Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
Chrono Cross
Année : 1999
Système : Playstation ...
Développeur : Squaresoft
Éditeur : Squaresoft
Genre : RPG / Aventure
Par Tama (09 novembre 2015)

Cette année 1999 n'est certes pas le « Jour de Lavos », mais le rythme des sorties chez Squaresoft n'en est pas moins effréné. Final Fantasy VIII, Threads of Fate, Saga Frontier 2 et Parasite Eve 2 sont tout autant de jeux qui démontrent la volonté du développeur d'asseoir sa suprématie dans le genre du RPG, tout en se permettant des expérimentations originales. Mais en coulisses, on commence à s'inquiéter car Enix, l'éternel rival, fourbit ses armes et se prépare à frapper très fort ! Les premiers jets de Valkyrie Profile décrochent déjà quelques mâchoires, et l'arrivée prochaine de Dragon Quest VII force tous les autres éditeurs à changer leurs plannings pour ne pas se faire croquer tout cru...
Tout le monde fait ses réserves et en profite pour sortir ses jeux moins « commerciaux » avant lui : rappelons que Enix n'a même pas le droit de sortir Dragon Quest lors des jours ouvrés, afin de limiter l'absentéisme scolaire et professionnel, et ce depuis le troisième épisode en 1988. C'est dire si la série de Yûji Horii est populaire ! Seuls d'autres grands noms sont en mesure de réaliser de bons chiffres de vente au Japon pour contrer le titre de Enix. Le géant Square ne tremble peut-être pas sur son trône, mais en tout cas il ne cède pas à l'arrogance : il a besoin de montrer à tout le monde qui est le patron. Final Fantasy IX se prépare déjà en gardant en tête l'accueil mitigé réservé à Squall et sa clique ; Yasumi Matsuno et son équipe de choc planchent sur Vagrant Story ; et il annonce en plus qu'une partie de l'équipe du légendaire Chrono Trigger travaille sur sa suite !

Une partie de ceux qui ont participé à Trigger vont en effet se retrouver sur le projet Chrono Cross. On retrouve donc Masato Kato au scénario, Yasunori Mitsuda à la composition et Yasuyuki Honne à la direction artistique. Akira Toriyama n'a pas été appelé à rempiler car il est affilié à l'équipe de Dragon Quest (d'autant que son style est loin de faire l'unanimité), c'est donc Yûki Nobuteru, responsable sur les animes Escaflowne et Lodoss, qui s'y colle. Mais pour le reste, c'est l'équipe de Xenogears qui sera aux commandes, équipe pour le moins expérimentée mais surprenante pour « reprendre le flambeau ». L'expression est entre guillemets car Chrono Cross ne peut pas être simplement résumé comme étant une simple suite de , c'est plus compliqué que cela... ce qui ne joue pas forcément en sa faveur, d'ailleurs. Car là où bien d'autres studios se seraient contentés de reprendre la plupart des éléments du premier épisode et de broder dessus, l'équipe dirigée par Hiromichi Tanaka va partir dans une direction très différente ! Ah ! L'époque où Square ne tablait pas que sur Final Fantasy...
Chrono Cross, très attendu par les joueurs et la presse, sort donc en fin d'année 99 et se présente comme un RPG japonais à première vue assez classique. Le jeu prend place dans l'archipel imaginaire d'El Nido où l'on suit les péripéties de Serge, un adolescent féru de pêche et de sieste jusqu'à pas d'heure. Ses occasions de dormir vont rapidement tomber à l'eau lorsque, suite à un braconnage pour confectionner un joli collier d'écailles à sa petite amie, il est victime d'un très gros malaise qui l'amène dans une version alternative d'El Nido, où il découvre très vite qu'il est censé être mort depuis 10 ans ! Bien sur personne ne vous reconnaît, la petite amie croit à une mauvaise blague, sa mère est aux abonnés absents, et comme cette première claque émotionnelle ne suffisait pas, un chat humanoïde à la solde du gouvernement local a lancé des recherches pour mettre la main sur lui. Comme quoi se lever le matin, c'est très surfait. Heureusement que Kid, une jeune voleuse faisant partie de la bande (constituée d'un seul membre...) des Radical Dreamers, vient lui donner un petit coup de main bienvenue.

