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Equinox
Année : 1993
Système : SNES
Développeur : Software Creations
Éditeur : Sony Imagesoft
Genre : Aventure / Réflexion
[voir détails]
Par Laurent (09 avril 2002)

Il est souvent dit que Sony n'avait pas de culture vidéoludique avant la première Playstation. C'est en partie faux, car la firme édite des jeux vidéo depuis le début des années 80 (sur MSX, puis les consoles Nintendo avant le grand divorce en 1994), et sa branche jeu vidéo alors nommée Imagesoft officie depuis 1986 et la NES. Beaucoup de ces jeux sont passés aux oubliettes en raison d'une qualité pas toujours irréprochable, mais l'un d'entre eux, Solstice, sur NES, créé par le studio anglais Software Creations s'était montré très réussi.

En 1993 est sortie sur SuperNES la suite de Solstice, intitulée Equinox en version PAL et Solstice II au Japon. Développé par les frères John et Ste Pickford (recrutés par Software Creations après la fermeture de leur studio Zippo Games / Rare Manchester, voir ce dossier pour plus d'infos), respectivement codeur et graphiste mais partageant le game-design, le jeu n'a pas obtenu un franc succès public malgré d'excellentes notes dans les magazines spécialisés. C'est bien dommage car il s'agit d'un titre remarquable, passionnant et très agréable pour peu que l'on accepte son gameplay très particulier basé sur une mise à l'épreuve systématique de la patience du joueur.

À première vue, on pourrait penser avoir affaire à un RPG en vue 3D isométrique dans le style de Landstalker, d'autant que sorts, donjons et armes sont bien présents. En fait il n'en est rien, et Equinox trouve son originalité dans tout ce que Landstalker n'est pas. Alors que ce dernier évite au maximum les complications de déplacement et les effets d'optique inhérents à la fausse 3D qu'il utilise, Equinox joue à fond dessus et s'impose comme le "jeu qui rend fou" par excellence. On aime ou on déteste, inutile de nier le risque de rejet avec un tel jeu, mais celui-ci a tant de qualités qu'il serait triste de le voir tomber dans l'oubli.

Dans cette salle, il faut slalomer entre des herses mortelles pour prendre 3 gemmes. Heureusement, les déplacements et collisions ne sont pas au pixel près.

Le scénario tient sur un timbre poste : il s'agit pour le héros Glendaal de libérer son père magicien (et accessoirement héros du premier épisode sur NES) des griffes d'une vilaine sorcière nommée Sonia, afin de libérer la terre de Galadonia de son emprise. Pour ce faire il faut traverser le pays qui est constitué d'îles reliées entre elles par des ponts. Ceux-ci sont gardés par l'esprit de grosses créatures, dont l'incarnation charnelle est enfouie au cœur de vastes labyrinthes souterrains. Pour progresser, il faut donc descendre dans ces donjons, en parcourir toutes les salles et glaner, pour chaque niveau, 12 gemmes qui ramènent le monstre à sa forme matérielle. Une fois celles-ci obtenues, la salle du boss devient accessible. Les indications données au joueur sont minimales, il n'y a aucun NPC, aucun dialogue, la sensation de solitude est totale et c'est avant tout la curiosité qui pousse à progresser.

L'essentiel de l'action se passe dans les donjons. La surface, représentée au moyen du mode 7 de la SuperNES afin de pouvoir faire tourner la carte autour du personnage avec les boutons L et R, comprend diverses entrées menant aux quatre coins du donjon en cours d'exploration, ainsi que des monstres. On peut les éviter ou les affronter. La vue passe alors en mode combat, à la manière des RPG, mais l'action relève du simple baston arcade. Ces combats n'ont guère d'importance mais ils peuvent rapporter au héros des bonus de vie ou de magie laissés par le monstre derrière lui, et ils ajoutent un peu d'action au jeu.

