Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Paper Mario : La Porte Millénaire
Année : 2004
Système : GameCube
Développeur : Intelligent Systems
Éditeur : Nintendo
Genre : RPG / Plate-forme
Par MTF (09 septembre 2013)

Il est une règle que tout joueur devrait suivre, qu'il soit jeune ou vieux, expérimenté ou débutant : ne jamais se fier aux apparences et, surtout, ne jamais s'arrêter sur une première impression, de quelque nature qu'elle soit. Il est bon, après avoir terminé un jeu pour la première fois, de le refaire quelques années plus tard et rectifier, alors, son jugement initial si besoin était. Trop souvent effectivement, parce que nous sommes emportés par l'excitation, parce que nous manquons de recul ou, plus simplement, parce que nous ne savons pas encore où les développeurs veulent nous mener, nous tenons pour acquis la qualité intrinsèque d'un jeu finalement médiocre ; c'est aussi pour cela qu'il faut toujours prendre avec précaution les avis des journalistes une fois un jeu fraîchement sorti puisque l'exercice de leur profession les empêche souvent de peser et soupeser les tenants et aboutissants du titre sur lequel ils écrivent, et il leur arrive régulièrement de minorer certaines grandes qualités et d'oublier de lourds défauts qui ne se révèlent que lors des parties ultérieures.
Paper Mario: The Thousand-Year Door fait sans doute partie de ces jeux qui, le temps aidant, supportent mal le passage des années alors que tout, « sur le papier », fait pourtant sens et alors que tout en lui paraît aimant et sans défaut aucun.

Le photoco-pillage tue le livre

Comme je le précisais dans mon article portant sur Paper Mario sur N64, ce jeu fondateur n'est pas des plus connus, du fait d'une sortie tardive sur une console vieillissante ; aussi, lorsqu'Intelligent Systems propose Paper Mario: The Thousand-Year Door (TYD à présent) sur Game Cube quelques quatre ans plus tard, nombre sont ceux qui découvrent cet univers particulier avec celui-ci : les références directes à cet ancien épisode sont en effet des plus rares, du moins, pour un œil non-averti ; car les routards du jeu original ne manqueront pas de remarquer les nombreuses accointances entre ces épisodes à tel point que l'on peut considérer TYD comme une version « DX » de Paper Mario, et il nous rappelle encore que le mieux est l'ennemi du bien.
L'histoire de TYD prend place dans un recoin inconnu du Royaume Champignon et débute dans un port malfamé, « Port-Lacanaïe » qui servira de hub à toute cette aventure. La Princesse Peach, trouvant une carte au trésor la conduisant dans ce havre du vice, se fera alors mystérieusement enlevée par un gang de sbires arborant un « X » sur leurs uniformes, les « MégaCruxis » qui répondent aux ordres de leur chef « Cruxinistre ». Mario, volant à sa rescousse, comprendra rapidement qu'elle a été emmenée au-delà de la « Porte Millénaire », une barrière située dans les tréfonds du port et qui conduit, nous dit-on, à un trésor fabuleux. Il lui faudra cependant, afin d'ouvrir ladite porte, récolter sept Gemmes Étoiles dissimulées un peu partout et ainsi se lancer dans une grande aventure.

Le début du jeu reproduit celui de Paper Mario. À droite, la carte du monde que vous explorerez.

De prime abord, la structure même du jeu renvoie on ne peut mieux à Paper Mario : un prologue et huit chapitres menant chacun à l'une des gemmes en question et à la fin du jeu, un nouveau compagnon à chaque fois aux pouvoirs sinon approchants, du moins identiques à ceux du premier jeu, l'exploration d'une île tropicale, d'une forêt hanté par les fantômes, d'une montagne enneigée... Il serait possible de jouer au jeu des « sept différences » tant les choses se répondent. Une telle conformité, là où Super Paper Mario sera bien plus original dans son approche, ne peut manquer de faire croire que l'ambition d'Intelligent Systems était d'offrir un « cours de rattrapage » à celles et ceux qui auraient négligé leur précédent jeu. Je vous propose, pour illustrer cela, la présentation des compagnons qui vous rejoindront au cours de votre quête.

Goomélie est une petite goomba qui ressemble beaucoup à Goombario. Elle donne des coups de tête et peut « scanner » les ennemis pour dévoiler leurs points faibles et leur barre de vie.

Koopek est l'alter-ego de Kooper. C'est ici un valétudinaire timide qui voudrait bien retrouver son père.

