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Mazogs
Année : 1982
Système : ZX Spectrum
Développeur : Don Priestley
Éditeur : Bug Byte Software
Genre : Action / Aventure
Par David (03 juin 2013)

Il est peu probable qu'un jeu comme Mazogs séduise autant les foules aujourd'hui qu'en 1982. Pourtant, à l'époque, cette création de Don Priestley, alors débutant dans le monde de l'informatique, fit l'effet d'une bombe.

"Au départ, je ne faisais qu'accompagner mon fils" - Don Priestley

Début 1980, l'informatique est en plein boom mais les ordinateurs, encore trop onéreux pour être totalement accessibles, frustrent les velléités de nombreux programmeurs en herbe. N'ayant d'autre choix que de se rabattre sur quelques clubs et autres cours du soir, l'initié tente de partager sa soif de savoir en collectivité avec l'espoir qu'un jour, chez lui, trône un ordinateur totalement personnel. Don Priestley fait partie de ces amateurs de la première heure. Professeur d'école et vaguement intéressé par ces machines aux pouvoirs alors insoupçonnés, il se met dans la tête de faire découvrir l'informatique à son fils. Si l'adolescent ne montre pas beaucoup d'assiduité (il quittera les cours du soir au bout d'un mois seulement), Don finit par se passionner réellement pour le médium et par acquérir, un beau jour de 1981, le tout nouveau ZX81, dont le prix incroyablement bas permet enfin à tous de s'adonner aux joies de la programmation.

WHSmith, célèbre chaîne britannique spécialisée dans la vente de presse et de livres, disposait de gros rayons d'informatique dans les années 80. Cette publicité qualifie le ZX81 de puissant, rapide, et si simple à programmer que quelques heures d'apprentissage suffisent.
L'attitude de ce parfait inconnu symbolise à elle toute seul le bonheur que pouvaient procurer un clavier, des graphismes monochromes en 64 pixels sur 48, et 16 misérables kilo-octets de mémoire (en option, bien entendu - sinon, il fallait se contenter d'1 ko).

Très vite, Priestley conçoit quelques jeux très simples mais suffisamment intéressants pour être immédiatement publiés par une société alors très en vue : Bug Byte Software. Fondée en 1980 par deux diplômés de l'Université d'Oxford, cette petite entreprise fera sa réputation en éditant des dizaines de titres sur les ordinateurs les plus populaires de l'époque, alors en forte demande et en manque cruel de logiciels. C'est en particulier chez Bug Byte qu'un certain Matthew Smith viendra proposer son plus grand hit, Manic Miner, qui se vendra à des dizaines de milliers d'exemplaires.

Pas la peine de présenter ce monument de la plate-forme sur micro : vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires, il a fait de son créateur une des premières sommités du milieu.
Matthew Smith, tel qu'on le verra bientôt dans le film "From Bedrooms to Billions", un documentaire sur l'histoire de l'industrie du jeu vidéo en Angleterre dans les années 80, qui promet d'être exceptionnel.

Le premier titre de Don Priestley que publie Bug Byte est The Damsel and the Beast, un jeu à la représentation graphique typique sur ZX81 : du noir, du blanc, et des lettres ou symboles représentant les protagonistes, dans la plus pure mode ASCII. L'aspect excessivement schématique de cette représentation rend la lecture des instructions livrées avec le jeu absolument indispensable tant visuellement, rien, absolument rien ne permet au joueur de comprendre qu'il déplace un héros tantôt "M" tantôt "$" à la recherche d'une princesse "D" enfermée dans un palais plongé dans le noir où rôde une créature malfaisante "*". L'imagination prend ici une dimension toute particulière (ce qui parfois présente un charme et un intérêt indéniables), mais dans le cas présent, tout est trop lent et poussif pour ne pas succomber à la tentation de quitter prématurément le programme.

La seconde production de Priestley, une simulation économique du nom de Dictator, tombe dans le même travers : peu intuitive (mais il est vrai que le genre n'arrange rien), elle exige une lecture approfondie des instructions avant de pouvoir s'y plonger. À une époque où l'arcade et son accessibilité immédiate incarnent le modèle à suivre, le ZX81 a bien du mal à convaincre les vrais joueurs en mal de sensations fortes.

En ces temps reculés, les jaquettes fleuraient bon l'amateurisme... leur contenu, aussi ! À gauche et au milieu : The Damsel and the Beast ; à droite : Dictator.

