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Colony Wars
Année : 1997
Système : Playstation
Développeur : Psygnosis
Éditeur : Psygnosis
Genre : Simulation / Action
Par Jyelka (09 décembre 2013)

Sorti en octobre aux USA puis en novembre 1997 en Europe sur Playstation, Colony Wars est le premier volet d’une trilogie de jeux de combats spatiaux, genre quasi-absent de la première Playstation. Cette série va évoluer sur les bases posées par ce volet fondateur d'un univers, pour acquérir une identité visuelle et un gameplay propres à elle. C'est la naissance d'une bonne série de space-opera sur console. J'estime au plus haut point cette série, dont chacun des jeux a ses particularités. Colony Wars est l'exemple d'un jeu simple et complexe, qui a connu de bonnes et de mauvaises évolutions. Pour ce qui à l'époque n'est pas encore un jeu de niche, le jeu, qui tient sur 2 disques en raison des cinématiques, bénéficie d'une localisation complète en français.

Dynamiser un genre en le développant sur un nouveau support

Genre phare du PC durant les années 1990, le simulateur de combat spatial est très peu représenté sur console, sans doute car associé à la nécessité d’une machine puissante avec une interface lourde et complexe à gérer au joystick, nécessitant d'y jouer à la souris et au clavier. Pourtant la série des Colony Wars veut démontrer que faire un bon jeu de combat spatial sur console est possible. Pour y parvenir, il met à contribution tous les boutons de la manette, et ce sans aucune combinaison de touches complexe. C'est simple, efficace et précis. Techniquement, le jeu offre des graphismes de qualité et une animation qui ralentit rarement. Le joueur peut librement se déplacer dans un espace en 3D, ce qui est assez novateur sur console. Le titre a été pensé comme un blockbuster de son temps, pour se démarquer d'une concurrence qui développait des jeux de courses ou de combat sur console de salon. Enfin, c'est ce qu'affirme Mike Ellis, auteur et lead designer du projet, en insistant sur l'aspect novateur et risqué de ce projet en 1997 dans un article de Gamasutra daté de 2011 : "Les membres de notre équipe voulaient faire quelque chose de différent. Je suis venu avec l'idée de faire un jeu dans l'espace. Il y a eu des jeux dans l'espace et même quelques-uns de sacrément bons. Cependant, je trouvais que la plupart d'entre eux dégageait un léger sentiment de lenteur et de lourdeur. Ils ressemblaient plus à des simulateurs dans l'espace et n'arrivaient pas à capturer la magie et la vitesse élevée des dogfights de films comme Star Wars et Top Gun. Retrouver l'essence de cette magie a été notre objectif premier".

Feeling arcade et 3D

Colony Wars a été développé par Psygnosis, studio qui a su démontrer sa maîtrise du hardware de la PS1. L'équipe affirme avoir puisé son inspiration de ce qui existait en arcade et rendu accessible par MAME tout en modernisant le concept. Ils sont donc d'abord partis du moteur de Krazy Ivan pour développer un prototype puis ensuite le scénario. Le jeu est sorti en novembre 1997, époque où la machine de Sony domine le marché du jeu vidéo et bénéficie de la sortie de ses titres les plus emblématiques : Final Fantasy VII, Resident Evil 2, Tomb Raider 2... Colony Wars fait partie du lot, et bien que peu connu du grand public, il dispose d'une petite base de fans et a connu des ventes honorables aux USA, mais moins de succès sur le Vieux Continent malgré une très bonne presse. Il connaît très peu de concurrents sur la Playstation dans son genre, à part Wing Commander 3 et 4, adaptations du PC. Psygnosis aime l’anticipation, il l’a montré avec les WipeOut et son autre titre de Noël 1997, G-Police. Colony Wars s’inscrit dans l’imagerie SF portée par le studio, un univers froid, dur et assez noir. Sans doute la décision de faire un tel jeu a été appuyée par le succès de Babylon 5 ou encore de Star Trek Deep Space 9, dont certains éléments de design du jeu semblent inspirés. De plus, 1997 marque les 20 ans de la sortie de Star Wars... sans doute une aubaine au plan du marketing pour vendre un jeu de dogfights spatiaux.

