titre ? L'absence totale de musique permet d'installer des silences glaçants et de faire ressortir les bruitages exceptionnels du jeu. Bruits de coups, râles d'agonie, objets qui tombent au loin... Tout contribue à installer cette pression, cette paranoïa qui caractérise le jeu. Overgame parlait d'ailleurs de "nouvelle référence" lorsque le site cita Condemned parmi les meilleures bandes son de l'année 2005. Enfin, soulignons 'excellente performance des acteurs qui prêtent leur voix au jeu.

Pas spécialement joli, Condemned arrive toutefois à créer une vraie ambiance en jouant sur les contrastes ombre/lumière.
Greg Grunberg, bien connu des fans de la série Heroes (dans cette série, il s'agit du comédien qui joue le rôle de Matt Parkman), prête sa voix à Ethan Thomas dans le jeu. Son interprétation ajoute beaucoup à la crédibilité du personnage.

L'horreur en HD

Il ne faut pas se leurrer : je pourrais parler des heures de ce fabuleux jeu qu'est Condemned, mais le meilleur moyen de le découvrir et de toucher du doigt sa force immersive exceptionnelle est encore de l'essayer, sur PC ou sur Xbox 360. Une mise en garde cependant : il vous faudra avoir plus de dix-huit ans pour vous lancer dans l'aventure. De même, si vous êtes un peu sensible, on ne saura que trop vous déconseiller de découvrir les mésaventures d'Ethan Thomas. Si jamais vous souhaitez connaître l'effroi et que vous vous lancez dans le soft de Monolith, préparez-vous à vivre l'un des survival horrors les plus puissants jamais conçus. D'ailleurs, il est amusant de lire aujourd'hui les avis de joueurs sur Internet, pour s'apercevoir que le jeu a marqué beaucoup de gens (un exemple amusant livré par Nano sur le forum de Grospixels est accessible ici), et que pour beaucoup, Condemned: Criminal Origins est l'une des plus grandes peurs qu'ils aient pu connaître. Cependant, malgré tout le bien que l'on puisse penser de ce jeu, il faut lui reconnaître quelques défauts. D'abord, on l'a vu, le jeu accuse un peu le coup au niveau visuel et certaines modélisations ainsi que certaines textures témoignent du caractère de launch title du soft : heureusement, la résolution HD embellit le tout. On peut également regretter le caractère très dirigiste des phases d'enquête qui sont plus des cinématiques interactives que de vraies phases de recherche... En fait, le plus gros défaut de Condemned vient de la fin de la première moitié de l'aventure qui a tendance à trop répéter les environnements que l'on a pu voir au début du jeu : le thème du métro délabré est ici trop utilisé et le joueur peut commencer à éprouver un léger sentiment de lassitude. Je ne saurais que trop conseiller d'aller au bout du jeu tant la deuxième moitié du soft est variée, bien rythmée et magnifiquement mise en scène. On pestera également sur ces maudits Achievements rongés par les bugs, certains succès ne se déclanchant pas alors que les conditions ont été remplies. Rageant... Enfin, concluons cette énumération des défauts en signalant que certains mécanismes du jeu et certains choix de design (lenteur du déplacement du personnage, impossibilité d'emporter les trousses de soin, impossibilité de porter plusieurs armes) peuvent agacer sur le coup, mais on comprend très vite l'intérêt de ces choix sur la tension que les designers voulaient faire subir au joueur : tous ces éléments ont été intégrés au jeu pour rendre le joueur encore plus vulnérable et ainsi malmener encore un peu plus éjà rudement mis à l'épreuve...

Les décors de Condemned sont toujours très accueillants et Metro City semble vous ouvrir ses bras... Pour concevoir les environnements du jeu, les développeurs de Monolith ont engagé un "location scout" (un traqueur de lieu) qui a pris quelques 25 gigas de photos des coins les plus reculés de la région de Seattle. Le bonhomme en question a par ailleurs travaillé sur les films Le Fugitif et The Ring.
Un des nombreux tête-à-tête flippants que vous allez subir au cours du jeu. « 18 + », qu'on vous dit...