Les plus fins psychanalystes d'entre vous s'amuseront à percer la symbolique derrière un rêve consistant à pénétrer dans une forteresse mystérieuse, avec une blonde courte vêtue et un gros chef cuisiner torse nu !

Là où son prédécesseur mettait l'accent sur les voyages temporels, Chrono Cross met en avant les visites d'un monde alternatif, dont le principal pivot est la mort (ou non) de Serge à l'âge de 7 ans. Le thème du temps et de ses répercussions devient secondaire, c'est l'espace et son occupation qui occupent désormais le devant de la scène. L'emphase n'est donc plus la même, le rythme non plus, car la question à se poser n'est plus « quelles seront les conséquences de mes actes sur un lieu donné ? » mais « quelles sont les conséquences causées par l'absence ou la présence d'un protagoniste, sur un lieu donné ? »
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'à sa sortie, le jeu en étourdit plus d'un, pour de multiples raisons ! Le point qui met tout le monde d'accord, c'est qu'il est absolument magnifique. On connaît désormais la maîtrise technique de Square sur la Playstation et leur propension à lui faire sortir ses tripes, mais le choc est peut-être moins technique qu'esthétique. Chaque écran explose de mille détails et couleurs, comme si chaque lieu avait été pensé pour être un petit tableau qui pourrait se laisser regarder pendant des heures. Le regard est accompagné par l'ouïe, car Mitsuda a fait un travail exemplaire en utilisant des instruments classiques (violon, contrebasse, guitare acoustique, chant) et de la musique du monde (flûte de pan, percussions corporelles...) pour réaliser des morceaux rappelant des atmosphères méditerranéennes et africaines qui appellent au voyage, et dont je me souviens encore aujourd'hui, plus de 10 ans après avoir joué au jeu pour la première fois. Alors, à moins de détester les ambiances insulaires (coucou aux allergiques à Super Mario Sunshine !), on tombe sous le charme. Le jeu nous inviterait presque à sortir un parasol et à faire bronzette sous les palmiers en saluant paresseusement les bateaux de plaisance au large.

Le jeu est une invitation à la contemplation, à la rêverie, et appuie son rythme lent avec son choix esthétique et musical. La mer a toujours eu une double symbolique pour l'homme : elle peut représenter la paix, la relaxation, la beauté, l'environnement dans ce qu'il a de plus pur, mais aussi l'inconnu, la peur, l'attirance malsaine vers des dangers non-identifiés (rappelez-vous le mythe des sirènes, la faune sous-marine bizarre...) et la soif de découverte, l'envie de prendre le large. On retrouve d'ailleurs cette dualité dans le chara-design général où se côtoient les habits marins, de vacanciers en villégiature mais aussi de pirates et d'étrangers aux mœurs inconnues : on a tout de même un rocker, une danseuse du ventre, un chien qui parle ou encore une poupée vaudou géante ! Il faut dire que l'introduction donne le ton - c'est largement une des meilleurs jamais faites pour un jeu vidéo de cette génération, encore meilleure que celle de Soul Blade. Elle pose clairement le décor et peut résumer le jeu à elle seule.

Chrono Cross est un jeu très, très coloré. Si vous avez douté et vérifié les réglages de votre moniteur, c'est que vous êtes trop habitué au gris-marron actuel !

