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Blocks That Matter
Année : 2011
Système : Mac, Windows, Xbox 360
Développeur : Swing Swing Submarine
Éditeur : Swing Swing Submarine
Genre : Plate-forme / Réflexion
Par Sebinjapan (07 mai 2012)

Les « blocks » sont importants, en effet, dans le petit monde des jeux vidéo. Ils se manifestent sous la forme de pixels carrés qui composent les sprites et les décors de titres en 2D, ou bien de cubes recouverts de textures diverses pour former des objets dans de nombreux jeux en 3D. Mais ils sont surtout des éléments de gameplay dans des titres aussi iconiques que Tetris, Lode Runner, Super Mario Bros, Boulder Dash ou, plus récemment, Minecraft. Dans ces jeux on pousse, on creuse, on collecte, on frappe ou on aligne ces fameux blocks, dans des buts divers mais avec toujours de bons moments à la clé.

C'est en partie d'une volonté de rendre hommage à ces titres marquants que le projet Blocks that Matter est né. Il en résulte un habillage et des idées de gameplay qui renvoient ainsi à de nombreux classiques. Mais BTM (on va l'appeler comme ça) est aussi et avant tout un formidable jeu de plateformes et de réflexion, dont le principe reste totalement original et apporte un vent de fraîcheur au sein des nombreux clones mal inspirés qui, hélas, pullulent sur le XBOX Live Indie Games channel, la plateforme de téléchargement de la Xbox 360 regroupant des jeux indépendants, sur laquelle le titre de Swing Swing Submarine sort en 2011.

Les auteurs de Blocks That Matter sont deux français ayant officié chez Ubi Soft avant de devenir indépendants et de fonder le studio Swing Swing Submarine : William David et Guillaume Martin.
De manière très amusante, ces deux sympathiques développeurs se mettent en scène dans les quelques cinématiques et les dialogues qui illustrent l'intrigue (simple et amusante). Ils apparaissent ainsi sous les patronymes de Alexey et Markus, deux références directes à Aleksei Pajitnov et Markus Persson les auteurs de Tetris et Minecraft, et sont kidnappés alors qu'ils sont en train de développer leur dernier jeu. C'est en tout cas ce que croit leur ravisseur qui souhaite obtenir la primeur de leur nouveau « hit ». Mais en fait, Markus et Alexey ne bossent pas sur un jeu, mais sur un robot incroyable : le Tetrobot ...

Le but du jeu est de secourir ces deux sympathiques programmeurs de jeu, caricatures des vrais auteurs de BTM. Quelques cut-scenes très courtes viendront parfois rythmer l'aventure.

Le principe de BTM est simple à assimiler mais offre des possibilités de gameplay très étendues. La marque des grands jeux ! Le joueur dirige le Tetrobot, un petit robot qui se présente sous la forme d'un block sur pattes équipé d'une foreuse. Il peut avancer, courir, sauter (d'une hauteur équivalente à deux blocks), et ramasser des blocks de deux façons : soit en les transperçant de sa foreuse depuis la gauche ou la droite, soit en les cognant avec sa tête par en dessous. Il lui est donc impossible de ramasser un block si ce dernier n'est accessible que par sa face supérieure. Le but de chaque niveau est d'atteindre la sortie (le temps n'est pas limité).

Le tetrobot en action, ici en train de creuser dans un block en bois. Les icônes en bas de l'écran montrent le nombre de blocks récupérés, classés par types.

Une fois qu'au moins 4 blocks ont été récupérés, le Tetrabot peut les placer à sa convenance sur l'aire de jeu, en y accédant à partir d'un menu qui provoque une pause dans l'action. Mais attention : il est obligé de les placer par groupe de quatres et au moins l'un d'entre eux doit être en contact avec un élément du décor. Dans la pratique, on se retrouve donc à déposer des groupes de blocks reprenant les formes des pièces de Tetris. Ce ne sera pas la seule référence au célèbre jeu de réflexion...

Un quadrillage apparaît et l'action se met en pause lorsqu'on place ses blocks. Ici, ça va permettre au Tetrobot de poursuivre sa route vers le haut de l'écran.

Voici donc le point de départ du gameplay de BTM. Il permet déjà l'élaboration de phases d'action/stratégie succulentes, avec des déplacements et sauts parfois délicats pour accéder à des endroits où se trouvent les précieux blocks, parfois gardés par quelques ennemis qu'il faudra éviter ; puis des séances de réflexion pour poser les blocks au mieux afin d'atteindre d'autres endroits encore, souvent placés en hauteur. Bien entendu, de nombreux éléments nouveaux vont venir se joindre à la fête, tout d'abord sous la forme de blocks aux propriétés différentes. Il y a certains blocks qu'on récupère dans des caisses mais qu'on ne peut plus ramasser une fois posés, ils sont ainsi à usage unique. Il y a ceux qui sont sensibles à la gravité et qui vont tomber si on enlève ce qu'il y a en dessous (les autres restent en l'air). Il y a encore ces blocks de glace qu'on peut pousser comme dans Pengo, ou les blocks de bois qui s'embrasent et disparaissent si mis en contact avec du feu. Et il y a bien d'autres choses encore que je ne détaillerai pas afin de vous laisser la surprise !

