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Sinistar
Année : 1983
Système : Arcade
Développeur : Williams
Éditeur : Williams
Genre : Action / Arcade / Shooter
Par JPB (06 avril 2015)

Williams a réalisé un nombre conséquent de jeux d'arcade (sans parler des flippers), et à mon sens la société a obtenu un statut mythique grâce à deux jeux dont on a déjà parlé sur Grospixels : Defender et Robotron 2084, déclaré par certains comme le meilleur jeu d'arcade de tous les temps. Personnellement dans le trio de tête, je place également sans hésiter Joust, le jeu avec des autruches dedans.

Mais il est un jeu d'arcade qui, parmi les hits de Williams, est moins célèbre que les trois précités : il s'agit de Sinistar. Attention, je ne dis pas qu'il est inconnu : il a été chroniqué dans le Tilt n° 16 d'octobre 1984 (cliquez ici pour lire l'article), et fait partie de compilations sorties sur plusieurs supports ("Williams Arcade Greatest Hits" ou "Williams Arcade Classics"). Mais personnellement, je ne l'ai jamais vu dans aucun des cafés ou salles de jeux que j'ai connus, et reconnaissez que son aura est tout de même moins éclatant que celui de Defender...

Le flyer. Cliquez sur une image pour une version plus grande.Merci au site Arcade Flyer Archive !

Je me propose de réparer cette injustice.

Petit état des lieux

Votre vaisseau au centre, deux planétoïdes, deux Workers et un Warrior.Les deux petits pixels blancs sont des cristaux de sinisite.

L'écran

La plus grande partie de l'écran représente la zone de jeu. Votre vaisseau est au centre de l'écran ; lorsque vous allez dans une des 8 directions standard, il se déplace un peu dans cette direction, proportionnellement à la vitesse que vous avez prise, puis il reprend sa place au centre. C'est tout l'écran qui défile autour du joueur.

En haut au centre de l'écran, un radar indique ce que vous voyez en dessous (dans le carré bleu), et une grande zone autour de vous ; mais l'espace de jeu est tout de même plus grand que la portion représentée par le radar. Vous êtes toujours au centre, et les éléments autour de vous sont tous indiqués : astéroïdes en gris, Workers en rouge, Warriors en marron... Des fois ça fait un peu fouillis tellement il y a de points sur le radar.

À gauche du radar, les Sinibombes que vous avez stockées (les petits ronds blancs et bleus), à concurrence de 20. En dessous, le score, et vos vaisseaux restants.

Encore en dessous se trouve l'indicateur de messages, pour certains cas précis.

Les contrôles

Ils ne sont pas très compliqués, en tout cas bien plus simples que ceux de Defender, mais Sinistar possède une particularité : vous vous déplacez grâce à un joystick, qui permet d'aller dans les 8 directions standard, mais avec une vitesse sur 3 crans (ce qui donne le fameux "joystick à 49 directions" vanté dans le flyer, je vous en reparlerai dans la partie technique).

Les contrôles de la borne "upright".

Vous tirez avec le premier bouton de tir (l'orange, enfin c'est marqué "Fire" à côté : on ne peut pas se tromper), sachant qu'il y a un autofire bien utile activé par défaut.
Le second bouton (le rouge) sert à lancer une Sinibombe - et là aussi c'est marqué. Vous saurez pourquoi dans quelques instants.

Et maintenant que vous savez comment on manie le jeu, voici comment on y joue.

Sin'histoire

Dans un secteur précis de la galaxie, vous pilotez un vaisseau minier, capable de percuter sans crainte les astéroïdes ; cela vous permet de vous positionner sans crainte pour tirer sur les rocs. Au bout d'un moment, votre tir sur le planétoïde libère un cristal de sinisite - métal incomparable représenté sous la forme d'un petit point lumineux, comme s'il s'agissait de métal en fusion - qui est projeté plus ou moins rapidement dans l'espace. Il vous faut alors intercepter ce cristal pour le stocker dans votre soute : chaque cristal de sinisite que vous ramassez vous octroie 200 points et est automatiquement converti en une Sinibombe. Vous saurez pourquoi dans peu de temps.