Voilà pour tout ce qui fait l'unanimité dans Chrono Cross. À partir de maintenant on lève l'ancre, on vire à tribord et on met le cap sur les terres de l'incertitude, des parties du jeu qui divisent. Et ces terres sont nombreuses, floues, remplies de contradiction. En cas de doute, attachez-vous au mât, chantez une chanson paillarde et faites le plein de Vitamine C : les indigènes apprécient la verroterie mais pas le scorbut !
Si on voulait faire simple, il suffirait de faire deux colonnes et de lister les points essentiels des deux Chrono, pour se rendre compte des différences. Là où Trigger était un résumé, la quintessence du RPG 2D de l'époque ainsi qu'un voyage épique, linéaire mais ultra rythmé, Cross tente tout à fait autre chose et s'apparente plus à une croisière sous les tropiques avec son rythme posé, rêveur, presque indolent. D'une recette éprouvée, efficace mais prévisible et sans grandes nouveautés, on passe à l'extrême inverse et la transition a été brutale pour plus d'un joueur. De plus, une des étrangetés du jeu est qu'il arbore tout un système difficile à expliquer mais très simple à comprendre sur le tas.

Le cas des combats et de la montée en puissance est tout à fait symptomatique. Cross reprend l'absence des combats aléatoires de son aîné (qui l'avait lui-même emprunté ailleurs, au Tactical RPG notamment) mais laisse tomber le système d'Active Time Battle cher aux jeux de Square, qui rythmaient le tour de chaque personnage par des jauges. Vous pouvez donc tout à fait éviter les ennemis, mais en cas de contact l'affrontement se déclenche. On se retrouve dans un système de tour par tour strict, où jusqu'à trois protagonistes peuvent participer. Quatre options sont disponibles : Attaquer à l'arme, Utiliser des éléments (ce qui regroupe la magie et les objets), Défendre (et donc réduire de moitié les dégâts subis) ou Fuir. Hormis la fuite, chaque action influe sur l'Endurance des personnages, chiffrée en bas de l'écran. Celle-ci a un maximum de 7 points et peut tout à fait descendre dans la négative, et il vous faut au moins 1 point pour effectuer une action. Attaquer à l'arme dépense donc des points d'endurance, en fonction de la force de l'attaque : 1 point pour un coup faible et précis, 2 points pour un coup moyen, et 3 points pour une attaque forte mais moins précise. Plus vous arrivez à toucher l'adversaire et plus votre précision globale augmente. Le tour du personnage est terminé s'il a moins d'un point d'Endurance à dépenser.
Mais blesser à l'arme permet également l'usage d'Éléments, symbolisé par une grille verte à plusieurs niveaux, de 1 à 8. Toucher à l'arme vous ouvre l'accès aux niveaux d'éléments égaux à la totalité des attaques ayant porté. Si vous avez attaqué avec succès à l'aide d'une Faible, puis une Moyenne puis une Forte, vous débloquez l'accès aux niveaux correspondants, du 1 jusqu'au 7 en l'occurrence (1+2+3 = 7). Ces éléments peuvent être des sorts, des objets de soin ou même des pièges visant à s'emparer des éléments adverses, et leur consommation entraîne la perte de 7 points d'endurance ainsi que la dépense d'autant de niveaux sur la grille. Ainsi, si Serge dépense 6 points d'endurance en portant des attaques à l'arme, puis utilise un élément de niveau 1, il se retrouvera à -6 points d'endurance et sa grille sera au niveau 5. L'endurance se régénère au fur et à mesure que les autres participants agissent, ainsi si Kid dépense 2 points, Serge regagne 2 points à son tour.

Le principal avantage de ce système est qu'il laisse une importance égale à toutes les stratégies. Dans Trigger, il était impossible d'ignorer les fameuses Dual/Triple Techs, techniques en équipe qui dépassaient de loin les autres possibilités de jeu. Dans Cross en revanche, il est tout à fait possible de choisir un style de jeu équilibré, ou alors de partir sur une voie très agressive en privilégiant les assauts physiques, ou même de se faire une équipe de magiciens n'utilisant les armes que pour remplir leur grille d'éléments surpuissants... ou encore d'improviser sur le tas en s'adaptant très facilement à la situation, si l'on se retrouve contre un boss qui contre notre stratégie du moment. Et si les choses tournent mal... il suffit de fuir ! En effet, la fuite est garantie à 100%, et ce même contre les boss (les exceptions sont rarissimes). On peut donc fuir momentanément le combat, se réorganiser dans le menu, puis repartir à l'assaut, bien que l'ennemi se soit intégralement soigné lui aussi.