Condemned: Criminal Origins est à la fois un des premiers grands jeux de la génération Xbox 360 / Playstation 3 / Wii et un des titres Sega les plus forts de ces dernières années. C'est en tout cas une des licences récentes les plus porteuses de l'éditeur. De plus, tout comme Football Manager (Sports Interactive), la série des Total War (Creative Assembly) ou le dernier Sega Rally Revo (Sega Racing Studio), Condemned est une conséquence directe de la très bénéfique occidentalisation de l'éditeur nippon, phénomène qui aura fourni à la compagnie du hérisson bleu quelques uns de ses meilleurs jeux récents. Bien sûr, Sega compte se servir de cette nouvelle licence et a déjà annoncé une adaptation en film du jeu de Monolith. Le projet, lancé par Warner Bros Studios, s'appelle à présent The Unforgettable et devrait sortir en 2008. Le réalisateur de ce film sera Tarsem Singh, un réalisateur indien ayant travaillé sur le long métrage The Cell avec Jennifer Lopez et Vince Vaughn. Pour revenir au domaine du jeu vidéo, une suite du jeu de Monolith intitulée Condemned 2: Bloodshot a été annoncée le 10 mai 2007. Ce second opus, prévu pour début 2008 sur Xbox 360 et PS3, racontera la suite de l'histoire de Ethan Thomas et débutera lorsque Ethan doit rejoindre le FBI pour enquêter sur une nouvelle affaire alors que ses déboires dans les entrailles de Metro City l'ont totalement anéanti et ont fait de lui un alcoolique violent ayant sombré dans la débauche. Comment Ethan surmontera-t-il cette nouvelle épreuve ? Les nombreux mystères soulevés par l'excellent scénario du premier volet seront-ils élucidés ? Et surtout, Monolith peut-il faire encore plus effrayant ? Tout ça, c'est une autre histoire... Une histoire qu'il me tarde de découvrir dans quelques mois, tant Condemned: Criminal Origins m'a remué comme peu de titres avant lui. Un jeu d'une puissance rare, délicieusement effrayant.

À gauche, Ethan au début du premier Condemned. À droite, Ethan dans Condemned 2. Effectivement, on peut dire que le bonhomme a pas mal changé. On a hâte de voir comment les changements de personnalité d'Ethan se répercuteront sur le scénario, la narration et le gameplay de cette suite très attendue.

Annexe - Condemned: Criminal Origins comme vous ne l'avez (peut-être) jamais vu...

Si vous avez pu débloquer tous les Achievements du jeu (enfin, si un vilain bug ne vous y a pas empêché...), vous avez peut-être pu voir tous les bonus en supplément sur le DVD de Condemned (si vous voulez gagner du temps et que vous avez la version Xbox 360, créez un gamertag avec le nom "ShovelFighter" et le tour est joué : tous les bonus sont alors consultables). Outre les superbes artworks accessibles dans ces bonus, ou encore les dossiers de la police approfondissant le scénario, une vidéo passionnante à propos de la genèse de Condemned est aussi disponible. Cette vidéo montre tout un niveau également présent dans le jeu final, dans une version très ancienne de développement : à cette époque-là, le jeu s'appelait d'ailleurs The Dark. On peut noter des différences très marquées entre The Dark et Condemned. Par exemple, dans la version initiale, le héros ne s'appelle pas Ethan Thomas mais Agent Cross. De plus, le héros avait la possibilité de lancer des sorts de magie pour se soigner, pour lancer des vagues d'énergie ou pour manipuler des objets à distance (pour enlever une arme des mains d'un ennemi par exemple). Cette longue vidéo très intéressante est disponible en deux parties, ici et ici.

Une première version du jeu finalement très éloignée de ce que l'on a découverten novembre 2005 lors de la sortie de Condemned.
Jika
(24 décembre 2007)
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