Chaque astéroïde vous donnera plusieurs cristaux de sinisite - en fait indéfiniment si vous tirez régulièrement sur le roc ; mais si vous tirez trop vite, vous finirez par le désintégrer, vous gagnez le score époustouflant de 5 points et il vous faudra chercher un autre planétoïde à exploiter.

Le titre. Oui, ça fait brouillon.
Les points.

Starglider 2 ?

Pendant que vous minez les planétoïdes, vous vous rendez vite compte que vous n'êtes pas seul. Une ribambelle de vaisseaux se déplace à toute vitesse autour de vous. Il y en a deux types.

Les moins nombreux, ce sont les Warriors : des chasseurs gris qui tirent sur les planétoïdes tout comme vous, pour libérer des cristaux de sinisite, mais qui n'hésitent pas à vous prendre en chasse et à vous tirer dessus. Vous pouvez les percuter sans danger, et quand vous vous en débarrassez d'un simple tir, ils vous rapportent 500 points.

Un planétoïde et un Worker.
Et tout en bas du radar,
le point jaune du Sinistar.
Hop, un ennemi de moins.

Les autres, plus nombreux, sont des Workers : des vaisseaux miniers rouges qui sont là pour la même chose que vous : récupérer de la siniste. En plus de récupérer les cristaux libérés par les Warriors, ils n'hésitent pas à tourner autour de vous pour vous piquer ceux que vous avez éjectés des astéroïdes. Tout comme les Warriors, vous pouvez les percuter sans danger, et si vous en éliminez un d'un seul tir, cela vous octroie 150 points - et s'il transportait un cristal de sinisite, vous pouvez alors le récupérer.

Le but de vos ennemis est de construire pièce par pièce le Sinistar, une machine pratiquement indestructible qui nécessite 20 cristaux de sinisite.
Les Workers sont rapides, le Sinistar est construit en quelques minutes ! Vous pouvez choisir de les détruire pour les empêcher d'avancer dans leur travail ; mais vous pouvez aussi décider de démanteler le Sinistar au cours de sa construction : pour cela, une fois que vous l'avez localisé (c'est un point jaune sur le radar, et il reste immobile tant qu'il n'est pas terminé), vous tirez avec le second bouton de tir une Sinibombe qui détruira une partie du Sinistar - et hop, 500 points de plus. À vous de voir dans quelle mesure vous comptez ralentir la construction ennemie ; vous pouvez tout aussi bien ne rien faire pour passer le plus vite possible à l'étape suivante, le combat contre le Sinistar opérationnel.

Cours, Forrest !

Au bout d'un moment, vous entendrez une voix menaçante annoncer : "Beware... I live !" ("Prenez garde... Je vis !") C'est le Sinistar qui, achevé, vous prend en chasse ! De temps en temps il lâche petite pique bien sentie, comme "Run run run !" ("Cours cours cours !"), "Run coward !" ("Cours, lâche !"), ce qui vous vous en doutez ne fait rien pour diminuer le stress.

Je viens de lancer une Sinibombe...
... mais la construction continue.

Le Sinistar est encore plus rapide que votre propre vaisseau : heureusement, il est un peu moins maniable. Guettez le point jaune sur votre radar : c'est lui, vous saurez ainsi quelle trajectoire d'esquive prendre à l'avance. S'il vous touche, il vous avale en poussant un terrible rugissement. Vous devez donc éviter le contact à tout prix, et ne pouvez le détruire qu'en lui lançant, l'une après l'autre, 13 Sinibombes (le visage créé par 8 éléments de construction devient un élément unique). Petit à petit, vous arriverez ainsi à le mettre en pièces, mais la victoire est loin d'être évidente ! Il faut que vos Sinibombes le touchent, et elles ont beau le cibler automatiquement, les Workers et Warriors vont tenter de protéger le Sinsitar en se jetant sur les Sinibombes que vous lancez ! Si c'est le cas, "Sinibomb Intercepted" apparaîtra dans la zone de messages.

Chaque partie du Sinistar éliminée vous donnera 500 points, et réussir à détruire complètement le Sinistar, c'est le jackpot : 15 000 points ! Pour info j'ai beau savoir comment faire, je n'ai jamais réussi, je me suis toujours fait avaler avant... Chris Emery, qui détient le record avec 761 305 points le 03/04/1984, devrait bien rigoler en me voyant jouer...