Le monde extérieur : une vue élargie et des graphismes en mode 7

Une fois entré dans le donjon, c'est là que le gameplay, à la croisée des chemins entre le jeu de réflexion façon Sokoban ou Boxxle et le RPG d'exploration en 3D isométrique, se définit pleinement. Dans chaque salle il y a un objet à ramasser (un bonus de vie ou de magie, une clé ou une des 12 gemmes) qui fait l'objet d'une petite énigme utilisant les subtilités visuelles de la 3D iso. ou un timing particulier, ou encore les deux à la fois. Exemple : une gemme se trouve sur une plate-forme qui semble être juste au dessus du joueur, mais en réalité il faut faire le tour de la salle pour pouvoir l'atteindre, ou n'est pas dans l'axe de saut du joueur alors qu'on jurerait qu'elle l'est ! Au départ, ce n'est guère difficile, mais les déplacements ne peuvent se faire que dans quatre directions, et dès le deuxième des 8 donjons certains passages sont monstrueux de vice, nécessitent de nombreux essais et une patience d'ange. Pour compliquer les choses, des plates-formes invisibles, glissantes ou mouvantes, des passages secrets et toutes sortes de pièges sont au programme. Dans certaines salles, le joueur se trouve enfermé, et ne peut sortir qu'après avoir tué tous les monstres qui s'y trouvent. Certaines autres ne sont accessibles qu'au moyen d'une clé de couleur qu'il faut aller chercher dans une salle plus loin.

1. Une salle cernée de herses qui nécessitent d'utiliser des promontoires
2. Des portails automatiques délicats à franchir

Le premier niveau est assez facile et ne comporte que seize salles, dont certaines contiennent plusieurs gemmes, mais à partir du deuxième les donjons contiennent des dizaines de salles (et même plus de 100 pour le dernier) qui sont agencées de façon à ce que la totalité doive être explorée et résolue pour trouver toutes les gemmes. Et il n'y a aucune carte ! Heureusement, les salles disposent chacune d'un code assez facile à déchiffrer qui permet de déterminer sa position dans le donjon et le nombre de salles restant à explorer. Mais dans tous les cas, l'élaboration de plans sur papier sera nécessaire pour boucler le jeu, processus déjà bien rétro en 1993...

Le septième et avant-dernier niveau à une particularité propre à décourager les joueurs les plus acharnés : il se passe sur un bateau et l'écran ballotte en permanence dans tous les sens (NdJC: sans oublier que par dessus tout certaines salles "penchent". Ça ne se voit pas à l'écran mais le personnage glisse en continu dans une direction donnée comme s'il était sur un tapis roulant, ce qui rend les déplacements encore plus délicats) ! Personnellement, ce fut plus que je ne pouvais supporter, et je ne vis pas la fin de ce jeu dont je garde pourtant un excellent souvenir, et que j'ai souvent eu plaisir à pratiquer de nouveau avec un émulateur.

Image lors de l'entrée dans un donjon

Niveau armement le personnage dispose d'objets de lancer divers : couteaux, haches, cimeterres... et de quelques sorts, dont les plus utiles sont certainement le sort de guérison qui permet de convertir ses points de magie en énergie, et celui de ralentissement qui diminue la vitesse de mouvement des ennemis, dont certains nécessitent un grand nombre de coups pour mourir. L'énergie prend la forme d'une barre de vie comme dans les jeux de rôles, mais en fait elle correspond à un certain nombre de vies perdues, comme dans tout jeu d'action. La progression (donjons terminés, nombre de gemmes, équipement, objets collectés) est sauvegardée à chaque fois qu'on emprunte une des sorties d'un donjon. On ne sera donc pas freiné par les game over à répétition comme dans Solstice, mais plutôt par les innombrables énigmes à résoudre et la difficulté à se repérer dans des donjons labyrinthiques. Par ailleurs, les barres d'énergie et de magie s'allongent à chaque niveau franchi.

