Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par MTF (27 juin 2016)
Il est toujours difficile de comprendre comment naissent les légendes. Pourquoi ce livre, cet album, ce film, devient le préféré de son public et non un autre ? C'est là une question légitime, et il n'y a pas de réponses toutes faites. Souvent, l'on reconnaît les « classiques » sans savoir exactement comment, l'ensemble devenant plus grand que la somme des parties. Dans la galaxie des jeux d'aventure Lucas Arts, Day of the Tentacle est de ceux-là. Cette suite à Maniac Mansion jouit effectivement d'une aura aussi forte que les premiers Monkey Island, alors qu'il me semble que les autres jeux de la compagnie, les Indiana Jones, les Zak McKracken, les Full Throttle ont moins droit de cité. Pour certains, les raisons sont toutes trouvées : Grim Fandango est connu, car dernier représentant d'une certaine époque ; et Maniac Mansion, en tant qu'initiateur du système SCUMM, est présent dans toutes les historiographies. Dans l'histoire de la compagnie, Day of the Tentacle, réalisé sous l'égide de Tim Schafer, marque un certain tournant technologique. Il s'agit chronologiquement du dernier jeu de la compagnie à utiliser une interface semi-textuelle, les suivants ou les contemporains, comme Sam & Max Hit the Road (1993) ou Full Throttle (1995), épureront les commandes pour se dispenser de ces verbes multiples, le curseur de la souris évoluant en fonction de la situation. En contrepartie, l'aire de jeu s'affichera alors sur l'intégralité de l'écran et non pas, comme ici encore, sur sa moitié supérieure. Un peu d'histoire : DOTT se place directement à la suite de Maniac Mansion. Plus précisément, un seul personnage jouable de ce premier jeu reviendra ici : Bernard, le nerd que le joueur pouvait incarner précédemment avec ses amis. Le Tentacule Vert du manoir Edison, que l'on avait aidé jadis à dégoter un contrat avec une maison de disques, vient l'avertir que Fred Edison, le savant fou, est pris d'une folie meurtrière et veut tuer le Tentacule Pourpre, son... frère ? copain ? clone ? Passons. Malheureusement et comme on peut s'en douter, un problème technique vient entraver ce plan... hmmm... « parfait », et les Chron-o-John, les cabinets de toilette qui expédiaient nos héros vers la veille du sinistre, se dérèglent lors du voyage. Bernard revient certes au temps présent, mais Hoagie est propulsé deux cents ans dans le passé, à la rencontre des pères fondateurs de la nation américaine, tandis que Laverne échoit deux cents ans dans le futur, dans un monde à présent entièrement contrôlé par les Tentacules, Pourpre ayant finalement réussi à mener son projet à bien et à réduire les êtres humains en esclavage. C'est donc sur ce canevas abracadabrantesque que nous serons amenés à diriger nos pas un ou deux, mais bien trois personnages simultanément pour résoudre de nombreuses énigmes. Je reste un peu sur celles-ci : si nous sommes bien dans un jeu Lucas Arts, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune situation bloquante et qu'il n'y a aucune mort d'aucune sorte - les derniers reliquats de Sierra ayant été effacés depuis Maniac Mansion -, les énigmes sont souvent logiques pour peu, cependant, que l'on soit bercé d'une certaine culture américaine. Cela n'était pas foncièrement prévisible : tandis que Monkey Island construisait un univers plus ou moins fantastique et qu'Indiana Jones, pourtant universitaire à Berkeley, voyageait à travers le monde et puisait son inspiration dans les mythes mondiaux, DOTT est peut-être ce que l'on peut avoir de plus proche de la sitcom dans le monde vidéoludique. Savez-vous, il y a toujours un épisode, qui dans les Simpsons, qui dans Saved By the Bell (Sauvé par le Gong), qui ailleurs, qui nous raconte Thanksgiving et nous replonge dans l'histoire des USA, ou alors qui prend place dans le futur et imagine le devenir des personnages. DOTT est un peu de ça, avec sa distribution déjantée et ses jeux constants avec la culture populaire américaine. Le design général du jeu n'est pas sans aller dans cette direction : tous les décors, audacieux quand on les voit à présent avec leurs lignes brisées et leurs polygones complexes, ont été dessinés en gardant cet esprit en tête. Dave Grossman, qui fut à l'origine de la majorité des concept arts, avoua s'être inspiré de certains dessins animés de Chuck Jones qui versèrent dans cet impressionnisme étrange, et la filiation se fait effectivement évidente quand on y songe. Je pense alors que c'est là le secret du succès de DOTT. Il est loin d'être la plus difficile des aventures de Lucas Arts, malgré le parcours des trois époques : il y a finalement peu de lieux à visiter par personnage, et même si la résolution de toutes les chaînes de problèmes exige de récupérer et d'échanger des objets présents dans toutes les ères, on finit rapidement par trouver la solution tant les actions sont limitées. Qu'on ne s'y trompe, les énigmes sont inventives : mais elles restent malgré tout assez logiques et même si nous sommes bloqués, on pourra toujours essayer méthodiquement tout ce qui nous chante jusqu'à trouver la solution. Cela n'est pas alors un hasard si le jeu bénéficia d'une version Remastered. Cette dernière a joui du même traitement que Monkey Island: Special Edition. Tous les décors ont été retravaillés en haute définition, le doublage original a été nettoyé et les musiques détonnent plus que jamais. Deux ajouts majeurs sont à noter : d'une part, l'interface SCUMM peut être remplacée par une série d'icônes, ce qui permet de profiter de l'intégralité des écrans pour plus de confort. D'autre part et surtout, surtout, chaque scène est l'occasion d'entendre les commentaires de Tim Schafer, Dave Grossman, Peter Chan (graphismes) et Peter McConnell (musiques). Ces commentaires sont une source inépuisable d'anecdotes et de réflexions sur l'épisode, au point que l'on en vient à regretter l'absence d'un véritable documentaire détaillant toutes les étapes de la production et même, soyons fous, de Lucas Arts en général. Mais par sa distribution incroyable, son écriture au cordeau et son animation sans faille, DOTT reste, jusqu'à ce jour, l'un des plus grands jeux d'aventure de son temps comme dans l'absolu. On y reviendra alors souvent avec grand plaisir, on s'extasiera de son imagination : et on songera au cousin Ted, qui restera à jamais notre Edison favori. Un avis sur l'article ? 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