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Super Runabout
Année : 2000
Système : Dreamcast
Développeur : Climax Entertainment
Éditeur : Virgin Interactive
Genre : Jeu de Course
Par Barbo (23 février 2009)

C’est un cas d’une grande singularité dont il va être ici question. Depuis l’époque des 32-bits, les parallèles entre jeu vidéo et cinéma n’ont cessé de fleurir : jeunesse du médium, histoires davantage scénarisées et moyens toujours plus importants ne sont que quelques-uns des points communs régulièrement cités pour justifier ce rapprochement. Vulgarisons un peu l’exercice : à l’instar du cinéma, le jeu vidéo a ses chefs-d’œuvre, ses blockbusters calibrés, ses expérimentations plus ou moins réussies, ses navets ou encore ses OVNIS. Reste un pan entier du septième art un peu moins présent car encore plus paradoxal dans l’univers des pixels et des polygones : le nanar.

Pour rappel, les cinéphiles considèrent comme tel tout film tellement mauvais qu’il en devient drôle. Transposer ce schéma dans le cadre d’un jeu vidéo semble difficilement concevable : le premier critère qui fait qu’un jeu soit mauvais, c’est en très grande majorité un gameplay médiocre, et donc une absence de plaisir pour le joueur lorsqu’il interagit avec son avatar ou d’autres éléments de jeu à l’écran. Tout du moins, en théorie. Le jeu vidéo reste à la base un divertissement, aussi mieux vaut ne pas le prendre en permanence au sérieux, loin de là. Avec ce simple précepte en tête, on peut aisément s’écarter de critères d’appréciation solidement établis, et se fier uniquement à son instinct, à son propre feeling, aux sensations que l’on éprouve sincèrement manette en main ; et découvrir ainsi que ce n’est pas parce qu’un jeu est objectivement mauvais qu’on ne prendra aucun plaisir à y jouer. Ce n’est pas parce qu’il atteint les bas-fonds du ludisme que l’on fera forcément une tronche de trois mètres de long devant la télé, en agitant sans conviction les pouces et en laissant échapper de temps à autres un bâillement inéluctable. Nous sommes tous d’accord pour considérer l’interactivité comme composante totalement incontournable du jeu vidéo, mais elle ne fait pas systématiquement à elle seule l’identité de celui-ci.

Souvenez-vous bien de ce paragraphe le jour où vous insérerez dans votre Dreamcast le GD-ROM de Super Runabout, certainement le jeu par le biais duquel j’ai eu ces révélations. Car sur un plan strictement intrinsèque, le jeu de Climax Entertainment est une bouse. Principe très classique (atteindre des lieux précis avant la fin du temps imparti), graphismes très moyens, frame-rate pas franchement constant, moteur physique pataud, nombre de missions réduit : des tares importantes, parfois cruciales, pour lesquelles il est bien délicat de passer outre. On y retrouve en fait à peu près tous les défauts de Runabout, son prédécesseur sur Playstation sorti chez nous sous le nom Felony 11-79. La différence est que Runabout était tellement court (trois petites missions en tout...) que l’on n’avait guère le temps de se rendre compte d’éventuelles qualités qu’il avait peut-être ; encore moins l’envie d’y rejouer pour débloquer les nombreux véhicules cachés, et peut-être découvrir ces points positifs.

Reste qu’il est étonnant qu’une telle série soit issue des cerveaux de Japonais ayant développé des RPG et des jeux d’action-aventure pour Sega. Pourtant, comparé à Shining and the Darkness ou Landstalker (note : ne pas confondre Climax Entertainment avec le studio anglais Climax Group responsable des MotoGP sur Xbox ou de Sudeki), Super Runabout propose une avancée : le jeu vous propose DEUX scénarios, ce que l’on ne trouvait pas dans les anciens jeux de Climax ! C’est quand même fort de café ça, non ?

Oui, ce que je viens de dire est parfaitement crétin, et c’est tout à fait dans l’esprit de Super Runabout, dans les méandres duquel, vous l’aurez constaté, j’ai décidément beaucoup de réticences à me plonger de façon explicite. Le fait est que l’on pourrait presque s’arrêter là tant le crétinisme est omniprésent dans le jeu, et semble-t-il totalement assumé. Comme dit précédemment, le jeu, qui se déroule à San Francisco, vous propose deux scénarios hautement recherchés : dans le premier vous incarnez la nièce d’un coursier criblé de dettes qui va tout faire pour sauver son oncle qui est sous l’emprise d’un politicard mafieux. Dans le second vous dirigerez deux agents de circulation qui rêvent d’intégrer le département de la police judiciaire. Et c’est tout. Et c’est largement assez. Pas besoin d’en savoir plus puisque tout cela est amplement suffisant comme prétexte à des missions dont l’absurdité n’a d’égal que... ah bah non, il n’y a même pas d’égal en fait.