On peut uniquement pousser les blocks de glace. Ils vont alors glisser tout droit jusqu'à rencontrer un obstacle ou tomber dans un trou.

Tout cela peut éventuellement paraître complexe mais toutes les subtilités du gameplay sont introduites de façon très progressive, sans pour autant faire des premiers niveaux de simples « tutos » sans saveur. En effet, chaque niveau de BTM propose une énigme passionnante et un challenge adapté à la fois aux débutants et aux « gamers » qui en ont vu d'autres. Car en plus de l'objectif principal, atteindre la sortie donc, qui est obligatoire, il est aussi possible de tenter de trouver dans chaque niveau un « trésor » enfermé dans un coffre. Pour l'atteindre, il faudra souvent faire preuve d'une grande sagacité pour déjouer les pièges tendus par les brillants développeurs et leur esprit tordu ! Il y a ainsi ce niveau où on est poursuivi par un monstre géant indestructible (affectueusement surnommé « Big Mama ») : un joueur moyen parviendra sans doute sans trop de problème à atteindre la sortie après un ou deux essais, mais seuls les plus habiles et les plus malins réussiront à négocier leur progression au mieux (sauts, placement de blocks) pour prendre assez d'avance sur Big Mama et faire un détour pour s'emparer du trésor.
Et la récompense est à la mesure des efforts fournis puisque chaque trésor est en fait un « block that matter », un block apparaissant dans un jeu vidéo dont le titre, et diverses autres informations à son propos seront ensuite consultables sur l'écran de sélection des niveaux.

Le Tetrabot est poursuivi par « Big Mama » dans ce niveau ou il faudra avant tout faire preuve d'adresse.

Et les clins d'œils sont nombreux. Au-delà de cette énumération de titres culte, on trouve des références plus subtiles au sein même du gameplay ou de l'architecture des niveaux. L'un des exemples les plus évidents est ce passage où le trésor est enfermé dans un coin de l'écran qui semble inaccessible... jusqu'à ce qu'on trouve un passage qui permet de passer au-dessus du décor pour l'atteindre, de la même façon qu'on accède aux « warp-zones » dans le monde 1-2 de Super Mario Bros.

Les clins d'œils ne manquent pas dans BTM ! En tout cas les auteurs citent leurs sources, avec ici Boulder Dash. Saurez-vous reconnaître les autres jeux auxquels il est fait référence sur ce screenshot ?

Et pour les plus acharnés qui auraient réussi à terminer tous les niveaux et à ramasser tous les trésors, un nouveau challenge a été ajouté lors d'une mise à jour. Il s'agit de finir chaque niveau en transportant le maximum de blocks possibles. Comme on en laisse souvent en chemin pour s'en servir comme escaliers par exemple, il faudra repenser ses stratégies, optimiser le moindre de ses mouvements, pour économiser un block ici ou là ou bien faire en sorte de toujours parvenir à récupérer ce qu'on a posé. Voici un excellent moyen de se replonger dans des niveaux désormais familiers en y reprenant encore plus de plaisir !

Sauter sur ces groupes de blocks pour passer sur la droite de l'écran, c'est facile. Mais récupérer un maximum de ces blocks tout en en laissant suffisamment afin de parvenir à franchir ce gouffre, c'est une autre histoire...

En parlant de mise à jour, notons que de nombreux niveaux ont été ajoutés quelques mois après la première sortie du jeu. Accessibles depuis le menu principal ou déblocables en progressant dans l'aventure principale, ils ne sont pas tous l'œuvre des auteurs originaux et se révèlent de qualité variable. La plupart sont en fait d'une difficulté pratiquement inhumaine et nécessitent une maîtrise du joypad qui fait écho au masochisme de titres comme Super Meat Boy ou Battle Kid, ce qui n'est pas le cas des niveaux principaux, finalement assez cléments à côté de ces deux jeux, et qui exploitent plus les méninges que la dextérité pure. Pour autant, ne manquez surtout pas la suite de 10 niveaux inspirée du jeu indépendant Chocolate Castle, dans laquelle il faut exploiter la capacité qu'ont divers blobs colorés (mortels au toucher) à faire disparaître les blocks de la même couleur qu'eux... J'ai personnellement adoré ce supplément (gratuit, précisons-le).