Chris Roberts, le lead programmer sans rapport avec l'auteur des Wing Commander, semble confirmer cette hypothèse dans une interview : "Les produits sont développés seulement si on perçoit une demande et je pense que ce genre de jeu a décliné avec le nouveau millénaire. Il y a bien eu une brève résurgence avec la sortie de la nouvelle trilogie Star Wars, mais je pense que c'était très spécifique. Cela n'a pas produit une nouvelle flopée de jeux de combats spatiaux ni renouvelé l'intérêt pour le genre." D'ailleurs, à l'image des films de Georges Lucas, Colony Wars met en scène la lutte contre un empire.

Un background classique et étoffé.

Depuis le 41ème siècle, la Terre peut voyager dans l'espace mais ces voyages épuisent les ressources du système solaire et ne règlent en rien ses problèmes de surpopulation. Pour faire face, l'Empire terrien se lance alors peu à peu dans la conquête de l'univers afin que les colonies ainsi fondées subviennent aux besoins du système solaire. Voilà le postulat de base du scénario de Colony Wars. L'Empire est dirigé par le Tsar, petite référence à la Russie, tandis qu'il fait face à la Ligue des Mondes Libres, menée par un mystérieux chef appellé le Père, qui à partir du début du 43ème siècle, tente de lui résister et obtient ses premiers succès dans le système de Gallonigher. Ce scénario classique offre quelques allusions intéressantes à l'Histoire puisqu'il, me semble-t-il, fait écho aux guerres d’indépendance entre les colonies britanniques et la Grande-Bretagne. Il faut savoir que la série, développée par des Britanniques, a plutôt bien marché aux États-Unis. Surtout, le jeu insiste sur le pillage des ressources par l'Empire, son contrôle de l'espace et son caractère oppressif. L'auteur du scénario Mike Ellis insiste : "Nous voulions expérimenter une progression non-linéaire, raconter une histoire avec des conséquences multiples. Personnellement, je voulais raconter une histoire qui sortait des conventions du bien contre le mal pour plutôt se concentrer sur la lutte de deux factions pour le contrôle des ressources. Il n'y a pas de bien ou de mal, juste deux animaux vraiment affamés."

Ce ton très particulier imprègne le jeu. Et, c'est une interprétation de ma part, conduit même le joueur à s’interroger : au fond, le Père dont le narrateur même dit que c'est un étranger, existe-t-il vraiment ? Ne serait-ce pas une invention de la propagande de la Ligue ? Ne serait-ce pas une manipulation de la Ligue afin de créer un leader charismatique pour conduire la résistance ? Le genre même d'homme providentiel qui saurait mener la lutte mais non conduire les affaires du pouvoir une fois la paix restaurée. Si le jeu ne tranche pas ces questions, elles se poseront en partie dans le second opus.

La guerre vue par un de ses participants

Vous incarnez un pilote de la Ligue, un anonyme, qui raconte sa guerre au travers de cinématiques entre chaque chapitre. On ne voit presque jamais d'êtres humains, tout se passe dans l'espace, et le ton de ces scènes est assez solennel. Pas forcément militariste, le narrateur insiste sur les sentiments de peur, de défiance et d'amertume. Parfois sur l'euphorie ou la beauté des batailles, cependant la guerre se limite au vide de l'espace. Le narrateur confère au titre un ton, une tonalité tragi-épique par sa description d'une lutte déséquilibrée mais portée par de hautes valeurs, sentiment renforcé par le fait que cet anonyme, homme parmi les hommes, incarné par le joueur, se révélera celui par qui le conflit basculera, même si le narrateur/joueur n'est jamais mis en avant comme un héros... sauf dans le tableau récapitulatif de ses faits d'arme (avec les pertes alliées et adverses) où il se voit attribuer un grade du style "combattant de la liberté", le meilleur grade étant "Fils de la Ligue".


Une interface soignée pour favoriser l'immersion

Le fait de jouer ce soldat inconnu participe à l’immersion tout en donnant un cachet froid et distant au jeu. Ce cachet se retrouve dans l'interface même du jeu tout en lui asurant une cohérence sur la forme. Quand vous démarrez le jeu, lorsque vous arrivez sur le menu principal, une voix féminine froide vous souhaite la "Bienvenue dans le système d'information de la ligue des mondes libres". C'est un petit détail, qui n'est pourtant pas anodin. Mais le jeu en regorge et ils font sa cohérence et son immersion. C'est aussi un moyen d'imiter ce qui se fait dans le genre sur PC sans recourir aux acteurs ou à des interfaces basées sur des déplacements dans les coursives de gros vaisseaux. En effet, depuis le menu vous accédez aux missions, mais aussi à la très complète base de données du jeu, qui regorge d'informations pas utiles mais exhaustives sur les systèmes solaires et les appareils. Tout y est ! C'est assez étonnant et incroyable d'avoir toutes ces données sur des tas d’éléments de l'univers. Vous pouvez regarder les caractéristiques (taille, vitesse, armement, boucliers) de votre chasseur favori tout en écoutant son histoire. Cette fonctionnalité est très rare et permet d'apprécier le gigantesque travail fourni par les artistes sur le design des vaisseaux mais aussi sur l'univers en lui-même du jeu. L'identité du jeu s'en trouve renforcée. Les deux camps belligérants ont aussi chacun leur propre identité visuelle : la flotte de l'Empire a des vaisseaux bleus et gris inspirés par ceux de Star Trek, tandis que ceux de la Ligue, à dominante verte, s'inspirent des longs navires. Chaque camp dispose de chasseurs bien identifiables.