Cumulia est un fantôme plus ou moins amoureuse de Mario qui peut souffler des bourrasques pour dévoiler des zones cachées du décor.

Ptiyoshi est un jeune Yoshi que le joueur peut renommer à sa guise et qui, tel Lakilester ou Parakarry, permet à Mario de voleter au-dessus de certains gouffres et de trottiner légèrement plus vite que de coutume.

Viviane est un esprit appartenant à la base au clan des méchants qui peut rendre Mario invisible, lui permettant d'éviter certains pièges, tout comme Lady Bow.

Bombart est un bob-omb, aux pouvoirs identiques à ceux de Bombinette.

Comme vous le voyez, les compagnons sont quasi les mêmes que précédemment. Leurs personnalités respectives, cependant, sont mieux marquées et les dialogues évolueront légèrement en fonction du compagnon qui vous seconde à un instant précis du jeu.

Les ressemblances ne s'arrêtent pas aux décors ou aux principes, mais touchent également au gameplay qui, mais encore cela est plus excusable, n'a nullement évolué, ou très peu en quatre ans : l'on retrouvera encore une fois différentes bottes de saut et des marteaux pour évoluer dans l'environnement, le système de badges, de « points fleurs » et de points de vie, la montée en niveau par l'intermédiaire des « points étoiles », la distinction faite, pour les ennemis, entre ceux qui volent, ceux qui rampent et ceux qui se protègent le crâne et ainsi de suite.
Aussi, dans les grandes lignes, les jeux sont identiques : il y a cependant ici et là plusieurs petites nuances qui méritent que l'on s'y attarde et font oublier, par endroit, la pompe.

Trois ennemis qui feront office de tutoriel. À droite, première rencontre avec le clan ennemi.

Allez, bon vent !

Ces nuances touchent les trois pôles de l'aventure, soit l'exploration des villes et donjons, les combats et l'histoire en elle-même et c'est sans doute ce dernier point qui est le plus dommageable. Nouvelle console et nouveau support obligent, le jeu se fait d'ores et déjà bien plus beau, bien plus coloré et, surtout, bien plus long et plus vaste à explorer. Chaque endroit possède son lot de passages secrets et de chemins alternatifs et la ville de départ elle-même regorge de mystères que l'on apprend à découvrir au fur et à mesure, sans parler de son immense système de souterrains s'étendant à l'infini ou presque et que l'on découvre progressivement une fois un nouvel objet acquis et qui se révèle bien plus intéressant à explorer que ceux de Paper Mario qui ne servaient, peu ou prou, qu'à rejoindre rapidement les villes précédemment traversées. Quand bien même l'on retrouvera ici ce système de téléportation, l'on y verra aussi et surtout un village entier avec boutiques et « marché noir », diverses épreuves perverses sur lesquelles je reviendrai et autres petites mignardises promptes à enchanter le joueur.
L'exploration des différentes zones tire ainsi davantage partie des pouvoirs non seulement des compagnons qui pourront ainsi faire voleter le plombier sur une courte distance, faire exploser des murailles ou activer de lointains interrupteurs, mais aussi de Mario lui-même qui se rappelle brusquement qu'il est fait en papier : l'on pourra alors, parfois en trouvant une dalle magique idoine, se transformer en avion pour franchir de larges gouffres, en bateau pour voguer ci et là, se rouler parfaitement pour passer dans des soupiraux ou se plier comme un accordéon et ainsi se propulser dans les hauteurs.
Ces nouvelles capacités rendent paradoxalement ce monde « plat » bien plus tridimensionnel qu'il n'y paraissait de prime abord et l'on pourra sans scrupule revenir dans les zones précédemment traversées pour y dénicher de nouveaux objets, généralement des badges dont le nombre a été considérablement augmenté.

La transformation en avion et Cumulia dans ses œuvres.