"J'en avais marre des jeux qui se résumaient à une astérisque poursuivant un dollar" - Don Priestley

Vient alors Mazogs... et le ZX81 entre dans une nouvelle ère. Exit les caractères d'imprimerie, voilà que déboulent des graphismes créés de toutes pièces par un concepteur s'improvisant pour l'occasion artiste peintre. Priestley ouvre la brèche des jeux vidéo ZX81 où les graphismes ne jouent plus les seconds rôles. Dans Mazogs, le héros, qui ressemble enfin à un homme, court, virevolte et pourfend des monstres qui, enfin, ressemblent à des monstres (des... crapauds, en l'occurrence, mais peu importe).

Mieux que ça : le héros déambule dans un labyrinthe parfaitement représenté et identifiable qui, fin du fin, se déplace dans toutes les directions dans un scrolling certes saccadé, mais rapide, conférant à l'action un dynamisme parfaitement inédit sur ZX81. D'une certaine façon, Mazogs est le Shadow of the Beast de l'Amiga: tellement beau et étourdissant de technicité visuelle qu'il propulse à lui tout seul la machine vers des sommets réservés aux machines nettement plus évoluées... à la différence près que contrairement à Shadow of the Beast, Mazogs est intéressant à jouer.

L'écran titre, d'un niveau de détail rarement atteint sur ZX81. On peut y admirer, dans toute leur splendeur, l'avatar et les Mazogs - une véritable orgie graphique pour les possesseurs de la machine !

De l'action et de la stratégie dans seulement 13 ko de code

Dans Mazogs, le joueur incarne un preux aventurier ayant eu vent de l'existence d'un fabuleux trésor. Hélas, ce trésor se trouve enfoui au bout d'un gigantesque labyrinthe peuplé de créatures abominables mi-crapauds, mi-monstres : les Mazogs. Ces bestioles sont si redoutables que le héros n'a qu'une chance sur deux de ressortir vivant d'un affrontement. Heureusement, des épées jonchent les couloirs du labyrinthe. Ainsi armé, le joueur devient invulnérable. Problème : l'épée se casse après chaque utilisation. Il est donc indispensable de partir en quête d'une nouvelle épée avant de s'enfoncer davantage dans le labyrinthe.

À chaque début de partie, l'ordinateur consacre quelques secondes à la création d'un labyrinthe tout neuf, garantissant ainsi au joueur une expérience sans cesse renouvelée - un plus considérable pour une production de cette époque.
Une fois le labyrinthe conçu, le ZX affiche une vue très partielle des environs immédiats du joueur qui doit décider de partir vers la gauche ou vers la droite en fonction des éléments visibles. Une fois le chemin choisi, un mur se formera derrière lui.
L'écran suivant rappelle au joueur quelques informations essentielles, comme le nombre de déplacements dont il dispose pour mener à bien sa mission...
... puis, c'est l'aventure qui commence ! Dans son immense générosité, le programme offre invariablement au héros une épée, qu'il n'aura qu'à saisir qu'en pressant la touche "haut".

Le joueur devra toutefois prendre garde de ne pas trop errer sans but, car chacun de ses mouvements est compté. Passé un certain nombre de pas, c'est le game over. La tâche est d'autant plus délicate qu'il doit non seulement trouver le trésor, mais il doit aussi le ramener vers la sortie. Et une fois le trésor dans les bras, plus question de se saisir d'une épée... à moins d'échanger l'arme contre le trésor, partir occire le Mazog bloquant le passage, puis revenir chercher le trésor. La manœuvre n'est toutefois pas sans dangers, le risque de se perdre ou d'épuiser le nombre de mouvements possible étant bien réel. Autant donc se montrer prévoyant en dégageant scrupuleusement la voie à l'aller afin de s'assurer un retour plus tranquille.

De l'autre côté du mur, un Mazog...
Lorsque l'affrontement commence, une courte animation démarre. L'issue du combat est très incertaine pour le héros si ce dernier s'y est lancé à mains nues.
La fin de l'aventure approche : le voilà enfin, le trésor tant convoité !
... mais s'en saisir signifie abandonner l'épée. Le retour ne sera pas une partie de plaisir...

On l'aura compris : Mazogs est un jeu où la mémoire et le sens de l'orientation revêtent une importance capitale. Les joueurs en difficulté pourront toutefois compter sur deux sources d'aide inestimables : une carte partielle du labyrinthe qui, à chaque fois que le joueur en fera la demande, lui coûtera quelques déplacements ; et d'étranges paires d'yeux qui, placées ça et là dans les murs du labyrinthe, le guideront vers son but en jonchant les couloirs de mentions "This way!" très précieuses. Hélas, ces indices cruciaux disparaissent au bout de quelques secondes seulement - secondes qui deviennent souvent l'occasion de courses folles, le héros tenant à profiter le plus possible de cette aide providentielle. Mais l'opération n'est pas sans risques, la vue très rapprochée, qui n'affiche pas plus de vingt cases à l'écran, rendant tout déplacement trop rapide potentiellement mortel du fait de la rencontre inopinée avec un Mazog.

