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Maniac Mansion
Année : 1987
Système : Amiga, Atari ST, C64, Windows ...
Développeur : LucasArts
Éditeur : LucasArts
Genre : Aventure / Point'n click
Par Laurent (20 avril 2009)

Molécules, tentacules et météores

Le mot qui revient le plus souvent dans tout test de Maniac Mansion est « premier ». Il s'agit d'un jeu pionnier dans bien des domaines, mais commençons par le commencement : Maniac Mansion est un jeu d'aventure graphique, le premier développé par LucasArts, mais certainement pas le moins célèbre puisque de nombreux fans lui vouent un culte, et il a même inspiré une série télévisée. Avec ce titre, les joueurs du monde entier ont découvert les composantes du style LucasArts qui a, par la suite, fait des séries Monkey Island et "Indiana Jones (et aussi de Loom, Zak McKraken, Sam & Max hit the road, Full Throttle, Grim Fandango ou encore The Dig) de véritables monuments du jeu d'aventure : richesse et complexité du scénario, interactivité, ergonomie, humour, liberté d'action, qualité graphique... et aussi une difficulté très élevée qui réserve ces titres à des joueurs expérimentés.
Parmi les principaux responsables de ces jeux figure Ron Gilbert, programmeur et designer qui a contribué aux meilleurs jeux d'aventures de LucasArts (ex Lucasfilm Games), et qu'on retrouve plus tard dans l'équipe de développement de titres comme Total Anihilation Kingdoms ou Diablo II. Un autre créateur important chez LucasArts est Tim Shafer, d'avantage spécialisé dans l'écriture, mais à l'époque de Maniac Mansion il ne fait pas encore partie du staff.

Ron Gilbert.

En 1987, alors que les jeux d'aventures sont pour la plupart encore basés sur l'analyse syntaxique héritée des glorieux ancêtres que sont Zork ou King's Quest, Maniac Mansion introduit le célèbre système SCUMM codé par Gilbert, qui sera perfectionné dans les titres ultérieurs du studio. SCUMM (Script Utility for Maniac Mansion) est un moteur de programmation de jeux d'aventure basé sur l'usage exclusif de la souris, ce qui est une grande première pour l'époque. Une partie de l'écran est réservée à des actions sur lesquelles le joueur clique, avant de cliquer sur un objet du décor ou de l'inventaire.
Les actions sont au nombre de quinze et permettent suffisamment de combinaisons différentes pour que le jeu ne soit jamais répétitif. Cette interface est encombrante à l'écran mais ne nuit pas à la clarté graphique du jeu. Elle est totalement à l'opposé des critères d'aujourd'hui qui privilégient la simplicité de commandes en nombre limité symbolisées par un simple changement de curseur souris.

Le scénario de Maniac Mansion est, lui aussi, une parfaite introduction à l'univers des jeux SCUMM : il y a vingt ans, un météore s'est écrasé près du manoir du Dr. Fred. Depuis ce jour, le docteur passe son temps à faire d'étranges expériences. Il ne fait aucun doute qu'il a, sous l'influence du météore, totalement perdu la raison, mais le problème est qu'en plus il vient de kidnapper Sandy, la fiancée de Dave. Celui-ci va devoir, aidé par deux de ses amis, s'introduire dans le manoir, braver d'incroyables dangers et faire preuve de malice pour sauver sa bien aimée.
Il y a au début de l'aventure six personnages disponibles et vous devez en sélectionner deux. D'entrée un choix s'impose, celui de Bernard, un intellectuel peu courageux capable de bricolages électroniques en tous genres (il sera le seul des six à revenir dans Day of The Tentacle, la suite de Maniac Mansion où éclate le talent de Tim Shafer). Syd et Razor sont des musiciens accomplis, Michael est un fan de cinéma, Wendy une romancière en herbe et Jeff un surfer en apparence peu futé mais plutôt sportif, ce qui semble l'indiquer pour une association avec Bernard. Outre le Dr. Fred, le manoir est habité par la gouvernante Edna, une mégère maléfique en mal d'amour, et Ed le cousin du docteur, vaguement zombifié, qui essaie désespérément d'empêcher les agissements du professeur fou. Sans parler des futures stars, les deux tentacules, un vert et un mauve, qui n'ont pas encore décidé de conquérir le monde (ils le feront dans Day of the Tentacle).