Le système de combat, de même, s'est enrichi de façon bienvenue. Trois nouvelles composantes, notamment, sont à observer : d'une part, les compagnons possèdent maintenant eux aussi une barre de vie et de « points fleurs » et il faudra alors également compenser avec leurs forces et faiblesses pour ne pas se retrouver seul et ce même s'ils ne gagnent pas d'expérience : leur pouvoir augmentera une fois un objet particulier trouvé et ramené dans le port principal.
Ensuite, les combats se déroulent sur une véritable scène de théâtre avec un public hétéroclite, alors que la chose n'était que suggérée précédemment. Au fur et à mesure de l'aventure, Mario deviendra de plus en plus populaire et connu - système qui n'est pas sans rappeler l'arrière-plan de SuperStar Saga - et d'une dizaine de spectateurs, la salle sera gonflée à deux cents à la fin du jeu. Ces spectateurs ne sont pas seulement là pour « faire joli » mais participent activement au combat : plus ils sont nombreux et plus ils rempliront le compteur de « Magie Étoile » de Mario, ces pouvoirs qui se débloquent au fur et à mesure des « Gemmes Étoiles » collectées, ils peuvent envoyer des objets de soin ou au contraire des débris selon leur contentement voire être pris à parti par les ennemis eux-mêmes qui les mangeront pour regagner des points de vie ou les feront fuir ou les endormiront pour vous éviter toute aide intrusive. Si la gestion du public n'est pas, en soi, un objectif à part entière lors des combats, il peut, ponctuellement, influencer en bien comme en mal l'issue d'un duel. Enfin, à la fin de certains tours, une « roulette » comme au casino se met en route et peut tout autant vous refaire gagner de la vie ou des « points fleurs » mais aussi, si vous êtes malchanceux, vous infliger des malus. Cette idée est malheureuse car du moment que vous insufflez du hasard dans un combat, la stratégie est jetée par la fenêtre : et plus d'une fois ai-je dû reprendre un combat depuis longtemps commencé bien que maîtrisé parce que les cartes étaient « contre moi ». Cela est d'autant plus triste que le jeu n'est pas des plus difficiles, du moins reste-t-il dans la lignée du premier épisode et le joueur qui ne cherche pas spécifiquement à éviter tous les combats s'en sortira sans grande difficulté, nonobstant le dernier boss qui, par sa longueur, pourra surprendre les habitués.

Le public est ravi quand vous attaquez ; et peut-être pour la première fois depuis Super Mario Sunshine, les Piantas font une apparition.

Ces éléments, cependant, parviennent à faire en sorte de rendre les combats « normaux » contre le tout-venant plus dynamiques qu'auparavant - on conserve, bien entendu, le principe des « commandes action » et, même, on introduit une « contre-attaque » assez difficile à maîtriser néanmoins - alors que les combats de boss, bien plus remarqués, deviennent de véritables étapes là où, dans Paper Mario premier du nom, ils pouvaient être assez vite expédiés quelques fois. Surtout, ils font moins appel à des « astuces » comme auparavant, l'utilisation d'un certain objet ou d'un certain compagnon mais vous obligent à développer des stratégies sur le long terme et rendent significatifs votre avancée dans l'aventure.

Tiens, je suis passé par ici déjà, non ?

L'histoire de Paper Mario était simplexe mais savait faire jouer la carte du changement, comme je le disais, par l'intermédiaire de chaque chapitre qui nous proposait une séquence originale et sans cesse renouvelée. TYD essaie de faire de même, pour le meilleur mais, surtout, le pire. Soyons honnêtes tout d'abord et remarquons que bien que les environnements traversés ressemblent, la plupart du temps, à ceux du jeu précédent, les histoires développées sont, quant à elles, entièrement nouvelles : l'on devra donc affronter un gigantesque dragon mangeur de Koopas, vaincre un magicien qui change les habitants d'un bourg en cochons, explorer la crique d'un pirate pour en voler son trésor.
Il existe même deux chapitres qui doivent compter parmi les plus originaux de toute la série Paper car se déroulant, quant à eux, dans des lieux forts étroits et resserrés sur eux-mêmes : il s'agit de celui se déroulant dans l'univers du catch où Mario devra se hisser, de rencontre en rencontre, jusqu'au sommet de la compétition pour espérer décrocher la ceinture du champion ornée, comme vous vous en doutez, d'une Gemme Étoile ainsi qu'un autre se déroulant dans un train à grande vitesse où divers événements vont prendre place et qui renvoie textuellement au Crime de l'Orient-Express d'Agatha Christie.


Comme auparavant, vous contrôlerez Peach entre deux chapitres pour aider Mario, mais aussi Bowser dans une parodie de Super Mario Bros. de bon aloi.