Une chose simple, mais qui renforce la cohérence de l'ensemble : les temps de chargement sont l’occasion de cut-scènes qui mettent en scène le décollage du vaisseau si on part d'un navire de la flotte, ou encore son transfert via un passage intergalactique ou son arrimage. Un effet simple mais aussi efficace que celui des portes de Resident Evil qui rend les chargements agréables.


Dans la peau d'un pilote

Le jeu propose de vivre le conflit entre la Ligue des Mondes Libres et l'Empire au travers de 70 missions. En fait, le jeu propose plusieurs embranchements scénarisés en fonction des vos échecs et de vos victoires. D'abord, vous devez défendre Gallonigher au cours de 2 chapitres. Si vous n'y parvenez pas alors vous vous replierez sur Diomedes où la lutte pour la survie de la Ligue se jouera de façon déterminante. En cas de débâcle, c'est la fin tragique où la rébellion se trouve effacée de la mémoire de l’humanité par le vaisseau amiral du tsar, le Super-Titan tsunami. Mais si la Ligue survit à sa retraite de Draco, elle atteindra Alpha du Centaure où 2 fins sont possibles. Triompher sur Gallonigher conduit la Ligue à lancer l'assaut sur le système Draco avec ses 2 soleils, l'un rouge et l'autre violet pour frapper en plein cœur la force productive de l'Empire. En cas de défaite sur Draco, on se retrouve sur Alpha du Centaure, sinon, on participe à l'assaut final sur le système solaire. Le jeu offre 6 fins différentes, plus ou moins heureuses, mais surtout plausibles avec le déroulement des opérations.

Chaque chapitre se découpe en plusieurs missions, parfois liées les unes aux autres, comme assurer la désactivation, puis la prise et la défense d'une station spatiale qui garde le passage intergalactique ou encore poursuivre et détruire une frégate ennemi. Introduites par un briefing lu de façon martiale, les missions proposent des objectifs variés, souvent assez clairs, de la destruction d'une station spatiale minière, de l'escorte voire de l'infiltration et du vol de matériel. Elles se déroulent dans des environnements spatiaux différents, la position des planètes et des étoiles change selon le secteur. On reconnaîtra par exemple Jupiter et on sera frappé de ce que les étoiles éblouissent et les astéroïdes dérivent de temps à autre. Le vaisseau piloté est imposé parmi six modèles complémentaires et adaptés aux missions. Chacun des chasseurs assignés dispose de son armement spécifique à base de lasers, de missiles et de torpilles. Le Dark Angel sera un petit intercepteur, tandis que le Vampire aura un armement réduit (son laser est unique) mais une vitesse incroyable car c'est un chasseur éclaireur. Le Démon quant à lui aura des plasmas, l'Hydra aura des lasers triples. Le Démon sera un chasseur-bombardier, lent mais très blindé, il marquera 3 torpilles et pourra aussi tirer un laser unique par derrière. Bref, chacun des vaisseaux de la Ligue a ses spécificités et trouve son équivalent dans l'autre camp. La Flotte de l'Empire dispose de vaisseaux de type frégate, croiseur, destroyer et cuirassé. Ils sont longs de plusieurs centaines de mètres et plus lents mais plus forts que leurs homologues de la Ligue. Cette dernière, plus portée sur la guérilla dispose de meilleurs chasseurs, ce qui est idéal dans un jeu où l'on est appelé à incarner un pilote de chasse.