À droite : une paire d'yeux. Malgré leur petite taille, on ne peut pas les rater : ils clignotent à vive allure.
Ces yeux agissent tel un GPS : une fois leur aide obtenue, le plus court chemin menant au trésor (ou à la sortie !) est dévoilé.
Parfois, la création aléatoire fait mal les choses : ici, cette paire d'yeux est enfermée au milieu de murs, et est donc inaccessible.
C'est dans pareilles circonstances que la carte peut s'avérer très utile, mais attention : contrairement aux yeux, elle n'est pas gratuite.

C'est dans les niveaux de difficulté les plus élevés que Mazogs se révèle le plus prenant. Si en mode "facile", les ennemis ne se déplacent pas, ils bondissent de façon erratique en mode "difficile", rendant le chemin du retour du héros, dont les bras sont chargés du trésor, particulièrement stressant : faut-il tenter un dangereux jeu d'esquive ou vaut-il mieux partir à la recherche d'une épée ? Tout Mazog vaincu rapportant désormais des déplacements supplémentaires, l'opération pourrait s'avérer lucrative, mais est-il toujours judicieux de payer le prix d'errements ne menant pas forcément vers l'arme tant convoitée ? Dans le cas d'une recherche infructueuse, il est toujours possible d'acquérir une épée... en échange de la moitié des déplacements restants - le jeu en vaut-il la chandelle ? Et que dire des paires d'yeux qui, dès leur mise à contribution, disparaissent définitivement ? Vaut-il mieux obtenir leur aide à l'aller - au moment où le capital déplacement est encore élevé -, ou plutôt au retour - lorsque chaque mouvement, plus que jamais, est compté ?

Malgré sa grande simplicité, Mazogs se transforme très vite en un jeu des choix impossibles, et c'est bien ce qui le rend passionnant.

Quelques règles avancées permettent d'élaborer des techniques de jeu finaudes pour contourner les Mazogs. Ainsi, si ces derniers peuvent attaquer latéralement, ils ne peuvent bondir sur leur proie verticalement. Ici par exemple, mon avatar non armé parvient à tenir le monstre en respect. Évidemment, à son prochain déplacement à droite, il a intérêt à courir très vite !
Parfois (... souvent, en fait), les choses tournent mal, et le héros est dévoré par un Mazog. Le bord de l'écran se teinte alors de noir, et le message "DEATH TO ALL TREASURE SEEKERS" rappelle au joueur que ce n'est clairement pas lui le patron.

Quand la simplicité est un mal nécessaire

La lecture de la notice est amusante car, outre sa présentation d'un autre âge, elle met un point d'honneur à scénariser le jeu au maximum et à justifier la moindre des règles énoncées plus haut. Ainsi, on apprend que si le héros dispose d'un nombre limité de déplacements, c'est simplement parce qu'il peut mourir de faim. On apprend aussi que si l'épée disparaît à chaque utilisation, c'est parce que le sang des Mazogs est si acide que son métal est instantanément rongé. Les paires d'yeux ? Il s'agit en réalité d'anciens aventuriers faits prisonniers ! Et si leur aide n'apparaît que très temporairement à l'écran, c'est tout simplement parce que l'avatar a la mémoire très courte.

Mine de rien, ce type de texte, couplé à l'extrême simplicité graphique du jeu, incite le joueur à faire ce qu'il ne fait depuis bien longtemps dans les jeux actuels : laisser libre court à son imagination , celui-ci recréant spontanément un univers tout personnel fait de coursives inquiétantes, de créatures immondes et de bruits effroyables... alors que le jeu, bien entendu, tout de gris vêtu, ne produit pas le moindre son.

Il n'est donc pas étonnant que l'adaptation de Mazogs sur ZX Spectrum, sortie un an plus tard, n'ait pas connu le même engouement que son aîné. Résolument plus coloré, plus bruyant aussi, Maziacs (puisque tel est le nom de ce reboot) dispose d'une résolution graphique tellement plus élevée que la vue du labyrinthe, plus aérienne que sur ZX81, retire au jeu la sensation de claustrophobie pourtant si preignante dans la version originelle... Une erreur qui, associée à son explosion de couleurs éclatantes et à sa bande son passable, fera préférer, sans la moindre hésitation, le ZX81 et ses capacités minables. Comme quoi, la Préhistoire, ça a parfois du bon.

David
(03 juin 2013)
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