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Technobabylon
Année : 2015
Système : Windows
Développeur : Technocrat Games
Éditeur : Wadjet Eyes Games
Genre : Aventure / Point'n click
Par MTF (03 avril 2016)

Malgré leurs patronymes, Ron Gilbert et Dave Gilbert ne sont point parents ; mais c'est là un heureux hasard de l'existence. Je m'en vais vous parler ici d'une compagnie récente, Wadjet Eyes Games et d'un de leurs derniers projets : Technobabylon. Il y a là quelque chose de très excitant pour le joueur que je suis : j'assiste, maintenant adulte, à un nouvel âge d'or du jeu d'aventure type point'n click, et je ne parle pas seulement des projets récents tels les Runaway. Cette compagnie nouvelle, car créée en 2006 à peine, s'est en effet spécialisée dans un genre et un style qui fleurent bon les Monkey Island, les Dig, les Gobliiins et consorts, tout en pixels et en VGA.
En effet, quand bien même aurait-on assisté, depuis le début des années 2000, à cette renaissance du point'n click, les développeurs avaient su s'adapter aux nouvelles modes graphiques et proposer qui de la trois dimensions, qui du dessin animé, avec plus ou moins de bonheur : mais le pixel art avait, quant à lui, totalement disparu. Il s'avéra dès lors que ce qu'on appela la « mode du rétro », qui vit revenir sur le devant de la scène des dessins plus grossiers et qui eut pour ambassadeur et thuriféraires des jeux aussi divers que Battle Kid, Volgarr the Viking, VVVVVV et tant d'autres, toucha également ce genre tout particulier du jeu vidéo. Je m'étais jadis essayé à Resonance, sorti en 2012 mais je lui avais reproché, entre autres choses, un gameplay par trop alambiqué et des énigmes souvent difficiles. Technobabylon, sorti en 2015, rectifie ces deux aspects tout en proposant plusieurs excellentes idées qui, je l'espère, feront date.

Dave Gilbert, et Resonance, un jeu qui aura marqué la critique pour sa narration complexe.

I'm sorry, Dave...

Notre histoire prend place en l'an 2087. L'humanité, et le monde tels que nous les connaissons, changèrent des plus brutalement : plusieurs guerres nucléaires reconfigurèrent durablement les relations géopolitiques, la surpopulation a entraîné une raréfaction des ressources et la pollution n'est plus un problème, mais plutôt un paramètre dont il faut, hélas ! tenir compte. Il faut relever néanmoins quelques bons côtés dans ce sombre univers : l'Internet a laissé sa place à un réseau surdéveloppé, le « Trance » dans lequel on peut se plonger du moment que l'on a accès à une connexion aux nanomachines omniprésentes, et un super-ordinateur d'un genre nouveau, « Central », se charge sans mal de la gestion de la cité que nous serons amenés à parcourir, la ville de Newton.
Lorsque l'aventure commence, nous prenons le contrôle de Latha Sesame, une « Trance Addict » pseunommée « Mandala ». Un problème lors de sa connexion l'invite à quitter son logement social miteux pour se plaindre au technicien : mais elle se rend rapidement compte que la porte est verrouillée, que sa connexion ne répond plus et qu'elle se retrouve, pour ainsi dire, enfermée. Elle parviendra, dans ce qui compose la première énigme du titre, à s'enfuir... mais c'est alors qu'une immense explosion, commanditée par un mystérieux individu observant au loin, noie l'écran dans une pure lumière blanche. Qui est ce terroriste blond, pourquoi en veut-il à Latha, quel triste plan fourbit-on dans la nuit ? Autant de questions qui trouveront réponse, si vous le voulez bien...

Latha dans le Trance... On y voit pas mal de trucs bizarres...

Technobabylon fut, avant Resonance, à l'origine une série de jeux flash, développés entre 2010 et 2011 par Technocrat Games. Dix épisodes étaient prévus initialement, trois virent le jour avant un étouffant silence radio. Le projet fut repris par la compagnie de Dave Gilbert, poli, amélioré jusqu'à aboutir à ce jeu que je juge être l'un des meilleurs représentants du genre.
Pour peu que l'on ait joué à Resonance auparavant, on reconnaîtra sans mal nombre de points communs qui composent le style de cette compagnie : un univers futuriste et dystopique en appelant aux grands succès du genre, aux 1984, aux Brave New World et à plus de romans de Philip K. Dick que je ne peux compter ; une réflexion poussée sur l'humanité, sur le futur de celle-ci et les modifications potentielles qu'elle aura à subir ; un univers souvent étouffant, fait de villes sombres et glauques où les venelles côtoient les bâtiments hi-tech, généralement habités par des hommes d'affaires sans scrupules. Le gameplay, également, est d'une rare similitude : on est souvent amené à diriger, au cours de l'aventure, plusieurs personnages qui finiront par se rencontrer et il est quelques idées de gameplay qui détonnent au regard des canons du genre.

Quelques idées bienvenues : une énigme audio, où il faut reconstituer un message caché dans des génomes de plantes, et la reprogrammation d'un androïde.