À noter qu'on est parfois amené à pousser des objets pour monter dessus. Là encore, la vue isométrique réserve son lot de prises de têtes ! Il faut parfois prendre un demi-appui sur une plate-forme pour sauter et atterrir en demi-appui de l'autre côté sur une plate-forme distante qui semble en face mais en fait est légèrement décalée. Parfois, on se trouve au sommet de grandes colonnes dont les positions respectives ne peuvent être déterminées qu'en examinant avec attention leur base sur le sol quadrillé, etc. Et comme dans tout jeu en 3d iso. il y a un décalage de 45° entre les directions du pad et les déplacements du personnage. Ce n'est pas pour autant que le jeu s'interdit d'exiger des changements de direction en cours de saut...

Autre détail d'importance, qui a bloqué de nombreux joueurs : à partir du troisième donjon, certains objets-clés se trouvent dans des salles cachées, uniquement accessibles en traversant le mur d'une salle voisine à un endroit précis. Ces passages sont indécelables à l'écran mais leur présence peut être pressentie si on examine un plan du donjon... à condition d'avoir pris le temps de le tracer ! Les développeurs (issus de l'école Spectrum et ça se sent) n'ont vraiment pas manqué d'imagination pour faire craquer le joueur.

À l'extérieur, un combat contre un monstre, histoire de se remplir les poches

Ce qui fait que l'on peut aussi tomber amoureux d'Equinox (et c'est mon cas), c'est sa réalisation magnifique. Les graphismes sont chatoyants et colorés, l'animation est parfaite (comme souvent sur SuperNES), et surtout la bande sonore signée Tim et Geoff Follin (voir dossier musique & jeu vidéo Part 2 pour plus d'information sur eux) est sublime. Une série de thèmes planants, discrets mais très efficaces, qui évoquent les meilleures musiques sur Amiga. Avec un tel rendu audio-visuel, les longues parties sont agréables et on ne se lasse pas trop de recommencer des dizaines de fois le même passage, détente et dépaysement l'emportant sur la frustration.

Une fois toutes les gemmes du donjon collectées, c'est le combat contre le boss et le jeu change brutalement d'atmosphère, rupture de ton bienvenue. Il s'agit alors d'un combat arcade classique (toujours en 3D iso. bien sûr), soutenue par une musique techno furieuse et au rendu sonore absolument incroyable (même si elle envoie valser la belle cohérence musicale du jeu !). Le 1er niveau étant particulièrement facile (il se termine en 15mn sans forcer), je vous conseille de pousser l'essai au moins jusqu'au premier boss pour écouter ça.

1. Pousser un objet peut s'avérer indispensable.
2. À gauche, ces potions semblent inaccessibles, et pourtant....

Equinox est donc conçu pour proposer un vrai challenge au joueur, tout en flattant ses sens avec goût. Une belle réussite, et pour le retro-gamer un retour sur une conception du jeu vidéo pas si désuète que ça puisqu'on en retrouve certains aspects dans les jeux de plates-formes en 3D sortis par la suite sur PSX ou N64. On notera également qu'en dépit de son gameplay très 8-bits dans l'esprit, le jeu prend en compte les progrès observés sur SNES en termes d'accessibilité : les salles se réinitialisent dès qu'on en sort (inutile de se suicider), le système de sauvegarde est plus souple que dans un Zelda grâce aux entrées multiples de donjons, il est impossible de se mettre dans une situation inextricable en n'explorant pas les salles dans le bon ordre, et les ennemis de base ne posent pas trop de problème.

Et maintenant, en exclusivité mondiale, GrosPixels vous offre, grâce à la ténacité de JC, les images de la fin du jeu !

Laurent
(09 avril 2002)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Émulation : Le jeu a parfois tendance à planter en émulation lorsque l'on ramasse un bonus ou un fruit. Les versions supérieures à la 1.39 de Snes9x n'ont plus ce problème (MAJ 2012 : sous Androïd, préférer l'émulateur Droïd pour éviter ce bug). À noter aussi qu'étrangement, le son est très faible dans ce jeu. Pensez à pousser les watts, vous ne le regretterez pas.

- Une solution complète en français, avec les plans des donjons et de nombreux conseils pour apprécier le jeu à sa juste valeur : http://www.sitesnes.com/soluces/eqnx/acceqnx.htm
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