En vol

Une fois en vol, le HUB reste lisible dans les 3 vues proposées : subjective, cockpit et vue externe. À gauche la vitesse et l'état de la protection du chasseur qu'on pilote : bouclier plus coque ; à droite l'état du vaisseau ciblé et de ses systèmes qu'on peut brouiller avec une arme. En dessous, les armes équipées et la jauge de surchauffe du laser. Les dogfights sont plutôt rapides et nerveux, ils demandent une certaine attention, car il faut d'abord détruire avec le laser adéquat (le laser bleu) le bouclier puis la coque des ennemis avec une autre arme : le laser rouge. Selon le chasseur, le laser peut être simple, double voire triple ou encore remplacé par des boules de plasma plus puissantes qui fonctionnent sur les boucliers comme sur les coques. Ces armes peuvent être complétées par un laser à dispersion rapide et une arme EMP pour désactiver les circuits des vaisseaux adverses et les rendre inopérants, incapables d'attaquer. Il faut donc jongler avec les armes, éviter la surchauffe qui les rend moins performantes, recourir aux missiles et torpilles qui sont en nombre très restreint. L’ordinateur de bord indique toujours à l'aide d'une flèche bleue l'ennemi le plus proche. Ensuite, si un vaisseau est ciblé, le nom de l'appareil apparaît dans un losange bleu pour les ennemis (bleu est la couleur de la Flotte de l'Empire) ou en vert pour les alliés (vert est aussi la couleur de la Ligue, ce jeu a le sens du détail). De plus, il y a un radar tridimensionnel assez simple à lire, les points creux sont derrière le vaisseaux et les points pleins sont les objets situés à l'avant.

Avec ces bases solides, les combats sont plaisants, demandent un peu d'attention et sont assez nerveux. L'IA peut être agressive. Bien qu'il y ait rarement plus d'une dizaine d'appareils, sans doute pour préserver la fluidité de l'animation, on ne s’ennuie pas. Des renforts peuvent arriver régulièrement en ouvrant des passages intergalactiques, on vole à proximité d'un croiseur, on tente d'esquiver un missile, les alliés crient dans la radio de temps à autre ou le chasseur ennemi profite du soleil pour se dissimuler. Les touches sont simples : R1 pour accélérer, L1 freiner ou utiliser la rétro-propulsion, croix pour tirer, carré pour changer de laser, rond pour verrouiller un missile puis l'expédier, triangle pour changer de type de missiles et R2 ou L2 pour faire des vrilles. Et R2 + L2 pour regarder derrière soi, et dans cette vue la touche rond permet de lancer un leurre pour feinter un missile adverse qui vous est destiné. Cette configuration est arcade et d'ailleurs le jeu ne s’encombre pas trop de physique au-delà des collisions. Sans pour autant aboutir à un résultat simpliste puisqu'il faut gérer son choix d'arme, le plaisir et l’accessibilité priment sur le réalisme physique. Détail amusant, les gros vaisseaux de type croiseurs ou cuirassés ont des moteurs qui laissent une gigantesque flamme qui peut vous détruire si vous la traversez. Les vaisseaux explosent dans des explosions impressionnantes pour la PS1 avant de se disloquer. Un flash blanc précède la destruction des plus importants qui se séparent ensuite en plusieurs parties dans un bruit assourdissant. Le spectacle se trouve bien là. Surtout que la variété, certes restreinte, des armes, permet à chaque joueur de jouer selon son style. Par exemple dès que je le peux, j'utilise les armes EMP pour désactiver les gros vaisseaux avant de leur porter le coup fatal. Le tout accompagné par une musique dans le style space-opera dont les inspirations sont pleinement assumées par le compositeur Tim Wight : "Le vrai guide pour Colony Wars était de chercher l'inspiration de Star Wars ou de Battlestar Galactica. Des pistes dans le style des grands space-opera."

Le premier Colony Wars s'avère donc un jeu riche, très soigné et complet, qui propose un background classique mais développé au travers de la base de données et de ses missions. Pas de fantaisies, pas de boss, l'objectif est ici de faire vivre la vie de pilote au travers de missions avec une prise en main immédiate. Il y a certes quelques traductions bizarres en français. Et le titre de Psygnosis a son propre ton, assez froid, déshumanisé même mais cela lui confère, avec son gameplay et sa technique très solide, son charme et son aura. Employer un personnage anonyme dans un univers spatial pour narrer une histoire non-linéaire de guerre afin de laisser au joueur le soin de lui-même s'impliquer dedans est un choix intéressant. Les Colony Wars suivant emprunteront d'autres voies tout en gardant les bases de gameplay des phases de shoot pour partir explorer d'autres facettes du space-opera.

Jyelka
(09 décembre 2013)
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