La réalisation de Blocks that Matter est très sobre mais très propre. Les graphismes sont sans fioritures mais parfaitement lisibles, très colorés, et le Tetrobot est tout à fait charmant ! Il faut également souligner ici la qualité des musiques composées par Yann Van Der Cryussen, tour à tour joyeuses et inquiétantes, toujours absolument mémorables. Et enfin, précisons que la maniabilité est parfaite, le Tetrobot se déplaçant sans le moindre problème, chose indispensable pendant quelques passages de plateformes où les réflexes sont de mise.

Le moindre contact avec un blob de feu est mortel. Cependant, si vous permettez à celui-ci d'atteindre les blocs de bois (que vous ne pouvez pas ramasser par-dessus), alors il les brûlera et vous ouvrira un passage vers la suite du niveau.

On peut certes trouver un défaut à BTM : il est probable que certains joueurs le trouvent trop court. La quarantaine de niveaux présents dans l'aventure principale s'enchaînent bien vite, alors qu'on aurait aimé que certains concepts (les blocks de glace par exemple) soient encore plus exploités dans des niveaux encore plus vicieux. Mais d'une part, les niveaux bonus (très « hardcore ») sont là pour prolonger la durée de vie, et d'autre part rappelons qu'il s'agit là d'un jeu amateur, réalisé principalement par deux personnes et vendu à un tout petit prix (240 points sur Xbox 360, soit 3 euros en gros). Remarquez cependant que, même si le jeu avait été commercialisé à 800 points sur le Xbox Live Arcade, canal de diffusion ou il aurait largement eu sa place et bénéficié d'une bien meilleure mise en valeur, il aurait encore largement valu son prix.

Car hélas, BTM n'a pas été un grand succès commercial. Bien que très favorablement accueilli par la presse (online), il s'est retrouvé noyé sous la masse de titres indépendants qui déboulent journalièrement dans le petit monde des Xbox Live Indie Games. Heureusement, le jeu s'est offert une seconde chance lors de sa sortie sur PC (Windows et Linux) et Mac quelques mois plus tard. Cette conversion a d'ailleurs permis l'inclusion de nouveaux niveaux bonus (présents également sur 360 suite à une mise à jour), mais aussi d'un éditeur de niveaux ! Ce dernier, bien qu'assez complexe à maîtriser, a ouvert la porte à d'autres créateurs amateurs qui ont rapidement produit quelques excellents niveaux, dont certains ont, encore une fois, été intégrés à la version 360 ensuite. Saluons là un réel effort de la part de Swing Swing Submarine pour récompenser leurs fans.

L'éditeur de niveau présent dans les versions micro.

Pour conclure sur une note plus personnelle, je voudrais vous dire que ce qui m'a poussé à écrire à propos de BTM sur Grospixels, au-delà du fait que c'est un excellent jeu, c'est que BTM est également une bouffée d'air frais au sein de la production vidéo-ludique de 2011. Pris en tenaille entre des jeux trop complexes, nécessitant un long apprentissage des commandes ou des mécaniques de gameplay pour commencer à prendre du plaisir, et des jeux trop simplistes comme la plupart des petits passe-temps sans prétention qui fleurissent sur les plateformes de téléchargement mobiles, le joueur cherchant un jeu de qualité, rapidement accessible, aux parties courtes mais intenses, ce joueur en qui je me reconnais a parfois bien du mal à trouver chaussure à son pied, à moins de se tourner systématiquement vers le rétrogaming, s'enfermant alors dans ce qui lui est familier au détriment de nouvelles expériences.

Avec Blocks That Matter, point de mondes gigantesques ou l'on se perd, ni de représentation 3D complexe où le repérage et le déplacement demandent un temps d'adaptation plus ou moins conséquent. Pas de narration envahissante, ni de cinématiques grandiloquentes. Pas de procédures d'installation interminable, ni de défauts techniques dus à une réalisation graphique trop ambitieuse s'imposant au détriment de la jouabilité. En plus de ça, BTM propose un concept vraiment original malgré ses inspirations qu'il recycle sans jamais les copier aveuglément, et finalement il a le bon goût de ne pas exclure les moins «hardcore » des joueurs avec un niveau de difficulté parfaitement abordable, ce qui n'est pas le cas d'autres productions dites « old school » qui sous prétexte que « les jeux étaient beaucoup plus durs et intéressants avant » s'enferment dans des défis irréalisables pour qui n'aurait pas le temps et la conviction nécessaires à leur maîtrise parfaite.

C'est aussi parce que de tels jeux sont si rares de nos jours que j'aime autant Blocks That Matter.

À l'heure où j'écris ces lignes (janvier 2012) le prochain jeu de Swing Swing Submarine, appelé « Seasons After Fall » n'est pas encore sorti. Qu'il soit aussi inventif et bien pensé que BTM, c'est tout le mal qu'on lui souhaite !
Sebinjapan
(07 mai 2012)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Le site de Swing Swing Submarine : www.swingswingsubmarine.com
- Tous les screenshots proviennent du test réalisé par « Miniblob » sur jeuxvideo.com
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