Le manoir ne contient pas énormément de pièces, mais suffisamment pour donner du fil à retordre à n'importe quel joueur, même expérimenté. On est sans cesse bloqué, perdu, et le jeu ne donne jamais la moindre indication sur ce qu'il faut faire. Il faut être patient et rigoureux, ne rien oublier de passer au peigne fin. Heureusement, la commande examiner est très bien pensée puisqu'il suffit, lorsqu'on l'actionne, de balayer l'écran pour trouver les objets sur lesquels on peut agir, leur nom apparaissant quand le curseur en rencontre un. Maniac Mansion est donc un jeu où l'on passe de longs moments à parcourir des décors en quête d'objets qui, s'ils sont nombreux, ne s'utilisent en général que dans une occasion bien précise.
Par ailleurs, et c'est une constante dans les jeux Lucas, les énigmes ne sont pas logiques, ou plutôt s'inscrivent dans la logique délirante du scénario. Par exemple, une porte s'ouvre avec une clé ; bon d'accord, seulement voilà : cette clé se trouve mystérieusement accrochée à un lustre, et pour l'en déloger il va falloir faire preuve d'ingéniosité et de patience. Heureusement, l'humour noir et déjanté des graphismes et animations permet d'éviter la lassitude, et les séquences cinématiques hilarantes, qui détaillent l'avancée du projet fou du Dr. Fred et ce qui se passe ailleurs dans le manoir, donnent du rythme à l'aventure.

Une autre grande innovation de Maniac Mansion est le fait de contrôler trois personnages, avec à tout moment la possibilité de passer de l'un à l'autre, en fonction des qualités requises pour ce qu'on veut faire. Beaucoup de situations se résolvent en faisant s'entraider deux personnages, voire les trois, et les énigmes changent en fonction de l'équipe qu'on a constituée au début du jeu. Cet aspect non linéaire est remarquable : il y a neuf fins différentes en fonction des personnages, et ceux-ci possèdent des caractères bien définis. Ils réagissent à ce qui se passe et se montrent parfois désobéissants ou retors à exécuter une action qui ne leur correspond pas (notamment Bernard le poltron).
Le scénario étant absurde et décalé, on a vraiment l'impression de vivre une histoire qui peut partir dans n'importe quelle direction, et pas simplement une aventure en structure arborescente dont il faut démêler les ficelles en suivant un parcours immuable. Il s'agit ainsi probablement du premier jeu d'aventure que l'on peut recommencer plusieurs fois sans refaire la même chose, même si l'histoire suit une trame définie.

Bien quil s'agisse d'un jeu d'aventure LucasArts, avec la qualité que cela implique, certaines erreurs de conception sont encore à déplorer, qui seront corrigées sur les titres suivants : dans la liste des actions, il n'y a pas « parler », ce qui prive le joueur des phases de dialogues hilarantes qui deviendront la marque de fabrique du studio. D'autre part il n'y a qu'un seul slot de sauvegarde alors qu'on est souvent bloqué et que les personnages peuvent mourir ou être capturés. Certains objets indispensables peuvent se retrouver inaccessibles ou perdus, ce qui oblige à reprendre le jeu du début si l'on a sauvegardé trop tard.
De plus, les graphismes, calibrés sur le mode EGA 16 couleurs de la version PC, sont beaucoup plus simplistes que ceux des Monkey Island ou des Indiana Jones, la bande sonore (sur la version originale) s'avérant aussi très pauvre. Enfin, le jeu est moins long que les LucasArts suivants, même si sans une solution dans les mains il faut être un expert pour venir à bout de certaines énigmes.

Malgré ces petits défauts, Maniac Mansion est un classique que l'on redécouvrira avec plaisir. Il est vraiment regrettable que des jeux comme celui-là ne se fassent plus aujourd'hui (en dehors de titres à diffusion limitée sur PC). L'imagination, l'humour et le brio avec lesquels ils sont conçus suffisent à en compenser la technologie désuète.