Ainsi, en tant que coursier, vous ramasserez des bombes et les apporterez au centre de déminage, pousserez des limousines volées dans l’eau, et sauverez le Président et sa fille dans un porte-avions (je rappelle que toute l’action se déroule à véhicule) sans oublier de préparer des hotdogs pour les invités de la fête de la Mairie. En tant que policier, vous ramasserez des attachés-cases, livrerez des limousines à la dépanneuse, et sauverez un auxiliaire médical à Alcatraz tout en apportant de la moutarde et du ketchup, toujours à la fête de la Mairie. Outre ces improbables inepties, chaque scénario comporte deux missions spéciales ainsi que quelques voitures spécifiques auxquelles je n’ai pour ma part pas eu accès même en terminant le jeu. Il faut donc fouiner sur le Net à la recherche de FAQ pour tout débloquer.

Nous l’avons vu plus haut, on ne peut pas dire que Super Runabout croule sous les superlatifs. Les graphismes ne sont pas très fins pour de la Dreamcast. Le frame-rate chute de façon régulière. La maniabilité est dans le meilleur des cas correcte (j’ai bien dit dans le meilleur des cas), ce que l’on peut mettre en corrélation avec un moteur physique vraiment foldingue : comportement routier des véhicules souvent indigne d’une vieille Lada, inertie défiant toutes les lois de l’équilibre et une gestion de la gravité qui pourrait faire croire lors de certains sauts que San Francisco se trouve sur la Lune. Et pourtant la sauce prend. Pourquoi me direz-vous ? Eh bien pour une raison des plus sidérantes : tous ces points noirs font carrément partie du trip.

En effet, Super Runabout donne réellement l’impression d’assumer et même de se vanter de tous ses défauts, bien que l’on puisse largement douter du caractère volontaire de l’exercice. Une fois cet aspect saisi, on a franchi le pas nécessaire à l’appréciation du jeu de Climax Entertainment. Et l’on aura tout le loisir de se rendre compte que malgré des caractéristiques à faire crier au scandale la presse spécialisée (laquelle avait d'ailleurs tièdement accueilli le jeu), Super Runabout est diablement fun et ne cesse de prêcher la bonne humeur. Pour ce dernier point il est bien épaulé par les couleurs vives des graphismes, le rock’n roll des Japonais de Surf Coasters, ainsi que le ridicule des objectifs de mission et des situations de jeu. Tout ceci allié aux défauts dont on oserait presque croire que ce sont des atouts donne à Super Runabout une atmosphère de déjante et de grand n’importe quoi que seuls quelques titres tels Runabout 3, Maximum Chase ou Wreckless ont su proposer ensuite.

Le cas de Wreckless est d'ailleurs extrêmement intéressant tant il a pompé son aîné à grandes gorgées avec un plaisir non dissimulé. Deux scénarios, un mentor mafieux à déboulonner, un tank parmi les véhicules cachés, un moteur physique similaire sur certains points, des niveaux surréalistes (porte-avions et prison fortifiée pour Super Runabout, égouts et station de décollage de fusée pour Wreckless) : on croirait vraiment que Bunkasha a débauché des designers de Climax pour créer un nouveau Super Runabout, les tons vifs en moins et la maîtrise technique en plus. On y reviendra dans l'article sur Wreckless.

Le jeu est globalement court (six missions par scénario) et fait l’éloge du fameux die and retry inhérent au genre, et encore cela ne concerne que certaines missions délicates (les livraisons de bouffe notamment). La replay value est cependant assurée par les éléments à débloquer, voire par l’envie de refaire le jeu pour le plaisir, pour assister à nouveau à ces moments délirants d’absurdité, à ces situations qui font croire que c’est un mauvais clone de Michael Bay qui a conçu le jeu, à ces instants de subtilité, de finesse, de douceur et de poésie lorsque l’on fonce comme un abruti lessivé dans San Francisco pour aller faire joujou avec les éléments destructibles du décor (mais pas longtemps, les dommages sont gérés). Super Runabout est donc bel et bien un nanar vidéoludique, ce qui à ce titre le rend indispensable aux amateurs de 36ème degré, à ceux qui savent jouer sans se demander continuellement s'ils sont dignes de s'amuser sur un truc pourtant bien bancal à la base. Et peu importe que la chose fusse volontaire ou non, c'est un authentique tour de force.

Barbo
(23 février 2009)
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