Parmi les genres de jeu vidéo que j'aime le plus, les jeux de logique, ou encore les puzzle games font partie de mes préférés. Certains de ses représentants comptent parmi les plus populaires du média, par leur accessibilité, leur aspect compétitif ou leur ingéniosité : de l'ancêtre Tetris et de ses énièmes variations jusqu'aux Puyo-Puyo ou Panel de Pon, les jeux de puzzle ont toujours été présents sur nos consoles et aujourd'hui encore, les développeurs rivalisent d'ingéniosité pour inventer ou de nouvelles énigmes, ou des variations sur des jeux existants. Mais le genre que j'apprécie au-delà de tout, c'est le Picross. Aussi connu sous les noms de « logigraphe », de « griddler » ou de « nonogram », entre autres, le Picross est une invention de la fin des années 1980, dont la maternité est attribuée à une graphiste japonaise, Non Ichida. Le principe général s'appuie sur des jeux de logique antérieurs et consiste, globalement, à reconstituer une image composée de blocs noircis en s'aidant d'indications laissées sur les bords d'une grille de jeu, d'où le nom du concept, picross venant de PICtureCROSSword (« Mots croisés en image »).
Une grille de Picross se présente généralement sous la forme d'un carré quadrillé (bien que l'on puisse trouver d'autres formes géométriques), de taille variable. Généralement, les grilles les plus petites ont un format de 5x5, les plus grandes peuvent atteindre les 20x20. Au-dessus de chaque colonne, et sur les côtés de chaque ligne, se trouve une suite de chiffres indiquant les séquences de cases à remplir sur une ligne ou une colonne donnée, en sachant que les cases à remplir sont toujours consécutives, et que la lecture des séquences respecte l'ordre dans lequel on les trouvera dans la grille. Ainsi, si on a en face d'une ligne d'une grille 15x15 le chiffre « 15 », cela signifie que toutes les cases de ladite ligne sont à remplir. En revanche, si on a la séquence de chiffres « 1 2 6 1 », cela veut dire qu'il faudra remplir une case, puis laisser un ou plusieurs espaces vides, en remplir deux, à nouveau laisser des espaces, en remplir six... et ainsi de suite jusqu'à ce que la ligne soit complétée. On notera que la difficulté, ici, tient à ce que ces indices logiques ne précisent pas l'éloignement des séquences à colorier : il peut ainsi y avoir uniquement une case vide entre la séquence « 1 » et « 2 » de l'exemple précédent, mais trois entre « 2 » et « 6 » ; il faudra alors construire des hypothèses avec l'ensemble des informations disponibles, tant à l'horizontale qu'à la verticale, pour finir la grille.
Généralement, le dessin à reconstruire est un animal, une personne, un objet du quotidien... ce qui peut éventuellement faciliter la complétion de certaines grilles une fois que l'on a saisi ce qu'il nous fallait découvrir. De même, un grand nombre de motifs ont une part de symétrie, ce qui permet d'accélérer le processus. L'augmentation de la difficulté tient alors, généralement, au détournement de ces principes : non seulement les motifs peuvent devenir de plus en plus aléatoires, remplis de lignes brisées, mais également, il arrive que l'on nous demande de construire des images plus complexes composées d'une association de plusieurs grandes grilles, ce qui nous empêche, comme on ne voit qu'un détail de la chose, de se figurer l'intégralité du dessin pour nous aider. À l'instar d'un grand nombre de jeux de logique de cet ordre, le principe se fait à la fois répétitif mais incroyablement stimulant, du moins me concernant : il n'est rien de plus gratifiant que de finir une grille compliquée et quand bien même les motifs obtenus ne seraient que des représentations crûment faites de divers objets, je ne peux m'empêcher d'être satisfait de ma victoire.
Surtout connu des habitués des jeux d'énigme, le Picross nous parvint en jeu vidéo par l'intermédiaire de Mario's Picross, énième occurrence de l'inclusion du personnage phare de Nintendo dans une série qui, pourtant, ne lui est point initialement associée. De la même façon que Dr. Mario popularisa auprès du public le concept du Puyo-Puyo, ce jeu introduisit le principe dans un decorum en appelant, dans ce premier épisode, à l'archéologie : Mario est comme un explorateur visitant une ancienne pyramide dans laquelle se trouvent des tablettes de pierre poussiéreuses qu'il doit alors révéler à coups de burin pour progresser dans sa partie. Le premier épisode sortit en 1995 sur Game Boy et fut développé par Jupiter Corporation, développeur tiers ayant travaillé jusqu'à présent exclusivement pour Nintendo et notamment sur ses consoles portables. On leur doit notamment le système d'exploitation de la Game Boy Camera, accessoire atypique de la console, ainsi que le sympathique Pokémon Pinball sur Game Boy Color, entre autres. Le decorum habille agréablement le principe, assez austère, du jeu, et le gameplay est réduit à sa plus simple expression : la croix pour diriger un curseur, un bouton pour valider une case et l'autre pour la cocher, indication nécessaire pour signaler que ladite case est vraisemblablement vide.