Le sage Radius fait office de tutoriel en début de jeu. En tant que vieux, sa spécialité est de beaucoup parler pour ne rien dire, et de vous apprendre à vous battre en... distribuant des coups de canne dans les parties.

La partie Éléments n'est pas à négliger, quel que soit le style de jeu employé. Ceux-ci se placent sur la grille du personnage dans le menu, avant les combats. Une fois trouvés ou achetés, ils doivent y être placés en fonction de leurs niveaux. Si un élément a la mention « 1 # 7 », c'est qu'il est un élément de premier niveau, mais peut se placer entre les niveaux 1 et 7 de la grille. Le placer sur le niveau 7 présente l'inconvénient qu'il faudra attendre plus longtemps avant de pouvoir s'en servir, mais il sera en contrepartie plus puissant – mais moins qu'un élément de niveau 7 de base. Vous pouvez donc, à l'inverse, placer des éléments plus bas dans la grille que leur niveau de base, les rendant plus facilement accessibles en combat en sacrifiant de la puissance de frappe !
Autre précision, chaque élément porte un couleur précise. Il existe 6 couleurs, qui fonctionnent par paires opposées : Blanc-Noir, Vert-Jaune, Bleu-Rouge. Frapper sur un élément de même couleur réduit les dégâts alors qu'ils augmentent sur un élément opposé, et chaque personnage ou ennemi porte une couleur innée (Serge est Blanc par exemple, Kid est Rouge). Et pour finir, l'utilisation d'un élément en combat « colore » l'environnement et influe à son tour sur l'efficacité de la paire de couleurs concernée. Cela s'appelle le « Field Effect », symbolisé par l'icône en haut à gauche de l'écran. Une dernière chose : chaque élément utilisé devient indisponible pour toute la durée du combat, en dehors des consommables habituels.

Voici la grille d'éléments de Serge en fin de jeu. La Tablet, élément rouge, est un consommable, reconnaissable au chiffre noté à droite. Les autres ont une utilisation unique, il convient donc d'en mettre plusieurs si vous en avez besoin.

L'avantage principal de ce système de jeu en apparence inutilement compliqué, c'est qu'il est ultra flexible, s'adapte à tout type de styles de jeu, et à tout niveau. Vous pouvez tout à fait effectuer deux actions contradictoires dans d'autres RPG traditionnels (Attaquer et vous Défendre) dans le même tour, sans aucune contrepartie négative. Un personnage frappe et utilise une magie offensive, un second utilise une technique de soin, un troisième frappe et se défend, et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Le jeu n'étant pas franchement difficile, même les débutants comprennent assez vite de quoi il retourne. Plus simple encore est le système de montée de niveau : il n'y en a pas ! À chaque combat remporté, vos personnages gagnent des points dans leurs statistiques en fonction de leur manière de combattre, jusqu'à heurter un palier où plus rien ne montera. Pour continuer à s'améliorer, il faut collecter des Étoiles, disponibles uniquement en battant les boss. Il n'y a donc aucune possibilité d'être trop fort par rapport à ce que le jeu a prévu à un moment donné... mais vous pouvez tout de même être un peu trop faible. Pas de levelling intense, ni de grinding pour être au niveau 99 au bout de 15 heures de jeu ! Il y a en principe juste ce qu'il faut pour monter en puissance de manière raisonnable, tout en laissant la possibilité au joueur-flâneur d'éviter les combats.

Contrairement au reste, le système d'équipement et de forge est très basique. Une arme, une armure, trois accessoires, et des matériaux à récupérer pour actualiser le tout. Les magasins ne vendent que des éléments.

Si Chrono Cross tente beaucoup de choses nouvelles, il ne se positionne pas moins comme étant la suite de Trigger et doit donc se justifier par son histoire, et ce malgré les différentes tentatives de la production pour convaincre que ce n'est pas le cas. Et sur ce point, le constat est... en demi-teinte.