Ici, en plus de Latha, nous dirigerons rapidement également le Dr. Charlie Regis, un ancien chercheur qui participa à la création du super-ordinateur dont je parlais plus haut et qui devint, par la force des choses, policier au service de la ville, et sa compère le Dr. Max Lao, plus jeune mais tout aussi compétente. Charlie sera volontiers le plus atypique de cette galerie de personnages dans la mesure où il ne possède pas une connexion au Trance ou des nanomachines lui permettant d'infiltrer les machines l'entourant : c'est là, effectivement, la grande idée de Technobabylon.
Dans le Trance, il est possible non seulement d'interagir avec d'autres utilisateurs connectés et de converser avec eux d'une façon qui n'est pas sans faire penser, mettons, à un univers comme Tron, mais aussi de participer à divers jeux, de discuter avec les intelligences artificielles de votre four à micro-ondes ou de votre armoire à vin et d'accéder, évidemment, à un grand nombre de systèmes de sécurité. Pour avoir accès à ces interfaces cependant, il faut que l'accès soit autorisé ; et s'il ne l'est pas, il faut utiliser une substance spécifique, gorgée de nanomachines, et l'appliquer sur le bidule pour ouvrir une porte dérobée. En pratique, cela permet de multiplier les écrans dans lesquels on aura à naviguer ; et les énigmes tournent souvent autour de ces notions de piratage informatique, élément finalement rarement entrevu dans un jeu d'aventure de ce type.

Regis et Lao en action, tandis que Latha établit une connexion avec une machine...

Get nuuuuked'on!

À la vue des images de l'article, je me doute que vous avez dû vérifier à deux fois les dates données. Si ce n'était, effectivement, quelques effets en trois dimensions savamment dissimulés ou l'une ou l'autre lumière bien trop régulière pour être animée à la main, on jurerait avoir sous les yeux un titre contemporain de Day of the Tentacle. Le rendu est absolument bluffant, et la tendresse avec laquelle les sprites, énormes !, sont animés laisse pantois. Les mouvements sont naturels, exquis, nombreux ; les couleurs, malgré l'univers, sont splendides et resplendissantes. Enfin, et comme pour faire un pied-de-nez à l'âge d'or de (feu) Lucas Arts, les dialogues sont souvent émis par des portraits agréablement dessinés, changeant d'expression avec les propos d'une façon, encore une fois, absolument étonnante. Jamais le VGA, ou du moins le « VGA-like » n'avait été aussi réussi : Resonance était déjà beau, mais la résolution augmentant a su réellement rendre justice à ce travail graphique d'une grande précision.
L'ambiance musicale, de plus, n'est pas en reste : les thèmes ambiants sont oppressants comme on l'imagine, bien que passe-partout peut-être, mais c'est surtout le doublage que l'on retiendra ici. Chaque bout de texte, si ce n'est la description des objets du décor ou de l'inventaire, est intégralement doublé par des acteurs on ne peut plus investis de leur mission. Certes, il convient d'avoir un certain niveau de langue anglaise, le jeu n'étant pas - encore - traduit en d'autres langues, mais même sans être géomètre, on sera bluffé de la direction sonore de l'ensemble.

Des taudis glauques aux laboratoires sophistiqués, le jeu se fait toujours clair et agréable.

Malgré ce panégyrique, il y a peut-être ci et là quelques défauts qu'il me faut, en toute honnêteté, rapporter même s'ils n'ont finalement que peu entaché le plaisir que j'ai pu avoir à parcourir le titre. Tout d'abord, même si j'ai trouvé que c'était là une des grandes qualités de l'écriture, tout l'univers du jeu se découvre en creux, en lisant le flux de nouvelles accessible dans le Trance, en discutant avec les personnages ou en parcourant les écrans omniprésents. Les flashbacks, réguliers, nous en apprennent davantage sur le passé des protagonistes que sur cette ville que nous parcourons en long et en large : il nous faut alors reconstituer le puzzle petit à petit, et même si l'on peut avoir comme une vague idée de l'ensemble, il est encore de nombreux points aveugles et de zones d'ombres qui ne seront, sans doute, jamais éclairés. Cela m'a énormément plu, j'aime à ce qu'un univers me résiste et reconstruire, par l'imagination, ce que l'on ne me montre point, mais je conçois que cela ne plaira pas à tous.
Ensuite, j'ai trouvé que, si ce n'était les personnages principaux et quelques rares individus de premier plan, la personnalité des seconds couteaux était finalement assez effacée. Nous ne retrouvons pas là tout le grain de folie qui pouvait caractériser la distribution des glorieux ancêtres que je citais plus haut, même des plus récents : assez caricaturaux même par endroit, ils ne seront jamais que des gardes-barrières nous empêchant d'accéder à telle ou telle zone du jeu et aucun ne se distingue réellement de la masse. Si ce n'est cependant ces deux éléments, je n'ai guère de grief envers Technobabylon : bien mieux construit que Resonance, je l'espère surtout être un titre de transition avant ce qui serait, je l'espère, la pierre de touche de la compagnie.

Le jeu se dévoile beaucoup par le biais de ces bulletins d'information, et, chose agréable, fait la part belle aux « minorités » : on voit des femmes, des africains, des indiens, des asiatiques... Le terme de « Babylone » est on ne peut plus justifié.

You all need some redemption!

Technobabylon est un excellent titre : beau, intelligent, intéressant, on en redemande volontiers une fois le générique de fin atteint. Hélas, il est dommage de constater que sa rejouabilité est quasi nulle : bien qu'il y ait deux fins distinctes, et deux variations à celles-ci, elles se débloquent dans les derniers instants de l'aventure ; et on regrettera alors, si ce n'est à quelques endroits qui laissent au joueur le choix de la voie à suivre, d'être ainsi sur des rails. Il faut vraiment prendre la chose comme un bon roman d'anticipation, avec ce qu'il faut de considérations sur la robotique, l'intelligence artificielle et la nature humaine, et on sera heureux d'y revenir quelques années plus tard, une fois les détails oubliés, pour retrouver le Trance et Central et espérer, il le faut !, des lendemains meilleurs.

Quelques beaux écrans pour finir...
MTF
(03 avril 2016)
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