Malheureusement, si ces chapitres et les autres, du reste, sont très agréables voire surprenants la première fois à parcourir, ils souffrent tous d'un défaut imbécile qui rend la rejouabilité douloureuse et ce même si l'on aime le jeu : le backtracking. Dans tous les chapitres à l'exception, peut-être, de deux d'entre eux, le joueur se devra de revenir constamment sur ses pas pour débloquer un nouveau passage ou déclencher une séquence scriptée et ainsi progresser dans son aventure. Si, les premiers temps, on prend la chose avec énormément de bonté, les fois suivantes, il m'a souvent démangé de jeter mon contrôleur par la fenêtre de mon appartement. Que ce soit le passage dans la forêt hantée que l'on doit traverser, à la suite, au moins six fois sans que rien ne change, la quête du général Bob-Omb qui nous fait revenir dans le moindre des villages avant de retourner, bredouille, à notre point de départ ou d'autres saynètes énervantes, comme ce dialogue où un pianta dit cent fois (compteur à l'appui) « Je t'aime » à son aimée et dont on ne peut nullement faire l'économie, le jeu finit par agacer. La même chose se rencontre, du reste, avec l'ensemble des phases de dialogue, rigolotes au tout début, lourdingues à la fin qui tentent sans succès de nous arracher un sourire : et si certaines sont, effectivement, plaisantes - comme le patron du spectacle de catch qui donne à Mario le nom de scène de « Super Gonzales » pour attirer les foules -, la majorité ne fait hélas que délayer encore et encore le propos et nous empêche de jouer comme nous l'entendons.
Aussi, la quête principale sur laquelle s'est portée toute l'attention et sur laquelle nous devrons être concentrés déçoit et irait même jusqu'à entraver le plaisir des combats et de l'exploration, qui est réel quant à lui : mais l'on se rattrapera ici sur un ajout de taille et qui manquait à Paper Mario et même à Super Mario RPG, les quêtes secondaires, en nombre et de diverses natures. Certaines feront vibrer l'âme des complétionnistes, comme cette encyclopédie qui se remplit au fur et à mesure des ennemis et des boss scannés par Goomélie, en sachant que certains ennemis disparaissent définitivement une fois vaincus ; la quête de tous les badges et de toutes les recettes de cuisine, et des morceaux d'étoile pour acheter les premiers ; un système de service postal où l'on doit rendre de menus services à divers personnages et qui aboutit à l'obtention d'un compagnon « caché », non listé ici à l'intérêt limité mais bienvenu ; et, enfin et peut-être, la plus belle des épreuves, le « Donjon aux cent étages ». Dans les souterrains de Port-Lacanaïe se trouve un tuyau menant à ce donjon composé, comme son nom l'indique, de cent niveaux. La difficulté va croissant et il faut l'explorer d'une traite : remonter une seule fois, c'est devoir tout refaire. Tous les dix étages, le joueur obtient un badge ou un objet rare et le combat final contre un boss secret est sans doute bien plus compliqué, comme le veut la coutume dans ce type de jeu, que le grand méchant lui-même. Les fondus s'amusent même à finir ce niveau avec le niveau le plus bas possible mais même si on l'entreprend dans les derniers instants de l'aventure, l'on ne manquera pas de s'y casser les dents : nul blabla, uniquement du combat, de l'esquive, de l'intelligence, tout ce que TYD devrait être est relégué en arrière-plan, à notre grand regret.

Le jeu n'oublie pas d'en mettre cependant plein les yeux, que ce soit du côté du gigantisme ou de la multitude : on repousse à droite les squelettes à coups de marteau, et ils volent partout tout en s'agitant frénétiquement. Si le concept est rigolo la première fois, au bout de la quatrième, on se lasse un peu...

Que reste-t-il alors de cet épisode ? S'il permet à celles et ceux qui étaient passés aux côtés de Paper Mario de tomber amoureux de son univers, il agacera sans aucun doute les connaisseurs de ce dernier par sa redondance et si sa première traversée est des plus agréables, y revenir peut se faire douloureux tant son cheminement est lent, bavard, saccadé. Il reste cependant un épisode des plus sympathiques concernant tout ce qui ne touche pas à l'histoire, soit les combats et l'exploration des différents niveaux, mais l'on aimerait bien qu'il y ait un bouton « Mute » pour profiter pleinement de cet épisode.
Aussi, même si l'on a tendance à dire que dans le domaine du jeu vidéo une suite est toujours supérieure à l'original, je ne saurai que trop conseiller à ceux qui n'auraient jamais touché un Paper de leur vie d'aller directement vers le premier épisode, et non le second : le premier est parfait dans la mesure où il n'y a rien à enlever alors que le second aurait dû bénéficier d'une sévère séance d'écrémage.

MTF
(09 septembre 2013)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Les images proviennent du site jeuxvideo.com.
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(60 réactions)