Je tiens tout de suite à clarifier quelque chose : l'histoire est très, très réussie et intéressante ! Ce qui m'impressionne le plus, c'est cette capacité à exploiter les - rares - trous dans l'intrigue de son prédécesseur, et à avoir réussi à produire un tel canevas. C'est souvent drôle mais aussi émouvant, beaucoup de moments font franchement rire ou arrachent une petite larme (merci encore une fois au travail musical de Mitsuda), le tout tient tout à fait la route malgré quelques trous relativement mineurs, ou explications casées au chausse-pied. En plus, il y a de nombreux embranchements possibles en fonction de vos décisions à certains moments-clés du jeu. On s'éloigne de manière significative d'une structure linéaire classique pour laisser au joueur le choix d'une partie de son aventure, et les différences se font clairement sentir entre les différentes possibilités. Et, bien sûr, le jeu comporte de multiples fins qui dépendent surtout du moment où vous finissez le jeu, et même de la manière dont vous abattez le boss final. Les lieux que vous visitez ainsi que les personnages qui vous accompagneront ne sont vraiment pas les mêmes, c'est assez rare dans un RPG traditionnel de l'époque.

En fait le problème ne vient pas du principe, mais des moyens employés...Le premier point, c'est que le début n'est pas folichon. Après une première demi-heure riche en émotions (un jeune couple se posant des questions sur le futur, le changement de dimensions et la perte de repères qui en résulte), le jeu traîne un peu la patte et a du mal à repartir. Pire, il envoie des signaux contradictoires au joueur qui ne sait plus s'il a affaire à une tragédie, suite à la mort du personnage principal pourtant bien vivant ; une comédie légère car le jeu multiplie les scènes drôles, chaque personnage a un accent marqué et il y a un second degré évident ; ou une intrigue politique avec le gouvernement local de cet autre monde qui semble être en pleine guerre ouverte. En plus, la filiation avec Trigger est très floue car le jeu se contente de balancer des noms connus (Porre, Guardia...) sans que l'on sache le contexte, ni si c'est juste du name-dropping ou un réel lien avec son aîné.

L'arrivée à Chronopolis sera une bonne occasion de faire avancer un peu les choses... et permettra au jeu de mettre les choses au point quant à sa filiation avec Chrono Trigger !

Ensuite, l'histoire est captivante et très complexe... à un point où je me suis demandé si les scénaristes eux-mêmes ne craignaient pas de s'être perdus en route ! Et pour éviter en partie cet écueil, ils ont eu recours à des procédés peu subtils. On doit subir à certains moments des murs de texte explicatifs et de scènes d'expositions, ce qui est probablement la pire manière possible d'expliquer quelque chose dans un jeu vidéo... et c'est sans compter l'utilisation intensive et presque abusive de multiples MacGuffin pour articuler les événements. La « Frozen Flame », artefact mystique prétendument capable de réaliser tous les souhaits, remplit tant bien que mal cette fonction durant tout le jeu et revient systématiquement sur le devant de la scène, mais elle est en plus accompagnée par d'autres objets ayant le même but. Alors entre la Frozen Flame, la Dragon Tear (MacGuffin qui se divise lui-même en deux !), la Masamune et certains personnages eux-mêmes, on a beaucoup de mal à se rappeler qui fait quoi dans l'histoire et ce que l'on cherche, au juste. Il faut en plus compter les flashbacks bien téléphonés, les vieilles légendes folkloriques éculées avec des épées magiques tenues par des chevaliers d'exception, des quêtes postales vraiment fainéantes comme si, pour ne pas se noyer dans un océan de complexité, le scénario tenait absolument à avoir des bouées de sauvetage, même déjà à moitié crevées.
C'est d'autant plus dommage que le jeu est paradoxalement à son meilleur sans tous ces artifices ! Il y a un bon nombre de passages de narration non-intrusive absolument poignants : l'arrivée dans la Dead Sea a laissé plus d'un joueur bouche bée ; la visite du Manoir de Viper et de Fort Dragonia excite la curiosité avec ses inscriptions murales et ses salles secrètes, l'existence même de Gaea's Navel est une énigme dont on n'a de cesse de rapprocher de l'époque préhistorique de Chrono Trigger ; le retour dans le passé vers la fin du jeu est une course contre la montre perdue d'avance dans le seul but de redonner espoir à une pauvre gamine qui vient de voir sa famille partir en fumée. Le plus paradoxal, c'est que Chrono Cross fonctionne merveilleusement bien dans ces moments précis, à croire que l'équipe de développement n'avait pas assez confiance en elle pour s'écarter de poncifs pourtant bien inutiles.