Sortie sur NES - La censure selon Nintendo

L'époque de Maniac Mansion est celle où la NES triomphe. C'est aussi celle ou Nintendo pousse très loin sa politique du « label de qualité ». Refroidis par les ludothèques de la Coleco et de l'Atari VCS, où les bons titres étaient très difficiles à distinguer des daubes avant l'achat, les joueurs se sont montrés très satisfaits de cette garantie. Tous les jeux NES étant estampillés Nintendo, on peut les acheter les yeux fermés. On sait qu'en réalité ce label est en fait un moyen pour Nintendo de tirer des bénéfices de chaque jeu vendu, permettant de vendre les consoles elles-mêmes à bas prix. Ce qui est moins connu, c'est la censure qui lui est associée. Chaque jeu est, avant d'être édité, passé au crible. Toute allusion explicite au sexe est interdite, toute utilisation du mot « tuer » aussi. En 1988, donc, devant le succès rencontré par Maniac Mansion, une version NES éditée par Jaleco et développée par Douglas Crockford, de Lucasfilm Games, est commandée, mais se voit dans un premier temps rejetée par Nintendo qui tique sur plusieurs passages particulièrement corsés.

Il faut dire que Ron Gilbert a un sens de l'humour assez particulier, pas forcément adapté à un public familial. Par exemple, il est possible à un moment du jeu, de mettre un hamster vivant dans un four micro-ondes en marche et de le regarder exploser (à noter que cette action n'est possible qu'avec Syd et Razor, les deux personnages les plus psychotiques, et si l'un deux montre le hamster mort au cousin Ed, celui-ci voit rouge et tue le coupable). À un autre moment, on trouve une inscription sur la porte d'une salle de bains : pour prendre du bon temps, appelez Edna au 3444, ce numéro de téléphone ayant une importance décisive dans le déroulement du jeu. De tels manquements au « politiquement correct » seront biffés de la version NES. Comme le dira avec humour Douglas Crockford, pas question qu'on prenne du bon temps dans un jeu Nintendo.

Maniac Mansion - La série TV

On ne s'étendra pas trop sur ce sitcom produit entre 1990 et 1993 dans la mesure où il ne s'inspire que vaguement du jeu : un scientifique nommé Fred Edison a hérité du manoir de son père et du laboratoire où il menait ses expériences. Dans les fondations du bâtiment, les restes d'un mystérieux météore provoquent des évènements surnaturels et loufoques. Fred vit là avec sa femme Casey, ses trois enfants Tina, Ike et Turner (notez l'humour de ces prénoms), et Harry, le frère de Casey, ainsi que sa femme Idella. Bien qu'âgé de seulement 4 ans, le petit Turner possède, à cause du météore, le physique d'un adulte et son oncle Harry se présente sous la forme d'une mouche avec une tête d'homme. En plus de ces personnages récurrents apparaissent l'oncle Lenny, frère jumeau d'Harry originaire du Canada (qui, lui, a gardé son aspect normal), et la famille Pratts, voisine du manoir. Les acteurs sont tous Canadiens : Joe Flaherty (Fred Edison), Deborah Theaker (Casey), Kathleen Robertson (Tina), Avi Phillips (Ike), George Buza (Turner).

L'humour très noir du jeu en est absent, mais la série est tout de même considérée comme un des sitcoms américains les plus drôles, et a connu un certain succès, étant même rediffusée jusqu'en 1997 sur la chaîne YTV.

Conclusion

La version qu'on trouve le plus souvent dans les sites d'abandonware est l'originale sortie sur PC. Elle ne fonctionne qu'en mode DOS pur ou avec un programme émulant celui-ci. À un moment, on trouve une porte qui comporte une serrure codée. Il s'agit d'une protection, le code étant inclus dans la documentation du jeu. En général, vous pouvez taper n'importe quel code.

Même si les graphismes peuvent rebuter, il s'agit d'un des meilleurs jeux LucasArts. La suite, Day of the Tentacle, est une grosse production dotée de superbes graphismes, beaucoup plus audacieux que ceux du premier volet, et d'un scénario incroyable qui introduit son lot d'innovations. À un moment du jeu, un personnage y trouve même un ordinateur sur lequel il est possible de jouer à Maniac Mansion dans son intégralité, ce qui est au choix une mise en abyme ou une bonne affaire.

Laurent
(20 avril 2009)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Une reprise d'une de ces musiques de ce jeu est disponible en mp3 sur la page Gromix :
http://www.grospixels.com/site/remix.php