Et ensuite ?

Après avoir détruit le Sinistar, votre vaisseau sera transporté dans une autre zone où un autre Sinistar sera construit, et dans laquelle vous aurez besoin de collecter plus de Sinibombes pour arriver à le détruire.

Ma Sinibombe a été interceptée.
Là, je n'en ai plus pour longtemps...

En dehors de la première zone qui sert d'entraînement, et où le Sinistar n'est construit qu'une seule fois, vous affrontez vos ennemis dans un roulement continu de 4 zones où vous vous retrouvez téléporté : celles des Workers, des Warriors, des Planétoïdes et du Vide. Comme leur nom l'indique, chaque zone possède plus d'unités correspondantes ; quant au Vide, il y a très peu de planétoïdes et du coup, récupérer de la sinisite est bien plus difficile. Attention car ces zones sont présentes dès le départ, si vous volez dans une direction pendant longtemps vous entrerez forcément dans l'une d'elles (un message vous l'indique).

Chaque fois que vous perdez un vaisseau, l'écran vous indique le nombre de Sinibombes que vous possédez et où en est la construction du Sinistar, pour que vous sachiez où vous en êtes en reprenant le jeu.

Un peu de technique

Sinistar s'est d'abord appelé Juggernaut, puis Darkstar. Le prototype a été présenté en novembre 1982, et le jeu est sorti officiellement en février 1983. À l'origine, le jeu ne devait pas être aussi difficile, mais la direction de Williams en a décidé autrement...
Le jeu partage les mêmes composants que Defender, Robotron 2084 ou encore Joust : un Motorola M6809 en CPU principal, un M6808 pour le CPU sonore, et un chipset sonore DAC. Par contre il embarque en plus un chipset sonore HC55516 pour la synthèse vocale.

Le cockpit, vu de l'avant.
Version standard.

Sinistar existe en trois versions : une standard "upright", à laquelle on joue debout ; une autre version debout "Duramold", au look plus travaillé, plus sobre et quelque peu arrondi (quelques autres jeux Williams disposent de cette version : Blaster et Bubbles) ; et enfin une version "cockpit" au look impressionnant - cette version, d'ailleurs, ne propose que le jeu pour un joueur, et c'est dans cette version qu'on trouve la première fois un son stéréo dans un jeu d'arcade.

Le cockpit, vu de l'arrière.Effectivement, plus de bouton 1 ou 2 joueurs : juste les tirs.
Version Duramold.

À part le Sinistar lui-même, que je trouve très réussi, Sinistar n'offre pas de graphismes éblouissants. Les vaisseaux sont petits, leur look est sympa mais pas inoubliable... Surtout que dans le feu de l'action on ne les regarde pas pour ce qu'ils sont, mais juste comme des cibles rouges ou grises.

L'animation est très rapide. Comme les sprites sont petits ça aide, mais par moments l'écran fourmille d'éléments - entre les astéroïdes, les innombrables Workers plus quelques Warriors... Pas le moindre ralentissement, et pourtant croyez-moi, on se croirait dans Robotron 2084 !
Et pendant qu'on parle de l'animation, celle du Sinistar est très réussie. Lorsqu'il parle, tout son visage s'anime, il donne vraiment l'impression d'être vivant. Le gif animé ci-contre a été réalisé par Elkaddalek.

Côté son, le jeu est assez pauvre : les tirs et explosions sont bien faits mais dans la norme. Par contre, gros travail réussi sur la synthèse vocale du Sinistar. Les phrases qu'il prononce sont très reconnaissables, le ton est parfaitement choisi et on se surprend à craindre d'entendre la fameuse réplique annonçant l'arrivée de l'ennemi. Quand on insère des pièces, il s'exclame : "I hunger !" ("J'ai faim !")
D'ailleurs j'ai lu un petit truc marrant : chez Williams, certains au lieu d'entendre "Run, coward !", auraient compris "Ron Howard". Inutile de dire que ce Monsieur n'a rien à voir là-dedans... Du coup, comme son premier rôle était Opie Taylor dans le Andy Griffith Show, le jeu a été surnommé pour rigoler "Opie-Star".
De nos jours, on retrouve la fameuse phrase "Beware, I live !" dans Warcraft III - The Frozen Throne, ou dans World of Warcraft - hélas, je doute que plus d'une petite partie des joueurs aient saisi l'hommage.
Si vous voulez écouter toutes les phrases prononcées par le Sinistar, c'est dans cette vidéo.