Le Criosphynx est un boss unique qui propose des énigmes. En dehors de ce côté réflexion (mais vous pouvez le battre aussi en passant en force), il dispense le premier indice pour obtenir la vraie fin du jeu. C'est très subtil, soyez attentif !

On se retrouve donc devant un jeu très étrange, si occupé à proposer quelque chose de neuf et à ne pas se perdre au milieu de ses propres idées (bonnes comme mauvaises), qu'il souffle le chaud et le froid en permanence. Les moments de grâce qui marquent durablement le joueur côtoient les passages dignes d'une mauvaise fan-fiction, les combats mémorables partagent leur siège avec les chutes de rythme vertigineuses, les personnages qui touchent au plus profond de nous-mêmes repoussent tant bien que mal les grosses têtes à claques... mais si il y a une chose qu'on ne pourra jamais reprocher à Chrono Cross, c'est d'être banal ! Je pense que des jeux pareils sont indispensables pour le jeu vidéo en général : ils essaient, se plantent souvent, réussissent avec brio parfois, essuient les plâtres pour leurs successeurs qui sauront, eux, quelles erreurs ne pas faire par la suite.
Au final, l'appréciation d'un tel jeu repose sur plusieurs critères qui ont moins de lien avec le jeu qu'avec le joueur lui-même. S'il faut absolument avoir les événements de Chrono Trigger en tête, il faut aussi s'interroger pour savoir de quel côté on se place : considère t-on Trigger comme une œuvre finie, qui se suffit à elle-même ? Est-on réfractaire aux tentatives de continuité rétro-active (« retcon ») ? Préfère-t-on de manière générale les jeux au rythme enlevé ? Une formule éprouvée qui fonctionne plutôt que quelque chose de nouveau et bâtard ? Dans ce cas, il y a peu de chances que cette vraie/fausse suite nous parle, il vaut mieux rester sur une bonne impression d'un premier épisode quasi-parfait.
Si, en revanche, on aime prendre son temps, perdre quelques minutes à contempler des lieux ou écouter des musiques quitte à faire mentir le chrono interne (comptez une quarantaine d'heures pour un premier run, sans compter le New Game +), lancer plein de trucs sur les murs et voir ce qui colle, ou faire le tri au fur et à mesure entre le grandiose et le raté sans que ça n'impacte sur notre appréciation profonde d'un jeu, alors oui, mille fois oui, Chrono Cross est une réussite. S'il divise autant, c'est bien qu'il ne laisse pas indifférent et qu'il a réussi à provoquer de puissantes émotions chez les joueurs. Rien que pour ça, il a totalement rempli son contrat !

SonOfaGun, cousin éloigné d'un boss de Chrono Trigger, est une vraie enflure. Il est puissant, résistant, change sans cesse de cycles d'attaque en fonction de son humeur et attaque... en faisant de gros câlins ! Eh oui, dans la catégorie « humour décalé », Chrono Cross fait de très belles sorties !
Tama
(09 novembre 2015)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Le site LPArchive.org, d'où viennent tous les screenshots du jeu. Je ne saurais que trop vous encourager de prendre le temps de lire la partie en entier, c'est à hurler de rire et c'est bourré d'anecdotes.
- Le site Normal Boots qui a fait une vidéo très détaillée et instructive sur le fonctionnement précis du jeu. Tout en anglais mais riche d'enseignements.
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(24 réactions)