Ce premier épisode comporte près de 256 puzzles, répartis en différents modes de difficulté : il faut intégralement terminer un mode pour débloquer le suivant. Il est une dimension compétitive ici : le joueur a effectivement 30 minutes pour terminer une grille. À chaque erreur, des minutes sont déduites de ce décompte, la pénalité allant augmentant avec nos échecs successifs : si le chronomètre arrive à zéro, la partie s'achève et il nous faut recommencer la grille du début. On notera également que le jeu propose, au début de chaque grille, de nous révéler aléatoirement une ligne et une colonne pour aider la progression. En lui-même, cet indice n'impacte point notre avancée dans la partie, seul un symbole sur le menu marque le choix fait, ou non, de se faire aider. Libre alors au joueur de refaire une grille sans cet adjuvant, comme un challenge personnel. Le jeu se fait cependant assez long, il faut compter plusieurs heures pour terminer intégralement toutes les grilles et le principe permet d'y revenir assez facilement, le temps d'un trajet en voiture par exemple, sans trop s'en lasser. Malheureusement, du fait de sa sortie assez confidentielle et, finalement, son intérêt limité à l'instar de tous les autres jeux du genre, il se vendit peu aux États-Unis et en Europe, malgré un succès d'estime certain au Japon. Devenu alors comme une sorte de « perle cachée » de la console, il invita Nintendo à poursuivre sur sa lancée mais à ne réserver ses suites qu'à l'archipel, bien plus friand de ce type de jeu.
Jupiter continua ainsi à développer des jeux de Picross, parfois sous la gamme « Mario's Picross », parfois sans le concours de l'univers du Royaume Champignon. Quelques mois plus tard arriva ainsi sur Super FamicomMario's Super Picross. Le principe général n'a pas bougé d'un iota, mais on remarquera quelques ajouts agréables. D'une part, il est maintenant un mode coopératif, un second joueur pouvant participer à la résolution des problèmes pour améliorer le temps de complétion ; mais surtout, aux côtés du jeu principal, dit « Mario Mode », il est un « Wario Mode », bien plus compliqué, auquel on peut accéder. Dans le mode Wario, le jeu n'indique plus les erreurs du joueur, la partie s'achevant une fois la grille effectivement complétée. Les puzzles se font bien plus élaborés, et on a la possibilité de noter nos hypothèses afin de faciliter la complétion. Partant, quand bien même n'aurions-nous ici qu'environ trois-cents grilles, le jeu se fait bien plus ardu.
En 1996 arrive ensuite, sur la Game Boy japonaise, Picross 2. Il est toujours un mode coopératif, mais cette fois-ci accessible uniquement via le Super Game Boy, qui améliore notablement les graphismes du jeu. On retrouve les modes Mario et Wario, et les derniers puzzles ne peuvent être débloqués que si et seulement si le joueur n'a point utilisé d'indices dans le mode Mario. En tout, il y a là 248 puzzles. Enfin, on évoquera la série des Picross NP, une série de huit (petits) jeux distribués d'avril 1999 à juin 2000 par le service de téléchargement Nintendo Power pour la Super Famicom, qui demandait aux joueurs d'apporter une cartouche vierge à un kiosque dédié pour récupérer divers petits titres. Ces huit jeux accompagnaient dès lors la sortie d'autres logiciels de Nintendo, les décors s'inspirant de ceux-ci : respectivement, il y eut ainsi des puzzles pour Pokémon, Yoshi's Story, la série Kirby, Star Fox 64, The Legend of Zelda : Ocarina of Time, Super Mario 64, Wario Land II et Donkey Kong Country. La série fut, ensuite, mise au placard pendant quelques temps et abandonna définitivement les références à Nintendo. Il faudra attendre 2007 et Picross DS pour que l'intérêt des joueurs se renouvelle sensiblement : l'écran tactile de la Nintendo DS se prêtait, évidemment, assez bien au principe et cette itération se vendit très, très bien, relançant ainsi toute la machine. Toujours pour Nintendo DS arriva ensuite Picross 3D en 2009, variation nous demandant cette fois-ci de détourer des volumes, neuf itérations de Picross e, sorties entre 2011 et et 2018 et Picross S et S2 sur Nintendo Switch, en 2017 et 2018. Rien de particulier concernant ces derniers épisodes, qui proposent des compilations de différents puzzles, la version Switch permettant la coopération entre deux joueurs.
La postérité de Mario's Picross et de ses suites est mince, malgré un succès de fond certain. Les premiers jeux sont depuis ressortis sur les différentes consoles virtuelles de Nintendo et leurs ventes sont très honorables, quand bien même n'atteindraient-elles jamais les plus grands succès de la firme. On trouve occasionnellement des références à la série, à l'instar de Super Mario Odyssey, sur Nintendo Switch, qui reprend le costume d'explorateur du jeu inaugural, mais rien de plus. Bien évidemment, on ne saurait prendre ces jeux pour autre chose que ce qu'ils sont : des jeux d'énigmes qui peuvent être assez relevées et qui mettront vos méninges à rude épreuve. J'y reviens périodiquement, je m'y consacre quelques jours avant de m'en lasser, de les oublier puis d'y retourner. Si vous ne connaissez pas le concept, je vous encourage à l'essayer : qui sait, peut-être, comme moi, en tomberez-vous follement amoureux.