Que je vous parle en vitesse du joystick à 49 directions : pour faire simple, voici un petit dessin qui explique comment elles sont atteintes. Du coup, il y a réellement 49 positions possibles, mais c'est surtout la vitesse qui est importante : on peut bouger doucement sur 8 directions, pour viser et ramasser de la sinisite, et foncer sur 24 directions pour fuir le Sinistar - sans compter les positions intermédiaires. Du coup le jeu permet de choisir des trajectoires très précises.
Mais en émulation M.A.M.E., ces 49 directions ne sont pas gérées, et on se retrouve avec un pilotage beaucoup plus brut, sans réellement pouvoir doser sa vitesse, et cela rend le jeu beaucoup, beaucoup plus difficile...

Le gameplay est horrible. Le jeu est trop dur ! Ce que je reprocherais le plus à Sinistar, c'est qu'on est sans cesse harcelé par les vaisseaux ennemis. On n'a pas le temps de souffler. Si on extrait de la sinisite, et qu'on n'arrive pas à la stocker rapidement, un Worker vous la pique, ce qui vous empêche d'avoir une Sinibombe de plus, et qui - hélas - ajoute une pièce au Sinistar.

L'écran qui vous indique, après une mort, où vous en êtes. À gauche le Sinistar n'est pas fini (17 pièces sur 20). À droite, il l'est (les 8 pièces du visage n'en forment plus qu'une seule).

Mais encore une fois, c'est le jeu qui veut ça et il faut s'adapter ou mourir - un peu comme dans les Dark Souls : pas de concessions.

Conversions ?

La version Atari 2600 fut annulée, ce n'était pas le bon moment de la sortir... en plein crash du jeu vidéo...
Il n'y eut aucune autre version officielle sortie à l'époque du jeu.

En revanche, il y eut des clones sur micros, comme Deathstar sur BBC Micro et Acorn Electron. Ce jeu devait être une conversion officielle réalisée par Atarisoft, mais en 1984 la marque fut abandonnée, et le jeu qui n'avait pas dépassé le stade de développement fut repris par Superior Software pour le finaliser en cette version non-officielle.

Deathstar.

Donc Sinistar n'a pas réellement été porté chez les joueurs au moment de sa sortie. En revanche, dès 1996, il fit partie de plusieurs compilations : c'est ainsi qu'on peut y jouer sur Megadrive, SuperNintendo, Saturn, PC, puis Dreamcast, Playstation... bref pratiquement toutes les machines qui virent le jour jusqu'à l'ère de la PS3 / XBox 360.

Une "suite" réalisée par THQ, Sinistar Unleashed, vit le jour en 1999 sur Windows.

Deathstar.

Sur le site de Mobygames, j'ai trouvé des screenshots d'une version Atari 8-bits. Visiblement cette version est sortie en 2010, donc faite par des passionnés dans le cadre de l'émulation rétrogaming. Vu qu'il est indiqué qu'il n'existe aucune capture de la version Atari 5200, ceci doit être une version pour Atari 400/800. Ce n'est donc pas une conversion officielle faite dans les années 84, mais elle semble d'excellente facture.

Deathstar.

Bref.

Pour conclure, j'aurais tendance à dire que Williams se complaisait à sortir des jeux d'arcade très difficiles. Comme pour Defender et Robotron 2084, on en redemande parce qu'on se dit que la prochaine fois, on y arrivera ! Sinistar est en ce sens une réussite : le jeu n'est pas compliqué mais nécessite réellement des nerfs d'acier et une concentration de tous les instants. En revanche, à cause du contrôle particulier aux 49 directions, l'émulation ne lui rend pas justice et ne permet pas de l'apprécier pleinement. C'est dommage...

JPB
(06 avril 2015)
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